Viestes pare-balles, caméras de surveillance ultraperformantes, serrures électroniques, agents de sécurité… À Montréal, les prières dans les mosquées et les synagogues se font sous haute sécurité. Juifs et musulmans prennent des mesures considérables pour se prémunir contre les actes haineux, relativement peu nombreux jusqu’ici, mais chaque fois troublants.
20 janvier : un adolescent s’en prend à deux juifs hassidiques dans une rue d’Outremont, les projetant violemment au sol, assénant un coup de pied dans le dos de l’un d’eux.
10 avril : un homme fracasse, avec un bloc de béton, une vitre de la mosquée Al-Omah al-Islamiah dans le centre-ville de Montréal, et s’y infiltre après avoir pourchassé un fidèle à 5 h du matin, en plein ramadan.
Quatre jours plus tôt, un automobiliste tente de percuter des fidèles musulmans rassemblés à l’extérieur d’une mosquée à Scarborough, en Ontario. Il y a deux ans, à 200 km de là, une attaque à la voiture-bélier avait tué quatre membres d’une même famille musulmane, dont une adolescente.
Au Canada, comme ailleurs dans le monde, les crimes haineux se suivent et ne se ressemblent pas. Leur nombre a atteint un record au pays en 2021 avec 3360 cas signalés, dont 884 visant des membres de communautés religieuses. Une hausse de 72 % depuis 2019, selon les dernières données de Statistique Canada.
Bien qu’elle ne représente que 0,9 % de la population canadienne, c’est la communauté juive qui est la plus visée avec 487 cas recensés. La communauté musulmane, qui compte pour 4,9 % de la population, a quant à elle connu la plus forte progression (+71 %) du taux de crimes haineux en un an, le nombre de cas passant de 84 à 144.
Mentionnons aussi qu’en 2021, plusieurs églises dans l’Ouest canadien ont, elles aussi, fait les frais des crimes haineux à la suite de la découverte de centaines de sépultures non marquées sur des sites d’anciens pensionnats pour Autochtones.
À Montréal, les crimes haineux visant les communautés religieuses ont connu une légère hausse de près de 4 % entre 2020 et 2021, leur nombre passant de 70 à 73. Ce chiffre a toutefois chuté de 31,5 % en 2022 avec 55 crimes signalés, selon les données du SPVM. Toronto, quant à elle, a recensé 75 cas en 2021, soit une hausse de 30 % en un an.
Ces chiffres sont toutefois à prendre avec des pincettes, selon la police, puisque plusieurs victimes ou témoins n’osent pas dénoncer ce genre d’incidents aux autorités.
« Notre grand défi, c’est d’amener les victimes à porter plainte. Certaines personnes à Montréal ne savent même pas qu’elles sont victimes d’un crime ou d’un incident haineux. »
Des exemples de crimes haineux
- S’attaquer physiquement à une personne en raison de la couleur de sa peau;
- Proférer des menaces envers une personne en raison de sa confession religieuse;
- Vandaliser un domicile ou un endroit d’intérêt (ex. : un lieu de culte) par des graffitis à caractères haineux de type antisémite ou autre.
Des exemples d’incidents haineux
- Diffuser du matériel offensant ciblant un groupe ethnique;
- Insulter ou injurier une personne sur les réseaux sociaux, ou autrement, en raison de son orientation sexuelle;
- Poser des gestes vexatoires envers une personne en raison de sa religion.
Radio-Canada s’est entretenue avec une vingtaine d’intervenants de milieux divers − religieux, communautaires, policiers et gouvernementaux − pour dresser un portrait de la situation sécuritaire dans les lieux de culte à Montréal.
Les communautés musulmanes et juives étant les plus ciblées, c’est dans les mosquées et les synagogues que l’on trouve les mesures de sécurité les plus importantes.
En plus de systèmes d’alarme, la quasi-totalité des 150 synagogues et mosquées de la métropole sont dotées de caméras de sécurité, dont certaines sont ultraperformantes et capables de traquer les mouvements et de filmer la nuit en haute définition.
La plupart de ces lieux de culte sont également protégés par des portes munies de serrures électroniques qui ne peuvent être activées qu’avec une carte à puce ou un code d’accès.
Une caméra de sécurité sur une mosquée de Montréal.PHOTO : RADIO-CANADA / IVANOH DEMERS
Parmi les autres mesures instaurées, on trouve aussi :
- des vitres pare-balles;
- des vitres protégées par des pellicules de sécurité contre les vols et intrusions;
- des blocs de béton aux entrées pour empêcher les tentatives d’attaques de véhicules-béliers;
- des agents de sécurité privés ou des bénévoles pour assurer la surveillance;
- dans des cas plus rares, des portes contrôlées à distance afin de pouvoir enfermer un suspect qui a fait effraction.
