Monique Hervo avait consigné la mémoire des bidonvilles algériens, avant de prendre la nationalité algérienne. On a appris sa mort le 20 mars.
A la date du 16 juillet 1961, une Française de trente-et-un ans née dans une famille de petits commerçants pas vraiment militants avait inscrit dans son "Journal" des phrases comme : "La journée de dimanche fut très particulière : attente, angoisse, calme de surface.“ Evoquant les harkis qui s'étaient installés dans les allées du bidonville de Nanterre, cette jeune femme qui venait de dédier sa vie à la cause de l'indépendance algérienne mais que personne encore ne connaissait, poursuivait encore : "On les rencontrait à tous les coins, à tous les détours des baraques. Pas l'animation habituelle du dimanche. Allée des célibataires : pratiquement désertes. Ailleurs, aussi, chez les familles, on n'entendait pas les postes arabes qu'on entend d'habitude de partout". Un feu couvait ce dimanche de juillet, qui se révèlera meurtrier, quelques semaines plus tard, lorsque des Algériens seront jetés à la Seine, le 17 octobre 1961. Cette date sera la plus traumatique de la guerre d'Algérie sur le sol de métropole, et pourtant elle restera, des décennies durant, l'ornière d'une mémoire enfouie, d'une histoire taboue, et l'évidence muette de responsabilités dérobées.
Parcourir le "Journal" que tenait, les semaines précédentes, cette jeune femme qui s'appelait Monique Hervo, c'est remonter le film et mieux comprendre la séquence. C'est prendre la mesure du sort que la France faisait à ces Algériens qui le 17 octobre 1961, avaient défié la police en manifestant pacifiquement à Paris contre le couvre-feu qu'on venait de leur imposer. Un grand nombre d'entre eux étaient partis du bidonville de Nanterre, où ils vivaient par milliers, pour rejoindre l'Opéra, les "grands boulevards", et ce Paris qui au fond n'était pas le leur. Le lendemain, à la date du 18 octobre, Monique Hervo, la jeune femme, écrivait dans son "Journal" : "Sorties de l’hôpital de Nanterre – Aux lendemains de la manifestation les blessés par balle, à la sortie de l’hôpital, voient donner leur bulletin de sortie directement remis à la police qui "cueille" le blessé et l’emmène, croit-on savoir, pour trois ou quatre jours à Vincennes. D’ailleurs dans tous les hôpitaux, la police consulte la liste des arrivées et sorties des Algériens. C’est classique. C’est d’ailleurs pour cette raison que la majorité n’ira pas se faire soigner à l’extérieur, même dans un dispensaire, de peur de se faire arrêter. A la Folie, dans toutes les baraques des célibataires, il y a des blessés, même gravement atteints, des fractures." Le texte se poursuit, il comble un manque.
A posteriori, l'archiviste Anne-Marie Pathé décrira ces liasses de documents qui datent de 1961 comme des "prémices”. Car avec le recul du temps, ce journal et quantités d'autres archives produites par cette jeune trentenaire nous racontent rien moins que le 17 octobre 1961 en train de poindre à l’horizon. C’est-à-dire, la répression policière des Algériens dans cette France d’avant les accords d’Evian, où les autorités entendaient circonscrire l’activité politique de ceux qu’on appelait encore “musulmans d’Algérie” .
Changer l'histoire de bain
Entre le début de la guerre d’Algérie, en 1954, et le cessez-le feu, en 1962, le nombre d’Algériens sur le sol de métropole avait spectaculairement augmenté, passant de quelque 211 000 à environ 350 000 personnes (selon les chiffres du Musée de l’histoire de l’immigration). Plus d'un était arrivé avec pour seule destination, griffonnée sur un coin de papier de l'autre côté de la Méditerranée, ces mots : “Nanterre, la Folie” . A une poignée de kilomètres de l'Arc de triomphe, "La Folie" n'avait rien d'un paradis : vu de plus près, c'était un bidonville. Mais souvent, là-bas, ça ne se savait pas. Ce sont ces hommes et ces femmes qui se découvrent dans ces “prémices” jalonnés, douze années durant, par Monique Hervo. Grande dame de la mémoire algérienne, elle qui pourtant était française, avait décidé d'enregistrer la trace de cette histoire. Alors qu’on a appris la mort de cette militante infatigable, le 20 mars 2023, c’est à leur histoire à eux tous qu'on accède en suivant sa trajectoire à elle, née à Paris dix ans avant la Seconde guerre mondiale qu’on accède en suivant sa trajectoire à elle, née à Paris dix ans avant la Seconde guerre mondiale. On peut désormais aller au Campus Condorcet, et consulter les seize cartons qui sont consignés dans un fonds à son nom à l’Humathèque, la bibliothèque de sciences humaines et sociales du nouveau campus universitaire au nord-est de Paris. C’est là que plusieurs laboratoires ont déposé leurs archives. Or Monique Hervo, en 2008, avait fait don à l’Institut d’histoire du temps présent de ses archives, auxquelles Anne-Marie Pathé et l’historien Jim House avaient mis de l’ordre pour que justement elles soient exploitables.
