Paris (AFP) - Cent ans après sa naissance, le 7 novembre 1913, Albert Camus reste une figure mythique de la littérature française et mondiale, tant par sa pensée visionnaire, sa soif de justice que son itinéraire exceptionnel.
Des quartiers populaires d'Alger au prix Nobel de littérature à seulement 44 ans, ce destin hors du commun fut tragiquement interrompu à 46 ans par un accident de voiture dans le centre de la France le 4 janvier 1960.
"Aujourd'hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas": à 29 ans, Camus signait par cet incipit inoubliable son entrée parmi les grands auteurs. Avec près de huit millions d'exemplaires vendus, "L'étranger", son premier roman publié en 1942 et traduit dans une quarantaine de langues, est le best-seller absolu.
"La peste" s'est vendu à plus de quatre millions d'exemplaires et les ventes de ses livres tous confondus ont augmenté de 4,5% entre 2008 et 2012, selon Gallimard, son éditeur français, qui estime qu'il est "certainement l’écrivain français du XXe siècle le plus connu, le plus cité, et le plus traduit à l’étranger", avec une œuvre composée d'une trentaine d'ouvrages, dont des pièces de théâtre.
Forts de cette popularité, beaucoup ont tenté de se réapproprier l'irréductible homme libre. Mais si Camus continue d'éblouir autant qu'il dérange, il ne "se récupère pas", dit Frédéric Worms, directeur du centre international de philosophie française à l'Ecole normale supérieure (ENS).
Selon M. Worms, Camus, qui intéresse autant un Américain, un Indien ou un Chinois, est plus que jamais d'actualité. Des expériences comme l'économie solidaire, le microcrédit, l'accompagnement des personnes en fin de vie ou les révolutions arabes sont "très camusiennes", estime-t-il.
Car elles traduisent sa philosophie : "résister et instituer des limites pour lutter contre la mort et la misère donc aussi interdire la peine de mort, ne pas employer la terreur pour lutter contre la terreur", souligne M. Worms.
L'absurdité du monde
Philosophe accessible, il l'est à travers ses romans qui décrivent des expériences humaines concrètes et sensuelles aussi, dans leur évocation de la nature et de l'amour ("Noces à Tipasa"). Camus porte un regard humaniste sur la planète, milite pour plus de justice et de liberté tout en reconnaissant les limites de la condition d'être humain mortel et l'absurdité du monde.
Camus a vu le jour en Algérie dans un milieu extrêmement modeste, ce qui le distingue dès le départ des autres intellectuels français. Sa mère, femme de ménage, ne sait ni lire ni écrire.
C'est son instituteur qui le repère et réussit à lui faire suivre des études. C'est à lui que Camus dédiera en 1957 son discours du Nobel.
"Camus a conquis la langue française en allant au lycée, elle ne lui était pas donnée comme elle l'était à son frère ennemi, Jean-Paul Sartre, un bourgeois", souligne l'un de ses biographes, le journaliste Olivier Todd.
Camus disait se sentir "embarqué plutôt qu'engagé". En 1942, installé à Paris, il entre à "Combat", l'un des titres clandestins de la Résistance dont il sera le principal éditorialiste.
Il publie la même année "Le mythe de Sisyphe" un essai dans lequel il expose sa philosophie de l'absurde: l'homme est en quête d'une cohérence qu'il ne trouve pas dans la marche du monde.
"L'une des seules positions philosophiques cohérentes, c'est ainsi la révolte", écrit-il. Mais Camus pose la question des moyens: tous ne sont pas acceptables pour atteindre le but que l'on s'est fixé.
Engagé à gauche, il dénonce le totalitarisme en Union soviétique dans "L'homme révolté" (1951) et se brouille avec Jean-Paul Sartre.
Pendant toutes ces années, Camus est un homme seul et la guerre d'Algérie l'isole un peu plus. Son appel à la "Trêve pour les civils" lancé en janvier 1956 l'éloigne de la gauche, qui soutient la lutte pour l'indépendance algérienne.
L'ENS et l'Université américaine de Paris organiseront les 3 et 4 décembre un colloque international sur l'écrivain avec des intervenants des cinq continents, notamment d'Inde et de Chine. Une exposition sera inaugurée à cette occasion à l'ENS avant de faire le tour du monde.
Ce mathématicien a consacré sa vie, aux côtés de sa mère Josette, au combat pour la vérité sur les circonstances de la disparition de son père engagé pour l’indépendance de l’Algérie, enlevé, torturé et tué par les militaires français pendant la guerre d’Algérie.
Sa vie aura été consacrée au « combat incessant, aux côtés de sa mère Josette, pour que soit dite toute la vérité sur les circonstances de la disparition de son père, Maurice Audin », qui « engagé sans réserve pour l’indépendance de l’Algérie », fut « enlevé le 11 juin 1957 à Alger, puis torturé et tué par les militaires français », selon ce texte.
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« Ce combat, qui concernait aussi les milliers d’autres Algériennes et Algériens qui ont subi le même sort, est devenu emblématique de la lutte contre la torture et les exactions commises au nom du “maintien de l’ordre” et de la “pacification” » par la France durant la guerre d’Algérie (1954-1962), a poursuivi la fondation.
En septembre 2018, un an après son élection, Emmanuel Macron avait demandé « pardon » à la veuve de Maurice Audin. Dans une déclaration écrite qu’il avait remise à Josette Audin, depuis lors décédée, le président avait reconnu, « au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé puis exécuté, ou torturé à mort (...) » et que « si sa mort est, en dernier ressort, le fait de quelques-uns, elle a néanmoins été rendue possible par un système légalement institué : le système “arrestation-détention”, mis en place à la faveur des pouvoirs spéciaux qui avaient été confiés par voie légale aux forces armées à cette période ».
Le 11 juin 1957, en pleine bataille d’Alger, Maurice Audin, un assistant de mathématiques à la faculté d’Alger et membre du Parti communiste algérien, suspecté d’aider le FLN, était arrêté, probablement par des parachutistes du général Jacques Massu. Sa trace se perd dix jours plus tard.
L’explication officielle donnée à sa disparition -« évasion au cours d’un transfert »-, n’a jamais convaincu ses proches, qui devront attendre jusqu’en 2013 l’ouverture des archives de l’affaire.
Pierre Audin, mathématicien, comme son père, avait obtenu « il y a un peu plus d’un an (un) passeport algérien », selon la Fondation. « Il a activement participé à la création du Prix de mathématiques Maurice Audin et à son maintien, contre vents et marées, au fil des années », un prix véhicule de « coopération franco-algérienne », de même source.
Mort de Maurice Audin : les coulisses d'une reconnaissance historiqe
L’Elysée a travaillé pendant près d’un an sur la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la mort du mathématicien pendant la guerre d’Algérie. Récit.
Les services de sécurité de l’Elysée avaient prévenu. La porte d’entrée de l’appartement devrait rester ouverte durant tout le temps de la visite. Et le président ne prendrait pas l’ascenseur. Il grimperait les cinq étages à pied. Il est 13h30, ce jeudi 13 septembre. Au bas de l’immeuble, une nuée de caméras, de micros et d’appareils photos attend déjà depuis le matin. Sur France Inter, peu après 7 heures, Léa Salamé a annoncé que le chef de l’Etat allait se rendre au domicile de Josette Audin à la mi-journée. La présentatrice a précisé que l’information, déjà connue d’une demi-douzaine de journalistes depuis le début de la semaine, était un scoop de la radio. Cela n’a pas été compliqué pour ses confrères de dénicher l’adresse de la veuve de Maurice Audin.
C’est donc là, au cinquième étage d’un immeuble de la Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, que doivent être prononcées des paroles historiques. Josette Audin a passé l’essentiel de sa vie à les attendre. Pour la première fois depuis la fin de la guerre d’Algérie, un président de la République va reconnaître la responsabilité de l’Etat dans la mort de son mari, Maurice Audin, assistant en mathématique à l’Université d’Alger, membre du Parti communiste algérien (PCA) et militant anticolonialiste, arrêté, torturé et tué par l’armée française en 1957.
