Camus :
"L'enfance violente, les rêveries adolescentes dans le ronronnement du car, les matins, les filles fraîches, les plages, les jeunes muscles toujours à la pointe de leur effort, la légère angoisse du soir dans un cœur de seize ans, le désir de vivre, la gloire, et toujours le même ciel au long des années, intarissable de force et de lumière, insatiable lui-même, dévorant une à une, des mois durant, les victimes offertes en croix sur la plage, à l'heure funèbre de midi. Toujours la même mer aussi, presque impalpable dans le matin, que je retrouvais au bout de l'horizon dès que la route, quittant le Sahel et ses collines aux vignes couleur de bronze, s'abaissant vers la côte."
Camus :
"Ecrire, c'est se désintéresser. Un certain renoncement en art. Réécrire. L'effort qui apporte toujours un gain, quel qu'il soit. Question de paresse pour ceux qui ne réussissent pas".
Mon commentaire retrouvé dans mes notes : Aujourd’hui, si je devais partir sur une île déserte avec seulement trois livres, lesquels emporterais-je ? Voici : Les nourritures terrestres d'André Gide. Aux fontaines du désir / La petite infante de Castille d'Henry de Montherlant. Les Noces / L'été d'Albert Camus.
Mauvais goût ? Allez, permettez-moi donc de rajouter Le voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline.
La grande basilique que l’on aperçoit en haut, tout à fait à gauche.
Sur cette photo, la grande basilique semble très loin comme si les ruines couvraient une très grande surface. J'ai envie de parler d'une illusion d'optique. Que de fois ai-je pris ces petits chemins qui menaient à la mer ? Ah, le bonheur, pensais-je, était humain ! Je marchais vite, la gorge sèche. Je voulais, souvent en vain, faire partager mon bonheur à tous ceux qui m'accompagnaient.
Je n'avais pas encore lu La mort heureuse puisque ce roman a été publié en 1971. J'ignorais jusqu'à son existence. Je sais (je sais depuis le jour où j'ai eu cet ouvrage entre les mains) que ce roman n'est pas une réussite, qu'il est "raté".
Camus aurait dû s'en tenir au récit, à la première personne donc. Il n’a pas tenté de composer des dialogues. Il avait vu la difficulté. Dans L’Etranger, les dialogues rapportés glissent sans heurt et illustrent bien le récit.
Il s'est "planté" comme on dit aujourd'hui et il a bien vu ses lacunes puisqu'il a refusé la publication. Quant à la prose, c'est du grand Camus. Merci à la famille et aux éditeurs qui ont permis cette parution que les spécialistes adorent décortiquer.
Je lis : « Il s'agit de la première entreprise romanesque d'Albert Camus, élaborée entre 1936 et 1938 (époque à laquelle il écrivait L'Envers et l'Endroit et Noces). Il travaillait encore à la remanier lorsque se forma en lui le premier projet de L'Etranger, auquel il ne tarda pas à se consacrer entièrement. On aurait tort de voir dans La mort heureuse, une première version de L'Etranger, malgré la similitude du nom des héros.
Le thème de ce premier roman est la recherche têtue du bonheur, fût-ce au prix d'un crime ? Ses péripéties sont nourries de l'expérience d'une jeunesse difficile et ardente, pauvreté, maladie, voyages en Europe centrale et en Italie, vie communautaire sur les hauts d'Alger. »
J’ai trouvé ces notes sur la couverture du "roman" La mort heureuse.
Camus et sa Mort heureuse :
« Le bonheur était humain et l'éternité quotidienne. Le tout était de savoir s'humilier, d'ordonner son cœur au rythme des journées au lieu de plier le leur à la courbe de notre espoir.
De même qu'il faut savoir s'arrêter en art, qu'un moment vient toujours où une sculpture ne doit plus être touchée et qu'à cet égard une volonté d'inintelligence sert toujours plus un artiste que les ressources les plus déliées de la clairvoyance, de même il faut un minimum d'inintelligence pour parfaire une vie dans le bonheur. A ceux qui ne l’ont pas de la gagner. »
Jean Campardon dont le beau-père est allé au lycée Bugeaud avec Albert Camus, nous envoie une photo du Chenoua et de la campagne environnante.
Camus et La mort heureuse :
"C'était le début de l'après-midi et, comme il avait plu dans la matinée, la baie tout entière était comme une vitre lavée et le ciel comme un linge frais. Tout en face, le cap qui terminait la courbe de la baie se dessinait avec une merveilleuse pureté et, doré par un rayon de soleil, il s'allongeait dans la mer comme un grand serpent d'été. Patrice avait fini de boucler ses valises et maintenant, les bras contre le portant de la fenêtre, il regardait avidement cette nouvelle naissance du monde."
