L’histoire de ces soldats africains envoyés au front pour combattre l’ennemi n’est pas méconnue mais peu racontée.
"Je n’ai pas d’explications, je ne sais pas pourquoi ni pour quelles raisons on ignore encore cette partie de l’Histoire, je sais juste qu’on n’en entend pas souvent parler. Mais je me dis qu’on perd du temps à se demander pourquoi, et qu’il est primordial aujourd’hui de la raconter, c’est tout. On a fait ce film pour cela", a souligné dans un entretien Omar Sy, acteur et coproducteur du film.
Si "Tirailleurs" est une fiction qui se déroule en 1917, l’histoire de ces hommes est bien réelle.
Les tirailleurs sénégalais ont également été mobilisés dans des conflits qui ont opposé la France à ses colonies en Indochine, en Algérie, à Madagascar.
Dans l’un de ses poèmes dédiés aux tirailleurs sénégalais, Léopold Sédar Senghor évoque les tombes fleuries de soldats inconnus de "Tirailleurs à la peau noire".
En créant l’Association Mémoire du Tirailleur Sénégalais (AMTS), Gaspard Mbaye, a voulu "rendre hommage à mon père, Louis Antoine Mbaye".
"Cette histoire de tirailleurs m’importe dans la mesure où je n’aurais pas voulu que mon père soit une personne anonyme dans un cimetière", précise le professeur d’histoire qui réside en France.
"De cette guerre, il [mon père] n’en a jamais parlé. Tous les éléments que j’ai pu tirer proviennent de son carnet militaire", confie-t-il.
Gaspard Mbaye estime que "Tirailleurs est un outil pédagogique pour comprendre une histoire complexe".
Le film interroge le rapport de la France à ses anciennes colonies.
"L’enjeu du film était de "rendre hommage aux tirailleurs sénégalais et plus largement, à tous les hommes issus des ex-colonies françaises qui ont combattu, sans avoir eu la reconnaissance de leur sacrifice", a déclaré le réalisateur dans un entretien en amont de la sortie du film.
"A tous les hommes issus des ex-colonies françaises qui ont combattu, sans avoir eu la reconnaissance de leur sacrifice".
Le film nous ramène à une période sombre de l’Histoire.
Il nous replonge dans une époque pendant laquelle l’Afrique est colonisée, une époque où des hommes sont enrôlés de force dans l’enfer des tranchées et une époque qui impose un si grand sacrifice à ces soldats noirs venus des anciennes colonies. C’est une histoire collective et universelle.
Le fil narratif du film repose sur l’épopée à la fois historique et intimiste d’un Sénégalais nommé Bakary Diallo. Ce personnage qui s’exprime en langue peule s’enrôle dans l’armée française pour rejoindre son fils de 17 ans, recruté de force.
Nous sommes en France, en 1917, alors que la 1ère guerre mondiale fait rage.
En trame de fond, les tranchées, la mort à bout de bras.
Mais alors comment ces hommes, des Africains, ont-ils été projetés dans la Grande Guerre, une guerre entre puissances européennes ? Comment ont-ils été recrutés ?
Recrutement
Le premier bataillon de tirailleurs a été créé en 1857.
Le corps des tirailleurs sénégalais a joué un rôle majeur dans la constitution de l’Empire colonial français.
Le film Tirailleurs revient sur le destin de ces hommes venus d’Afrique combattre pour la France notamment lors de la première guerre mondiale.
Ces fameux tirailleurs dits ‘sénégalais’ sont des soldats africains reconnaissables à leur chéchia rouge ‘recrutés’ plus ou moins de force pour soutenir l’effort de guerre et renforcer les régiments de France métropolitaine qui subissent de lourdes pertes.
On estime que près de 200 000 tirailleurs sont montés au front, 30 000 seraient morts sur les champs de bataille de la Grande Guerre, et nombreux sont revenus blessés ou invalides.
Ils étaient Sénégalais, Guinéens, Maliens, Burkinabés, Ivoiriens, Mauritaniens et bien d’autres encore.