Le jeune homme avait 25 ans quand les militaires sont venus le chercher, le mardi 11 juin, à 23 heures, dans son appartement de la rue Flaubert, au cœur du quartier du Champ-de-Manœuvre, à Alger. Josette avait 26 ans, leurs trois enfants, Michèle, Louis et Pierre, 3 ans, un an et demi et 1 mois. Il a été conduit dans un immeuble en construction d’El Biar, sur les hauteurs de la ville, transformé en centre de détention et de torture par l’armée française. Personne ne l’a plus jamais revu. La photo de Maurice Audin, celle si connue de son visage enfantin et de ses boucles capricieuses, encadrée de noir, est posée dans un coin du salon, comme toujours. Mais on a poussé les meubles, la table et les chaises pour faire de la place à la délégation présidentielle, préparé du café et des gâteaux.
La fable de l'évasion
Emmanuel Macron est en retard, comme souvent. Josette Audin, 87 ans, cheveux relevés, chemisier imprimé sous un pull-over noir, attend. Le 1er juillet 1957, vingt jours après l’arrestation de son mari, un lieutenant-colonel avait essayé de lui faire croire qu'il s’était évadé lors d’un transfert. Le 4 juillet, elle avait déposé plainte contre X pour homicide volontaire. Son combat, depuis, n’a jamais cessé. Il n’y aurait pas eu d’affaire Audin sans Josette Audin, a l’habitude de dire sa fille, Michèle. Peu avant 14 heures, l’appartement, soudain, est envahi. Le président arrive, les conseillers, les services de sécurité, le cameraman et la photographe de l’Elysée… Emmanuel Macron ne devait faire qu’une visite de trois quarts d’heure. Il va rester une heure et demie. Le voilà qui s’assoit sur le canapé noir à quelques centimètres de la veuve de Maurice Audin. "Quand il y a des gens comme Josette qui se battent pendant des décennies, sans rien lâcher, ça oblige", lui dit-il. "Ça oblige parfois, lui répond-elle. Ça prend du temps… ". La parole de Josette est toujours rare, précise et concise.
Ils se sont parlé une première fois il y a un peu plus d’un an, par téléphone. Emmanuel Macron vient tout juste de s’installer à l’Elysée. Il appelle Josette Audin le 11 juin 2017, à la date anniversaire de la disparition du mathématicien. La conversation dure quelques minutes. Il lui dit son intime conviction que son mari a été tué par l’armée française. Peut-être fallait-il un président qui n’ait aucun lien avec la période coloniale ? Macron est né quinze ans après la fin de la guerre d’Algérie. Il n’est pas encombré, comme ses anciens collègues socialistes, par la figure tutélaire d’un François Mitterrand, ministre de la Justice du gouvernement Guy Mollet, pendant la bataille d’Alger, la période la plus répressive de la guerre d’Algérie, au cours de laquelle plus de 3.000 personnes ont "disparu" comme Maurice Audin, selon un témoignage de Paul Teitgen, ancien secrétaire général de la police à Alger. Les ex-Républicains de son gouvernement sont éloignés de la ligne dure du parti qui flirte avec les nostalgiques de l’empire colonial. Assis dans le canapé de Josette Audin, il peut lui dire aujourd’hui qu’il considère la guerre d’Algérie, comme un "poison", distillé dans la société française.
Cédric Villani s'empare de l'affaire Audin
Et puis, parmi les nouveaux élus de la République en marche, il y a Cédric Villani, le médiatique député de l’Essonne. Quarante-quatre ans, fils d’enseignants en littérature tous deux nés en Algérie, lavallières colorées, cheveux dans le cou, broche en forme d’araignée, accrochée à la poitrine, l’un des plus célèbres mathématiciens français, lauréat de la médaille Fields en 2010… L’élu marcheur dit qu’il a découvert l’affaire Audin par les mathématiques.
Il a d’abord rencontré les enfants de Maurice Audin. Dans la famille, presque tout le monde est mathématicien. Josette, qui a élevé seule ses trois enfants, a enseigné les mathématiques en banlieue parisienne jusqu’à sa retraite. Michèle, l’aînée, a été professeure à l’Institut de Recherche Mathématique Avancée de Strasbourg. Pierre, le plus jeune, est médiateur scientifique au Palais de la Découverte. Cédric Villani s’est ainsi retrouvé à la tête du jury du Prix Maurice Audin, créé en 2004, qui récompense des chercheurs en mathématiques des deux côtés de la Méditerranée. Il est aussi devenu l’un des "portes parole" les plus écoutés de la demande de reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la mort du jeune militant.
Le 27 novembre, le député -qui doit bientôt participer à un hommage rendu à Gérard Tronel, l'ancien président, décédé, de l'association Maurice Audin- décolle de Paris. Il est dans l’avion qui emmène le président à Ouagadougou, au Burkina-Faso. Les deux hommes discutent de l’affaire Audin. Emmanuel Macron se dit prêt à avancer jusqu’à un certain point. Cédric Villani obtient le feu vert pour évoquer publiquement la conviction personnelle du locataire de l’Elysée, selon laquelle Maurice Audin a bien été tué par des militaires français. C’est un premier pas.
A l’époque, la présidence considère encore que ce n’est pas à l’Etat d'"écrire" l’histoire. Au niveau politique, depuis la fin de la guerre d’Algérie, le combat pour la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la mort du mathématicien, a toujours été porté par le seul Parti communiste. Parmi les "Européens" anticolonialistes, beaucoup étaient membres du Parti communiste algérien, interdit le 12 septembre 1955, comme Maurice Audin ou Henri Alleg, ancien directeur du quotidien "Alger républicain" et auteur de la "Question", qui dénoncera, en février 1958, la torture en Algérie. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, Sébastien Jumel, 46 ans, militant communiste depuis ses 18 ans, ancien maire de Dieppe, fraîchement élu dans la sixième circonscription de la Seine-Maritime, se dépêche d’alpaguer son collègue de La République en marche. "Il faut qu'on fasse quelque chose ensemble", lui dit-il.
Mort sous la torture ? Exécuté après avoir été torturé ?
Les deux élus optent pour une conférence de presse commune. Ils choisissent le 14 février, la date anniversaire de la naissance de Maurice Audin. Le mathématicien aurait dû avoir 86 ans ce jour-là. Scène inédite sous la Vème République et les lambris du Palais-Bourbon, deux hommes politiques qui ne partagent pas les mêmes idées réclament une "reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin" et "une parole forte au plus haut niveau de l’Etat".
Josette Audin est assise à la tribune, aux côtés des deux députés, de son fils Pierre et de Claire Hocquet, l’avocate de la famille. Elle s'excuse presque de sa voix peu audible, répète qu'elle n'a pas l'habitude de parler. Elle raconte ensuite la courte vie de Maurice Audin, dans ce pays, l'Algérie, qu'ils aimaient ; d'une traite, comme dans un souffle, jusqu'à ce que l'émotion vienne étouffer ses mots. Elle ne sait toujours pas comment est mort son mari. Sous la torture ? Exécuté après avoir été torturé ? "Tous les militaires impliqués dans l’affaire Audin sont morts tranquillement ou vont bientôt mourir sans avoir dit ce qu’ils avaient fait de Maurice Audin, déclare-t-elle. J’attends que la France condamne la torture, ceux qui l’ont ordonnée, ceux qui l’ont faite."
A l’Elysée, l’entourage d’Emmanuel Macron commence à travailler sur l’affaire Audin. Ils sont trois à s’occuper du dossier : Sylvain Fort, normalien, germaniste, conseiller du président en charge des discours et de la mémoire (nommé depuis à la tête de la communication de l’Elysée), Sophie Walon, chargée de mission, elle-aussi normalienne, et Jérôme Theillier, commissaire en chef auprès de l’amiral Bernard Rogel, chef de l’état-major particulier d’Emmanuel Macron. Au fil des mois de février, mars et avril, ils reçoivent, écoutent, consultent, rue du Faubourg-Saint-Honoré : Pierre Audin, le fils de Josette, Claire Hocquet, l'avocate de la famille, plusieurs membres de l’association Maurice Audin, dont Pierre Mansat, son président, des historiens spécialistes de la guerre d’Algérie, Raphaëlle Branche, Benjamin Stora et Sylvie Thénault, une douzaine d’archivistes… Fin mai, "l’Humanité" publie une lettre ouverte à Emmanuel Macron "pour la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat français dans la mort de Maurice Audin", signée d’une cinquantaine de personnes, des élus politiques, des universitaires, des écrivains, des journalistes… "Un espoir s’est levé qui ne doit pas être déçu", conclut la tribune.
