En France, les binationaux marocains, algériens et tunisiens sont grisés par la belle épopée des Lions de l’Atlas, première équipe africaine et arabe à arriver en demi-finale de la Coupe du monde.
Drapeau marocain brandi sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris le 10 décembre 2022 après la victoire du Maroc lors de son match de quart de finale de la Coupe du monde de football contre le Portugal au Qatar (AFP/Martin Bureau)
Mohamed est doublement heureux. Le Maroc a gagné. La France aussi. Dans l’appartement familial où s’est incrusté Middle East Eye ce samedi 10 décembre, un tourbillon d’émotions s’est emparé de l’assemblée. Cousins, voisins et amis savourent la consécration en quart de finale de la Coupe du monde de leurs deux équipes favorites. « Le Maroc, c’est le sang qui coule dans nos veines. La France est dans nos cœurs », exulte Oumaima, l’épouse de Mohamed.
Le couple franco-marocain habite aux Bergeries-Saint-Hubert, un quartier populaire de Draveil, dans la banlieue sud de Paris. Au coup de sifflet final du match Maroc-Portugal, la cité, où vit une forte communauté marocaine, a vibré comme secouée par un tremblement de terre. Des youyous ont fusé aux fenêtres alors que le bruit des klaxons a retenti, strident, dans les rues désertées à cause du froid.
Mohamed est également sorti défiler avant de revenir, un peu plus tard, s’asseoir dans son fauteuil pour regarder le match France-Angleterre.
« Cette équipe de France, c’est un peu nous, les jeunes des banlieues. Mbappé, Dembélé, Koundé, ils viennent de notre monde. Nous avons pratiqué, petits, les mêmes stades de foot, connu les mêmes difficultés, les mêmes misères. Leur réussite est une revanche que nous prenons sur le sort », explique le fan des Bleus.
« Encore plus fiers de nos origines »
En 2018, lorsque la France a remporté la Coupe du monde à Moscou, Mohamed avait emmené sa famille jusqu’à Paris pour défiler sur l’avenue des Champs-Élysées. Cette fois, deux probabilités de festoyer s’offrent à lui. « Si le Maroc gagne la finale, j’irai faire la fête à Casablanca », lance-t-il, impressionné par le parcours stupéfiant des Lions de l’Atlas au Qatar.
« Le Maroc, c’est le sang qui coule dans nos veines. La France est dans nos cœurs »
- Oumaima, Franco-Marocaine
Son ami Rachid, avec qui il a regardé le match, le prend au mot et décide de l’accompagner en cas de victoire. « Les joueurs nous ont rendus encore plus fiers de nos origines. Je suis ému à chaque fois que je vois les drapeaux du Maroc flotter dans les tribunes », confie le supporter, qui avoue avoir été également touché par l’histoire personnelle des joueurs.
« Quand je vois Achraf Hakimi [défenseur du onze marocain] se précipiter vers sa mère après chaque match pour l’embrasser, je me rappelle la mienne. Elle était aussi femme de ménage et a travaillé dur et seule pour élever ses enfants », confie-t-il avec émotion.
Bien qu’il soit né en France et qu’il y ait grandi, Rachid soutient exclusivement l’équipe du Maroc.
En plus de son attachement à la terre d’origine de ses parents, il éprouve du bonheur à voir une équipe d’Afrique arriver si loin, une première après les tentatives ratées du Cameroun (1990), du Sénégal (2002) et du Ghana (2010).
Parti spécialement au Qatar pour assister aux matchs des Bleus et des Lions de l’Atlas, l’ancien député franco-marocain M’jid El Guerrab a également fait son choix.
« Si je devais choisir vraiment vers où mon cœur balance, bien évidemment, ce serait le Maroc parce que son épopée dans cette coupe du monde relève plus que du parcours d’une équipe normale… Sa victoire de la coupe du monde, ce serait la victoire de l’Afrique, du Continent. De David contre Goliath », a-t-il écrit sur son compte Facebook.
Maghrébins et Africains unis
À la fin du match Maroc-Portugal, des milliers de supporters des Lions de l’Atlas ont envahi les rues un peu partout en France. Leila, une étudiante algérienne qui vit dans le Val-de-Marne, en région parisienne, n’a pas hésité à rejoindre la foule massée sur l’avenue des Champs-Élysées. Elle a défilé en déployant le drapeau de son pays au milieu des aficionados marocains.