Le fonds Monique Hervo, en effet, est riche et surtout, utile. Empruntant ces “prémices”, on suit à la fois une répression en train de se faire, et en même temps l’ordinaire de la relégation en marche. Se dévoilent alors quelques hectares en lisière de capitale qui paraissent inouïs et dont pourtant tout le monde connaissait l'existence. Ce sont ces vies anonymes qui soudain se déploient derrière un nom et les prénoms d'enfants en grand nombre, au travers de descriptions de logements, une pièce tout compris, et puis encore quand il est question des maladies, des papiers, du travail, des promesses, ou de la trace de ce qu’on a laissé derrière et soi et qui souvent ne se dit pas.
Pénétrer dans les archives de Monique Hervo, c'est plonger dans le petit quotidien du bidonville de Nanterre, qui en cette fin des années 1950 abritait environ deux tiers d’Algériens et un tiers de Marocains. C'est aussi se rendre à l'évidence de l'intensité de la surveillance policière, et de tout ce que la préfecture avait pu sous-traiter à ces harkis qui, par dizaines, avaient été missionnés là pour faire respecter l'ordre colonial. Un jour au mois de septembre 1961, des Algériens qui occupaient un vieil hôtel modeste de Nanterre avaient été délogés, envoyés en centre de tri : c’est un poste de surveillance confié aux harkis qu’on avait installé là où ils dormaient, là où ils vivaient. Monique Hervo l'avait écrit, elle avait tout décrit. Dans le journal que tenait la jeune femme, les jours se suivent, et le 17 octobre 1961 approche à la cadence sourde d’un massacre dont, à la lire, on ne peut s’empêcher de se dire qu’il ne devait pas tant que ça au hasard.
Ce "Journal" est désormais une pièce centrale parmi les cartons d’archives du fonds Monique Hervo, et une source d’histoire féconde. L’historienne Muriel Cohen, par exemple, a soutenu en 2013 une thèse largement nourrie par les documents de Monique Hervo, qui s’intitulait “Des familles invisibles : politiques publiques et trajectoires résidentielles de l’immigration algérienne (1945 - 1985)”, dont vous pouvez retrouver l’essentiel dans un livre paru aux éditions de la Sorbonne en 2020.
Du scoutisme au bidonville
Mais bien avant d'être une source pour mieux faire l'histoire et combler ses creux et ses fossés, dans les années 1960 et 1970, ces papiers avaient déjà compté parmi les très rares traces d’un monde négligé. Au présent. Car Monique Hervo n’était pas historienne, même si c’est dans des archives académiques qu'on retrouve désormais sa trace. Après la Libération, c’est aux Arts Déco de Grenoble, puis aux Beaux-Arts de Paris, qu’elle avait fait ses études. Mais elle qui faisait du scoutisme avait participé, à la fin de la guerre, à l’accueil des déportés de retour à Paris. De cette permanence logée gare de l’Est sur le coup de ses seize ans, l'ancienne guide fera finalement une vocation : dix ans plus tard, on la retrouve, investie dans l’alphabétisation des travailleurs nord-Africains, à donner des cours du soir.
