L'île d'Elbe ? Un caillou sur lequel l'Empereur exilé tourne en rond. Convaincu de répondre aux « voeux des Français », il revient sur le continent pour « reprendre [ses] droits ».
À l'aube
Une petite flottille apparaît en vue des côtes françaises. Partie de l'île d'Elbe le 26 février, elle a longé la côte italienne avant de bifurquer vers la France. Napoléon s'apprête à amorcer le « vol de l'Aigle » et à « voler de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame ». Il est à bord du brick l'Inconstant, navire « amiral » de la flotte elboise, armé de 26 canons, fort d'un équipage de 60 marins, et sur lequel sont montés ses proches ainsi que 400 soldats de sa garde. Six autres navires l'encadrent : l'aviso l'Étoile, la spéronade - un bateau maltais à fond plat - la Caroline, quatre navires de transport, dont trois felouques, ainsi que le Saint-Esprit, opportunément arrivé à Porto-Ferrajo le 20 février, et dont Napoléon a fait décharger la cargaison pour pouvoir y transporter une centaine de lanciers polonais, montés à bord avec leur harnachement mais sans monture. Au total, un millier d'hommes ont suivi Napoléon. Après trois jours de navigation, les hommes ont hâte de débarquer. L'entassement devient insupportable. « Il y avait à bord de l'Inconstant trois et quatre fois plus de monde qu'il n'en aurait fallu pour être bien », note Pons de l'Hérault, le directeur des mines de l'île.
Les soldats de la Garde sont massés sur le pont, entre les canons, ou dans la cale. L'entourage de Napoléon occupe les cabines. Se trouvent à ses côtés les hommes qui formaient en quelque sorte son gouvernement elbois : le général Bertrand, chargé des affaires intérieures sur l'île et l'un de ses principaux confidents, le général Drouot, qui remplit le rôle de ministre de la Guerre, Peyrusse, trésorier de la Couronne. Sont également de l'aventure le général Cambronne, qui commandait la place de Porto-Ferrajo, Pons de l'Hérault, le Dr Fourreau de Beauregard, son secrétaire Rathery, sa domesticité, comme Marchand, premier valet de chambre, ou Saint-Denis, dit « le mamelouk Ali ».
Napoléon s'est retiré dans sa cabine. Il met à profit les dernières heures de mer pour relire et corriger les deux proclamations qui doivent être distribuées dès son arrivée. Elles ont été rédigées à l'avance, mais seront datées du 1er mars, jour du débarquement, donc jour du renouveau. L'une est destinée à l'armée, l'autre aux Français. Dans son adresse au peuple, il justifie son retour, après avoir attribué son échec de 1814 à la trahison des maréchaux Augereau et Marmont. Aux soldats, il montre de nouveau les chemins de la gloire et lance la formule qui résumera son aventure : « La victoire marchera au pas de charge. L'Aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame. » Pons de l'Hérault lit à haute voix la première aux grenadiers de la Garde réunis sur le pont de l'Inconstant. Les soldats sont invités à la recopier pour qu'elle puisse être diffusée dèsla descente du bateau.
En milieu de matinée
Les hommes d'équipage s'occupent aux travaux d'approche. Le temps est beau, la mer calme, le vent léger. Napoléon s'émerveille à la vue des côtes françaises et ne se lasse pas de contempler ce littoral qu'il a sillonné à partir de 1793, quand il était attaché à l'armée d'Italie. Il demande que l'on descende le drapeau de l'île d'Elbe et que l'on hisse l'étendard tricolore. Les soldats arborent aussi leur ancienne cocarde aux couleurs nationales, qu'ils ont tous conservée et qui va devenir le symbole du ralliement. Les explosions de joie couvrent la voix de leur chef, qui cherche à leur parler. Napoléon multiplie les gestes visant à réduire la distance entre ses soldats et lui. Déjà se profile l'idée d'un retour au peuple. « Messieurs les grognards, s'exclame-t-il alors selon le souvenir de Pons del'Hérault, le soleil luit également pour tout le monde. Il faut que chacun mange et que chacun boive. »De fait, l'on chante et l'on boit abondamment en ces dernières heures de traversée. Au moment du débarquement, Napoléon procède à plusieurs distributions de croix de la Légion d'honneur.
