Il y a soixante ans, le 19 mars 1962, la guerre d’indépendance, menée par le peuple algérien contre l’État colonialiste français, s’achevait sur la victoire algérienne et son indépendance[1] qui fut effective le 5 juillet 1962. Le Parti Révolutionnaire Communistes a choisi de célébrer cet anniversaire.
Il nous semble essentiel d’apprécier l’importance particulière de cette guerre et de cette indépendance dans l’Histoire en général et dans celle du colonialisme. Dans ces siècles de colonisation, l’Etat bourgeois français a joué un rôle essentiel comme l'une des plus importantes puissances coloniales avec la Grande Bretagne. Le sens de la guerre impérialiste mondiale de 1914/1918 s’y éclaire, s’il le fallait, avec le partage des colonies allemandes entre la France et la Grande Bretagne en 1918 : (Cameroun et Togo à la France, Nigeria, Tanzanie et Namibie à la Grande-Bretagne, Rwanda et Burundi à la Belgique).
L’importance de l’Algérie et de la guerre d’indépendance dans le système colonial
Dans cette Histoire du colonialisme, l’Algérie joue un rôle particulier, et ce, pour plusieurs raisons.
D’abord, son statut particulier : l’Algérie n’est ni une colonie (comme l’Afrique occidentale Française, par exemple), ni un protectorat (comme le Maroc ou la Tunisie). L'Algérie a été conçue comme un territoire français divisé en trois départements par les dirigeants de la Deuxième République. C’est le seul cas que l’on connaisse, avec les colonies plus anciennes toujours possessions de l’Etat français (DOM/TOM). Ensuite par son peuplement : c’est le territoire dominé par la France qui a accueilli le plus de colons. La majorité d'entre eux étaient des émigrés européens arrivés en France et envoyés par la France pour coloniser le territoire algérien. Une partie étaient aussi des ouvriers déportés de juin 1848 ou de la Commune. On pourra y ajouter un nombre non négligeable d’Alsaciens et Lorrains après la fin de la guerre de 1870/1871.
La troisième raison est essentielle. Le peuple algérien, ainsi que le peuple vietnamien, a mené une lutte de libération nationale victorieuse. Pour les autres Etats issus des structures coloniales françaises, la décolonisation a pris d'autres formes. Soit celle du Rassemblement Démocratique Africain dirigé par F. Houphouët-Boigny qui laissait toute la place à l’ancienne puissance coloniale et ne faisait que changer la forme de la colonisation, ou celle de Sékou Touré en Guinée, qui refusa par referendum le processus de De Gaulle. La République Française se vengea en créant toute sorte de troubles au sein de la République de Guinée. En Afrique, au Ghana, N’Krumah, père de l'indépendance contre la Grande Bretagne, fut le chantre de la désobéissance civile et du panafricanisme. Les luttes pour l'indépendance nationale se sont heurtées partout aux violentes répressions des puissances colonisatrices dont la France, comme ce fut le cas, au Cameroun[2], à Madagascar[3] et plus tard au au Congo[4]...
La réalité de l’Algérie sous domination coloniale
La confiscation des terres
Avant l’arrivée de l’armée française, les terres étaient détenues par les autochtones. Pour celles possédées par certaines tribus il s'agissait d'une propriété collective[5].
Durant les quatre premières années (1830 à 1834), il y eu un afflux de colons que la monarchie de Juillet décida d'installer sur place. Ils furent divisés en trois classes : ceux qui avaient assez de ressources pour construire leur maison, à qui on donna dix hectares ; les anciens militaires, qui reçurent six hectares ; les colons sans ressource à qui on attribua quatre hectares.
Cependant, l'afflux important de colons fut tel que les autorités militaires ne purent fournir des terres à tous les nouveaux arrivants. Le pouvoir colonial prit des mesures draconiennes, obligeant les nouveaux venus à avoir de quoi subvenir à leurs besoins pendant un an. A ce stade, les terres sont prises sur certains domaines ottomans. Du point de vue colonial cela ne suffit plus.
Lorsque la décision de conquête militaire totale est prise (1840), la guerre dévaste, extermine et fait fuir beaucoup d’autochtones. La puissance coloniale décide de confisquer les terres, avec une extrême violence, y compris celles des propriétaires ayant des actes écrits. Après la défaite d’Abd-el-Kader puis la conquête définitive sous Napoléon III, le nombre de colons augmente et l'expropriation des autochtones s'accroit.
