Reinette l’Oranaise ne s’écoute pas comme n’importe quelle artiste. Sa voix mélodieuse se déguste sans modération et s’écoute avec recueillement. Son timbre de diva donnerait des frissons à un glaçon ! Avec Lili Boniche et Lyne Monty, elle fait partie de ces grands trésors du patrimoine judéo-arabe disparus de la mémoire collective.
Les tubes de Reinette transpirent une intemporalité avérée puisqu’elle y parle de sujets universels tels que l’amour et les incantations religieuses. À noter que le grand classique nhebek, wa n’mout a3lik (je t’aime à mourir), lequel totalise près d’un million de vues sur YouTube, a été repris par Naima Dziria avec la même puissance vocale que la version originale ! À signaler cependant que les paroles ont été quelque peu « hallalisées ». Par exemple, le vers original « lila t’seker m3aya » (cette nuit, tu te grisera avec moi) a été remplacé par « lila t’ebkaw m’3aya » (cette nuit, vous resterez avec moi).
Biographie (*)
Reinette l’Oranaise est une chanteuse, joueuse de oud et compositrice judéo-arabe, d’expression arabe et française, née le 25 avril 1915 à Tiaret. Elle est morte le 17 novembre 1998 à Eaubonne (Val-d’Oise, en île de France).
Elle fut pendant plus d’un demi-siècle une représentante de la tradition hawzi.
Enfance
Atteinte de cécité à l’âge de deux ans, à la suite d’une variole mal guérie, elle fréquente l’école des aveugles d’Alger où elle apprend le braille et le cannage des chaises.
Son père s’adresse alors à Saoud l’Oranais pour qu’il initie sa fille à la musique arabo-andalouse. Elle est accueillie chez lui et prend le surnom Reinette l’Oranaise.
Initiation
Reinette enregistre son premier 78 tours — dont elle dira plus tard peiner à l’écouter « à cause des fautes de diction » — en même temps qu’elle intègre l’orchestre de Saoud Médioni (qui émigrera à Paris pour y pour monter un café musical et sera, quelques années après, victime de la barbarie nazie, mort en déportation).
L’apprentissage instrumental passe de la darbouka et la mandole à l’oud qui accompagne désormais son chant. Elle s’inscrit ainsi dans la tradition de la musique oranaise, y puisant son inspiration pour écrire et composer.
À 26 ans, le succès est au rendez-vous. Elle joue deux fois par semaine à Radio-Alger, à l’antenne des artistes les plus connus du chaâbi algérois et du répertoire andalou.
Consécration
Elle est accompagnée de musiciens tels que le virtuose Mustapha Skandrani au piano, Alilou à la darbouka, Abdelghani Belkaïd au violon. Elle interprète, à l’instar des plus grandes voix de la chanson populaire et de la musique savante du Maghreb : Fadela Dziria, Meriem Fekkaï, Alice Fitoussi, Zohra al-Fassia, Abdelkrim Dali, Dahmane Ben Achour. Reinette l’Oranaise accompagne aussi le maître du chaâbi, Hadj El Anka.
Elle continue à exercer son art musical à l’occasion de fêtes juives et musulmanes, mariages, circoncisions, anniversaires. Comme juive séfarade, elle est même autorisée à chanter dans un orchestre d’hommes. Son nouveau maître de chant, le cheikh Abderrahmane Belhocine, lui donne des cours d’arabe classique et lui fait travailler la diction.
Oubli avant une reconnaissance tardive
Comme la plupart des Juifs d’Algérie (plus de cent mille), Reinette quitte l’Algérie en 1962. Commence alors pour elle une longue période de repli, quasiment d’oubli et de grande solitude. En 1985, Reinette, à l’approche de ses 70 ans, ne songe plus qu’à cultiver ses souvenirs. Il faudra toute la ténacité de Hoummous, alors journaliste musical à Libération, grand fan de Reinette, et l’appui d’une génération de mélomanes français pour la convaincre de remonter sur scène.
En 1987, elle tourne un court film musical : « Amours éternelles », avec le grand pianiste algérien Mustafa Skandrani (sélection au Festival de Cannes).
En 1991, Jacqueline Gozland lui consacre un long métrage documentaire : « Le port des amours » coproduit et édité par la chaîne de télévision ARTE. Une amitié se noue entre elles.
En 1995, Reinette l’Oranaise vit en banlieue parisienne, aux côtés de son époux, Georges Layani, un percussionniste. Elle est alors couronnée par l’Académie Charles-Cros et est reconnue par les Algériens de la tradition du style hawzi.
Devenue une légende de la chanson judéo-arabe, sa voix s’éteint à Paris, le 17 novembre 1998 à l’âge de 83 ans.
(*) https://fr.wikipedia.org/wiki/Reinette_l%27Oranaise
Kacem Madani
mercredi 23 novembre 2022
https://lematindalgerie.com/patrimoine-judeo-arabe-hommage-a-reinette-loranaise/
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