Ce mathématicien a consacré sa vie, aux côtés de sa mère Josette, au combat pour la vérité sur les circonstances de la disparition de son père engagé pour l’indépendance de l’Algérie, enlevé, torturé et tué par les militaires français pendant la guerre d’Algérie.
Pierre Audin, le fils de Maurice Audin, militant anti-colonial assassiné par l’armée française en Algérie en 1957, est mort dimanche, a annoncé l’association créée à la mémoire de son père et de sa mère. « Pierre Audin nous a quittés » dimanche « des suites d’un cancer », a indiqué la Fondation Josette et Maurice Audin dans un communiqué.
Sa vie aura été consacrée au « combat incessant, aux côtés de sa mère Josette, pour que soit dite toute la vérité sur les circonstances de la disparition de son père, Maurice Audin », qui « engagé sans réserve pour l’indépendance de l’Algérie », fut « enlevé le 11 juin 1957 à Alger, puis torturé et tué par les militaires français », selon ce texte.
« Ce combat, qui concernait aussi les milliers d’autres Algériennes et Algériens qui ont subi le même sort, est devenu emblématique de la lutte contre la torture et les exactions commises au nom du “maintien de l’ordre” et de la “pacification” » par la France durant la guerre d’Algérie (1954-1962), a poursuivi la fondation.
En septembre 2018, un an après son élection, Emmanuel Macron avait demandé « pardon » à la veuve de Maurice Audin. Dans une déclaration écrite qu’il avait remise à Josette Audin, depuis lors décédée, le président avait reconnu, « au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé puis exécuté, ou torturé à mort (...) » et que « si sa mort est, en dernier ressort, le fait de quelques-uns, elle a néanmoins été rendue possible par un système légalement institué : le système “arrestation-détention”, mis en place à la faveur des pouvoirs spéciaux qui avaient été confiés par voie légale aux forces armées à cette période ».
Lire aussi : Mort de Maurice Audin, les coulisses d’une reconnaissance historique
Promoteur de la coopération franco-algérienne
Le 11 juin 1957, en pleine bataille d’Alger, Maurice Audin, un assistant de mathématiques à la faculté d’Alger et membre du Parti communiste algérien, suspecté d’aider le FLN, était arrêté, probablement par des parachutistes du général Jacques Massu. Sa trace se perd dix jours plus tard.
L’explication officielle donnée à sa disparition -« évasion au cours d’un transfert »-, n’a jamais convaincu ses proches, qui devront attendre jusqu’en 2013 l’ouverture des archives de l’affaire.
Pierre Audin, mathématicien, comme son père, avait obtenu « il y a un peu plus d’un an (un) passeport algérien », selon la Fondation. « Il a activement participé à la création du Prix de mathématiques Maurice Audin et à son maintien, contre vents et marées, au fil des années », un prix véhicule de « coopération franco-algérienne », de même source.
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Mort de Maurice Audin : les coulisses d'une reconnaissance historiqe
L’Elysée a travaillé pendant près d’un an sur la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la mort du mathématicien pendant la guerre d’Algérie. Récit.
Les services de sécurité de l’Elysée avaient prévenu. La porte d’entrée de l’appartement devrait rester ouverte durant tout le temps de la visite. Et le président ne prendrait pas l’ascenseur. Il grimperait les cinq étages à pied. Il est 13h30, ce jeudi 13 septembre. Au bas de l’immeuble, une nuée de caméras, de micros et d’appareils photos attend déjà depuis le matin. Sur France Inter, peu après 7 heures, Léa Salamé a annoncé que le chef de l’Etat allait se rendre au domicile de Josette Audin à la mi-journée. La présentatrice a précisé que l’information, déjà connue d’une demi-douzaine de journalistes depuis le début de la semaine, était un scoop de la radio. Cela n’a pas été compliqué pour ses confrères de dénicher l’adresse de la veuve de Maurice Audin.
C’est donc là, au cinquième étage d’un immeuble de la Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, que doivent être prononcées des paroles historiques. Josette Audin a passé l’essentiel de sa vie à les attendre. Pour la première fois depuis la fin de la guerre d’Algérie, un président de la République va reconnaître la responsabilité de l’Etat dans la mort de son mari, Maurice Audin, assistant en mathématique à l’Université d’Alger, membre du Parti communiste algérien (PCA) et militant anticolonialiste, arrêté, torturé et tué par l’armée française en 1957.