Entre 13 heures et 14 heures
La petite flottille est au mouillage dans l'anse du golfe Juan. Après quatre jours de voyage, Napoléon touche au but. Il est parvenu à mystifier les navires croisés lors de la traversée, notamment une corvette anglaise et le Zéphyr, un bâtiment français, auquel il a dissimulé sa présence ainsi que celle des grenadiers à bord de l'Inconstant. Le débarquement commence. Napoléon fait descendre en premier une escouade de 25 grenadiers, commandée par le capitaine Lamouret, le plus ancien capitaine de la Garde. Elle est chargée d'aller en reconnaissance pour s'assurer qu'aucune batterie côtière ne s'apprête à tirer sur l'Empereur. En fait, la côte n'est pas protégée à cet endroit, de même qu'aucune croisière française ne sillonne le littoral, signe que les autorités n'ont à aucun moment envisagé que Napoléon tenterait un débarquement dans le sud de la France. Poursuivant sa route, la troupe du capitaine Lamouret se dirige vers Antibes, où elle espère gagner la garnison à sa cause. Mais le commandant de la place, le colonel Cunéo d'Ornano - naguère disgracié par Napoléon et donc peu prompt à le soutenir - les capture. Le premier contact avec le continent n'est donc guère encourageant. Pourtant, « en mettant pied sur le rivage, raconte Pons de l'Hérault, l'Empereur lève son chapeau et dit avec majesté : "Puisse mon retour assurer la paix, le bonheur et la gloire de ma patrie." »
17 heures
La nuit tombe vite en ce début de mois de mars. Il est trop tard pour que les hommes poursuivent l'avancée. Un campement est installé sous des oliviers, au bord de la mer, le long de la route qui relie Cannes et Antibes. Napoléon fait monter sa table de campagne, sur laquelle il déplie une carte, incertain encore de l'itinéraire qu'il empruntera. Décision est finalement prise de suivre la route des Alpes, en direction de Grenoble, plutôt que de traverser la vallée du Rhône, où il a été conspué l'année précédente en se rendant à l'île d'Elbe. Puis il s'attable pour un dîner rapide, avant d'aller faire la tournée des bivouacs, afin de se rapprocher d'une troupe qu'il entraîne dans une aventure bien incertaine. Il croise aussi quelques passants avec lesquels il discute, s'informant de l'état d'esprit du pays. De leur côté, ses soldats prennent également du repos, en attendant la levée de la lune. Ils touchent aussi quinze jours de solde d'avance, que leur verse le caissier général Peyrusse.
Pendant que le gros de la troupe se repose, des hommes sont placés sous le commandement du général Cambronne. « Je vous confie l'avant-garde de ma plus belle campagne. Vous ne tirerez pas un seul coup de fusil. Vous ne devez trouver partout que des amis », lui déclare Napoléon. Ce propos rapporté après coup a pu être reformulé, mais il n'en témoigne pas moins du souci de l'Empereur d'éviter un engagement qui risquerait de lui être fatal et surtout précipiterait le pays dans une guerre civile. Par ailleurs, à peine débarqué, il voue une confiance absolue non pas à l'ensemble de la population, mais aux soldats, dont la plupart ont combattu sous ses ordres. Quant au peuple, il est davantage réservé, d'où le choix de prendre la direction des Alpes.
Cambronne, à la tête d'une soixantaine d'hommes, ouvre la voie en direction de Cannes. En route, il croise Honoré Gabriel Grimaldi, duc de Valentinois, qui s'en va prendre possession de la principauté de Monaco, dont il a hérité. Cambronne le fait escorter jusqu'à l'Hôtel de la Poste puis va prendre position au-delà de Cannes, sur la route de Grasse. Revenu en ville en milieu de soirée, il rencontre le maire, réputé fidèle aux Bourbons, qui refuse de se rendre au-devant de Napoléon, mais accepte de livrer les rations demandées. Cambronne a en effet exigé du ravitaillement pour 3 000 hommes. Le maire n'a pas les moyens de s'opposer à Napoléon. De son côté, Pons de l'Hérault a été envoyé à Cannes pour y acheter des chevaux, dont la troupe manque cruellement.
23 heures
Napoléon donne l'ordre de marcher. Sa petite armée transfère son campement de Golfe-Juan à Cannes. Les hommes, à pied, sont encombrés de leurs armes ; les cavaliers, de leurs selles. Seuls Napoléon et son état-major, dont le général Bertrand, sont montés. Aux trois ou quatre chevaux emmenés de l'île d'Elbe se sont ajoutés quelques autres, achetés sur la route, ainsi que quelques mulets, utilisés notamment pour le transport du trésor. Marchand en obtient un également pour convoyer le lit de l'Empereur, sa cassette et quelques bagages. Il faut aussi traîner les deux canons emportés de l'île d'Elbe. Ils sont destinés à intimider d'éventuels opposants. La troupe s'installe en bord de mer. Les soldats reçoivent les rations promises. Le maire a en effet mobilisé les boulangers de la ville pour l'occasion et fait tuer trois boeufs. Au cours de ce bref séjour cannois, Napoléon s'entretient assez longuement avec le prince de Monaco, ancien officier de ses armées, et qui fut aussi premier écuyer de l'impératrice Joséphine. Il espère le rallier à sa cause, mais se heurte à un refus prudent. Le prince s'empresse le lendemain de rendre compte de cette entrevue au maréchal Soult, ministre de la Guerre. À Cannes, des habitants ont illuminé leurs maisons, quelques « Vive l'Empereur » ont retenti, mais, globalement, la population voit passer Napoléon et son cortège avec une surprise mêlée d'indifférence. Il faudra attendre trois jours pour que son passage, au coeur des Alpes, déchaîne les passions. Pour l'heure, après avoir stationné quelques heures à Cannes, il repart à l'aube en direction de Grasse. Ainsi s'achève, sur la côte française, la première étape du « vol de l'Aigle », qui devait conduire l'Empereur à Paris en vingt jours.
Jacques-Olivier Boudon
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