Voici le style d'Albert Camus lorsqu'il avait 46 ans (Le premier homme) :
"La ville en vérité s'arrêtait là, et la douce compagne du Sahel commençait avec ses coteaux harmonieux, des eaux relativement abondantes, des prairies presque grasses et des champs à la terre rouge et appétissante, coupés de loin en loin par des haies de hauts cyprès ou des roseaux. Des vignes, des arbres fruitiers, du maïs croissaient en abondance et sans grand travail. Pour qui venait de la ville et de ses bas quartiers humides et chauds, l'air était vif de surcroît et passait pour bénéfique. "
Le Camus des années quarante :
"Mars.
Journée traversée de nuages et de soleil. Un froid pailleté de jaune. Je devrais faire un cahier du temps de chaque jour. Ce beau soleil transparent d'hier. La baie tremblante de lumière - comme une lèvre humide. Et j'ai travaillé tout le jour.
Hier. Le soleil sur les quais, les acrobates arabes et le port bondissant de lumière. On dirait que pour le dernier hiver que je passe ici, ce pays se prodigue et s'épanouit. Cet hiver unique et tout éclatant de froid et de soleil. Du froid bleu. Lucide ivresse et dénuement souriant - le désespoir dans la virile acceptation des stèles grecques. Qu'ai-je besoin d'écrire ou de créer, d'aimer ou de souffrir ? Ce qui est dans ma vie est perdu n'est au fond pas le plus important. Tout devient inutile. Ni le désespoir ni les joies ne me paraissent fondés en face de ce ciel et de la touffeur lumineuse qui en descend."
Laissons Camus l’espace de quelques lignes et retournons vers les temps anciens, là-bas. Ah, cette photo des jours heureux ! Jean-Claude en pull-over et moi vêtu d'un gros manteau. C'était un peu la fin de l'hiver que nous prenions en photo sur le port de Tipasa. Nous n'étions pas les acrobates arabes dont parle Camus. Nous partions le dimanche à la recherche de l'élixir de jouvence à Tipasa et nous aimions même ce froid soleil de la fin de l'hiver.
A propos des acrobates arabes, je lis : « L'homme qui parlait au soleil (A propos de Camus) on lui aura aussi constamment et régulièrement reproché le fait que tout au long de son œuvre romanesque, les Arabes ne furent jamais désignés et décrits que comme des sortes d'ombres, des toiles de fond, sans consistance, ni essence propre. » Ce sont des mots de Malik Bellil.
Nous n’étions pas les acrobates arabes. Les imitions-nous peut-être ?
Je réponds à Malik : Non, l'ai-je déjà dit ? Dans son récit L'Etranger, l'Arabe avait un des premiers rôles. Il le met en valeur, « sa » valeur … et il le tue !
Ne me dites pas, Malik, que Camus n'aimait pas ou ne voyait pas les Arabes. Il les voyait comme un Français de là-bas parce que nous vivions entre nous, c'est tout. Nous ne ferons pas l'Histoire de l'Algérie française. Elle est douloureuse. Elle est passée et dépassée. J'avais 18 ans à Alger et j'entendais les critiques dont le but était de démolir Camus. On ne refera ni les Arabes et ni les Français d'Algérie. Il y a eu des injustices, oui ! Nous avons été chassés de notre pays, encore oui. Nous avions été prévenus mais une véritable intégration était donc impossible en mélangeant les deux religions ou sans les mélanger? Eh bien je crois que c’était encore non car nous ne voulions pas nous immiscer chez ceux dont les mœurs et les coutumes étaient différentes des nôtres. (Les mœurs ? Un grand mot. Devrais-je dire les mêmes habitudes, une autre moralité, une nature différente ? Nous n’avions pas les mêmes fêtes, les mêmes vêtements, les mêmes couleurs, la même cuisine, pas toujours la même langue. Nous limitions le nombre de nos enfants, la polygamie est interdite en France (Elle l’était aussi en Algérie du temps de la France). Nous ne voilions pas nos femmes. L’église catholique n’accepte pas les mutilations sexuelles comme la circoncision…) En Algérie, deux mondes se côtoyaient. Deux mondes qui auraient pu s’entendre ?
Regrets éternels.
Lorsque nous parlions des indigènes du pays, nous les nommions «des Arabes » et leurs femmes étaient « des Mauresques ». Pour les Arabes, nous étions des « Roumis » ou des « Gaouris » (1) D’usage courant au Maghreb, surtout en Tunisie, gaouri désigne l’Occidental, l’Européen, le chrétien, parfois le mécréant. Arrivé en Afrique du Nord au moment de la domination ottomane, le terme vient du turc gavur (qui désigne le cochon = l'infidèle !).