A l’été, les trois axes de la déclaration d’Emmanuel Macron sont arrêtés : la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la mort de Maurice Audin, la dérogation générale des archives relatives aux "disparus" et l’appel aux témoins. Les trois conseillers demandent une note sur le contexte historique de l’arrestation et du décès de Maurice Audin à Sylvie Thénault, qu’ils ont déjà consultée et qu’ils reverront début septembre, juste après la démission de Nicolas Hulot. "Audin, c’est plus important", commentera alors Sylvain Fort. Agrégée d’histoire, directrice de recherche au CNRS, auteure de plusieurs ouvrages sur la colonisation en Algérie, dont "Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale : Camps, internements, assignations à résidence" (Odile Jacob, 2012), l’historienne travaille depuis des années sur le système répressif algérois. Un texte est peaufiné par l’Elysée, relu par l’armée, par les services diplomatiques, par la FNACA (Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie), les historiens, la famille… Il doit être remis officiellement à Josette Audin début septembre. Cédric Villani prévient : "La Fête de l’Humanité démarre le 14 septembre à la Courneuve. Il est prévu ce jour-là l’inauguration d’une place Maurice Audin. Ce serait bien que la déclaration ait lieu avant."
Le système appelé "arrestation-détention"
Va pour le 13 septembre. La "disparition" de Maurice Audin "a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le système appelé 'arrestation-détention' à l’époque même, qui autorise les forces de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout 'suspect' dans l’objectif d’une lutte plus efficace contre l’adversaire, est-il écrit dans la déclaration qu’Emmanuel Macron remet à Josette Audin, en ce début d'après-midi. Ce système s’est institué sur un fondement légal : les pouvoirs spéciaux. Cette loi, votée par le Parlement en 1956, a donné carte blanche au Gouvernement pour rétablir l’ordre en Algérie. Elle a permis l’adoption d’un décret autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée, qui a été mis en œuvre par arrêté préfectoral, d’abord à Alger, puis dans toute l’Algérie, en 1957. Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture, que l’affaire Audin a mis en lumière. [...] Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité. Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris, dont elle a bouleversé les destins, tant en Algérie qu’en France".
Jamais un chef d’Etat français n’avait été aussi loin. François Hollande, lors du précédent quinquennat, avait fait un - petit - pas. Il avait ouvert une partie des archives, déclaré "les documents et les témoignages [...] suffisamment nombreux et concordants pour infirmer la thèse de l’évasion" et admis que Maurice Audin était mort durant sa "détention". Mais Nicolas Sarkozy, lui, n'avait pas pris la peine de répondre à la lettre ouverte envoyée par la veuve du mathématicien. Et Jacques Chirac, engagé volontaire pendant la guerre d'Algérie (bien que dispensé en tant qu'énarque), comme François Mitterrand, qui continuait de gérer les affaires courantes, au ministère de la Justice, après la chute du gouvernement Guy Mollet, le jour de l'arrestation de Maurice Audin, avaient gardé le silence.
"Enfin !"
Dans le petit salon de l’appartement de Josette Audin, tout le monde s’est entassé. Cédric Villani et Sébastien Jumel, Raphaëlle Branche, Benjamin Stora et Sylvie Thénault, Pierre Mansat et Claire Hocquet, Sylvain Fort et Sophie Walon, le documentariste François Demerliac qui, depuis des années, filme inlassablement tout ce qui concerne l'affaire Audin. Cédric Villani dit qu’il a pleuré quand il a vu la "Une" de l’Humanité du jour : "Enfin !". Sylvie Thénault pose la main sur l’épaule de Josette Audin. Et il y a bien-sûr les enfants de Maurice Audin.
Michèle qui a écrit un très beau livre sur son père "Une vie brève" (Folio) et s’apprête à publier "Oublier Clémence" chez Gallimard, et Pierre, qui ne rate quasiment aucun hommage rendu au mathématicien, aucune manifestation qui le concerne.
Le téléphone n’arrête pas de sonner. Toutes les télévisions, toutes les radios, tous les journaux veulent les interviewer. "C’est la fin de l’affaire Audin, le début d’une histoire apaisée", dit Michèle Audin à Médiapart. "C’est être lucide avec son histoire", déclare Pierre sur RTL. "Je ne pensais pas que ça arriverait", murmure Josette aux journalistes dans son appartement de la Seine-Saint-Denis. Au soir du 11 juin 1957, lorsque les militaires étaient venus arrêter Maurice Audin, elle leur avait demandé quand son mari allait revenir. L’un d’eux lui avait répondu : "S’il est raisonnable, il sera de retour ici dans une heure" (1). Maurice Audin n’est jamais revenu. C’était il y a soixante-et-un an.
(1) in "L'affaire Audin" de Pierre Vidal-Naquet (Les Editions de Minuit)
L’historien avait préconisé l’entrée au Panthéon de la célèbre avocate, morte en 2020, dans son rapport sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », remis à l’Elysée en 2021. Alors qu’un hommage national lui sera rendu ce mercredi 8 mars, il retrace, dans une tribune à « l’Obs », son combat anticolonialiste.
Je faisais partie du petit cercle des invités de Gisèle Halimi au moment de la remise de la légion d’honneur, reçue des mains du président de la République Jacques Chirac, à l’Elysée, en septembre 2006. Et pourtant, nous n’étions pas de la même génération. Mais elle avait suivi mon itinéraire, connaissant mes engagements dans les années 1970 avec la lutte pour la justice sociale, pour la paix entre Israël et les Palestiniens, contre la politique de colonisation menée par l’extrême droite israélienne ; et aussi les batailles contre l’antisémitisme, le racisme et pour l’égalité des droits. A mes yeux, pendant toutes ces années, Gisèle Halimi s’était imposée comme une figure de référence. Par-delà les différences d’âge et de génération, j’ai toujours senti en quoi nous partagions les mêmes valeurs.
On connaît les batailles que Gisèle Halimi, née en Tunisie dans une famille juive, a menées pour se libérer du poids des traditions religieuses et de la pesanteur du patriarcat très présent dans les sociétés méditerranéennes. On sait aussi toute son action en faveur de la libération des femmes en France, avec le retentissant procès de Bobigny en octobre 1972, contre le viol et pour le droit à l’avortement, au procès d’Aix-en Provence en 1978. Mais au moment de son décès en 2020, la presse française s’est peu intéressée à ce qui a été un moment important de sa vie : son combat contre le système colonial et son appui aux mouvements nationalistes et indépendantistes algériens.
Nous avons beaucoup discuté de cette période au moment de la rédaction de mon livre consacré au rôle de François Mitterrand pendant la guerre d’Algérie [« François Mitterrand et la guerre d’Algérie », coécrit avec François Malye, Calmann-Levy, 2010]. Dans la mesure où Gisèle Halimi avait été nommée par François Mitterrand à un poste important à l’Unesco dans les années 1980, et qu’elle avait été à ce moment-là une députée proche du Parti socialiste alors au pouvoir, je pensais qu’elle serait « prudente » dans ses formulations à propos de la gauche française en général, et de François Mitterrand en particulier. Ce dernier, au moment de la guerre d’indépendance algérienne, avait été ministre de l’Intérieur en 1954, puis ministre de la Justice en 1956 et 1957, au moment de la terrible « bataille d’Alger ».
C’était bien mal la connaître. Elle est apparue devant moi comme une femme libre, d’une extrême franchise, ne reniant en rien ses combats et ses engagements passés. Nous avons parlé de sa bataille en faveur de Djamila Boupacha, qui avait été torturée et violée par des militaires français. Gisèle Halimi était son avocate, et l’action menée avec Simone de Beauvoir avait permis de lui sauver la vie [« Djamila Boupacha »,Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi, Gallimard, 1962]. Lorsque nous avons abordé le sujet difficile de l’attitude de la gauche française pendant la décolonisation, elle a conservé ses accents de femme engagée, de femme libre, de femme passionnée dans la recherche de la vérité.