Les mesures ont été considérablement renforcées au cours des dernières années, notamment depuis l'attentat de la grande mosquée de Québec en 2017 pour les musulmans (6 morts et 8 blessés) et la fusillade dans la synagogue de Pittsburgh en 2018 pour la communauté juive (11 morts et 6 blessés).
C’est d’ailleurs à la suite de cette attaque aux États-Unis que la Fédération CJA, un organisme d’aide à la communauté juive, a lancé son programme de Réseau de sécurité communautaire
(RSC) dont la principale mission est d’assurer la protection des synagogues et des écoles juives dans la grande région de Montréal. En tout, ce sont 38 institutions qui font partie de ce réseau, dont environ 20 synagogues.
Le modèle, qui existe ailleurs au Canada et aux États-Unis, a été mis sur pied à Montréal par une poignée d’experts en sécurité de haut calibre, dont Michael Masters, un ancien capitaine de la Marine américaine, Jacques Bisson, un commandant retraité du SPVM, et David Zarfati, un ancien agent de renseignements israélien qui était responsable de la sécurité du consulat de l’État hébreu à Montréal avant de rejoindre la Fédération CJA.
Le choix de ces experts était intentionnel
, affirme Yair Szlak, PDG de la Fédération CJA. C’est important d’avoir les meilleurs cerveaux dans le domaine de la sécurité pour assurer la protection de la communauté.
« La fusillade de Pittsburgh a représenté un tournant. Nous nous sommes demandé si nos écoles et nos synagogues étaient préparées si un tel incident devait survenir à Montréal. La réponse était non, nous n’étions pas assez protégés. »
C’est alors que l’organisme a organisé une levée de fonds pour lancer son réseau sécuritaire et a réussi à récolter près de 6 millions de dollars en 2019.
Les coûts [des mesures de sécurité] sont faramineux!
, s’indigne M. Szlak. On parle d’un investissement de près de 5 millions de dollars par année pour les synagogues, les écoles et autres institutions juives uniquement à Montréal.
Selon lui, la part du lion du budget revient aux agents de sécurité, soit un investissement annuel de 50 000 $ à 100 000 $ pour avoir un ou deux gardiens aux entrées des écoles et des synagogues
, explique M. Szlak.
Du côté de la communauté musulmane, il n’existe pas d’équivalent au Réseau de sécurité communautaire
juif. Chaque mosquée est ainsi responsable de sa propre sécurité et les investissements peuvent aller de 15 000 $ à 80 000 $, selon le niveau de fréquentation et la taille de chaque lieu de culte.
Depuis 2007, les communautés religieuses peuvent toutefois compter sur le Programme de financement des projets d’infrastructures de sécurité pour les collectivités à risque (PFPIS) du gouvernement fédéral qui permet de couvrir 50 % des coûts liés à la sécurité, jusqu’à concurrence de 100 000 $ par projet.
À part les lieux de culte, deux autres catégories d’organisations sans but lucratif sont admissibles au programme, notamment les établissements d’enseignement privés, y compris les écoles, et les centres communautaires.
En 2021, le ministère de la Sécurité publique du Canada, qui gère ce programme, a reçu un total de 118 demandes, dont 84 provenant de lieux de culte à travers le pays, dont 33 mosquées, 9 synagogues et 27 églises. Tous ont obtenu un financement, sauf une seule mosquée.
Selon Magali Deussing, porte-parole du ministère de la Sécurité publique, « le PFPIS a alloué près de 6,5 millions de dollars à des projets visant à soutenir les organisations à but non lucratif menacées par des crimes motivés par la haine » entre avril 2021 et mars 2023.
Depuis 2017, on constate une hausse de 10 % des demandes à chaque appel de demandes, résume-t-elle. Face à [cette] augmentation, [...] le PFPIS est passé d’un appel de demandes ouvert toute l’année à une période de dépôt de demandes définie de deux mois.
Dans une lettre ouverte publiée en févri
Le programme n’est pas préparé pour recevoir des dizaines et des dizaines de demandes
, explique Steven Zhou, porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens et l’un des signataires de cette lettre. Le processus est trop lent, certaines mosquées doivent attendre plus d’un an avant de recevoir des fonds.
« Avec la montée de l’islamophobie, [...] les mosquées cherchent à se protéger en faisant appel à ce programme. C’est un gros problème, surtout qu’avec la pandémie, plusieurs mosquées ont dû fermer leurs portes sans être en mesure de récolter des fonds de la communauté. »
Dans un courriel, le ministère de la Sécurité publique dit examiner des solutions visant à accélérer les interventions en cas d’incident grave
.