Sa vie en sera changée pour de bon : d’abord volontaire bénévole au Service civil international, elle finira par y rester comme salariée. Nous sommes au seuil des années 1960, et autour de Paris, un no-man’s land à des années-lumière des villes nouvelles se hérisse de bidonvilles. C’est là qu’on loge la main d’œuvre algérienne, une décennie ans avant mai 1968, qui naîtra à l'université de Nanterre à peine sortie de terre, entre les grues. Dix ans plus tôt, Monique Hervo s'était déjà installée dans les baraquements.
Inventer des archives
Monique Hervo avait mis les pieds à "Nanterre-La Folie" en 1959 pour la toute première fois. Elle avait lu dans France Soir qu’un incendie avait ravagé une partie du bidonville. Jeune Parisienne d'une capitale pas encore cerclée des anneaux du périphérique, elle avait sursauté : ainsi y avait-il en lisière de Paris des bidonvilles ? Très rapidement, elle dont la famille avait connu l'exode rural deviendra la témoin privilégiée de cette vie des bidonvilles et en même temps l’habitante des baraques bancales, mitoyenne d’une vie qui n’était pas partie pour être la sienne.
Etablie là comme d’autres le feront à l’usine, c’est ainsi au ras du sol que Monique Hervo œuvrera. Elle sait écrire ? La voilà qui rédige des textes à destination de la presse - qui ne seront pas tous envoyés aux rédactions, et resteront parfois à l’état de brouillon. Elle ne sait pas construire ? Qu’à cela ne tienne : comme une poignée d’autres volontaires du service civil, elle apprend à Nanterre à manier la truelle et des rudiments de charpente. Douze ans durant, elle vivra là, dans le quotidien de ce monde de fortune qui travaille à sa survie de jour comme de nuit. Mais qui, souvent, pointe à l’usine tout le reste du temps.
En 1971, lorsque le gouvernement finit par proclamer l’ère des bidonvilles révolue et raser la Folie, Monique Hervo y vit toujours. On la retrouvera, quelques mois plus tard, dans le petit collectif qui fonde le GISTI, le groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés, avant qu'elle ne rejoigne ensuite la Cimade, salariée. Mais c'est d'abord pour son legs et la manière dont elle a changé notre regard sur l'histoire algérienne qu'on se souvient à présent de son nom. C’est en effet parce que Monique Hervo a enregistré, saisi, consigné cette histoire algérienne des bidonvilles qui jusqu’alors ne s’écrivait pas, qu’une trace a pu se frayer un chemin. Seize cartons au total rejoignaient ainsi les archives de l’Institut d'histoire du temps présent en 2008 et, c’était considérable : en 1965 par exemple, Monique Hervo avait fait passer un questionnaire aux familles. Leurs réponses et tout ce qu'ils et elles ont pu lui livrer à elle, cette voisine qui les connaissait et qui s'était mise en tête de leur donner la parole, représentent une source inestimable d'une histoire qui aurait pu rester bien plus lacunaire.
Des photos, et des légendes
Au même moment, une précieuse collection de photos prises par la militante rejoignaient les rayonnages de “La Contemporaine”, le centre d’archives installé à deux pas de la fac de Nanterre… sur les lieux même où Monique Hervo et des milliers de familles algériennes avaient vécu - loin de tout. Parce que Monique Hervo avait aussi mitraillé le bidonville au ras du sol et dans la vie de tous les jours, on peut désormais les consulter, s'approprier des images, une empreinte rétinienne, et transmettre à notre tour une mémoire qui s'incarne.
Dans le fonds Monique Hervo, des légendes précises accompagnent ces photos. On y trouve aussi des cartes et ces plans que, des années durant, elle aura soigneusement consignés. Une géographie alternative brave l'invisible alors qu'à l'époque la carte officielle de Nanterre ne détaillait rien du bidonville. Au point que souvent, les médecins appelés au chevet des malades ne trouvaient par leur chemin. Cette cartographie dit "je, nous, vous", à une époque où seuls les journaux, dans de rares entrefilets, et des rapports de police parlaient du bidonville - mais plutôt en disant "eux".