De ses déclarations enregistrées dans l’année 2010, je garde le souvenir de deux portraits qu’elle a dressés d’acteurs de cette époque tragique. D’abord, celui de Robert Lacoste, militant socialiste de longue date, très présent dans la résistance contre l’occupation nazie en France et devenu, à la suite de longues batailles d’appareil à l’intérieur de la SFIO (le PS de l’époque), dix ans après la guerre, le gouverneur général d’Algérie. Celui qui sera le plus dur, le plus intransigeant à l’égard des Algériens. Ecoutons Gisèle Halimi qui dresse le portrait de Robert Lacoste :
« Vous allez me dire que j’étais naïve, mais pour moi, Lacoste, c’était quelqu’un et j’ai donc pris rendez-vous avec lui au gouvernement général. Je me suis dit : “Peut-être ne sait-il pas ce qui se passe, que la torture était devenue la base du système d’enquête en Algérie”. Il me reçoit gentiment. Il me dit : “Oui, c’est dur”. Je réponds : “Oui, c’est difficile”, mais visiblement, on ne parlait pas de la même chose. Quand j’ai parlé d’une répression indigne, le ton est soudain monté : “Mais qu’est-ce que c’est que cette poignée de rebelles ? C’est vous, les avocats parisiens, qui avez créé le FLN [Front de libération nationale]. C’est une bande de voyous, le FLN, ça n’existe pas.” Il faisait très chaud, il s’est levé, en sueur, mais il n’était plus dans son état normal, il n’avait plus de self control. “Vous savez ce que j’en ferai de vos amis ? Je les écraserai tous.” Et là, il écrase le sol avec son talon. “Je les écraserai tous.” Entre-temps, il m’avait justifié les tortures, dit que c’est nous qui étions à l’origine du FLN, en créant une résistance à Paris qui n’existait plus sur le terrain. Pour lui, nous étions des affabulateurs. »
Elle n’aimait toujours pas, c’est le moins que l’on puisse dire, Robert Lacoste qui portait en lui toute la charge de la brutalité coloniale, en se réclamant pourtant des valeurs de la gauche républicaine. Incroyable aveuglement de cet ancien résistant, incapable de voir que la flamme de la résistance française se trouvait cette fois du côté de ceux qui combattaient pour l’indépendance de l’Algérie. Pour Lacoste, ces « nouveaux résistants » étaient désormais des « traîtres »…
Comment allait-elle parler de François Mitterrand, qui deviendra président de la République en 1981 ? Gisèle Halimi :
« Si on veut se représenter le Mitterrand que j’ai connu pendant la guerre d’Algérie, il faut se dire qu’il ne ressemblait en rien à celui de 1981. C’était un homme dont les options politiques étaient rachetées par une intelligence hors du commun et une grande culture. Mais à cette époque, c’est un homme d’ordre qui n’aime pas trop le laxisme, chose étonnante pour un avocat. Il m’a démontré la raison d’Etat, ne m’a jamais dit qu’il était opposé aux exécutions capitales. A l’époque, quand je discutais avec lui, pied à pied, ça l’agaçait énormément. Il disait : “Vous voulez aller trop vite, il faut que cette période se passe, il faut que l’Algérie ait son lot d’exécutions, de tragédies, chez ceux qui se battent pour l’indépendance.” Et moi, je disais : “Mais l’Algérie sera indépendante, comme l’Indochine, Pourquoi ce gâchis ?” Pour François Mitterrand, ce qu’il fallait ménager, c’était l’avenir. L’avenir, ça l’intéressait… Pour lui, tout devait passer par des étapes, des réformes comme la solution fédérale, des élections, mais il y avait une progression à suivre. Et, en attendant, la répression était nécessaire. Il fallait que la France montre qu’elle n’irait pas plus vite que ce qu’elle avait décidé. »
Partisan de l’ordre à tout prix, François Mitterrand apparaît dans les propos de Gisèle Halimi comme un homme capable d’attente patiente pour agir sans complexe, au coup par coup. Avec la volonté d’accession aux plus hautes responsabilités politiques dans l’Etat (François Mitterrand voulait être président du Conseil à la place de Guy Mollet…).
Comme on le voit, dans le fracas et les fièvres de l’action, Gisèle Halimi, qui n’a jamais été « irresponsable », a toujours préféré le respect des principes de justice et d’égalité. Et lorsque le président de la République Emmanuel Macron m’a demandé en juillet 2020 de faire un rapport sur la mémoire de la colonisation et la guerre d’indépendance algérienne, avec des préconisations à mettre en œuvre, l’idée m’est venue, presque naturellement, de faire admettre Gisèle Halimi au Panthéon, l’endroit symbolique pour la « reconnaissance de la France aux grands hommes » et aux grandes femmes ! L’idée sera-t-elle retenue ? Je ne le sais toujours pas, au moment où va se dérouler un hommage national le 8 mars 2023 autour de sa vie, de ses actions.
Je n’oublie pas une autre histoire. Au milieu des années 2000, je l’ai aidée pour des recherches historiques, dans la rédaction d’un de ses derniers livres,« la Kahina » [Plon, 2006], un roman historique, récit flamboyant d’une femme guerrière des Aurès, à la lisière entre l’Algérie et la Tunisie, qui a résisté les armes à la main à l’invasion de cavaliers arabes au VIIIe siècle. Gisèle Halimi écrivait :
« “Mon grand-père paternel me racontait souvent, par bribes, l’épopée de la Kahina. Cette femme qui chevauchait à la tête de ses armées, les cheveux couleur de miel lui coulant jusqu’aux reins. Vêtue d’une tunique rouge – enfant, je l’imaginais ainsi –, d’une grande beauté, disent les historiens. […] Devineresse, cette pasionaria berbère tint en échec, pendant cinq années, les troupes de l’Arabe Hassan.” Ces quelques lignes sont extraites du Lait de l’oranger, écrit en 1988, et qui continue mon récit autobiographique initié avec La Cause des femmes. J’ai voulu clore ce cycle par la Kahina. Dans son contexte historique, je l’ai fait vivre, aimer, guerroyer, mourir. Comme mon père, Edouard-le magnifique, l’aurait peut-être imaginée. La Kahina était-elle son ancêtre ? Peut-être. L’ai-je aimée en la faisant revivre. Oui. Passionnément. »
BIO EXPRESS
Benjamin Stora, né en 1950, est un historien et universitaire, spécialiste de l’Algérie. Il a publié de très nombreux ouvrages sur la colonisation, la guerre d’Algérie et l’immigration maghrébine, dont « Une mémoire algérienne » (Robert Laffont, 2020) et « Histoire dessinée des juifs d’Algérie » (La Découverte, 2021). Il est aussi l’auteur du rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie [PDF], remis à l’Elysée en janvier 2021 (et publié aux éditions Albin Michel sous le titre « France-Algérie, les passions douloureuses »)
FEMMES PUISSANTES DE L’HISTOIRE ANCIENNE (4/5). Son esprit et son charisme ont séduit César et Marc-Antoine. Mais qui était donc Cléopâtre, cette reine exceptionnelle dont on n’a voulu retenir que la beauté supposée ?
« Le nez de Cléopâtre s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé »,écrivait Blaise Pascal. Une phrase qui a été trop souvent prise au pied de la lettre alors qu’il s’agissait d’une illustration philosophique de ce que l’on nommerait aujourd’hui l’effet papillon. Pascal se moquait probablement de la taille de l’appendice nasal de la reine égyptienne comme de sa première vinaigrette. On ne va pas ici débattre de l’attrait supposé de Cléopâtre : les canons de beauté changent avec les pays et les époques et ce n’est pas son physique qui a fait l’essentiel de sa séduction – contrairement à ce qu’Hollywood a voulu nous présenter. L’atout numéro un de Cléopâtre était son esprit.
Les auteurs antiques ne manquent jamais de souligner son intelligence et son charisme. « On prétend que sa beauté, considérée en elle-même, n’était pas si incomparable qu’elle ravît d’étonnement et d’admiration : mais son commerce avait un attrait auquel il était impossible de résister ; les agréments de sa figure, soutenus des charmes de sa conversation et de toutes les grâces qui peuvent relever un heureux naturel, laissaient dans l’âme un aiguillon qui pénétrait jusqu’au vif, »écrit Plutarque dans ses « Vies des hommes illustres ».
Ces qualités, cette vivacité d’esprit associés à un sens politique aiguisé, ont pu mettre César et Marc Antoine à ses pieds.