Si pour la communauté juive de Montréal, c’est la situation au Moyen-Orient, et en Israël plus particulièrement, qui influence la poussée des actes antisémites visant les synagogues, la communauté musulmane, quant à elle, s’inquiète surtout de la montée de l’extrême droite au Canada et ailleurs dans le monde, ainsi que de l’impact de certaines politiques locales qu’elle juge discriminatoires à son égard.
Le sentiment de malaise et d’insécurité peut être déclenché à tout moment
, dit Youssouf Talha, responsable d’une mosquée à Saint-Léonard. Il déplore un climat politique et médiatique qui contribue à alimenter la haine
, faisant allusion à la loi 21 qui interdit le port de signes religieux aux employés de l'État en position d'autorité, y compris les enseignants du primaire et du secondaire. Une loi qui, pour plusieurs musulmans interrogés, stigmatise les femmes voilées.
Toutes les mesures de sécurité dans les mosquées sont le résultat d’un sentiment d’insécurité
, nuance de son côté Samer Majzoub, président du Forum musulman canadien.
« Il y a des fidèles qui ont peur d’aller à la mosquée. D’autres y restent à peine cinq minutes pour prier. C’est vraiment dommage, nous sommes au Canada, pas dans un pays en guerre. »
Les actes haineux sont souvent liés à l’actualité
, explique de son côté Louis Audet Gosselin, directeur scientifique et stratégique au sein du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence. Quand une communauté est associée à un élément de l'actualité, ça entraîne presque toujours des actes haineux ciblant les membres de cette communauté-là [...] et les lieux de culte sont des cibles assez courantes et vulnérables parce qu’ils sont identifiables.
Conscient des répercussions que peut avoir l’actualité sur son travail, le Module des incidents et des crimes haineux (MICH) du SPVM a mandaté deux agents pour examiner les tendances mondiales
et établir des liens avec ce qui se passe sur le territoire
, explique la commandante Anouk St-Onge. Ces agents sont aussi chargés de créer des ponts avec les différentes communautés culturelles et religieuses de Montréal.
Mais Montréal reste une ville de paix
, relativise le président d’une synagogue qui a été vandalisée au cours de la dernière année. Ce n’est pas comme en Europe, où des lieux de culte doivent se cacher ou se faire protéger par des hommes armés. Ici, au moins, on s’affiche.
C’est l’heure de la prière dans la mosquée Al-Omah al-Islamiah. Des dizaines de fidèles commencent à arriver, un par un, deux par deux.
Dans un geste quasi automatique, chacun sort une clé magnétique de sa poche et déverrouille la porte d’entrée sous les lentilles bienveillantes des caméras de sécurité.
Ces mesures sont malheureuses, mais nécessaires
, réagit l’un.
C’est un lieu de méditation ici, on ne devrait pas ressentir le besoin de nous protéger
, rétorque un autre.
On est protégés
, lui répond un troisième. Dans la maison de Dieu, on est protégés.
UN TEXTE DE RANIA MASSOUDPHOTOGRAPHIES : IVANOH DEMERS
https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/5889/securite-montreal-mosquees-synagogues-crimes-haineux?intcmp=liste-weekend_index
Arrestation d’un mineur pour des agressions à caractère haineux dans Outremont
Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a arrêté jeudi un jeune homme soupçonné d'avoir agressé gratuitement deux membres de la communauté juive hassidique en pleine rue, le 20 janvier dernier, dans l’arrondissement d’Outremont.
Les enquêteurs du Module incidents et crimes haineux (MICH) du SPVM ont procédé à l’arrestation du suspect après que ce dernier, un mineur, se fut rendu de lui-même aux autorités, jeudi matin. L'adolescent était recherché pour voies de fait depuis les événements.
Ce soir-là, le suspect aurait d’abord invectivé un passant, membre de la communauté hassidique, vers 21 h 50 au coin des avenues Van Horne et Bloomfield, avant de s’en prendre physiquement à lui en le projetant violemment au sol.
Sur des images captées par une caméra de surveillance et publiées temporairement par le SPVM, on aperçoit une personne prendre la fuite en courant pour aller rejoindre un groupe de personnes apparemment du même âge qui l’attendaient sur l’avenue Van Horne, un peu plus loin.
Deuxième agression
Une trentaine de minutes plus tard, vers 22 h 25, l’individu aurait récidivé en s’en prenant à un autre membre de la communauté hassidique, cette fois au coin des avenues Bernard et d'Outremont.
La victime, qui circulait à pied, a aussi été projetée au sol en pleine rue, cette fois après avoir reçu un violent coup de pied dans le bas du dos.
L'agresseur avait cette fois pris la fuite en empruntant l’avenue Wiseman et en allant, une fois de plus, rejoindre un groupe qui l’attendait un peu plus loin.
Le suspect a été libéré sous conditions j
usqu’à sa comparution, le 5 mai prochain, devant la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec.
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1973155/spvm-suspect-agressions-hassidique-montreal-outremont
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