Le jeune homme avait 25 ans quand les militaires sont venus le chercher, le mardi 11 juin, à 23 heures, dans son appartement de la rue Flaubert, au cœur du quartier du Champ-de-Manœuvre, à Alger. Josette avait 26 ans, leurs trois enfants, Michèle, Louis et Pierre, 3 ans, un an et demi et 1 mois. Il a été conduit dans un immeuble en construction d’El Biar, sur les hauteurs de la ville, transformé en centre de détention et de torture par l’armée française. Personne ne l’a plus jamais revu. La photo de Maurice Audin, celle si connue de son visage enfantin et de ses boucles capricieuses, encadrée de noir, est posée dans un coin du salon, comme toujours. Mais on a poussé les meubles, la table et les chaises pour faire de la place à la délégation présidentielle, préparé du café et des gâteaux.
La fable de l'évasion
Emmanuel Macron est en retard, comme souvent. Josette Audin, 87 ans, cheveux relevés, chemisier imprimé sous un pull-over noir, attend. Le 1er juillet 1957, vingt jours après l’arrestation de son mari, un lieutenant-colonel avait essayé de lui faire croire qu'il s’était évadé lors d’un transfert. Le 4 juillet, elle avait déposé plainte contre X pour homicide volontaire. Son combat, depuis, n’a jamais cessé. Il n’y aurait pas eu d’affaire Audin sans Josette Audin, a l’habitude de dire sa fille, Michèle. Peu avant 14 heures, l’appartement, soudain, est envahi. Le président arrive, les conseillers, les services de sécurité, le cameraman et la photographe de l’Elysée… Emmanuel Macron ne devait faire qu’une visite de trois quarts d’heure. Il va rester une heure et demie. Le voilà qui s’assoit sur le canapé noir à quelques centimètres de la veuve de Maurice Audin. "Quand il y a des gens comme Josette qui se battent pendant des décennies, sans rien lâcher, ça oblige", lui dit-il. "Ça oblige parfois, lui répond-elle. Ça prend du temps… ". La parole de Josette est toujours rare, précise et concise.
Ils se sont parlé une première fois il y a un peu plus d’un an, par téléphone. Emmanuel Macron vient tout juste de s’installer à l’Elysée. Il appelle Josette Audin le 11 juin 2017, à la date anniversaire de la disparition du mathématicien. La conversation dure quelques minutes. Il lui dit son intime conviction que son mari a été tué par l’armée française. Peut-être fallait-il un président qui n’ait aucun lien avec la période coloniale ? Macron est né quinze ans après la fin de la guerre d’Algérie. Il n’est pas encombré, comme ses anciens collègues socialistes, par la figure tutélaire d’un François Mitterrand, ministre de la Justice du gouvernement Guy Mollet, pendant la bataille d’Alger, la période la plus répressive de la guerre d’Algérie, au cours de laquelle plus de 3.000 personnes ont "disparu" comme Maurice Audin, selon un témoignage de Paul Teitgen, ancien secrétaire général de la police à Alger. Les ex-Républicains de son gouvernement sont éloignés de la ligne dure du parti qui flirte avec les nostalgiques de l’empire colonial. Assis dans le canapé de Josette Audin, il peut lui dire aujourd’hui qu’il considère la guerre d’Algérie, comme un "poison", distillé dans la société française.
Cédric Villani s'empare de l'affaire Audin
Et puis, parmi les nouveaux élus de la République en marche, il y a Cédric Villani, le médiatique député de l’Essonne. Quarante-quatre ans, fils d’enseignants en littérature tous deux nés en Algérie, lavallières colorées, cheveux dans le cou, broche en forme d’araignée, accrochée à la poitrine, l’un des plus célèbres mathématiciens français, lauréat de la médaille Fields en 2010… L’élu marcheur dit qu’il a découvert l’affaire Audin par les mathématiques.
Il a d’abord rencontré les enfants de Maurice Audin. Dans la famille, presque tout le monde est mathématicien. Josette, qui a élevé seule ses trois enfants, a enseigné les mathématiques en banlieue parisienne jusqu’à sa retraite. Michèle, l’aînée, a été professeure à l’Institut de Recherche Mathématique Avancée de Strasbourg. Pierre, le plus jeune, est médiateur scientifique au Palais de la Découverte. Cédric Villani s’est ainsi retrouvé à la tête du jury du Prix Maurice Audin, créé en 2004, qui récompense des chercheurs en mathématiques des deux côtés de la Méditerranée. Il est aussi devenu l’un des "portes parole" les plus écoutés de la demande de reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la mort du jeune militant.