Les enfants de la dynastie lagide (ou ptolémaïque) étaient très tôt plongés dans la politique et tout ce qui touche aux affaires de l’Etat – y compris la diplomatie et l’économie. Cléopâtre était une femme extrêmement cultivée, parlant couramment neuf langues – dont le grec, bien sûr, mais aussi l’égyptien, la langue des pharaons qu’elle avait fait l’effort d’apprendre. A cette époque, les monarques ptolémaïques, à l’image des patriciens romains, recevaient une éducation variée allant de la philosophie à la médecine en passant par la littérature, les mathématiques et l’astronomie. Cléopâtre connaissait probablement davantage de géométrie qu’un titulaire contemporain du brevet des collèges et savait, au contraire d’un conspirationniste d’aujourd’hui, que la Terre est ronde – après tout, sa circonférence avait été calculée à Alexandrie.
Elle est aussi l’héritière d’une culture qui, au contraire des autres contrées antiques, laisse toute leur place aux femmes. « Les femmes égyptiennes avaient le droit de faire leurs propres mariages », détaille Stacy Schiff, autrice d’une biographie de Cléopâtre.
« Au fil du temps, leurs libertés s’étaient étendues à des niveaux sans précédent dans le monde antique. Elles héritaient équitablement et avaient le droit de propriété de façon indépendante. Les femmes mariées ne se soumettaient pas au contrôle de leurs maris. Elles avaient le droit de divorcer et de recevoir un soutien après leur divorce… Elles prêtaient de l’argent et commandaient des barges. Elles servaient comme prêtresses dans les temples locaux. Elles faisaient des procès et embauchaient des joueurs de flûte. En tant que femmes, veuves ou divorcées, elles étaient propriétaires de vignobles, champs de papyrus, bateaux, parfumeries, équipement minier, esclaves, maisons, chameaux. Jusqu’au tiers de l’Egypte ptolémaïque a pu être dans les mains de femmes. »
Elle sort d’un sac pour rencontrer César
Il faut se représenter le monde occidental à l’époque de Cléopâtre. Rome avance partout, conquiert, écrase tout souverain qui ose faire preuve d’un peu de puissance. Le seul royaume encore indépendant dans le pourtour méditerranéen, c’est l’Egypte. L’Egypte, alors un grenier à blé – qui deviendra celui de l’Empire romain – a plus ou moins acheté cette indépendance sous Ptolémée XII, le père de Cléopâtre. Lorsqu’elle accède au trône, à 18 ans, co-pharaon avec son frère Ptolémée XIII qui devient son rival, elle ne peut pas avoir ignoré que la puissance de Rome et son appétit de conquêtes figuraient au premier plan des préoccupations internationales de son pays. Et qu’elle doit trouver un moyen sinon de vaincre Rome, du moins de l’apprivoiser.
C’est dans ce contexte que se déroule la fameuse scène « du tapis » : on est en pleine guerres civiles, au pluriel. César et Pompée d’un côté, Cléopâtre et son frère-époux Ptolémée XIII de l’autre. Fuyant après sa défaite à Pharsale (Grèce), Pompée est assassiné à son arrivée en Egypte sur ordre de l’entourage de Ptolémée, au grand désarroi de César. Alors qu’il poursuit les dernières troupes de Pompée, César décide de jouer les arbitres dans la querelle égyptienne et invite frère et sœur à une conférence pour régler leurs problèmes. Ptolémée XIII s’arrange pour en interdire l’entrée à sa sœur. Pour passer outre, celle-ci décide de se faire livrer incognito à César enroulée dans un tapis selon la légende – plus probablement dans un sac de toile grossière pour passer inaperçue.
On ne sait pas dans quel état elle en est sortie, sûrement passablement ébouriffée. Mais le résultat, que ce soit à cause de sa personnalité rayonnante ou de l’assassinat de Pompée par le camp de Ptolémée – qui avait choqué César – est que ce dernier prend parti pour Cléopâtre. Et en tombe amoureux.
César étant toujours un brillant stratège, il parvient à prendre le dessus sur ses opposants. Mais il est assassiné à Rome alors que la reine d’Egypte y séjourne. Elle rejoint Alexandrie et doit gérer son royaume au travers de plusieurs crises – dont une climatique. Elle se trouve aussi prise dans les guerres civiles romaines, avec les héritiers de César d’un côté, ses assassins de l’autre. Elle poursuit cependant ses efforts pour faire reconnaître leur fils – surnommé Césarion – comme son héritier légitime, mais César a déjà un héritier même s’il n’est que son fils adoptif : son petit-neveu Octave, que l’on appellera plus tard Auguste.
Les deux grandes racines de la défaite de Cléopâtre sont sans doute là : l’appétit de puissance de Rome et le désir d’un homme de succéder à celui qui était à deux pas du trône et ne l’a pas pris. Octave ne pouvait pas s’allier à Cléopâtre parce qu’ils étaient des ennemis naturels dans la succession de César. Et Rome ne pouvait pas ne pas conquérir l’Egypte. Elle pouvait cependant échouer, et Cléopâtre s’est employée à cela, avec l’aide de Marc Antoine.
Le rêve d’un empireoriental
La République romaine mourante attendait son maître. La mort de César porte au pouvoir un triumvirat désireux de poursuivre et châtier ses assassins, mais c’est bien là leur seul point commun. Octave a l’Occident, Antoine l’Orient – dont l’Egypte – et le troisième homme, Lépide, contrôle la province d’Afrique – peu ou prou l’actuel Maghreb. Comme tout triumvirat, il finit par éclater après la défaite des derniers meurtriers de César. Lépide est mis hors-jeu, et le conflit entre Octave et Marc Antoine peut éclater au grand jour.
Cléopâtre fait de nouveau preuve de son sens politique et du décorum : sa première rencontre avec Marc Antoine, en réponse tardive à ses multiples convocations, se fait sur une barge richement parée, où elle déploie un mélange de charme et de diplomatie. Antoine est conquis. Malgré les fréquents allers-retours de ce dernier à Rome et des triangles amoureux avec Octavia, demi-sœur d’Octave et épouse officielle d’Antoine (du moins jusqu’à ce que le conflit ouvert éclate avec Octave) la liaison entre les deux amants se poursuit. Ils finissent par former un couple de pouvoir qui organise l’est méditerranéen, planifiant un empire du Levant qui pourrait contrecarrer la puissance de Rome.
On retrouve ce dessein dans les Donations d’Alexandrie, un plan de partage de ce monde oriental (y compris de territoires restant à conquérir) entre les héritiers d’Antoine et Cléopâtre : Césarion, fils de César, et leurs trois enfants communs – les jumeaux Cléopâtre Sélène, Alexandre Hélios, et le plus jeune, Ptolémée Philadelphe. Comme certains de ces territoires font partie de la République romaine, le Sénat s’y oppose, tout naturellement. C’est le dernier casus belli entre Octave et Antoine… Mais Cléopâtre n’est pas au second plan dans ces manœuvres politico-militaires, bien au contraire.
La guerre perdue… à cause du climat et des eaux-mortes ?
On ne peut en aucun cas résumer l’action de Cléopâtre à l’aune de la politique colonisatrice de Rome. Elle a été avant tout une souveraine compétente et compatissante pour son peuple, même lorsque le climat s’en est mêlé. Joseph McConnell, de l’université de Reno, et ses collègues ont en effet émis une théorie surprenante : l’éruption d’un volcan sur l’île d’Okmok (Alaska) en 43 avant notre ère aurait modifié le climat de l’hémisphère nord et eu des conséquences dramatiques en Egypte. La crue du Nil, dont dépendait l’agriculture du pays, en a été modifiée durant plusieurs années, entraînant famines et maladies.
Cléopâtre géra de son mieux la crise, ouvrant les greniers à blé royaux pour nourrir ses habitants, dévaluant la monnaie… Mais les années - 43 et - 42 auraient été « parmi les plus froides des récents millénaires ». Une décennie entière de mauvaises récoltes et d’épidémies aurait ainsi affaibli le royaume de Cléopâtre au moment où, à l’extérieur, elle et Marc Antoine avaient le plus besoin de ressources.
Les rêves de puissance de Cléopâtre et Antoine s’écroulent en une bataille, dans la baie d’Actium (au nord-ouest de la Grèce actuelle), le 2 septembre de l’an - 31. Leurs flottes combinées subissent en effet une cuisante défaite face aux navires d’Octave. Les bâtiments de ce dernier, plus légers mais plus nombreux, l’ont emporté sur les puissantes galères de ses adversaires. Erreurs stratégiques ? Incompréhensions entre la flotte romaine d’Antoine et la flotte égyptienne ? Beaucoup d’analyses stratégiques ont été émises a posteriori sur la bataille.