En 1870 il y a 90.000 colons français. Le décret Crémieux, même s’il est restreint en 1871 à celles et ceux qui peuvent apporter la preuve d’être nés en Algérie avant la conquête (ou leurs ascendants), y ajoute 30.000 citoyens juifs séfarades qui obtiennent donc la nationalité française. Nous en sommes donc à 120.000 Français plus 30.000 Européens (Espagnols, notamment issus des Baléares, et Italiens en majorité).
Quant-aux autochtones, qui constituent la majorité de la population, leur nombre, résultat d'une politique d'extermination, diminue de 58% entre 1830 et 1872 et s'établit à 2,1 millions en 1872. Cette politique s'accompagne d'une déculturation. Ils constituent une main d'oeuvre saisonnière, corvéable à merci et sans statut. Napoléon III leur avait accordé en 1865 la qualité de Français, mais leur déniait toujours la jouissance des droits de citoyen, association des droits civils et des droits politiques ; de fait, ils sont sujets, liés malgré eux à la France et ne peuvent revendiquer une autre nationalité du fait de leur soumission à la France. Cette appartenance leur a valu l'enrôlement de force dans les premières et deuxième guerres mondiales.
A partir de 1873, la troisième République décide de vérifier les écrits qui permettent de justifier la possession des terres par les tribus. Elles n’en ont pas, nous étions dans le droit coutumier. Cela donnera donc la possibilité d’expropriations et d’un nombre important de nouvelles terres à donner aux colons. Ainsi, tous les gens, outre les tribus, ne pouvant justifier de ces écrits, sont expropriés.
La discrimination des indigènes : le code de l'indigénat
Quant aux droits civiques, la troisième République revient sur les maigres avancées que constituait le senatus-consulte de 1865 de Napoléon III[6]. C’est le code de l’indigénat[7]. Le séquestre des biens est de plus en plus fréquemment utilisé ; c’est en fait l’une des trois peines spécifiques qui peuvent s’appliquer aux indigènes pour des « infractions spéciales à l’indigénat non prévues par la loi française ». Codifiées en 1881, les infractions spéciales constituent progressivement un véritable Code de l’indigénat. Une liste de 27 infractions spécifiques à l’indigénat a été établie en 1874. Augmentée en 1876 et 1877, elle comporte en 1881, par exemple, les infractions suivantes : réunion sans autorisation ; départ du territoire de la commune sans permis de voyage ; acte irrespectueux ; propos offensant vis-à-vis d’un agent de l’autorité même en dehors de ses fonctions ; plainte ou réclamation sciemment inexacte ou renouvelée auprès de la même autorité après solution régulière.
En matière d'emplois publics, les indigènes depuis 1866, sont enrôlés - pour la plupart de force- dans les armées de terre ou de mer ou à certains emplois civils pour assurer un lien avec la population autochtone. Mais leur représentation dans les organes politiques élus en Algérie est limitée au tiers des conseillers municipaux dans les communes de plein exercice, bientôt réduit au quart par le décret du 7 avril 1884, ce nombre ne pouvant jamais dépasser le chiffre de six, y compris au sein du conseil municipal d’Alger, qui compte quarante conseillers. Enfin, les conseillers musulmans ne peuvent pas participer à l’élection du maire.
Naturaliser tous les colons, mais seulement les colons
Par la loi du 26 juin 1889, l’enfant né en Algérie d’un parent déjà né en Algérie est français à la naissance comme l’enfant né en France d’un parent né en France. Si les parents sont nés à l’étranger, l’enfant sera français à sa majorité, sauf renonciation dans l’année qui la suit. Cela permet d’endiguer le phénomène qui faisait que les étrangers étaient en passe de devenir plus nombreux que les Français (hors population indigène) ; mais les indigènes sont exclus de ce processus.
Au final, au recensement de 1954, l’ensemble des individus d’origine européenne et des autochtones juifs représente 1.000.000 de Français (dont 120.000 issus d’indigènes juifs) et 50.000 étrangers. Parmi les Français, on trouve beaucoup de naturalisés venus d’Espagne, Italie, Malte, etc. On compte 8.500.000 indigènes.
Qu’est-ce que la colonisation ?