Le 27 novembre, le député -qui doit bientôt participer à un hommage rendu à Gérard Tronel, l'ancien président, décédé, de l'association Maurice Audin- décolle de Paris. Il est dans l’avion qui emmène le président à Ouagadougou, au Burkina-Faso. Les deux hommes discutent de l’affaire Audin. Emmanuel Macron se dit prêt à avancer jusqu’à un certain point. Cédric Villani obtient le feu vert pour évoquer publiquement la conviction personnelle du locataire de l’Elysée, selon laquelle Maurice Audin a bien été tué par des militaires français. C’est un premier pas.
A l’époque, la présidence considère encore que ce n’est pas à l’Etat d'"écrire" l’histoire. Au niveau politique, depuis la fin de la guerre d’Algérie, le combat pour la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la mort du mathématicien, a toujours été porté par le seul Parti communiste. Parmi les "Européens" anticolonialistes, beaucoup étaient membres du Parti communiste algérien, interdit le 12 septembre 1955, comme Maurice Audin ou Henri Alleg, ancien directeur du quotidien "Alger républicain" et auteur de la "Question", qui dénoncera, en février 1958, la torture en Algérie. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, Sébastien Jumel, 46 ans, militant communiste depuis ses 18 ans, ancien maire de Dieppe, fraîchement élu dans la sixième circonscription de la Seine-Maritime, se dépêche d’alpaguer son collègue de La République en marche. "Il faut qu'on fasse quelque chose ensemble", lui dit-il.
Mort sous la torture ? Exécuté après avoir été torturé ?
Les deux élus optent pour une conférence de presse commune. Ils choisissent le 14 février, la date anniversaire de la naissance de Maurice Audin. Le mathématicien aurait dû avoir 86 ans ce jour-là. Scène inédite sous la Vème République et les lambris du Palais-Bourbon, deux hommes politiques qui ne partagent pas les mêmes idées réclament une "reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin" et "une parole forte au plus haut niveau de l’Etat".
Josette Audin est assise à la tribune, aux côtés des deux députés, de son fils Pierre et de Claire Hocquet, l’avocate de la famille. Elle s'excuse presque de sa voix peu audible, répète qu'elle n'a pas l'habitude de parler. Elle raconte ensuite la courte vie de Maurice Audin, dans ce pays, l'Algérie, qu'ils aimaient ; d'une traite, comme dans un souffle, jusqu'à ce que l'émotion vienne étouffer ses mots. Elle ne sait toujours pas comment est mort son mari. Sous la torture ? Exécuté après avoir été torturé ? "Tous les militaires impliqués dans l’affaire Audin sont morts tranquillement ou vont bientôt mourir sans avoir dit ce qu’ils avaient fait de Maurice Audin, déclare-t-elle. J’attends que la France condamne la torture, ceux qui l’ont ordonnée, ceux qui l’ont faite."
A l’Elysée, l’entourage d’Emmanuel Macron commence à travailler sur l’affaire Audin. Ils sont trois à s’occuper du dossier : Sylvain Fort, normalien, germaniste, conseiller du président en charge des discours et de la mémoire (nommé depuis à la tête de la communication de l’Elysée), Sophie Walon, chargée de mission, elle-aussi normalienne, et Jérôme Theillier, commissaire en chef auprès de l’amiral Bernard Rogel, chef de l’état-major particulier d’Emmanuel Macron. Au fil des mois de février, mars et avril, ils reçoivent, écoutent, consultent, rue du Faubourg-Saint-Honoré : Pierre Audin, le fils de Josette, Claire Hocquet, l'avocate de la famille, plusieurs membres de l’association Maurice Audin, dont Pierre Mansat, son président, des historiens spécialistes de la guerre d’Algérie, Raphaëlle Branche, Benjamin Stora et Sylvie Thénault, une douzaine d’archivistes… Fin mai, "l’Humanité" publie une lettre ouverte à Emmanuel Macron "pour la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans la mort de Maurice Audin", signée d’une cinquantaine de personnes, des élus politiques, des universitaires, des écrivains, des journalistes… "Un espoir s’est levé qui ne doit pas être déçu", conclut la tribune.
