« Cette demi-finale, c’est quelque chose qu’on aura l’occasion de vivre une fois dans notre vie ! » Karim, 32 ans, un Franco-Marocain ayant obtenu la nationalité française il y a moins d’un an, est sur un petit nuage.
« Battre la France et aller en finale du Mondial, ce serait de la folie pure. Si on y arrive, on aura battu les trois pays qui ont colonisé le Maroc [avec le Portugal et l’Espagne] depuis le XVIe siècle ! », résume-t-il à Middle East Eye.
C’est une demi-finale porteuse de symboles qui se tiendra mercredi 14 décembre entre la France et le Maroc dans le cadre de la Coupe du monde au Qatar.
D’abord parce que cette confrontation sera la toute première entre les deux équipes en grande compétition. Les deux équipes se sont affrontées cinq fois en tout mais jamais en compétition officielle. L’avantage est détenu jusque-là par les Bleus : quatre victoires (dont une suite à une séance de penalties) et un nul.
Autre fait remarquable, comme le souligne Europe 1, les têtes d’affiche marocaines ne sont pas inconnues en France. Achraf Hakimi joue avec son ami Kylian Mbappé au PSG depuis 2021, sans oublier Sofiane Boufal, Azzedine Ounahi, Achraf Dari et Zakaria Aboukhlal qui évoluent dans des clubs de la Ligue 1 en France.
Europe 1 rappelle aussi que « le sélectionneur franco-marocain Walid Regragui est né en région parisienne, à Corbeil-Essonnes, et a effectué quasiment toute sa carrière professionnelle en France, à Toulouse, Ajaccio ou Grenoble ».
Le président français Emmanuel Macron se rendra au Qatar mercredi pour assister au match.
Avant le début du Mondial, le chef de l’État avait annoncé sa présence pour la demi-finale ou la finale en cas de qualification des Bleus, un engagement qui avait fait polémique en raison des critiques contre le Qatar.
« Une finale sans pays ennemis »
Alors que samedi soir, les Marocains ont fêté comme il se doit leur victoire contre le Portugal et leur accession historique à la demi-finale, plusieurs responsables politiques étrangers ont félicité le Maroc.
Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a twitté : « À la veille du sommet des dirigeants États-Unis-Afrique 2022 [prévu la semaine prochaine à Washington], je félicite les Lions de l’Atlas pour leur victoire aujourd’hui ».
Le vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Dmitri Medvedev, a exprimé sur sa chaîne Telegram, un vœu très politique : « À propos de football. Ce serait cool d’avoir une finale sans pays ennemis. Argentine-Maroc. »
La France et le Maroc ne sont pas des pays ennemis mais la relation bilatérale s’est beaucoup dégradée depuis un an. En cause : la « guerre des visas » liée à la décision de Paris en septembre 2021 de réduire de moitié les permis d’entrée accordés aux Marocains, arguant de la réticence du royaume à réadmettre ses ressortissants en situation irrégulière dans l’Hexagone.
Une mesure qualifiée d’« injustifiée » par Rabat, d’« humiliante » par les ONG humanitaires et de « grande maladresse » dans les milieux francophones marocains. Par ailleurs, Paris est jugée trop attentiste sur la question du Sahara occidental, « cause nationale » du Maroc, et sa nouvelle lune de miel avec l’Algérie, rivale régionale, a fait grincer des dents.
Côté français, on n’a guère apprécié les révélations du consortium de médias Forbidden Stories, selon lesquelles des numéros de téléphone d’Emmanuel Macron et de ministres, entre autres, ont été ciblés en 2019 par le Maroc, utilisateur du logiciel espion israélien Pegasus. Rabat a démenti.
Pendant que les forces israéliennes ont attaqué, à Jérusalem, les Palestiniens qui défilaient pour fêter la victoire marocaine contre le Portugal, le président israélien, Isaac Herzog, a twitté en français : « Félicitations à Sa Majesté le roi du Maroc Mohammed VI et au peuple du Maroc pour l’exploit historique à la Coupe du monde 2022. »
Traduction : « Les forces d’occupation israéliennes attaquent la foule palestinienne rassemblée place de Bab al-âmoud pour fêter la qualification du Maroc en demi-finale. »
Les joueurs marocains ont tenu à brandir le drapeau palestinien, à l’instar de leurs supporters au Maroc, en France ou ailleurs… Un positionnement qui a poussé certains commentateurs en France à réagir.
Le producteur et écrivain Georges-Marc Benamou a par exemple exigé « que le roi du Maroc, ses ministres et l’ambassadeur du Maroc en France s’excusent car l’équipe marocaine a brandit le drapeau de la Palestine ».
Des heurts ont marqué les festivités des supporters du Maroc aux Champs-Élysées, à Paris et la police a procédé à 144 interpellations.
Ces débordements ont été commentés par l’extrême droite et les sphères xénophobes en France.
« Quand la liesse populaire se répand au Maroc, ça se passe très bien. Quand ça se passe en France, ça finit par des émeutes et des affrontements avec la police. J’aimerais comprendre pourquoi », a commenté Éric Zemmour, président du parti Reconquête (extrême droite) sur BFMTV.
Mais les médias ont aussi rapporté d’autres images moins clivantes, notamment celle de ce Franco-Marocain qui a déclaré : « C’est dur : il y a le pays de nos parents et le pays qui nous a tout donné ! On est à Paris, c’est notre ville, la France c’est chez nous, on va tout donner et que le meilleur gagne ! ».
Certains internautes s’attendent à davantage de débordements en France après la demi-finale de mercredi prochain.
Depuis Paris, Safa, étudiante marocaine, balaie ces craintes. Elle confie à MEE : « Je ne me suis jamais sentie aussi fière d’être Marocaine et je suis fière de tout ce qu’on a accompli jusqu’à maintenant. J’espère vraiment qu’on va gagner le prochain match même si les statistiques ne sont pas de notre côté. Mais avec autant d’amour, de foi et de soutien du monde entier, on en est capables ! »
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