À la fin de la guerre, beaucoup espéraient qu’ils seraient compensés et récompensés pour leur service.
L’histoire en a voulu autrement.
Le principe d'égalité
L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que "la loi doit être la même pour tous".
Le principe d'égalité n’a pourtant pas été appliqué aux tirailleurs sénégalais, ces anciens combattants, titulaires de pensions militaires et ressortissants de pays autrefois sous souveraineté française – c’est-à-dire Français au moment des combats.
Malgré leur engagement dans l’armée française, malgré les combats menés et les traumatismes causés, les tirailleurs n’ont pas été traités comme leurs frères d’armes. Ils ont dû faire face à des inégalités de traitement et souffrent encore aujourd’hui d’un manque de reconnaissance.
Ces inégalités dénoncées depuis tant d’années par les familles et les associations d’anciens militaires sont vécues comme une discrimination et accroissent le sentiment d’injustice.
Il faudra attendre 2010 pour qu’une décision du Conseil Constitutionnel censure partiellement des dispositions relatives aux pensions des anciens soldats des ex-colonies afin que celles-ci soient identiques pour les bénéficiaires français et étrangers résidant dans le même pays.
Cette décision coïncidait avec la sortie du film "Indigènes" de Rachid Bouchareb.
La sortie du film Tirailleurs il y a quelques semaines a également été marquée par un geste symbolique. Le Ministère français des Solidarités a annoncé que les derniers tirailleurs sénégalais pourront désormais rentrer dans leur pays d’origine tout en continuant de toucher le minimum vieillesse.
Cette mesure ‘trop politique’ pour certains, ‘trop tardive’ pour d’autres, ne concerne qu’une poignée de dossiers, des hommes de plus de 90 ans qui devaient obligatoirement passer à minima six mois en France pour percevoir leur allocation de 950 euros.
Gaspard Mbaye considère pour sa part que "c’est une bonne chose" pour les personnes et les familles concernées, "même s’il y a beaucoup de retard à cette reconnaissance financière".
Les régiments de tirailleurs sénégalais ont été définitivement supprimés entre 1960 et 1962 mais le travail de reconnaissance est généralement un travail de longue haleine.
Une démarche historique
L'Association Mémoire du Tirailleur Sénégalais (A.M.T.S) a été créé en 2008 "pour rendre honneur et sortir de l’anonymat plusieurs centaines de tirailleurs inhumés dans les fosses communes du cimetière du Trabuquet à Menton", explique Mr Mbaye.
Menton est une ville située à l'extrême sud-est de la France, a une trentaine de kilomètres de Nice.
Au cours de la Première Guerre mondiale, plusieurs milliers de tirailleurs sénégalais, entre autres, sont passés par les hôtels de la ville de Menton transformés en hôpitaux militaires.
De nombreux tirailleurs s’y trouvaient en convalescence et beaucoup ont succombé aux blessures et maladies contractées au front.
"Menton concentre le plus grand nombre de tirailleurs inhumés sur la côte d’azur", constate Mr Mbaye.
"S'il est vrai que le premier tirailleur, NKY Dembélé, mort à menton, le 11 décembre 1914, y fut inhumé avec les honneurs de la ville, il est par ailleurs triste de constater que c'est par centaines que les Tirailleurs, furent par la suite enfouis dans des fosses communes, sans aucune identification", indique-t-il sur le site de l’association.
"On ne reportait que le nom du dernier soldat inhumé alors que dans une même fosse, il y avait plusieurs corps, six ou sept parfois. Notre travail a été ‘d’exhumer’ tous ces noms à travers les archives pour sortir de l’anonymat ces personnes enterrées et de mettre sur des plaques nominatives tous les noms des tirailleurs sénégalais inhumés à Menton", continue-t-il.
"On est arrivé à un tirage définitif qui établit 1137 tirailleurs inhumés sur le site du Trabuquet".
"Aujourd’hui, on continue à maintenir la mémoire des tirailleurs
- Geneviève Sagno
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