A l’été, les trois axes de la déclaration d’Emmanuel Macron sont arrêtés : la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la mort de Maurice Audin, la dérogation générale des archives relatives aux "disparus" et l’appel aux témoins. Les trois conseillers demandent une note sur le contexte historique de l’arrestation et du décès de Maurice Audin à Sylvie Thénault, qu’ils ont déjà consultée et qu’ils reverront début septembre, juste après la démission de Nicolas Hulot. "Audin, c’est plus important", commentera alors Sylvain Fort. Agrégée d’histoire, directrice de recherche au CNRS, auteure de plusieurs ouvrages sur la colonisation en Algérie, dont "Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale : Camps, internements, assignations à résidence" (Odile Jacob, 2012), l’historienne travaille depuis des années sur le système répressif algérois. Un texte est peaufiné par l’Elysée, relu par l’armée, par les services diplomatiques, par la FNACA (Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie), les historiens, la famille… Il doit être remis officiellement à Josette Audin début septembre. Cédric Villani prévient : "La Fête de l’Humanité démarre le 14 septembre à la Courneuve. Il est prévu ce jour-là l’inauguration d’une place Maurice Audin. Ce serait bien que la déclaration ait lieu avant."
Le système appelé "arrestation-détention"
Va pour le 13 septembre. La "disparition" de Maurice Audin "a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le système appelé 'arrestation-détention' à l’époque même, qui autorise les forces de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout 'suspect' dans l’objectif d’une lutte plus efficace contre l’adversaire, est-il écrit dans la déclaration qu’Emmanuel Macron remet à Josette Audin, en ce début d'après-midi. Ce système s’est institué sur un fondement légal : les pouvoirs spéciaux. Cette loi, votée par le Parlement en 1956, a donné carte blanche au Gouvernement pour rétablir l’ordre en Algérie. Elle a permis l’adoption d’un décret autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée, qui a été mis en œuvre par arrêté préfectoral, d’abord à Alger, puis dans toute l’Algérie, en 1957. Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture, que l’affaire Audin a mis en lumière. [...] Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris, dont elle a bouleversé les destins, tant en Algérie qu’en France".
Jamais un chef d’Etat français n’avait été aussi loin. François Hollande, lors du précédent quinquennat, avait fait un - petit - pas. Il avait ouvert une partie des archives, déclaré "les documents et les témoignages [...] suffisamment nombreux et concordants pour infirmer la thèse de l’évasion" et admis que Maurice Audin était mort durant sa "détention". Mais Nicolas Sarkozy, lui, n'avait pas pris la peine de répondre à la lettre ouverte envoyée par la veuve du mathématicien. Et Jacques Chirac, engagé volontaire pendant la guerre d'Algérie (bien que dispensé en tant qu'énarque), comme François Mitterrand, qui continuait de gérer les affaires courantes, au ministère de la Justice, après la chute du gouvernement Guy Mollet, le jour de l'arrestation de Maurice Audin, avaient gardé le silence.
"Enfin !"
Dans le petit salon de l’appartement de Josette Audin, tout le monde s’est entassé. Cédric Villani et Sébastien Jumel, Raphaëlle Branche, Benjamin Stora et Sylvie Thénault, Pierre Mansat et Claire Hocquet, Sylvain Fort et Sophie Walon, le documentariste François Demerliac qui, depuis des années, filme inlassablement tout ce qui concerne l'affaire Audin. Cédric Villani dit qu’il a pleuré quand il a vu la "Une" de l’Humanité du jour : "Enfin !". Sylvie Thénault pose la main sur l’épaule de Josette Audin. Et il y a bien-sûr les enfants de Maurice Audin.
Michèle qui a écrit un très beau livre sur son père "Une vie brève" (Folio) et s’apprête à publier "Oublier Clémence" chez Gallimard, et Pierre, qui ne rate quasiment aucun hommage rendu au mathématicien, aucune manifestation qui le concerne.
Le téléphone n’arrête pas de sonner. Toutes les télévisions, toutes les radios, tous les journaux veulent les interviewer. "C’est la fin de l’affaire Audin, le début d’une histoire apaisée", dit Michèle Audin à Médiapart. "C’est être lucide avec son histoire", déclare Pierre sur RTL. "Je ne pensais pas que ça arriverait", murmure Josette aux journalistes dans son appartement de la Seine-Saint-Denis. Au soir du 11 juin 1957, lorsque les militaires étaient venus arrêter Maurice Audin, elle leur avait demandé quand son mari allait revenir. L’un d’eux lui avait répondu : "S’il est raisonnable, il sera de retour ici dans une heure" (1). Maurice Audin n’est jamais revenu. C’était il y a soixante-et-un an.
(1) in "L'affaire Audin" de Pierre Vidal-Naquet (Les Editions de Minuit)
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