Langage courant. Rien de péjoratif. Nous allions acheter des raviolis chez l’Italien, de la bonne charcuterie chez l’Espagnol, des vêtements chez le Juif du coin et les légumes chez l’Arabe. Nous ne voyions rien qui pût choquer les bonnes consciences. C’était notre façon de nous exprimer. Lorsque je suis arrivé à Paris en 1962, j’ai tout de suite vu que le vocabulaire des Français métropolitains était un peu différent alors j’ai essayé de surveiller mon langage. J’ai eu du mal à distinguer le bien du mal ou le bon du mauvais. Ainsi les habitants de nos anciennes possessions et protectorats du Maghreb n’étaient pas des Arabes mais des Nord-Africains ou nous tournions autour du pot pour les désigner. Je sais qu’aujourd’hui, pour bien nous exprimer, il nous faut dire « Maghrébins » et dans les cités, ce sont des « jeunes » ou des « bandes ethniques » qui sévissent.
Depuis Vatican II j’ai perdu mes petites notions de latin. J’ai gardé mon anglais parce que je l’ai toujours beaucoup pratiqué. Il me faudra faire un effort pour maintenir mes expressions de là-bas. Autrefois, dans les rues de Paris, nous nous reconnaissions à notre accent :
-Tu es d’où ? De Boufarik. Ah, moi je suis d’Alger.
Pourtant, je sens bien que « l’accent s’en va, madame, l’accent s’en va… Las l’accent ! Non, mais nous nous en allons. »
Mes photos de Tipasa constituent un trésor pour moi, le redirai-je ? J’ai été très heureux sur le littoral algérois mais je regardais souvent vers le nord parce que je me sentais Français d’abord. Dans ma famille, nous ne goûtions pas le charme des objets de cuivre, des bijoux kabyles ni des gros tapis de Tlemcen. Le parfum des fleurs de jasmin donnait, disait-on, mal à la tête. Trop fort. C’était l’odeur des jardins arabes. Maintenant je vais chercher la Méditerranée au sud de l’Europe et lorsque le vent effleure ma peau, je devine qu’il vient de là-bas.
Lorsque nous parlions des indigènes du pays, nous les nommions «des Arabes » et leurs femmes étaient « des Mauresques ».
J’aimais ce coin.
Mes photos de Tipasa constituent un trésor pour moi, le redirai-je ?
ne "signature" à Alger, chez le libraire Edmond Charlot. Debout : Jules Roy et Gabriel Audisio ; assis : Janine Montupet et Camus
http://tipasa.eu/z_tipasa/ete_11.html#:~:text=Lorsque%20nous%20parlions%20des,vient%20de%20l%C3%A0%2Dbas.
Aujourd'hui, je préfère entendre Jeanine de la Hogue et dans ma tête coulent des larmes lorsqu'elle me dit à voix basse :"On pleure le paradis perdu, on veut se souvenir du bonheur, mais c'est souvent la souffrance qui vient en surface, qui trouble l'image comme une pierre lancée dans un lac paisible et qui n'en finit pas d'étendre ses cercles."
Camus :
"Alors je pensais désespérément à ma ville, au bord de la Méditerranée, aux soirs d'été que j'aime tant, très doux dans la lumière verte et pleins de femmes jeunes et belles. Depuis des jours, je n'avais pas prononcé une seule parole et mon cœur éclatait de cris et de révolte contenus. J'aurais pleuré comme un enfant si quelqu'un m'avait ouvert ses bras."
J'éprouve l'impérieux désir de remonter vers la période de mon enfance. Ainsi l'été, le soir tard lorsque nous étions en vacances sur le littoral, du côté de Tipasa, j'admirais en présence de mon père, la voûte du ciel et je m'extasiais devant les milliers d'étoiles qui tiraillaient mon imagination et représentaient pour moi, une foule de mondes mystérieux. Mon père m'expliquait que beaucoup d'étoiles n'étaient que des astres morts et que nous n'apercevions que leur passé. Je comprenais mais j'étais intrigué.
Aujourd'hui Tipasa n'a pas disparu de la carte du Maghreb et ma dernière visite date d’il y a trente ans. Trente ans ! Je me surprends les soirs d'été à écraser des feuilles de santoline, cette indispensable plante de mon jardin dont la fragrance me permet de retrouver l'odeur des absinthes qui couvraient les ruines de leur laine grise. Certes, j'adule et je célèbre toujours Tipasa que j'évoque encore et encore, mais je sais bien qu'aujourd'hui j’encense un astre mort.
