A quelques jours de l’examen de la proposition de loi visant à abroger le recul de l’âge de départ, la majorité fait feu de tout bois pour éviter un vote, qui aurait toutes les chances d’être positif.
La réforme des retraites telle un sparadrap. En dégainant à la mi-mars l’article 49.3 de la Constitution, qui permet l’adoption d’une loi sans vote, le gouvernement pensait en avoir fini avec ce texte maudit. Le voilà pourtant revenir par une toute petite fenêtre. Celle de la niche parlementaire annuelle du modeste groupe Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires), qui entend défendre le 8 juin une proposition de loi visant à supprimer le recul de l’âge légal de départ à 64 ans.
« Si on en croit la panique générale qui s’empare de la majorité présidentielle, on a toutes les chances de gagner ! », pérore le chef de file dudit groupe, Bertrand Pancher, qui pourrait bien avoir raison. En témoigne la volte-face du président de la République. Après avoir affirmé qu’il « devra y avoir un débat où chacun devra prendre ses responsabilités », le 15 mai dans « l’Opinion », Emmanuel Macron a changé de pied et chargé sa majorité de tout faire pour empêcher le vote du texte, voire la tenue même de ce vote. Quitte à risquer un nouvel embrasement des oppositions, les grandes manœuvres sont lancées.
Le recours à l’article 40
La première ruse s’appuie sur un autre article de la Constitution, le numéro 40, qui interdit toute proposition de loi et amendement qui « aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Or, l’abrogation de la mesure d’âge coûterait au moins 15 milliards d’euros aux finances de l’Etat, selon l’exécutif. Premier problème : le Bureau de l’Assemblée nationale, qui régit le fonctionnement de la Chambre basse et à qui il revient en premier lieu de décréter l’article 40, a déjà validé le texte fin avril, durant les vacances parlementaires, sans trop y prêter attention. Qu’à cela ne tienne, convoquons à nouveau le Bureau à ce sujet, s’est empressée de réclamer la Macronie.
Deuxième problème : malgré les pressions de l’Elysée, de Matignon et des trois groupes de la majorité, Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, élue Renaissance mais soucieuse de son indépendance, s’y refuse pour ne pas créer un dangereux précédent. L’article 89.4 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit bien que cet article 40 puisse également être opposé par le président de la commission des Finances. Mais, troisième problème : le titulaire du poste s’appelle Eric Coquerel, un député Insoumis pas vraiment enclin à faire de cadeau au pouvoir en place.
La suppression en commission
Une nouvelle idée a alors germé ce 23 mai au matin, à Matignon, lors du traditionnel petit-déjeuner de la majorité : faire voter la suppression de l’article 1 de la proposition de loi, celui qui revient sur la mesure d’âge, par la commission des Affaires sociales qui examinera le texte le 31 mai. Le groupe Liot serait alors contraint de réintroduire l’article en question par amendement durant la discussion en séance du 8 juin. Et Yaël Braun-Pivet pourrait alors, de bon droit, l’écarter en le déclarant contraire à l’article 40 de la Constitution.
« L’option est toutefois risquée pour Yaël Braun-Pivet, s’inquiète un cadre de la majorité. Elle serait alors seule à devoir supporter la responsabilité de la décision. » La présidente de l’Assemblée nationale se refuse d’ailleurs à confirmer avoir donné son accord à un tel scénario. Surtout, le stratagème souffre d’un autre écueil majeur : la Macronie n’a pas la majorité à la commission des Affaires sociales, et devrait trouver des alliés dans le camp des Républicains pour parvenir à ses fins. Loin d’être une mince affaire en ces temps politiques incertains…
L’obstruction parlementaire
Mais pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Un autre moyen dilatoire existe pour contrarier un vote : l’obstruction parlementaire. Elle est habituellement l’apanage des oppositions, mais la Macronie ne s’en prive pas depuis que sa majorité n’est plus que relative. Au mois de novembre, les députés de Renaissance mais aussi les ministres présents sur les bancs du gouvernement avaient ainsi multiplié les initiatives pour retarder le vote de la proposition de loi Insoumise visant à réintégrer les soignants non vaccinés contre le Covid.
La technique est enfantine : une niche parlementaire se termine à minuit et il suffit de faire durer les débats jusqu’à l’heure fatidique. « 200 à 300 amendements suffiraient pour ne pas aller au bout de l’examen », a calculé un haut gradé de la majorité. Il faudrait toutefois parvenir à tenir toute la journée, Liot ayant prévu de présenter sa proposition de loi dès le début de la matinée. Les conséquences en termes d’image pourraient aussi s’avérer délétères dans l’opinion publique sur un sujet aussi exposé.
Un vote positif, et après ?
« Si les oppositions se coalisent de façon forte, le vote leur sera acquis », s’alarme-t-on en Macronie. Et tout porte à croire que ce sera le cas. Le groupe Liot devrait pouvoir compter sur l’ensemble des voix de la Nupes et du Rassemblement national. La liberté de vote est laissée aux députés des Républicains, dont 19 avaient voté la motion de censure à l’issue des débats sur la réforme des retraites. Quant à la majorité, certains élus réticents pourraient « avoir piscine ». Pour rappel : seule la majorité simple des présents est nécessaire pour faire passer une proposition de loi.
Un vote positif serait néanmoins loin d’entraîner une suppression immédiate de la mesure d’âge. Le chemin parlementaire pour y parvenir s’avérerait encore long et tortueux. Il est difficilement imaginable que le Sénat, à droite et notoirement favorable à la réforme des retraites, approuve également la proposition de loi. Sans commission mixte paritaire, chargée de régler les désaccords entre les deux assemblées, la navette pourrait durer éternellement. Or, sa convocation est du ressort de la Première ministre ou des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, tous opposés au texte de Liot. Mais le président du petit groupe parlementaire fait le pari qu’un « tremblement de terre politique » ne pourrait rester sans conséquence. En cas de victoire le 8 juin, Bertrand Pancher a déjà prévu de réclamer l’organisation d’un référendum à Emmanuel Macron.
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