« La victoire du Maroc est aussi celle de l’Algérie et du Maghreb. Les régimes des deux pays peuvent se détester. Mais pas nous. Nous sommes des frères et des sœurs », déclare-t-elle à MEE.
« La victoire du Maroc est aussi celle de l’Algérie et du Maghreb. Les régimes des deux pays peuvent se détester. Mais pas nous. Nous sommes des frères et des sœurs »
- Leila, étudiante algérienne
La jeune femme a par exemple été émue d’apprendre que l’équipe nationale de football marocaine avait été exclue par la Fédération internationale de football pendant un an, en 1958, pour avoir joué un match contre l’équipe du Front de libération nationale (FLN), non reconnue par la FIFA à l’époque car l’Algérie n’était pas encore indépendante. « C’est la preuve d’un véritable attachement », soutient-elle.
Son fiancé, Moncif, d’origine tunisienne, insiste également sur l’affection que partagent les populations du Maghreb. Il se rappelle d’ailleurs avoir manifesté avec le même enthousiasme à Paris lorsque les Fennecs algériens ont remporté la Coupe d’Afrique des nations en 2019 et décrit des scènes de liesse formidables.
« L’ambiance d’hier soir était identique », dit-il en faisant défiler sur son smartphone les photos de la procession joyeuse et bigarrée à laquelle il a pris part aux Champs-Élysées avec Leila.
Sur les images, des drapeaux amazighs, de l’Algérie, de la Palestine, d’Égypte cohabitent allégrement avec les emblèmes marocains. « J’ai également croisé des Sénégalais, des Camerounais et des Ivoiriens, tous contents de célébrer la victoire du Maroc », raconte Moncif.
« C’est comme si mon père jouait contre ma mère »
Aux Bergeries-Saint-Hubert, Boubakari, voisin de Mohamed, supporte aussi Achraf Hakimi et ses coéquipiers. Mais en même temps, le Franco-Malien n’a pas renoncé à sa loyauté envers les Bleus. « Je suis ravi que les deux équipes passent en demi-finale. Mais je n’ai pas trop envie de les voir jouer l’une contre l’autre », avoue-t-il avec embarras.
Oumaima, qui comprend la position de Boubakari, est tiraillée par un plus grand dilemme. « France-Maroc : c’est comme si mon père jouait contre ma mère », illustre-t-elle, mitigée.
« Je suis ravi que les deux équipes passent en demi-finale. Mais je n’ai pas trop envie de les voir jouer l’une contre l’autre »
- Boubakari, Franco-Malien
En attendant le match prévu ce mercredi, la mère de famille savoure sa joie et la partage. Après les victoires du Maroc et de la France, elle a distribué des confiseries à tous ses voisins.
Mohamed, lui, s’est précipité sur son téléphone pour chambrer Arnaud, un de ses anciens camarades de lycée avec lequel il est resté très lié et qui est un admirateur invétéré des Bleus. « Je lui ai dit que je serais gagnant peu importe l’équipe qui remporterait le match mais pas lui », s’amuse le Draveillois.
Apres la qualification de leur équipe, les supporters du onze tricolore ont rejoint ceux du Maroc sur les Champs-Élysées. Les deux groupes ont communié dans la joie et la bonne humeur, malgré quelques affrontements entre « groupes hostiles » et forces de l’ordre en fin de soirée.
Sur Twitter, le chef de l’État français, qui se rendra à Doha pour la demi-finale, s’est également montré fair-play en saluant la victoire du Maroc contre le Portugal.
Sa sortie très footballistique intervient dans un contexte de décrispation des relations avec le Maroc. Au lendemain du match qui opposera les Bleus aux Lions de l’Atlas, la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, se rendra à Rabat.
Son séjour vise à évoquer l’épineux dossier des visas, à la suite de la décision de Paris de durcir les conditions de leur octroi, et préparer la visite d’État du président Macron, qui devrait avoir lieu début 2023. À moins que le score de la demi-finale ne ravive les tensions…
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