Grâce à tous ces documents sans équivalent, on peut désormais faire l’histoire de cette époque, et de ces gens-là. “Tout comme les écrits, les documents iconographiques ont vocation de preuves : “Tout cela a bien existé”, écrivait l’archiviste Anne-Marie Pathé, dans le carnet de recherche en ligne de l’IHTP des années avant la mort de Monique Hervo. Ce sont des preuves au sens propre, autant que figuré. Car de fait, il a un jour fallu faire la preuve et Monique Hervo a témoigné devant la justice du sort qu’on avait fait aux Algériens, aux Algériennes, au tout début des années 60 : c’était lors du procès que Maurice Papon avait intenté en 1999 à l’historien Jean-Luc Einaudi, bien seul à l’époque dans son entreprise de mise en évidence du massacre du 17 octobre 1961.
Si tant d’Algériens étaient morts dans cet épisode assourdi, six mois avant les Accords d'Evian qui mettront fin à la guerre d'Algérie, c’est bien parce que cette soirée de répression brutale d’une manifestation pacifique était tout sauf un épisode isolé : en découvrant ces textes méthodiquement tapés à la machine, jour après jour, on mesure que dès le mois de juin de cette année 1961, le maintien de l’ordre tenait bien du harcèlement. C’est cette répression à bas bruit et à grande échelle qu’on palpe en parcourant les sources que la militante de terrain a laissées.
Ce sont là des sources pour les historiens désormais au travail. Mais ce sont aussi autant d’archives pour tout le monde, à commencer par les journalistes : à mesure que la trace du bidonville "Nanterre - La Folie" se fait jour entre les liasses de papier d’apparence modeste ou dérisoire, c’est l’histoire qui se redresse. Ce sont aussi des voix qui sortent de l'obscurité, et une présence sensible qui se manifeste. Car l'inventaire Monique Hervo recèle encore un trésor plus rare : des archives sonores, consignées aussi tandis qu’elle vivait là, engagée volontaire dans les replis de l’urbanisation parisienne. En 2010, avec toute l’équipe de La Fabrique de l’histoire, Emmanuel Laurentin avait produit deux heures d’émission sans précédent, sur France Culture : La Fabrique de l’histoire avait plongé dans les cartons de Monique Hervo, et enregistré son témoignage, alors qu’elle allait avoir 80 ans.
La plupart des traces qu'il reste de Monique Hervo datent de ces années-là. En mars 2012, une BD paraît, Demain, demain, co-signée avec Laurent Maffre, racontant son histoire et de celle de "La Folie-Nanterre", et d’autres viendront à leur tour consigner cette histoire méconnue. Les historiens, en effet, savaient la valeur de ce qu’elle venait de léguer à l’IHTP. Et dans les archives de la revue Plein droit, du GISTI, par exemple, on retrouve le chercheur Pascal Blanchard qui lui propose un entretien : parce que Monique Hervo vieillissait, il était urgent de recueillir l’histoire de celle qui avait recueilli l’histoire des autres.
C’est ainsi à la manière de poupées russes que l’histoire du bidonville s’est écrite grâce à cette militante qui finira par prendre la nationalité algérienne. Un pied de nez à une histoire douloureuse de part et d'autre de la Méditerranée : Monique Hervo avait été l’une des rares à dire à voix haute le chantage dont les Algériens faisaient l’objet. Car tandis que les autorités les ballottaient d’un mois sur l’autre, puis de saison en saison, en leur faisant miroiter qu’un logement en dur était imminent, à peine venue l’indépendance, la question du logement avait été soumise à un pré-requis : les habitants du bidonville devaient renoncer à leur nationalité algérienne.
"Vous avez honte ?"
Ainsi, c’est d’une dignité qui fait mauvais ménage avec le réel que nous parlent aujourd’hui les archives de Monique Hervo. Ce que disent les habitants du bidonville à cette voisine qui vient leur poser des questions armée du magnétophone qu'elle s'était acheté avec ses économies, c'est l’exiguïté de logements de 6 mètres carré où pas même une armoire ne rentrait - et alors fallait-il éternellement vivre dans des valises. C'est l’impossibilité de recevoir chez soi, la fatigue, et aussi ces ordures que Paris avait décidé d'entasser là, au ras des baraquements. C'est la queue qu'il fallait faire, à cinquante en rang d'oignons dans le froid et la boue, pour accéder à la fontaine dans un creux défoncé du terrain, parce qu’au bidonville “La Folie”, il n’y aura jamais eu qu’un seul point d’eau.