Camus :
"Alors je pensais désespérément à ma ville, au bord de la Méditerranée, aux soirs d'été que j'aime tant, très doux dans la lumière verte et pleins de femmes jeunes et belles. Depuis des jours, je n'avais pas prononcé une seule parole et mon cœur éclatait de cris et de révolte contenus. J'aurais pleuré comme un enfant si quelqu'un m'avait ouvert ses bras."
J'éprouve l'impérieux désir de remonter vers la période de mon enfance. Ainsi l'été, le soir tard lorsque nous étions en vacances sur le littoral, du côté de Tipasa, j'admirais en présence de mon père, la voûte du ciel et je m'extasiais devant les milliers d'étoiles qui tiraillaient mon imagination et représentaient pour moi, une foule de mondes mystérieux. Mon père m'expliquait que beaucoup d'étoiles n'étaient que des astres morts et que nous n'apercevions que leur passé. Je comprenais mais j'étais intrigué.
Aujourd'hui Tipasa n'a pas disparu de la carte du Maghreb et ma dernière visite date d’il y a trente ans. Trente ans ! Je me surprends les soirs d'été à écraser des feuilles de santoline, cette indispensable plante de mon jardin dont la fragrance me permet de retrouver l'odeur des absinthes qui couvraient les ruines de leur laine grise. Certes, j'adule et je célèbre toujours Tipasa que j'évoque encore et encore, mais je sais bien qu'aujourd'hui j’encense un astre mort
Sur la route de Tipasa, la route qui va, qui va, qui va et ne revient pas ...
Des absinthes couvraient les ruines de leur laine grise.
https://tipasa.eu/z_tipasa/ete_12.html#:~:text=Lorsque%20nous%20parlions%20des,vient%20de%20l%C3%A0-bas.
Albert Camus. L'exil et le royaume.
« Dans les épaisseurs de la nuit sèche et froide, des milliers d'étoiles se formaient sans trêve et leurs glaçons étincelants, aussitôt détachés, commençaient de glisser insensiblement vers l'horizon. Janine ne pouvait s'arracher à la contemplation de ces feux à la dérive. Elle tournait avec eux, et le même cheminement immobile la réunissait peu à peu à son être le plus profond, où le froid et le désir maintenant se combattaient. Devant elle, les étoiles tombaient, une à une, puis s'éteignaient parmi les pierres du désert, et à chaque fois Janine s'ouvrait un peu plus à la nuit. »
Camus encore dans L’été : « Je m'obstinais pourtant, sans trop savoir ce que j'attendais, sinon, peut-être le moment de retourner à Tipasa. Certes, c'est une grande folie, et presque toujours châtiée, de revenir sur les lieux de sa jeunesse et de vouloir revivre à quarante ans ce qu'on a aimé ou dont on a fortement joui à vingt. Mais j'étais averti de cette folie. »
Albert Camus. La mort heureuse.
Sur la route de Tipasa :
« Au petit matin, la voiture de Mersault roulait sur la route du littoral avec ses phares en veilleuse. En sortant d'Alger, il avait rattrapé et doublé les voitures de laitier, et l'odeur des chevaux, faite de sueur chaude et d'écurie, lui avait rendu plus sensible la fraîcheur du matin. Il faisait encore noir. Une dernière étoile fondait lentement au ciel, et sur la route luisante dans l'obscurité, il percevait seulement le bruit de bête heureuse du moteur et quelquefois un peu plus loin, le trop d'un cheval et le vacarme cahotant d'une voiture pleine de bidons, jusqu’à ce que lui devienne perceptible, sur le fond noir de la route, le quadruple éclat des fers luisants aux pieds du cheval. Puis tout s'évanouissait dans le bruit de la vitesse. Il allait plus vite maintenant et la nuit virait rapidement au jour.déserts tout à l'heure, se réveillaient pleins d'oiseaux et d'insectes au vol rouge. »
Regarder les photos et lire encore Camus :
"Il semble que les Oranais soient comme cet ami de Flaubert qui, au moment de mourir, jetant un dernier regard sur cette terre irremplaçable, s'écriait : "Fermez la fenêtre, c'est trop beau."
Et le relire:
Carnets 1939-1942. Pas de date. Entre septembre et novembre 1941.
La mort de Le Poitevin, l'ami de Flaubert.
"Fermez la fenêtre ! C'est trop beau."
En promenade dans les ruines
En sortant d'Alger, il avait rattrapé et doublé les voitures de laitier...
Fermez la fenêtre ! C'est trop beau.
https://tipasa.eu/z_tipasa/ete_13.html#:~:text=Lorsque%20nous%20parlions%20des,vient%20de%20l%C3%A0-bas.
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