Pour y répondre, nous nous appuierons sur l’œuvre majeure de Lénine ; « L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme »[8]
"Ce qui caractérise notamment le capitalisme actuel, c'est la domination des groupements monopolistes constitués par les plus gros entrepreneurs. Ces monopoles, sont surtout solides lorsqu'ils accaparent dans leurs seules mains toutes les sources de matières brutes, et nous avons vu avec quelle ardeur les groupements capitalistes internationaux tendent leurs efforts pour arracher à l'adversaire toute possibilité de concurrence, pour accaparer, par exemple, les gisements de fer ou de pétrole, etc. Seule la possession des colonies donne au monopole de complètes garanties de succès contre tous les aléas de la lutte avec ses rivaux, même au cas où ces derniers s'aviseraient de se défendre par une loi établissant le monopole d'Etat. Plus le capitalisme est développé, plus le manque de matières premières se fait sentir, plus la concurrence et la recherche des sources de matières premières dans le monde entier sont acharnées, et plus est brutale la lutte pour la possession des colonies. […]
Le capital financier ne s'intéresse pas uniquement aux sources de matières premières déjà connues. Il se préoccupe aussi des sources possibles ; car, de nos jours, la technique se développe avec une rapidité incroyable, et des territoires aujourd'hui inutilisables peuvent être rendus utilisables demain par de nouveaux procédés (à cet effet, une grande banque peut organiser une expédition spéciale d'ingénieurs, d'agronomes, etc.), par l'investissement de capitaux importants. Il en est de même pour la prospection de richesses minérales, les nouveaux procédés de traitement et d'utilisation de telles ou telles matières premières, etc., etc. D'où la tendance inévitable du capital financier à élargir son territoire économique, et même son territoire d'une façon générale. […]
L'exportation des capitaux trouve également son intérêt dans la conquête des colonies, car il est plus facile sur le marché colonial (c'est parfois même le seul terrain où la chose soit possible) d'éliminer un concurrent par les moyens du monopole, de s'assurer une commande, d'affermir les relations nécessaires, etc.
La superstructure extra-économique qui s'érige sur íes bases du capital financier, ainsi que la politique et l'idéologie de ce dernier, renforcent la tendance aux conquêtes coloniales. « Le capital financier veut non pas la liberté, mais la domination. », dit fort justement Hilferding".
La libération nationale en Algérie
« La guerre d’Algérie n’a pas commencé le 1er novembre 1954 ». Ainsi que le montre l'historien Alain Ruscio: "C’est par cette affirmation, en apparence paradoxale, qu’il faut aborder cet événement majeur du XXè siècle. En réalité, c’est de la conquête de 1830 qu’il faut partir pour comprendre l’accumulation qui a conduit à la guerre de 1954-1962. En fait, le peuple algérien n’a cessé de souffrir de la situation coloniale. Face à cela, les résistances n’ont jamais cessé, que ce soit sous la forme d’une première guerre, menée par l’Émir Abd-el-Kader jusqu’en 1847, ou des insurrections nombreuses, enfin sous la forme de mobilisations politiques nationalistes, que ce soit au sein de la population immigrée en France ou sur place. L’insurrection n’a pas surgi, en effet, comme un coup de tonnerre dans un ciel auparavant serein. En novembre 1954 et dans les années qui ont suivi, la seule réponse trouvée par les autorités fut la répression la plus violente. Il s’en suivit une guerre de plus de 7 années, meurtrière pour le peuple algérien, mais qui affecta également la population française"[9].
Il s’agit d’analyser le rôle des classes sociales et des forces politiques dans cet événement majeur. A la veille du déclenchement de la guerre de libération (1er novembre 1954), à côté d’un petit nombre de gros colons et de capitalistes, et d’une assez forte proportion de cadres supérieurs, la grande majorité de la population européenne d’Algérie est composée de familles modestes - petits exploitants agricoles, techniciens, employés de bureau, fonctionnaires, ouvriers professionnels, artisans, petits commerçants, etc... En revanche, il n’y a pratiquement pas de manœuvres ou d’ouvriers agricoles européens.
Le fait essentiel au point de vue économique et politique, c’est la disparité du niveau de vie entre Français d’Algérie d’une part et autochtones d’autre part. Le niveau de vie des autochtones atteint à peine 10 % du niveau de vie des colons ; et toute la structure sociale de l’Algérie est liée à la nature de la colonisation. La population musulmane est 8,5 fois plus nombreuse que la population non-musulmane. Or, 92 % des cadres supérieurs, 82 % des cadres moyens, 78 % des employés de bureau, 80 % des fonctionnaires sont français.
