ANGOISSE DE LA JEUNESSE
ADIEU AU PAYS NATAL...EXTRAIT
Dresse-toi devant moi, mon fils, pour que je me souvienne de ta taille
Je veux aller trouver ma famille
Un cercle de mains caressantes,
De douces mains humaines
Où l’oubli soit enclos.
Je veux aller trouver ma vraie famille humaine
Sous les branches bombées de l’olivier bruni
Et les pentes à nu de ces collines bleues
Le désespoir dormait.
Et le ciel inclément sur ces masses perdues à jamais
Dans la mort impalpable et splendide,
Versait sa fraîcheur bleue
La vie légère s’envolait des fleurs violettes des pêchers
Et dans le fond des ravins bleus
Chantait l’eau de la Miséricorde
Je veux trouver les anges de mes frères,
Dans le pays muet que renferme mon cœur.
Âmes, ô âmes des morts !
Sous le schiste trié
Les olives pleuraient sur vos os oubliés,
Mais l’huile ensoleillée ne pourra plus jamais,
Pourtant, jamais,
Redonner la jeunesse à vos membres séchés.
Coulez-vous dans le ciel,
A l’heure où l’épervier,
Autour des gouffres bleus
Enroule son envol silencieux.
Est-ce vous, ô voyageurs de l’éternelle angoisse,
Qui traversez la foule des étoiles innombrables,
Dans le ciel noir où mon étoile, un jour, me fera signe ?
Mais, sa place,
Celle de votre enfant, malgré vous, malgré lui
Prisonnier de ces os rendu au schiste sec,
Mais, ma place,
Celle de votre fils aux membres ligotés
Où, où est-elle ?
Je voudrais reposer dans ma famille humaine,
celle qui fut livrée à une sombre haine
Mais qu’un dieu délivrera sur mon Mont d’oliviers
Pareil aux troncs noueux des arbres de chez nous
Ces sépulcres offerts au soleil dévorant,
Ces femmes ravinées dont les mains sont tendues
Aujourd’hui, aujourd’hui, j’abandonne ce lieu
où j’ai cru si longtemps que mes pieds poseraient
Pour jamais, avinées dont les mains sont tendues
Non vers ce ciel trop pur,
mais vers les mains fermées des enfants en allés
Vers le pays de l’or et du travail facile.
J’appareille aujourd’hui vers une autre colline,
Un pays jamais vu par des regards humains,
Sous un arbre aux bras longs comme un regard de mère...
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JEAN AMROUCHE
CENDRES...EXTRAIT
Tout un peuple défunt secouait son linceul;
Tu seras dans ton lit de schiste
Au pied du figuier tordu.
Ils viendront par le Val de Mort
Montant lentement la colline
Le cimetière est à main gauche,
Tu ne t'en souviendras déjà plus.
Quand je cherche ma voix, j'entends vos lèvres closes
Votre terrible voix d'au-delà de la nuit...
Qui portera vos voix vivantes dans mes chants ?
Voix de la mort, pétrie du silence éternel
De mes absents plus présents d'être morts
En moi créés, en moi vêtus de rayons noirs
Tu roules dans ton flot les fruits purs de la nuit
Je n'ai rien su donner de mes secrets espoirs.
J'ai si longtemps gémi dans le corps d'une femme
J'ai si longtemps cherché l'oubli de ma présence.
Visages en douleur à l'orée de ma nuit, c'est vous qui revivez, tourbillons des jours noirs que j'avais cru défunts?
Vos pleurs pour qui sont-ils? Et vos rires cruels?
Et l'homme qui voulait tuer le souvenir s'abîme dans la nuit des espaces stellaires.
Je sais que tu viens de là-bas, de très loin
Là où l'homme n'a point de part.
Et que brûlent enfin mes souillures
Et mes vaines craintes.
Et les neiges des hautes cimes désirées
Sont loin, bien loin
Au fond du souvenir qui s'éveille,
Et meurt.
Tu abandonneras les musiques de ton enfance
Ta mère, qui le soir, t'endormait de ses chants.
Une étoile sanglote au fond de ma mémoire.
Complainte grise et froide,
Maîtresse déjà, tes cheveux impalpables comme la vie
Couvriront mon front moite,
Et tes longs doigts d’algue incolore
Errants par mon corps effondré
Épuiseront leurs efforts à chercher
Ma jeunesse perdue.
Ô solitude, demain déjà je serai tien
Dans le crépuscule de ma chambre étroite
Où danse vainement la douce clarté de la lune.
Et les chansons des garçons neufs
Criant leur vie à pleins poumons
Au vent du large ?
Et la belle fille qui passe,
Aux fortes jambes mues en cadence,
Épouse du soleil et du violent désir des hommes ?
Depuis des siècles et des siècles
Nous tournons autour des étoiles
Mais nous ne les voyons plus.
Mais toute parole est un germe mort
Si dans un coeur elle ne s'incarne.
JEAN AMROUCHE
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