Réal Siellez nous ramène en 1964, deux ans après la fin de la Guerre d’Algérie, et nous raconte l’histoire d’un des tubes de Gilbert Bécaud, L’orange.
Au début des années 1960, Gilbert Bécaud, déjà surnommé "monsieur 100.000 volts", chante et sort des albums depuis une dizaine d’années. Et pourtant, ses plus grands titres sont encore à écrire. "L’important, c’est la rose", "Je reviens te chercher" ou encore "Un peu d’amour et d’amitié" sont encore dans la plume de l’auteur et compositeur français.
En 1964, Gilbert Bécaud s’apprête à retourner à la maison, à savoir à l’Olympia, cette salle qui l’a révélé et consacré, celle dans laquelle il se produira 31 fois, un record. Pour ce retour à l’Olympia, Bécaud réserve la création et la première interprétation d’un autre de ses tubes… "Nathalie".
Pourtant, malgré ce tube en devenir, Bécaud sent qu’il lui manque une chanson pour son concert à l’Olympia.
A deux semaines du concert, Bécaud est dans sa cabane du Chesnay avec son ami et parolier Pierre Delanoë et lui demande s’il n’a pas une chanson en magasin pour compléter son programme. La réponse est non. Bécaud lui rétorque alors "c’est pas compliqué, dis-moi le premier mot qui te passe par la tête". "Je lui réponds ORANGE…", explique Delanoë : "A partir de là, cette orange, on n’allait pas la cueillir ni la vendre ou l’éplucher. En revanche, le vol introduisait une dimension dramatique. Le côté antiraciste de la chanson est venu naturellement."
Gilbert Bécaud, à l’Olympia © Lipnitzki / Roger Viollet via Getty Images
La force de cette chanson, c’est ce chœur accusatoire, qui a bien plus de texte et de présence vocal que l’interprète principal, qui se débat par des cris chantés au milieu de la vindicte populaire. Le propos de la chanson est bien une accusation d’ordre raciste. Les exemples sont surréalistes, l’image du sang qui coule sur les doigts amène une portée criminelle alors qu’il s’agit juste d’une orange sanguine, les mains crochues sont à la fois une image fantasmée du méchant de conte que l’on devine en filigrane, et une correction de texte, puisque dans le texte originel, on évoquait un "nez crochu", insulte archétypale hautement antisémite qui a été modifiée avant la première interprétation… Le racisme étant déjà assez clairement présent dans la chanson.
Le contexte historique de l’écriture de cette chanson est très important. En effet, nous sommes en France en 1964… Depuis deux ans, des milliers d’Algériens sont venus s’installer en France.
L’orange est donc une chanson qui traite de la peur de l’étranger qui arrive sur les marchés de la belle France. Le fruit, c’est le travail de cueillette et de vente retiré de la main du bon patriote, et la nourriture confisquée de la bouche de sa famille.
Et l’indice sur l’origine algérienne du personnage dessiné par Bécaud et Delanoë, se trouve peut-être dans sa défense : "je cherchais l’oiseau bleu". Cet oiseau bleu, c’est, entre autres, le nom de code d’une opération des services secrets français lors de la guerre d’indépendance d’Algérie. Elle avait pour objectif de détacher de la rébellion algérienne des centaines de Kabyles pour les transformer en commandos clandestins au sein de leur propre front de libération national, à savoir le FLN.
Quand l’interprète, qui incarne l’étranger, dit à la foule – qui finira tout de même par le pendre -, qu’il cherche l’oiseau bleu… Il veut potentiellement se protéger en assurant aux rageux écumants qu’il a été prêt à trahir sa nation d’origine pour être des leurs.
L’orange, une chanson qui dénonce le racisme en le mettant en scène et qu’il est bon de remettre sur le devant de la scène, tant son sujet est encore et bien malheureusement, actuel.
Opération Oiseau bleu
https://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Oiseau_bleu
https://www.rtbf.be/article/lorange-de-gilbert-becaud-une-chanson-qui-denonce-le-racisme-ambiant-dune-france-post-guerre-dalgerie-11205147
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