La plupart des luttes de libération nationale de cette époque ont été traversées par l'option tiers-mondiste du non-alignement ou d’un socialisme national, une sorte de troisième voie ; l’Algérie ne fait pas exception à la règle[10].
Quid du rôle de la population d’origine européenne ?
Quelle que soit leur couche sociale, les européens en Algérie ont très majoritairement choisi le camp du colonisateur. Seule une partie de la classe ouvrière et quelques intellectuels se sont engagés dans le combat pour la libération nationale, essentiellement dans les rangs du Parti Communiste Algérien.
Et ce fut bien pire pour le reste des couches populaires. Un petit fonctionnaire français en Algérie, fait partie des 20 % de la population ayant les niveaux de revenus les plus élevés. Il revendique, pour lui et ses enfants, un droit privilégié à son emploi. Il est habité par la conscience de son prestige social d’européen par rapport aux « bicots » et aux « ratons ». Il a donc une mentalité de classe dominante, et se solidarise avec les gros colons contre la révolution montante des indigènes. Le « petit blanc » sera même plus fanatiquement ultra que le « gros ». Car les capitalistes ont déjà leur fortune à l’abri, et seront toujours, en France comme en Algérie, des membres de la classe privilégiée ; tandis que le « petit blanc », même s’il retrouve son emploi en France, deviendra un prolétaire ou un demi-prolétaire, au lieu d’être un « prépondérant ». Et il ne peut espérer rester dans une Algérie indépendante qu’en perdant, là aussi, tous ses privilèges.
Le rôle du Parti Communiste Algérien
Et pourtant il y a en Algérie des hommes, essentiellement des communistes, qui ont cru à la possibilité de la fraternité par l’abandon de la prépondérance et à l’amitié franco-algérienne au-delà de l’indépendance. Le Parti Communiste Algérien fut créé en 1936, comme une entité séparée du PCF,[11] et s’ouvrit aux autochtones. A la veille de l’insurrection, il comptait plus d’adhérents et de dirigeants indigènes qu’européens. En petite partie, les adhérents du PCA étaient recrutés au sein de la stricte minorité qui avait pu aller à l’école, parfois bien au-delà, ayant été remarqués dès l’enfance par un instituteur, comme Boualem Khalfa, Sadek Hadjerès, Bachir Hadj Ali, Kateb Yacine, Mohammed Dib, Hamid Benzine... devenus médecins, journalistes, écrivains, enseignants, etc., cultivés, lisant la presse, écoutant la radio, voyageant, maniant avec la même aisance le Français et l’Arabe, certains le Kabyle. Peu nombreux, ils fournirent rapidement les cadres autochtones dont le parti avait besoin. Mais les plus nombreux des communistes autochtones étaient issus des couches populaires : ouvriers non qualifiés, dockers...
Si le PCA militait pour l'indépendance de l'Algérie, il opéra un réel tournant à partir de 1946, prenant en compte la nécessité du combat de libération nationale, d’abord en mettant sur le tapis la question nationale, puis en se prononçant pour l’autodétermination du peuple algérien, et la lutte qui va avec (1948), enfin pour l’indépendance de l’Algérie en étant à l’initiative de la création d’un « Front anti-impérialiste pour l’indépendance et pour la paix », avec trois organisations nationalistes : le MTLD[12] de Messali Hadj (plusieurs de ses dirigeants et militants rejoignirent le FLN après le début de l’insurrection, l’UDMA[13], de Ferhat Abbas, plus élitaire et assez strictement urbain, et le Conseil des Oulémas.
L’insurrection du 1er novembre et l’entrée en scène du FLN surprirent tous les militants connus du mouvement national, ainsi que ceux du PCA. Comme la plupart des acteurs historiques, ils ne surent pas alors à qui ils avaient affaire. Pour mémoire, se rappeler que l’appellation même de « Front de libération nationale », devenue célèbre dans le monde entier, était totalement inconnue de toutes les forces politiques d’Algérie et de métropole avant le 1er novembre 1954.
D’où des hésitations, des interrogations. Mais, fait remarquable, des communistes comprirent vite que le Mouvement national venait d’effectuer un bond qualitatif, certains rejoignirent les premiers maquis. Et le parti décida en juin 1955 de participer à l’insurrection en créant les « Combattants de la Liberté » et ses propres maquis, notamment en Kabylie, et surtout dans l’Oranais.