Il est même possible que la défaite de leurs troupes ait été dues à un phénomène aquatique particulier : les eaux-mortes. Selon une étude menée par le CNRS, « la variation de la vitesse des bateaux piégés en eaux-mortes est due à des ondes qui agissent comme un tapis roulant bosselé sur lequel les navires se déplacent d’avant en arrière ». Cela pourrait expliquer certains comportements de la flotte égyptienne et sa défaite face à Octave.
Quelques mois plus tard, alors que tout semble déjà perdu et qu’Antoine tente encore de négocier une issue honorable, il montre à quel point il tient à son amante : « Montrant un amour désintéressé pour Cléopâtre, il propose même de se tuer lui-même si cela signifiait que Cléopâtre soit sauvée. Octave ne donna aucune réponse », raconte Diana Preston dans son « Cléopâtre et Antoine ». La suite est inévitable. Octave envahit l’Egypte. Antoine et Cléopâtre se donnent la mort.
On a tout dit sur le suicide de Marc Antoine, se jetant sur sa propre épée, agonisant dans les bras d’une Cléopâtre qu’il avait crue morte dans une scène digne de « Roméo et Juliette ». On a aussi beaucoup écrit sur les poisons que la reine aurait fait tester sur des esclaves avant de choisir le moins douloureux – la peu plausible vipère aspic et son venin fulgurant. Certains ont aussi suggéré que Cléopâtre avait plutôt été assassinée sur ordre d’Octave et que le suicide aurait été une opération de relations publiques. Qu’y a-t-il de vrai et d’imaginaire dans tout cela ? Nous n’en saurons rien.
L’héritage de Cléopâtre
Hormis la légende, que reste-t-il de Cléopâtre ? Son tombeau – et celui de Marc Antoine – n’a pas encore été retrouvé. Les textes anciens le situent dans les environs d’Alexandrie. Certains archéologues, professionnels et amateurs, en on fait l’objectif d’une vie, telle la docteure Kathleen Martinez qui, aux dernières nouvelles, fouillait le site de Taposiris Magna, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest d’Alexandrie. Mais la plupart des archéologues pensent qu’il se trouve désormais sous les eaux, avec la plus grande partie de la ville antique d’Alexandrie, submergée à la fois par les tremblements de terre et la montée du niveau de la mer.
L’héritage qui n’a pas été entièrement accaparé par les Romains, ce sont ses enfants. Si Césarion a été tué, probablement sur ordre d’Auguste, les trois autres, ceux qu’elle a eus avec Marc Antoine, ont peut-être survécu. Cléopâtre Sélène, sa fille, a été élevée par Octavia, la sœur d’Auguste et ex-femme de Marc Antoine. Elle a été ensuite mariée à Juba II, roi de Numidie. Auguste leur a reconnu conjointement la souveraineté sur la Maurétanie (une partie de l’actuel Maghreb), et Sélène a eu la réputation d’une reine bonne et juste. Leurs descendants se seraient liés par mariage à de multiples reprises avec la noblesse romaine.
Son jumeau Alexandre Hélios aurait, lui aussi, été épargné, de même que le plus jeune fils, Ptolémée Philadelphe. S’ils ont survécu, ils ont pu être élevés avec leur sœur et peut-être l’ont-ils accompagnée en Maurétanie. Mais nous n’avons aucune certitude.
« Déviante, socialement dérangeante »
Il faut cependant être conscients qu’aucun texte ou compte-rendu contemporain de Cléopâtre n’a été retrouvé – et encore moins venant de son propre camp. Les seuls récits proviennent d’historiens qui ont vécu au moins un siècle plus tard, influencés sinon dictés par la volonté des empereurs, Auguste au premier plan. Le rouleau compresseur culturel et historique de 400 ans de monde romain a décidé de l’image de certains personnages du passé qui n’étaient pas du bon côté de Rome. Les vaincus, comme les Gaulois. Ou Cléopâtre et Marc Antoine.
Le personnage de Cléopâtre a donc été façonné par ses vainqueurs, qui avaient tout intérêt à la mettre au rang de puissance malfaisante pour magnifier leur propre victoire et la grandeur de la civilisation romaine. En plus, elle avait l’infortune d’être une femme, ce qui lui a valu une réputation de séductrice impitoyable, de sorcière tentatrice et autres épithètes issus d’une histoire écrite par des hommes.
Le reste est à l’avenant : de l’Antiquité à Hollywood en passant par Shakespeare, c’est une Cléopâtre imaginaire qui s’est ancrée dans les esprits et a sublimé un portrait frisant la caricature. Comme le résume Stacy Schiff :
« Cléopâtre semble la création commune de propagandistes romains et de metteurs en scène hollywoodiens. »
« Elle souffre d’avoir séduit deux des plus grands hommes de son temps alors que son crime était en fait d’avoir scellé les mêmes partenariats dont profitait chaque homme au pouvoir »,analyse l’autrice. « Qu’elle le fasse à l’envers et sous son propre nom la rendait déviante, socialement dérangeante, une femme contre nature. Il ne lui reste qu’à mettre une étiquette vintage sur quelque chose dont nous avons toujours connu l’existence : une puissante sexualité féminine. » A-t-elle été amoureuse des grands hommes qu’elle a séduits ? « On ne sait pas si Cléopâtre a aimé Antoine ou César, mais nous savons qu’elle a fait en sorte que chacun d’eux fasse ses quatre volontés », répond Stacy Schiff.
Dans l’histoire de Cléopâtre, il faut donc savoir lire entre les lignes et le non-écrit semble nous raconter la vie d’une souveraine brillante qui a utilisé tous ses pouvoirs de séduction et de persuasion pour préserver à tout prix la grandeur de son pays et le protéger contre la convoitise romaine. Qu’elle ait échoué dans cette opération ne diminue en rien son mérite.
Il fallait mettre un point final à cette oeuvre exceptionnelle commencée par Jacques Ferrandez en 1986. Chose faite avec ce tome 2 des Suites algériennes.
Il aura donc fallu 35 ans à Jacques Ferrandez pour achever son grand oeuvre. Le défi était à l’aune de son objet : raconter la colonisation de l’Algérie de 1830 à son indépendance en 1962. Dix albums, Les Carnets d’Orient, devenus des classiques utilisés dans les écoles et lycées pour dire la complexité d’une Histoire racontée de manière fictionnelle et historiquement juste. Mais il manquait « l’après », la période post coloniale. Sans doute fallait il le recul du temps pour oser s’attaquer à cette période plus récente. En 2021, deux ans après le « Hirak », sort le premier tome du diptyque « Suites algériennes » qui s’achève ce mois ci.
Dans ce dernier ouvrage, on retrouve des personnages des Carnets d’Orient, qu’il est d’ailleurs préférable d’avoir lus préalablement, mais on s’éloigne de la saga familiale pour un récit plus didactique, moins romancé, et qui prend souvent la forme d’une enquête journalistique faite d’entretiens et de rencontres. Cette fois-ci, l’essentiel est consacré aux algériens eux-mêmes et à leur propre responsabilité dans l’échec de la période post-coloniale.
L’histoire de l’Algérie pour nombre de ses habitants est simple : en 1830, les Français viennent coloniser leur pays, l’exploiter. Les Algériens à partir de la Toussaint Rouge de 1954 entament et gagnent une guerre juste, les combattants se montrent héroïques et ils obtiennent dans la liesse générale leur indépendance en 1962. « Un seul héros, le peuple, pour ne pas avoir à nommer ceux qui avaient commis les exactions et ceux qui en ont été les victimes. »
Ce récit schématique et glorieux colporté par les différents régimes qui se succèdent, Kamel Daoud dans sa magnifique préface le qualifie d’imaginaire, la complexité des événements étant plus grande qu’une « histoire nationale (…) convertie en une fiction qui inspire le réel, sinon s’y substitue ». Toute la Bd tend ainsi à démontrer ce que le récit national cache et galvaude une réalité beaucoup plus trouble comme le prouvent les personnages de ce dernier opus où chacun trahit l’autre avant d’être trahi lui-même. Double jeu, forfaitures travestissement de la réalité, depuis 1962 l’Algérie vit dans le monde du mensonge et du faux semblant, la seule référence permanente et unanime étant la France responsable de tous les maux par ses manipulations cachées. Comme un exutoire.
