Au siècle passé les hommes avaient tous fait au moins une guerre
Pépé fit celle de 14, mon père celle de 40
Et ma guerre fut celle d’Algérie
On m’envoya guerroyer pendant 17 mois
Dans un régiment de parachutistes
Il était prévu que je reste à Toulouse
Car j’étais professeur d’éducation physique au lycée de Cahors
Et je jouais au rugby
Il y avait déjà eu des combats, une embuscade
Où des soldats français avaient été accrochés
Et les fellaghas qui voulaient l’indépendance et la paix
M’étaient plutôt sympathiques, je comprenais ce qu’ils demandaient
C’était simple : « Maintenant, ça suffit, vous devez partir et nous laisser ce pays
Que vous avez volé par la force des armes il y a 130 ans »
Il fallait quand même faire attention de ne pas se faire prendre par eux.
Mais une chose m’interpellait à l’époque
Comment tant d’hommes pouvaient-il obéir
Aux ordres de ces officiers et adjudants qui nous faisait interpeller
Tous ceux qui nous semblaient suspects
Aucun ne discutait mais au moins ils acceptaient
D’être soumis à cette loi de la guerre
Qu’est la violence institutionnelle
Qu’est l’énigme de la servitude consentie
Evoquée par La Boétie en 1546.Ce n’est pas un problème nouveau
Il est difficile de s’opposer
Les copains croyaient ou préféraient croire que nous étions dans notre droit.
Une autre chose m’étonnait
Cette guerre pour les parachutistes se transformait en jeu
C’était un grand jeu de poursuite, nous étions tous chasseurs ou chassés
On jouait au plus fin, au plus fort, au plus malin, au plus dégourdi
A celui qui fera peur à l’autre
Tout le monde mentait, lançait des messages par radio
Où l’on disait avoir tué un prisonnier qui s’échappait
Je n’aimais pas tout ça qui sentait en plus de la tuerie
La haine et le mépris
Ce qui m’a le plus troublé c’est la torture
C’est insupportable. Comment peut-on en arriver à de telles choses
Qui nous font tomber dans la barbarie
Ce qui pour moi est plus difficile à supporter que la mort.
Il y en a qui nous demandent encore pourquoi on a laissé faire tout ça
Les responsables sont ceux qui nous ont envoyé là bas
Et qui savaient tout ce qui se passait
Les militaires n’ont pas toutes les responsabilités
Mais ils en ont profité quand ils eurent les pleins pouvoirs
Nous sommes restés un temps sans parler
Nous n’étions pas fiers de ce que nous avions fait
De ce que l’on nous a fait faire
Dans la guerre il ne faut jamais confondre
Le peuple, les soldats, les dirigeants politiques
Et aujourd’hui j’ai retrouvé la parole et l’envie de parler
De dire ce que nous avons fait ce que nous avons vu
Tout ce qui nous reste de ces moments
Où nous avons rencontré la mort, la torture, la peur
La trahison, la solidarité, la couardise, pour de bon sur place
Nous avons vu ce que peuvent faire les hommes
Quand ils sont confrontés à des situations qui les dépassent
Il ne faut plus de guerre sur cette terre
Quelqu’un a dit : « Quelle connerie la guerre »
Jacques Carbonnel
Je me souviens... Alger centre ma ville...
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