L’acte d’accusation contre l’ex-président américain détaille la conservation précaire des archives classifiées transportées de la Maison Blanche vers sa résidence floridienne, et conservées plusieurs mois dans « une salle de bal, une salle de bains, un espace de bureau, sa chambre ».
Une image non datée, publiée par le tribunal du sud de la Floride, montre des boîtes à archives qui contiendraient des documents confidentiels dans une salle de bains de la résidence de Donald Trump de Mar-a-Lago, à Palm Beach en Floride.
La négligence, le goût narcissique de la possession, le mensonge, la dissimulation. Mais avant tout, un mépris absolu pour la sécurité nationale. L’acte d’accusation publié vendredi 9 juin, recensant les chefs d’inculpation contre Donald Trump dans l’affaire des documents classifiés conservés dans sa résidence de Mar-a-Lago (Floride), dessine un caractère et donne le vertige. Preuves à l’appui – photos, enregistrements audio et SMS –, il détaille la façon dont l’ancien président a cherché à tromper les autorités fédérales, pour ne pas rendre les archives confidentielles emportées illégalement à son départ de la Maison Blanche, en janvier 2021.
Donald Trump comparaîtra formellement le 13 juin devant un tribunal de Miami (Floride) pour se faire notifier son inculpation. Vendredi, dans une brève et rare allocution, le procureur spécial Jack Smith, chargé de l’instruction, a rendu hommage à son équipe et aux enquêteurs de la police fédérale (FBI). Il a invité le public américain à prendre connaissance du document judiciaire, afin de « comprendre l’étendue et la gravité » des crimes allégués et a souhaité un « procès rapide ».
Les chefs d’accusation retenus sont lourds. Leur enjeu n’est pas seulement une probité personnelle en faillite, mais la sécurité des Etats-Unis. Les principaux retiennent la rétention et la dissimulation d’informations relevant de la défense nationale, en violation de l’Espionage Act, de fausses déclarations, la conspiration en vue de faire obstruction à la justice, en compagnie de son assistant personnel, Waltine Nauta, également inculpé. Certains de ces chefs sont passibles de dix et vingt ans de prison. « Nos lois protégeant les informations relevant de la défense nationale sont essentielles pour la sûreté et la sécurité des Etats-Unis, et elles doivent être appliquées, a souligné Jack Smith. La violation de ces lois met notre pays en danger. »
Président, Donald Trump avait l’habitude d’entreposer toutes sortes de souvenirs dans des boîtes en carton : des coupures de presse, des photographies, mais aussi des documents classifiés portant sur les sujets les plus sensibles. Parmi eux, les capacités nucléaires américaines, des armements de pointe, les vulnérabilités potentielles du pays à une éventuelle attaque étrangère ainsi que celles d’alliés de l’Amérique, ou encore les plans de représailles à une attaque. Des secrets d’Etat, que Donald Trump a traités comme de vieux numéros du magazine Sports Illustrated.
Cartons éparpillés à Mar-a-Lago
Le 20 janvier 2021, le jour où l’ex-président, niant la réalité de sa défaite, a dû quitter la Maison Blanche, il a fait transporter les cartons d’archives vers sa résidence de Mar-a-Lago. Il « a été personnellement impliqué dans ce processus », souligne l’acte d’accusation. Il n’avait aucun droit d’agir ainsi, selon la loi.
En outre, ce lieu n’offrait pas les conditions sécuritaires prévues pour la détention et la consultation de documents du plus haut degré de classification, ayant trait à la sécurité nationale, dont la fuite serait catastrophique. Entre janvier 2021 et août 2022, plus de 150 événements ont été organisés dans la résidence – mariages, levées de fonds… – constituant autant de moments de vulnérabilité pour y accéder.
Et pourtant, note Jack Smith, ces cartons ont été éparpillés à Mar-a-Lago dans différents endroits, notamment « une salle de bal, une salle de bains et douche, un espace de bureau, sa chambre et un espace de stockage. » Une photo montre les cartons négligemment empilés sur la scène de la salle de bal.
Au bout de quelques semaines, ils ont été en partie déplacés vers le business center. Le 5 avril 2021, deux employés de la résidence ont échangé des messages par téléphone, cherchant à résoudre le problème d’espace disponible. « Il y a encore un peu de place dans la douche où se trouvent ses autres trucs, écrit l’un. Y a que ses papiers qui le préoccupent ? Y’a d’autres trucs là-dedans qui ne sont pas des papiers. » Le lendemain, les cartons sont entreposés dans la salle de bains en marbre, sous un chandelier en cristal. Une photo en fait foi.