Sans relâche et jusqu'à l'évacuation du bidonville, en 1971, Monique Hervo aura cherché à leur faire dire le maximum. Le concret, et puis aussi la honte. A la même époque exactement où, dans Le Joli mai, Chris Marker et Pierre Lhomme faisaient tourner le micro auprès des Parisiens pour savoir s'ils étaient heureux, elle leur demandait à eux, les Algériens, les Algériennes : "Vous avez honte ?" Et bien sûr, la militante, qui n’était ni sociologue, ni documentariste, parfois insistait sans doute un peu, suggérait ses mots à elle, relançait pour faire surgir dans la parole tout ce qu'elle connaissait, elle, hors champ.
N’empêche : cette parole qu’elle aura gravée sur des bandes aura une valeur immense parce qu'une voix inédite, soudain, s’exprimait. Et c'était si inédit d'écouter dire, par exemple, le mal que ça pouvait faire, quand on était ouvrier du bâtiment, et qu’on vivait là dans des cahutes mal foutues avec la trouille, chaque nuit, d’un départ de feu ou d'un toit qui flanche. Alors que pourtant, construire en dur, on était fier de savoir le faire. En tendant une oreille plus attentive, on accède aussi à un double discours, et parfois à un marché de dupes : si ces ouvriers n’ont pas construit, c’est bien parce qu’on n’aura cessé de leur promettre que la semaine prochaine, pour de bon, il serait relogés. Et sur ces archives sonores qu'il nous reste, leurs mots ne font aucun doute : payer un loyer, ils en avaient les moyens, et ils en étaient d’accord.
Changer la vie, changer sa vie
En 1964, le gouvernement Debré avait fait voter une loi pour éradiquer les bidonvilles. Mais il faudra attendre 1971 pour que le bidonville soit rasé. L'actualité est encore chaude, lorsque le travail de documentation obstiné de Monique Hervo trouve alors sa première audience : François Maspéro publie en 1971 Bidonvilles, un récit circonstancié à hauteur d’hommes, de femmes, d’enfants, signé par Monique Hervo et sa co-autrice, Marie-Ange Charasse. Il faut replonger dans ce livre pour prendre la mesure de ce que cela aura pu changer, que cette femme soit venue s'établir parmi ces ruelles. Alors que durant toutes ces années d'enclavement, personne n'avait eu le droit de pénétrer dans le bidonville à l'exception d'une poignée de médecins et de cette assistante sociale tenace qui se défiait du contrôle social et qui s’appellait Brigitte Gall, la présence de ces volontaires du service civique faisait toute la différence.
Mais ce qu’on comprend en écoutant le témoignage de Monique Hervo, au micro de La Fabrique de l'histoire, quarante ans plus tard, c’est que sa vie à elle aussi en aura été changée : en novembre 2009, Monique Hervo racontait combien il lui avait d’abord semblé difficile de “faire sa place” dans le combat pour l’indépendance de l'Algérie. Les hommes, en effet, pouvaient se revendiquer objecteurs de conscience, se récrier du service militaire, refuser de servir sous les drapeaux, appelés du contingent d’un conflit qui avait démarré en 1954 et qui n’en finissait pas. Mais les femmes ? Ce dont Monique Hervo témoignera, avec le recul d'une vie entière, c’est qu’être établie auprès de ces populations reléguées, c’était aussi trouver sa place, son rôle, une utilité. Qui passera notamment par le fait de dénoncer sans relâche les relents de colonialisme dans la gestion de l’immigration - même une fois passé le temps des indépendances.
À présent que Monique Hervo est morte, c’est finalement à une kyrielle de rapports de force qui s’emboîtent et parfois se réverbèrent, qu’on a ainsi accès en la découvrant à travers ses livres ou ses archives. Et parce que La Fabrique de l’histoire avait plongé dans les cartons de l’IHTP, couru faire des copies des bandes si précieuses qui venaient d’y être déposées, des extraits de ces archives sonores sont désormais accessibles en ligne, et s’entremêlent aux archives de la radio publique. Vous pouvez accéder aux deux émissions tirées d’un long entretien avec Monique Hervo, ainsi qu’à une partie des entretiens qu’elle-même avait menés parmi ces voisins, en découvrant ces deux épisodes de la Fabrique de l’histoire, qui n’ont pas pris une ride. De source, elle était devenue actrice de cette histoire.
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