Il y a cinquante ans, nous appelions ce mausolée le Tombeau de la Chrétienne. Aujourd’hui, pour les Algériens, il est devenu le mausolée royal de Maurétanie.
Etrange mausolée qui surplombe le rivage de Tipasa : un cylindre surmonté d'un cône de trente-sept gradins et qui atteint trente-trois mètres de haut. Le monument se dresse sur une des collines du Sahel , au-dessus de la mer.
Il n'a jamais abrité de dépouille de chrétienne puisqu'il est antérieur à Jésus-Christ.
Nelly Floirat :
"Nous entrons dans le tombeau par la porte de l'est. Le gardien allume l'électricité. Deux lions en relief à l'entrée du couloir bas qui donne accès au long couloir à la voûte annulaire menant en colimaçon, au centre, à la chambre du tombeau. Vide. Le tombeau dit de la Chrétienne était-il pour Cléopâtre, épouse de Juba II, roi de Numidie ? Mais ce tombeau est une "basina" d'avant Jésus-Christ. On ne sait qui y a été enterré."
Les battants de la porte, en forme de croix, ont fait donner son surnom à ce tombeau. En fait, on y chercha un trésor, pendant des siècles. Mais le secret, derrière les murs et leurs soixante colonnes ioniques fut bien gardé. C'est Louis-Adrien Berbrugger, fondateur du musée d'Alger, qui y pénétra le premier. Le tombeau était, hélas, vide. Comme en Egypte, les pilleurs de tombes l'avaient peut-être devancé.
Des petits Arabes nous vendaient des colliers de jasmin et nous donnaient leur rire en prime. Que sont-ils devenus ?
Il me reste des images, des photos que je garde jalousement.
Je m'accroche à ces vers de Maurice Gleize que je n'ai jamais étudié là-bas. Les programmes de nos écoles étaient strictement français.
Ce sont jasmins couverts de leurs blanches étoiles
Mêlés aux longs rameaux de lauriers roses pâles,
Un captivant parfum s'exhale des buissons,
L'atmosphère est chauffée avec les forts rayons
D'un soleil généreux. Ici j'aimerais vivre
Loin du monde et ses bruits puisqu'au calme j'aspire.
Des petits Arabes nous vendaient des colliers de jasmin.
Visite au tombeau de la Chrétienne. Jean-Claude tout à fait à gauche, et moi, en haut, tout à fait à droite.
J'ai envie de soupirer, comme Gide :"Oh! Si le temps pouvait remonter vers sa source ! Et si le passé revenir !"
Lisons José Lenzini dans
L’Algérie de Camus ( éd. Edisud) :
"Tipasa est une fête. C'est toujours avec la même joie complice et partagée qu'on se retrouve vers sept heures trente sur le bastion, à hauteur de l'hôtel "Aletti".
Le voyage en autocar dure près d'une heure et demie.
"En fait, ça n'était jamais très long", se souvient le sculpteur Louis Benisti. "Nous avions toujours énormément de choses à nous raconter. Même si nous nous étions vus la veille. Les souvenirs ne manquaient pas quand nous longions la Pointe-Pescade, les Bains Romains. C'était déjà un appel de la plage. N'allez pas vous imaginer que Camus jouait les philosophes. Il adorait nous raconter des blagues et ne détestait pas, à l'occasion, retrouver l'accent pataouète de Cagayous."
Au delà de Sidi-Ferruch, de Zeralda, de Castiglione, on dépasse sur la gauche, l'énigmatique "tombeau de la Chrétienne" sur lequel, à l'époque, on colporte pas mal de légendes."
Albert Camus - Jean Sénac
ou le fils rebelle de Hamid Nacer-Khoja
Un extrait de l'émission littéraire :
"Un poète de la joie de vivre : Albert Camus"
(lundi 24 octobre 1949 à 20 h 30).
« Chez Camus, comme chez tous les inquiets, il y a un moment où la tension se relâche, où le cœur l'emporte sur l'esprit, il y a le temps de la "distraction". Alors le philosophe s'oublie, il oublie de couper les cheveux en quatre. Il entre nu dans l'eau et sourit au soleil, il chante, il est poète. Son "appétit de clarté" se satisfait des fleurs, du sable, d'un corps tiède. Le contrôle des mots s'arrête ou commence la liberté de jouir. Le voici "réconcilié". Le "silence déraisonnable du monde" fait place à la réponse prodigue des routes vers la mer et des lèvres charnues."
http://tipasa.eu/z_tipasa/tombeau_02.html
Derrière la stèle, « au fond du paysage, pouvons-nous voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s'ébranle d'un rythme sûr et pesant pour aller s'accroupir dans la mer. »
Albert Camus.
Dernière page de La mort heureuse :
Tout le grand Camus est là. Alors lire lentement, respirer profondément, fermer les yeux, rêver.
« Le matin qui pointa fut plein d'oiseaux et de fraîcheur. Le soleil se leva rapidement et d'un bond fut au-dessus de l'horizon. La terre se couvrit d'or et de chaleur. Dans le matin le ciel et la mer s'éclaboussait de lumières bleues et jaunes, par grandes taches bondissantes. Un vent léger s'était levé et par la fenêtre un air à goût de sel venait rafraîchir les mains de Meursault. A midi le vent cessa, la journée éclata comme un fruit mûr et sur toute l'étendue du monde, elle coula en jus tiède et étouffant, dans un concert soudain de cigales. La mer se couvrit de ce jus doré comme d'une huile et renvoya sur la terre écrasée de soleil un souffle chaud qui l'ouvrit et laissa monter des parfums d'absinthe, de romarin et de pierre chaude. De son lit, Mersault perçut ce choc et cette offrande et il ouvrit les yeux sur la mer immense et courbe, rutilante, peuplée des sourires de ses dieux. Il s'aperçut soudain qu'il était assis sur son lit et que le visage de Lucienne était tout près du sien. En lui montait lentement, comme depuis le ventre, un caillou qui cheminait jusqu'à sa gorge. Il respirait de plus en plus vite, profitant des passages. Cela montait toujours. (...)
"Dans une minute, une seconde", pensa-t-il. La montée s'arrêta. Et pierre parmi les pierres, il retourna dans la joie de son cœur à la vérité des mondes immobiles.
Cette dernière page est peut-être venue d’un seul jet, mais non, je n’y crois pas. Elle a été travaillée avec beaucoup de soin, seulement la grande maîtrise de l’écrivain a effacé le travail. C’est aussi cela le talent.
Stèle élevée à la mémoire de Camus par ses amis, dont le sculpteur Louis Benisti qui en grava le texte en 1961.
Cliché J.-P. Benisti.
Et pierre parmi les pierres, il retourna dans la joie de son cœur à la vérité des mondes immobiles.
http://tipasa.eu/z_tipasa/tombeau_02.html
.
Les commentaires récents