Au cours d’un entretien à Angoulême en janvier 2020, Jacques Ferrandez, nous l’avait annoncé : « Je termine la suite des Carnets d’Orient ». Promesse tenue avec la parution de « Suites algériennes » appelée à devenir un classique comme les dix ouvrages précédents. Incontournable.
Ferrandez est né en 1955 à Alger dans le quartier de Belcourt, ce quartier qui a vu grandir le jeune Albert Camus. Le dessinateur n’a aucun souvenir de ses premiers mois en Algérie, mais cette coïncidence, cette proximité avec le Prix Nobel de littérature l’a probablement incité à chercher à comprendre ce pays qui les a vu naître. Il écrivait en conclusion de Entre mes deux Rives (1) :
« Je suis comme un enfant trouvé de la Méditerranée, ballotté d’un bord à l’autre. Je suis né sur la rive sud, j’ai vécu sur la rive nord. Les deux m’appartiennent. J’appartiens aux deux ».
Sa rive nord, Nice en l’occurrence, sera notamment l’univers de Giono (voir Le Chant du monde). Sa rive sud sera celle de Camus et de sa série Les carnets d’Orient, entamée en 1986, composée de dix tomes (cinq initialement prévus) qui est devenue une BD de référence présente dans les bibliothèques des bédéphiles, comme dans de nombreuses écoles, voire universités. Ferrandez a su, dans cette saga familiale, transmettre d’abord la lumière, celle qui éclaire à jamais la baie d’Alger, la blancheur aveuglante de la Casbah. Et par des histoires individuelles qui recoupaient la grande histoire, il a offert une multiplicité de points de vue qui expliquent des destins collectifs algériens et français de 1830 à 1962. Octave, Saïd, Noémie, Samia pour expliquer la colonisation, les massacres de Sétif, la guerre d’indépendance.
Dans la dernière page de Terre Fatale, ultime ouvrage paru en 2009, Octave promettait à sa mère, sur le quai du départ du port d’Alger en 1962, « Oui on retournera. Je te le promets ». Il aura donc fallu à Ferrandez, douze ans pour tenir la promesse de son personnage et reprendre l’histoire là, où elle s’était arrêtée : l’indépendance algérienne.
Plus exactement, la BD commence avec le Hirak, le 37e vendredi consécutif de manifestation depuis le 22 février 2019, un saut complet pour dire hier et aujourd’hui.
« Je voulais démarrer avec le Hirak, parce que c’est l’élément saillant qui permet de reconsidérer toute cette histoire de l’Algérie contemporaine ».
Ce sont deux chauffeurs de taxis, comme porte-paroles de la population, à plus de cinquante ans d’écart qui vont servir de témoins relais pour expliquer l’après indépendance. Nous sommes en terrain connu, des prénoms ressurgissent, mais le format est différent et la structure narrative de l’histoire se morcèle en épisodes de vie de différents personnages permettant, à chaque fois, à Ferrandez d’exposer les multiples points de vue. C’est, avec la beauté de son dessin, léger et bleu comme l’air de la méditerranée, l’autre qualité essentielle du dessinateur : exposer des situations les plus complexes de la manière la plus simple, sans manichéisme, ni parti pris.
Deux temps forts sont privilégiés : le coup d’État de Boumédiène en 1965, et les manifestations réprimées de 1988 qui annoncent la montée du Front Islamique du Salut (FIS). Avec l’éclairage de ces deux évènements majeurs, la situation algérienne post coloniale apparait clairement, situation qui fait dire à un personnage citant Danton:
« En révolution, le pouvoir reste toujours aux mains des plus scélérats ».
En peu de pages, Ferrandez réussit à évoquer notamment la situation des femmes, le volontarisme des « pieds rouges », ces Français venus aider le gouvernement socialiste naissant par opposition aux « Pieds noirs », les Harkis, les « Nord-Africains » devenus « Algériens » dans le bidonville de Nanterre. Les pièces d’un puzzle historique et sociologique se mettent en place dans une construction chronologique éclatée, mais parfaitement fluide.
Aussi, et surtout, sans aucune caricature, l’auteur met au grand jour les multiples contradictions auxquelles chacun dans son camp doit faire face. Pour ce faire il utilise des personnages connus dans les albums précédents et en créé de nouveaux qui agissent comme des révélateurs de ces contradictions historiques. Privilégier la démocratie ou abattre l’islamisme extrême ? Aider les femmes algériennes à se libérer en s’asservissant soi-même ? Accepter la présence cachée de la France ou admettre l’implantation des pays de l’Est ? La liste est infinie et vertigineuse. L’ouvrage s’arrête en 1992 avec la mort du président Boudiaf et la lutte de l’armée contre les Islamistes vainqueurs des élections de 1991. Un deuxième tome en préparation racontera la suite qui confirmera certainement la nouvelle place importante accordée aux femmes qui ne sont « plus juste celles dont les hommes tombent amoureux ».
En gardant ses qualités de conteur, Ferrandez demeure un formidable passeur historique qui pour la première fois se dessine en couverture sous les traits d’un personnage de fiction. Comme un lien entre les « deux rives », lui, quittant provisoirement la rive nord pour mieux comprendre la rive sud. Où il est né.
Suites algériennes : 1962. 2019. Première partie. Jacques Ferrandez. Éditions Casterman. 144 pages. 16€. Parution 12 mai 2021.
(1) Entre mes deux rives de Jacques Ferrandez. Editions Mercure de France. 2017. À lire absolument pour en savoir plus sur l’auteur.
Personnalités civiles et militaires étaient présentes à cette cérémonie.
Samedi 20 mai, par une matinée radieuse, une très nombreuse assistance, anciens d’Algérie, personnalités civiles et militaires, porte-drapeaux et habitants, s’est rassemblée à l’occasion de l’inauguration de la plaque rappelant les accords d’Evian du 19 mars 1962, marquant le cessez-le-feu en Algérie. Cette plaque sera désormais apposée sur la place à proximité du rond-point.
Gérard Bailly, président du comité local de la FNACA Clairvaux-Saint-Lupicin, a chaleureusement remercié Hélène Morel-Bailly, maire, et son conseil, pour avoir accepté de baptiser ainsi cette place.
« »Chacun doit se souvenir que durant cette guerre, 30 000 jeunes hommes sont tombés »
Pour Daniel Panneau, président départemental de la FNACA, « Chacun doit se souvenir que durant cette guerre, 30 000 jeunes hommes sont tombés, que nos soldats qui ont versé leur sang pour la France et sa devise, Liberté, Egalité, Fraternité, ne tombent jamais dans l’oubli. Cette place nouvellement baptisée permettra à chacun cette réflexion, afin d’éviter de tels drames, avec l’espoir d’un avenir meilleur fait de sérénité et de paix ». Après la découverte de la plaque par Hélène Morel-Bailly et Daniel Panneau, la cérémonie, menée par André Vernay, membre de la FNACA départementale, était ponctuée par les séquences musicales des musiciens de l’Union musicale clairvalienne. A la fin de la cérémonie, trois Anciens d’Algérie, Denis Petit-Perrin de Meussia, André Devaux de Pont-de-Poitte et Bernard Blondeau de Grande-Rivière, ont reçu la Croix du combattant. Hélène Morel-Bailly a reçu quant à elle, la médaille de la FNACA.
Les pays africains continuent de lutter contre les mines antipersonnel héritées du colonialisme ou implantées par les différents groupes armés opérant dans plusieurs régions, au moment où le Sahara occidental est considéré comme un des territoires les plus pollués au monde par ces engins explosifs que le Maroc utilise en violation de toutes les conventions internationales.
Depuis son indépendance, l’Algérie s’est lancée dans une course effrénée pour retirer les mines dissimulées lors de la période coloniale, notamment sur les lignes Challe et Morice dans l’est et l’ouest du pays. En effet, en plus de toutes les atrocités qu’elle avait commises durant 132 ans de colonisation, la France avait laissé plus de 11 millions de mines en Algérie, causant des milliers de morts et de blessés parmi les citoyens algériens.
Plus de deux décennies après l’adoption du Traité historique d’interdiction des mines et la création de l’Action anti-mines des Nations unies, plusieurs autres pays africains, comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger continuent également de subir les conséquences des mines implantées dans leurs territoires. En Libye, où plus de 360 personnes ont été victimes d’engins explosifs depuis 2020, 27 400 munitions explosives ont été retirées à Tripoli, Misrata, Benghazi et Syrte, selon la Mission d’appui des Nations unies dans le pays (Manul) qui a insisté sur la nécessité de faire plus et de redoubler d’efforts pour mettre le pays sur la voie d’un avenir plus sûr, exempt de risques d’explosion.