Quelques moments de la guerre d’indépendance
La classe paysanne indigène a massivement participé ou soutenu la guerre d’indépendance, mais elle n’en a jamais pris la tête. On peut faire le même constat pour la classe ouvrière, qui, en outre, était assez réduite en nombre. Renforcé assez vite de dirigeants venus du MTLD et du PPA[14], le FLN repose d’abord sur ses combattants, organisés dans 6 wilayas (régions militaires), qui constituent l’ALN (Armée de Libération Nationale). En 1956, le congrès de La Soummam[15] tenu dans la clandestinité, établit le FLN comme force centrale, avec la création du CNRA (Conseil National de la Révolution Algérienne). Le 19 septembre 1958, au Caire, est annoncée la création du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne), reconnu très vite par la Tunisie, le Maroc, la Syrie, le Liban et l’Egypte. Il sera présidé par Ferhat Abbas puis par Benyoucef Benkhedda et comptera nombre de dirigeants du FLN emprisonnés par la République Française comme Ahmed Ben Bella ou Mohamed Boudiaf.
Si les communistes prennent toute leur part dans la lutte armée, leurs maquis sont décimés ou rallient le FLN. Outre les plus connus Maurice Audin[16] et Henri Alleg[17], on peut citer le cas de l’Aspirant Maillot[18], désertant avec quelques hommes et un camion d’armes pour passer au maquis, ou de Fernand Yveton, militant communiste, adhérent du FLN à titre individuel, condamné à mort et guillotiné[19] pour avoir déposé une bombe afin d’endommager son usine et de priver Alger d’électricité. Mais, dans le FLN et l’ALN, nombre d’anti-communistes sévissaient. Et pas mal de militants communistes qui avaient rejoint les maquis de l’ALN furent assassinés, comme Laïd Lamrani et Georges Raffini, en 1955 dans le maquis des Aurès.
L'armement des maquis du FLN provenait essentiellement d'Égypte et était acheminé via le Maroc ou la Tunisie. À partir de 1958, les combattants FLN étaient suffisamment bien équipés et entraînés pour mener une guerre de guérilla. Devant la forte répression des forces françaises, les dirigeants de la rébellion durent constituer des dépôts d'armes en territoires tunisien et marocain. Lorsque la France renforce le contrôle des frontières et installe les lignes Challe et Morice[20], une grande partie de l'armement n'est plus acheminé. Il en résulte, à la fin du conflit, une armée des frontières du FLN surarmée, qui échappait le plus souvent aux forces françaises, et des « moudjahidines » du maquis en Algérie moins équipés. L’Etat-Major de l’ALN, installé à Oujda (Maroc) conteste la signature des Accords d’Evian, en raison des concessions économiques qui maintenaient des liens et une sujétion au pays colonisateur, et met en cause le GPRA. L’affrontement politique se dessine à l’intérieur du mouvement nationaliste. Le bureau politique du FLN et la direction de l’ALN (branche armée du FLN) appuient Ahmed Ben Bella, partisans d’un régime « socialiste » avec une place prépondérante de l’armée et s’opposent aux plus modérés du GPRA comme Benyoucef Benkhedda et aux dirigeants du FLN qui souhaitent garder la primauté du politique sur le militaire (Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem, Ali Kafi). Le 1er juillet 1962, le référendum donne une majorité écrasante à l’Algérie indépendante (plus de 99 %). La période couvrant les accords d'Évian jusqu'à la déclaration d'indépendance est largement documentée dans le livre : Algérie 1962. Une histoire populaire[21]. Plus tard, au début septembre, ce que l’on appelle l’armée des frontières entre à Alger après avoir combattu et vaincu des Moudjahidines des wilayas.
Krim Belkacem, dernier président du GPRA, après la démission de Benkhedda en juillet doit laisser la place à Ahmed Ben Bella lequel préside le nouveau gouvernement. Il est important de comprendre que Ben Bella était un disciple de Nasser, son « arabisme » s’expliquait beaucoup ainsi, notamment dans ce fameux discours où il déclame : « Nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes !!! ». Nous le verrons, Boumediene n’est pas Nasserien, il se méfie du Caire. Mais l’arabité lui sert de lien pour construire une politique jacobine.
