Les autorités viennent de lever la censure sur le biopic consacré à ce chef historique du FLN. Sortie prévue au printemps 2023.
Ben M’Hidi, joué par Khaled Benaissa, fait un discours dans le film de Bachir Derrais. © Les Films de la Source
Plus de quatre années de perdues pour 76 secondes ! Le film sur la vie de Larbi Ben M’Hidi, héros de la révolution algérienne, du réalisateur Bachir Derrais est enfin autorisé après une censure qui aura duré plus de quatre ans. Mardi 14 décembre, le réalisateur ainsi que les ministères de la Culture et celui des Moudjahidine (anciens combattants) ont signé un protocole d’accord qui lève toutes les entraves et les interdictions qui visent ce film biographique.
Joint par téléphone à Alger, Bachir Derrais indique que le film sur la vie de ce chef historique du FLN (Front de libération nationale) devrait être projeté en avant-première dans la capitale le 4 mars 2023. Ce jour coïncide avec la date d’anniversaire de la mort de Ben M’Hidi, étranglé dans la nuit du 4 mars 1957 par le général Paul Aussaresses durant la fameuse bataille d’Alger.
Au printemps de l’année prochaine, le long métrage d’une heure et cinquante-six minutes pourrait être également projeté sur le territoire national. Des négociations sont en cours avec des plateformes de streaming pour sa diffusion à l’international.
Commission de visionnage
La levée de cette censure aura été une longue bataille, aussi bien historique et médiatique que politique pour ce réalisateur né dix ans après l’indépendance à Lakhdaria (ex-Palestro), en Kabylie. Achevé en août 2018, le film a d’abord été soumis à la commission de visionnage du ministère des Moudjahidine, conformément à l’article 5 de la loi sur le cinéma qui conditionne toute production de films sur la guerre de libération nationale à un visa des autorités.
Après visionnage, ladite commission a émis 55 réserves de fonds et de forme, portant sur la moitié de ce long métrage qui aura coûté plus de 4 millions d’euros. Ses dix membres ont demandé au réalisateur de couper, de remonter ou de réécrire 55 scènes du film sur Larbi Ben M’Hidi. « Dans le courrier que cette commission m’a adressé le 2 septembre 2018, il est clairement notifié que la version visionnée est interdite de toute projection ou exploitation », se souvient Bachir Derrais.
Les griefs, les reproches et les interdits sont tellement nombreux qu’il aurait presque fallu au réalisateur refaire un nouveau film. La commission lui reproche de ne pas avoir mis l’accent sur la vie et le parcours de Larbi Ben M’Hidi. Elle estime que la partie consacrée à son enfance est trop courte, que le côté politique de ce biopic prend plus de place que le volet sur la lutte armée. Elle considère aussi que le film n’a pas suffisamment mis l’accent sur les scènes de guerre et sur les atrocités commises par l’armée française.
La commission n’a pas non plus apprécié l’évocation des désaccords entre les chefs historiques du Front de libération nationale (FLN), ainsi que la guerre de leadership qui avait opposé d’un côté Ahmed Ben Bella et la délégation extérieure et, de l’autre, Larbi Ben M’Hidi, Abane Ramdane et le CCE (Comité de coordination et d’exécution). Le réalisateur se voit également reproché de ne pas avoir assez mis l’accent sur les tortures subies par Larbi Ben M’Hidi durant sa période de détention entre les mains des parachutistes du colonel Marcel Bigeard, alors qu’aucun témoignage n’atteste la véracité de ces faits. Résultat : le film est interdit de sortie.
Issue au blocage
Plus de quatre ans après, la situation a changé. Soraya Mouloudji remplace Azzedine Mihoubi à la tête du ministère de la Culture, et Laïd Rebigua prend la place de Tayeb Zitouni au ministère des Moudjahidine. Des séances de questions et des rencontres ont été organisées au cours de cette année avec le réalisateur afin de trouver une issue au blocage. De nouveaux visionnages ont lieu, et presque toutes les réserves émises en 2018 sont levées.
« Nous sommes passés de 55 à 5 réserves, affirme Bachir Derrais. En tout et pour tout, ce sont 76 secondes qui ont été coupées pour un film qui dure 1h56 minutes. » Les scènes supprimées sont liées à des dates, aux noms de certains protagonistes ainsi qu’à quelques phrases non conformes à la vérité des faits historiques, précise le réalisateur.
La censure qui a frappé le film sur la vie de ce chef historique, considéré comme le Jean Moulin algérien, souligne surtout le poids que conserve aujourd’hui encore la « famille » révolutionnaire, qui a fait de la sacralisation de la guerre d’indépendance et de la colonisation un dogme. Et qui continue, soixante ans après l’indépendance, à ostraciser les historiens, réalisateurs ou artistes qui se risquent à s’écarter du récit national officiel.
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