En mai, Donald Trump demande qu’une pièce de stockage soit vidée pour accueillir les cartons. Elle est située juste à côté de la réserve d’alcools et de la serrurerie. Le 7 décembre, Waltine Nauta découvre que le contenu de plusieurs boîtes est répandu à terre. En apparence, parmi des coupures de presse, se trouvent des notes destinées à une circulation très restreinte entre membres des Five Eyes, un partenariat en matière de renseignement réunissant les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande.
Fausse déclaration, obstruction est répétée et caractérisée
Entre novembre et décembre 2021, Donald Trump passe en revue ses dizaines de cartons, en vue de procéder à une sélection. Plusieurs employés font des allers-retours, les bras chargés, en fonction de sa progression. Depuis mai, les Archives nationales réclamaient la restitution de la totalité. Une demande à laquelle M. Trump refuse de se résoudre, comme si ces notes de renseignement prolongeaient son pouvoir présidentiel. En janvier 2022, l’ex-chef d’Etat accepte de rendre quinze cartons contenant 197 documents. En mars, le FBI ouvre une enquête pour détention illégale de documents classifiés.
Le 3 juin, en réponse à une assignation de la justice fédérale, Donald Trump rend 38 autres notes classifiées. Il convainc l’un de ses avocats de signer une fausse déclaration assurant que toutes les demandes formulées dans l’assignation étaient satisfaites. Ce même jour, la famille Trump prend son avion pour partir en vacances : à bord, plusieurs cartons de documents classifiés. Il a fallu attendre la perquisition du 8 août, à Mar-a-Lago, pour que le FBI mette la main sur tout le reste, soit 102 notes.
Pour les enquêteurs, l’obstruction est répétée et caractérisée. Selon l’acte d’accusation, Donald Trump a suggéré à l’un de ses avocats de prétendre qu’il ne possédait pas les documents réclamés par l’assignation du 11 mai. « Ça ne serait pas mieux si on leur disait qu’on n’a rien ici ? », lui dit-il alors, en substance, selon les notes du juriste.
L’ancien président a aussi proposé de dissimuler ou de détruire une partie des archives. « Pourquoi est ce que tu ne les emporterais pas dans ta chambre d’hôtel, et s’il y a quelque chose de vraiment mauvais dedans, eh bien, tu sais, tu t’en débarrasses », aurait suggéré le favori actuel des primaires républicaines, selon le souvenir de son conseil.
Enfin, il a convaincu son assistant personnel, Waltine Nauta, de déplacer des cartons pour les soustraire à ses propres avocats et au FBI, avant la visite des enquêteurs le 3 juin. Ancien militaire, Nauta est « un homme merveilleux », « fort, courageux et un grand patriote », a signalé Donald Trump vendredi dans un message public de soutien.
Documents classifiés montrés à des personnes non habilitées
A deux reprises, en 2021, Donald Trump a montré des documents classifiés à des personnes non habilitées. La première fois lors d’un entretien accordé à son club de golf à Bedminster (New Jersey), devant quatre individus – un épisode documenté par un enregistrement audio. Donald Trump se dit alors en possession d’un « plan d’attaque » contre l’Iran préparé à son intention par le Pentagone. « Comme président, j’aurais pu le déclassifier, explique-t-il alors à ses invités. Maintenant, je ne peux pas, vous savez, mais c’est toujours un secret. » Un membre de son staff rit. « Oui, maintenant, on a un problème. » Ces extraits mettent à mal la défense de Donald Trump, qui prétend depuis un an qu’il avait déclassifié tous les documents et qu’il avait le droit de le faire même oralement.
La deuxième occurrence a eu lieu en août ou septembre 2021, dans ce même club de Bedminster. L’ex-président a montré une carte relative à une opération militaire en cours dans un pays étranger à un membre de son comité d’action publique (super-PAC), tout en lui précisant qu’il ne devrait pas faire cela.
Vendredi matin, Donald Trump a joué au golf mais a néanmoins multiplié les messages colériques sur son réseau Truth Social, traitant Jack Smith de « dérangé » et de « haineux ». Il a aussi confirmé le départ de deux de ses avocats, James Trusty et John Rowley.
Au cours de la campagne présidentielle de 2016, Donald Trump avait enseveli son adversaire, Hillary Clinton, sous les accusations de négligence pour avoir utilisé une adresse e-mail non sécurisée alors qu’elle était secrétaire d’Etat. Aujourd’hui, le voilà exposé à des poursuites judiciaires d’une gravité extrême. Crier à la conspiration et à l’instrumentalisation de la justice ne contentera que ses partisans les plus fidèles.
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