Le traitement de la guerre d’Algérie par les Historiens en France
Depuis le discours de Sarkozy à Dakar[22], un certain nombre d’historiens qualifiés de gauche se sont élevés contre les propos du président de la République et de certains de ses affidés trouvant du mérite à la colonisation, dans le genre apport de la civilisation, ce que dénonça avec force Henri Alleg[23],. Le même Sarkozy, et Macron fait de même, alla jusqu’à donner des leçons aux dirigeants africains et même aux Africains tout court, qui seraient responsables de la gabegie. Cette position de la Grande Bourgeoisie et de certains politiciens de droite n’est pas nouvelle. Comme la question est venue du contenu des manuels scolaire, une flopée d’historiens ou pseudo-historiens a soulevé la controverse en disant que la colonisation n’avait pas que des bons côtés et qu’il fallait montrer tous ses visages.
C’est oublier un peu vite le coup d’Etat des généraux fascistes à Alger en 1961, et le rôle essentiel des appelés. C’est le contingent qui a fait échouer le putsch en refusant d’obéir aux ordres des factieux. Cela invalide, au moins en partie, la théorie du « tous responsables ».
Comme souvent en France, avant ces dérives, la controverse s’est focalisée sur l’Algérie. Le héraut des historiens qualifiés de gauche concernant la guerre d’Algérie, Benjamin Stora a travaillé sur les archives, françaises comme algériennes. Cela n'invalide pas le fait fondamental de l’oppression coloniale et la lutte de libération nationale. On ne peut donc « partager les torts » ; ils sont tous du côté de la colonisation.
Et après ?
Qu’est devenue l’Algérie libre et indépendante ? Cette question ne saurait être occultée quand on célèbre cet anniversaire.
Une fin prévisible ?
Commençons par une citation de Frantz Fanon, psychanalyste marxiste, l'un des théoriciens du tiers-mondisme et des luttes de libération anticolonialistes, membre du FLN, et auteur de l’ouvrage « Les Damnés de la Terre » et de L'an V de la révolution algérienne1959, rééd., La Découverte, 2011[24]. Fanon nous dit ceci : « Parce qu’elle n’a pas d’idées, parce qu’elle est fermée sur elle-même, coupée du peuple, minée par son incapacité congénitale à penser l’ensemble des problèmes en fonction de la totalité de la nation, la bourgeoisie nationale va assumer le rôle de gérant des entreprises de l’Occident et pratiquement organisera son pays en lupanar de l’Europe. ». Commentant cette citation, le sociologue anglo-états-unien Michael Burawoy[25] insiste : « La bourgeoisie nationale commence par copier les institutions occidentales – constitutions politiques et manifestations extérieures de son économie – mais la démocratie pluripartite dégénère en un régime de parti unique, puis en une dictature d’un seul homme. Fanon a exprimé d’une manière saisissante ce qui allait se passer en Afrique postcoloniale. Ce n’était pas de la spéculation vide. C’est ainsi que les choses se sont passées. ». Certes, en peignant ce tableau si noir de la voie nationale bourgeoise, Fanon veut nous convaincre que la seule voie progressiste pour la libération nationale est la transformation de la structure de classe, autant dire la révolution socialiste, mais n’est-ce pas aller un peu vite en besogne ? Et peut-on appliquer telle quelle cette vision à l’Algérie indépendante ? On peut légitimement objecter que Fanon omet qu’il y a une Bourgeoisie compradore (favorable à la puissance impérialiste) face à la Bourgeoisie nationale, qui s’est matérialisée en Algérie avec les courants fascistes islamistes, très proches des USA et que Burawoy, qui écrit en 2002, oublie tout simplement le rôle qu’a pu jouer l’effondrement de l’URSS et des pays socialistes d’Europe.
Le parti unique
Essayons de regarder les choses de plus près. Même si des éléments de socialisme sont introduits, qui dureront jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Chadli Bendjedid, fondamentalement, le régime dirigé par Ben Bella puis Boumediene relève de ce que l’on a appelé le « nationalisme arabe ». Devenu chef du gouvernement le 27 septembre 1962, puis élu président de la République le 15 septembre 1963, Ahmed Ben Bella s’appuie sur l’armée et sur le FLN qu’il a conçu et établi comme parti unique (le PCA est interdit en novembre 1962), le Parti de la Révolution Socialiste, fondé en septembre 1962 par Mohamed Boudiaf, l’est en juin 1963 et le Front des Forces Socialistes, fondé en septembre 1963 par Hocine Aït-Ahmed est interdit dès sa création). Il en devient le secrétaire-général en avril 1963, à la suite de Mohamed Khider. Le concept de parti unique n’est pas une obligation dans les régimes nationalistes arabes, il n’y a pas de parti dans la Libye de Mouammar Khadafi, et le parti Baas n’est pas le seul parti en Syrie et même en Irak jusqu’à la répression sanglante déclenchée par Saddam Hussein en 1976. Mais, l’Egypte, modèle de Ben Bella, en possède un, l’Union Socialiste Arabe.