En 2022, les partenaires libyens ont déminé et détruit quelque 18 000 engins explosifs et jugé que 2,3 millions de mètres carrés de terrain étaient sûrs. Toutefois, plus de 15 millions de mètres carrés de terres dans le seul sud de Tripoli ont été désignés comme zones dangereuses suspectes ou confirmées. Depuis le début de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) en 2013, les engins explosifs improvisés ont tué au moins 93 Casques bleus (chiffre de juin 2022). En Angola, malgré la fin de la guerre civile en 2002, des millions de mines terrestres et de munitions non explosées sont toujours disséminées dans tout le pays et le seul recensement national effectué par le gouvernement angolais (en 2014) a révélé qu’environ 88 000 personnes vivaient avec des blessures causées par des mines terrestres.
Le cas du Sahara occidental
En Ethiopie, des conflits armés nationaux et internationaux lors des 50 dernières années ont entraîné un héritage de mines terrestres et de restes explosifs de guerre (ERW) ayant tué 185 personnes dans la région de l’Afar et 270 dans la région de l’Amhara. A l’occasion du 60e anniversaire de la création de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA, Union africaine/UA actuellement), le 25 mai, le service de l’Action anti-mines des Nations unies (UNMAS) a indiqué dans un message reconnaître le travail de l’Action anti-mines sur le continent, avec plus de 50 Etats membres de l’UA signant la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, le Maroc demeurant l’un des rares pays à ne pas l’avoir ratifiée. Conséquence : le Sahara occidental reste l’un des pays les plus pollués par les mines implantées notamment tout au long du mur de sable séparant les territoires sahraouis libérés des territoires occupés par le Maroc. Une région dans laquelle l’UNMAS a annoncé avoir repris, le 23 mai, les opérations de déminage.
Le 4 avril dernier, le responsable de l’Association sahraouie pour l’action contre les mines, Aziz Haidar, avait indiqué lors d’une rencontre à Alger, à l’occasion de la Journée internationale pour la sensibilisation au problème des mines et l’assistance à la lutte anti-mines, que le Sahara occidental, où pas moins de 7 millions de mines sont disséminées, était classé parmi les pays les plus minés au monde, ce qui a fait des centaines de victimes dans les territoires libérés. Selon le Bureau de coordination de la lutte anti-mines sahraoui (SMACO), depuis la rupture du cessez-le-feu par Rabat en novembre 2020, la zone de guerre actuelle a été polluée comme jamais auparavant par des engins explosifs non-amorcés implantés par le régime du Makhzen. Citant des estimations préliminaires, il a fait savoir que des milliers d’engins dispersés n’ont pas encore explosé et que pas moins d’une dizaine de civils ont été tués dans la partie occupée du Sahara occidental depuis la reprise de la guerre avec le Maroc.
S’appuyant sur des rapports médiatiques, le chef des opérations au SMACO avait, en outre, fait savoir que depuis novembre 2020, le régime du Makhzen a dissimulé environ 12 000 mines antipersonnel dans la zone tampon de Guerguerat.
Après avoir lu l’article ci-dessous je constate que le « Pardon » de Macron aux harkis ainsi que ses promesses (pas vraiment tenues) sont encore largement insuffisants. Je suis en plein accord avec le point de vue de Jacques Cros :
1- La responsabilité première de la France est d'avoir enrôlé des harkis pour prendre les armes contre leurs compatriotes et ce dans le cadre de la guerre engagée pour maintenir un système par essence injuste, à savoir le colonialisme, forme aggravée de l'exploitation capitaliste.
2- On ne gagne rien à pactiser avec son ennemi, ici la puissance coloniale, ailleurs le patronat. Après avoir utilisé les harkis pour des missions souvent risquées l'Etat français les a abandonnées, ce qui illustre qu'on ne peut pas se fier aux bonnes intentions de son adversaire.
3- Les enfants de harkis ne sont en rien responsables des choix de leurs parents, choix souvent dictés par la conjoncture.
4- Réduire les difficultés socio-économiques de l'Algérie actuelle en braquant les consciences sur les harkis c'est masquer ce qui est en cause à savoir la gabegie et la corruption qui gangrènent toute société fondée sur le pouvoir de l'argent et le mécanisme du profit et de l'exploitation.
"Trahison", "collaboration"le rapport sur la reconnaissance des harkissuscite la colère
En Lot-et-Garonne, où vivent de nombreux harkis et leurs descendants, un passage du récent rapport de la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, suscite de la colère.
Soixante-et-un ans après la signature des accords d'Evian, la colère de harkis et de leurs descendants reste forte.
Français musulmans, majoritairement recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'indépendance algérienne (1954-1962), les harkis ont été abandonnés par la France à la fin du conflit. Des dizaines de milliers d'entre eux et leurs familles ont fui des massacres de représailles en Algérie et sont venus en France.
"Trahison et collaboration avec l'armée française"
Dans l'annexe 4, Karima Dirèche, historienne franco-algérienne, directrice de recherche au CNRS/TELEMMe a rédigé une synthèse intitulée "la question des Harkis en Algérie, soixante ans après l'indépendance".
La chercheuse indique que "la trahison et la collaboration avec l’armée française qui leur sont reprochés ne permettent aucune analyse explicitant les motivations et les choix des Harkis durant la guerre d’indépendance."
L'historienne précise aussi que "l’histoire des Harkis n’est pas encore écrite en Algérie et aucun travail de référence n’existe sur la question". Elle ajoute que "la question des Harkis ne constitue pas seulement un tabou social ou anthropologique en Algérie. C’est bien plus profond puisqu’elle se heurte à une occultation doublée d’amnésie volontaire."
Les mots "trahison", "collaboration" et "indignité nationale" résonnent fort aux oreilles des descendants de harkis. Trois d'entre eux se sont rassemblés cette semaine sous une tente, avec des pancartes hostiles à l'Etat français et au chef de l'Etat, dans le centre de Villeneuve-sur-Lot, pour sensibiliser les passants.
"On nous considère toujours 60 ans après comme des enfants de collabos. Des enfants de traîtres. Nos parents étaient citoyens français, en aucun cas des traitres".
Boaza Gasmi, président du Comité national de liaison des harkis et fils de harkis.
France 3 Aquitaine
A côté de lui, André Azni, président de l'association "Les harkis et leurs amis" se rappelle des mots forts du président de la République. "Emmanuel Macron, lors de son pardon, a dit que celui qui insultait un harki insultait la République".
Le Comité national de liaison des harkis exige en conséquence le retrait des passages incriminés. Il va d'ailleurs déposer une lettre de protestation au préfet ce vendredi 26 mai.
Chacun d'entre eux a connu cette vie parquée dans les camps. Ces conditions ont été récemment jugées "indignes" par le Conseil d'Etat. Celui de Bias, près de Villeneuve-sur-Lot, abritera 1.300 harkis et leur sort émeut encore les Villeneuvois, comme Jean-Paul Passegué, qui s'est arrêté pour discuter. "L'histoire des harkis, c'est une histoire dramatique que je connais bien, car j'étais en âge de comprendre. Je suis sensible à leurs problèmes".
Ostracisés en Algérie, abandonnés par la France après avoir combattu pour elle, les Harkis et leurs descendants attendent maintenant reconnaissance et réparation, avant une véritable réhabilitation.
Indemnisations
Pour autant, des milliers de harkis ou leurs descendants vont être éligibles à de nouvelles indemnisations pour avoir séjourné dans des structures d'accueil françaises aux conditions déplorables entre 1962 et 1975, a annoncé lundi le gouvernement français, qui a décidé d'élargir la liste de ces sites.
"Jusqu'à 14.000 personnes (supplémentaires) pourraient être indemnisées à la suite de leur passage dans l'une de ces structures", selon le communiqué du gouvernement. Quarante-cinq nouveaux sites sont proposés par la commission, notamment des camps militaires, des bidonvilles ou des baraquements et s'ajoutent aux 89 déjà répertoriés.
Les harkis et leurs descendants formeraient aujourd'hui en France une communauté de plusieurs centaines de milliers de personnes.
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