Visuel Wikimedia commons : Henry Kissinger en entretien avec Mao Zedong, le Premier ministre chinois Zhou Enlai est en arrière-plan. Début des années 70. Photo Oliver Atkins .
L’ancien secrétaire d’État des États-Unis a passé le cap des 100 ans. Retour avec Gérard Araud, l'un de ses biographes, sur une trajectoire hors-normes, celle de l’un des plus des grands acteurs de la politique internationale au XXe siècle.
Henry Kissinger vient de fêter ses cent ans. Gérard Araud, qui fut notamment ambassadeur de France aux États-Unis, lui a consacré une passionnante biographie*, récemment publiée chez Tallandier. Il est la personne idoine pour dire à quel point la personnalité et la trajectoire de ce grand acteur de la politique étrangère au XXe siècle méritent le détour.
Historia - Qu’est-ce qui vous intéresse à ce point chez Kissinger pour lui avoir consacré un livre ?
Gérard Araud - Je partirais d’un pan d’histoire personnelle. J’étais un adolescent intéressé par les questions géopolitiques et j’ai suivi l’ascension de Kissinger. En 1971, nous y reviendrons, son voyage secret à Pékin est un épisode stupéfiant. En 1973, il fait la navette entre Israël et les pays arabes, jouant un rôle clé. C’est une vedette, si j’ose dire. Au regard du petit cercle des diplomates, il est un peu le Mick Jagger des relations internationales. Ses livres aussi sont très importants : Diplomatie en particulier est un ouvrage de référence, l’un de ceux que j’ai lu avec le plus de profit dans le cadre de mes fonctions.
H - En 1969, il est nommé conseiller à la sécurité à la Maison Blanche avant de devenir le secrétaire d’État de Nixon. Sa carrière est-elle indissociable de celle de l’ancien président des États-Unis ?
G. A. - Il ne faut pas oublier qu’après la démission de Nixon suite à l’affaire du Watergate, il continue d’exercer ses fonctions de secrétaire d’État auprès de Gérald Ford – jusqu’en 1977, après la défaite de ce dernier opposé à Jimmy Carter. Il est un rouage essentiel de l’administration Nixon mais d’autant plus essentiel que le président doit se débattre pour rester en place. A contrario, Kissinger incarne une forme de stabilité, avec des dossiers cruciaux sur son bureau, comme la fin de la guerre du Vietnam ou l’amorce de la détente entre l’Ouest et l’Est. Ce qui ne l’empêche pas, au demeurant, d’être très attaqué : pour nombre d’observateurs, il est un soutien sans faille à Pinochet.
H - Après son départ, Kissinger laisse-t-il un héritage ? A -t-il même des héritiers ?
G. A. - Ni les Républicains ni les démocrates ne le rappelleront plus tard aux affaires. À cela une bonne raison : Kissinger raisonne beaucoup plus comme un Européen que comme un Américain. Il n’est pas d’un optimisme à tout crin, loin de cette vision messianique des États-Unis qui revendiquent la défense du camp du bien. Kissinger est beaucoup plus pragmatique, il fait preuve d’un réalisme politique qui ne s’inscrit pas dans la grande tradition diplomatique américaine. Par exemple, il considère l’URSS d’abord sous l’angle d’une grande puissance, plutôt sous celui du communisme.
H - Pour un diplomate comme vous, Kissinger représente-t-il une personnalité inspirante ?
G. A. - Il faut différencier l’homme de l’œuvre. S’agissant de la personnalité, Kissinger n’est pas forcément un homme très sympathique. Disons qu’il se meut à la perfection dans le marigot politique, dont il connaît les codes, les habitudes et les mauvaises façons. En revanche, comment ne pas être impressionné par sa vision d’ensemble. Peu réussissent à analyser aussi bien que lui les rapports de force et les grands équilibres. Ses livres, répétons-le, impressionnent par leur clarté et leur envergure.
H - Quelle vision possède Kissinger de la France ?
G. A. - Il était très admiratif du général de Gaulle, de sa manière en particulier d’être sorti de la guerre d’Algérie, en réussissant à impulser un nouvel élan au pays alors que l’échec politique et militaire était patent. Au regard de Kissinger, il y avait des similitudes entre la situation de la France en Algérie et l’enlisement des Éats-Unis au Vietnam. À noter que Kissinger n’était pas un chaud partisan de la construction européenne. Pour lui, l’Europe se réduisait à trois grands pays, la France, l’Angleterre et l’Allemagne, avec des limites pour cette dernière compte tenu de son histoire familiale.
H - S’il fallait sélectionner le plus haut fait d’armes de Kissinger ?
G. A. - J’en retiendrais deux. Le premier, c’est son enfance – puis son adolescence -, qu’il passe en Allemagne. Entre dix et quinze ans, Kissinger vit de la manière la plus brutale la montée en puissance de l’Allemagne nazie. C’est un petit Juif pris dans le surgissement de la barbarie. Pas moins de douze personnes de sa famille périront dans les camps de la mort. Il a quinze ans quand son père se réfugie aux États-Unis et déjà une lourde histoire derrière lui. Comme autre épisode majeur, je retiens ce voyage à Pékin, monté en toute discrétion, et dont la révélation par Nixon sidère le monde entier, tant le dialogue entre Pékin et Washington semblait impossible. À la lumière de tous ces éléments, il n’est pas étonnant que le centième anniversaire de Kissinger ait fait la une de la presse quarante-huit heures durant aux États-Unis. Il est l’un des plus des grands acteurs de la politique internationale au XXe siècle.
Henry Kissinger. Le diplomate du siècle de Gérard Araud (Tallandier, 334 p., 20, 90 euros, code EAN 9791021047327).
Propos recueillis par Frédéric de Monicault
Le mardi 20 juin 2023
https://www.historia.fr/actu/kissinger-vu-par-l%E2%80%99ancien-ambassadeur-de-france-%C3%A0-washington
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