Dans un Etat où la bourgeoisie nationale est au pouvoir, avec un modèle d’élections calqué sur la république démocratique bourgeoise d’Europe, le parti unique est un conglomérat, un creuset qui regroupe tout le monde ; on sait que les dirigeants les plus importants du FIS, le parti islamiste, étaient auparavant membres du comité central du FLN.
Houari Boumediene se méfiait des partis politiques. Après son coup d’Etat du 19 juin 1965, il augmente la pression contre le PCA interdit, emprisonne certains dirigeants, tandis que d’autres fuient l’Algérie. Pour autant, il continuera la politique de rapprochement avec l’URSS et Cuba et adoptera des mesures à caractère socialiste ; mais il voulait lui aussi un parti unique afin que les choses aillent dans le sens qu’il avait choisi. Néanmoins, il se méfiait aussi du FLN, qu’il s’est attaché à contrôler, en en confiant la direction à ses fidèles : Kaïd Ahmed, puis Mohamed Salah Yahiaoui, véritable numéro deux du régime, qui redynamisera le parti à partir de 1977.
L’impasse de l’arabité
De la période où Houari Boumediene dirigea l’Algérie, on retiendra d’abord le concept d’arabité. Yahiaoui, et, dans une certaine mesure, Boumediene étaient proches des thèses du parti Baas. Si l’Algérie de Boumediene était clairement un Etat laïc, cette arabité portait en elle la puissance de l’islam dont l’arrivée en force sur le devant de la scène se fera avec le code de la famille dès le successeur de Boumediene.
Le grand écrivain Kateb Yacine, marxiste-léniniste, avait pourtant prévenu, dès 1962 : « Aujourd'hui, par les armes, nous avons mis fin au mythe ravageur de l'Algérie française, mais pour tomber sous le pouvoir d'un mythe encore plus ravageur : celui de l'Algérie arabo-musulmane, par la grâce de dirigeants incultes. L'Algérie française a duré cent trente ans. L'arabo-islamisme dure depuis treize siècles ! L'aliénation la plus profonde, ce n'est plus de se croire français, mais de se croire arabe. Or il n'y a pas de race arabe, ni de nation arabe. Il y a une langue sacrée, la langue du Coran dont les dirigeants se servent pour masquer au peuple sa propre identité ! » Nul doute que l’absence de combat contre l’arabo-islamisme est pour beaucoup dans l’état actuel de l’Algérie.
Une Algérie réellement progressiste
Mais il ne faut pas omettre les mesures prises, sous la direction de Boumediene, à caractère socialiste. Le symbole est, bien sûr, la nationalisation des hydrocarbures le 24 février 1971, mais il faut aussi évoquer la gratuité des soins, celle des études, le recours à la planification, et, au plan démocratique, la création des assemblées populaires communales et des assemblées populaires de wilaya, sur le modèle des comités de défense de la Révolution de Cuba.
En guise de première conclusion
Depuis la mort de Houari Boumediene, avec l’éviction de Mohamed Yahiaoui, l’arrivée au pouvoir de Chadli Bendjedid, malgré le court passage au pouvoir, au début des années 90 de Mohamed Boudiaf puis d’Ali Kafi, l’Algérie n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était, réellement, et symboliquement auprès de tous les peuples du Tiers Monde. Une bourgeoisie compradore contrôle le pays depuis Chadli, de manière ininterrompue sauf l’intermède Boudiaf-Kafi. Pour autant, soixante ans après, il reste des traces fortes de l’héritage de ceux des combattants du FLN qui voulaient la Révolution, et des combattants du PCA. Il reste des traces de l’héritage de la période socialiste sous Houari Boumediene. Le mouvement du Hirak l’a montré.
24/11/2022
https://www.sitecommunistes.org/index.php/publications/documents/2075-soixantieme-anniversaire-de-l-independance-de-l-algerie-a-propos-d-une-lutte-anticoloniale-exemplaire
.
Les commentaires récents