Pour l’historien Fabrice Riceputi, la République devrait honorer la mémoire de ce haut fonctionnaire qui vécut la disgrâce pour avoir dénoncé les exactions de l’armée française en 1957.
Des soldats français fouillent des passants, le 16 janvier 1957, lors de la bataille d’Alger. JACQUES GREVIN / AFP
Il faudrait « élever une statue » à Paul Teitgen, écrivait le romancier Alexis Jenni. Parmi les gestes symboliques relatifs à la guerre d’indépendance algérienne accomplis par Emmanuel Macron, il en est un qu’on pourrait s’étonner de ne pas trouver : un hommage enfin rendu au seul des hauts fonctionnaires de la République qui, au cœur de l’appareil d’Etat colonial en 1957 à Alger et dans une terrible solitude, eut le courage de mettre en péril une brillante carrière en refusant d’être le complice de crimes contre l’humanité.
Pourquoi cette sorte de héros moral reste-t-il dans l’anonymat ? Il n’était pas de ces « ennemis de la France » que les rapports de police qualifiaient alors de « séparatistes » et qu’il est toujours trop gênant politiquement d’honorer aujourd’hui, à l’image de l’avocate Gisèle Halimi, qui défendit des combattants du FLN. Chrétien-démocrate, ancien résistant déporté, issu de la première promotion de l’ENA, « France combattante », partisan à cette date de la présence française en Algérie, il avait été nommé en 1956 à la préfecture d’Alger pour participer à rétablir l’ordre colonial menacé par l’insurrection.
C’est lui, par exemple, qui supervisa l’arrestation en novembre 1956 du militant communiste Fernand Iveton, interdisant du reste en vain à la police de le torturer. Puis vint en 1957 ce que la propagande française baptiserait la « bataille d’Alger ». Chargé d’un contrôle civil illusoire sur l’activité répressive des militaires, Paul Teitgen devint alors la caution morale d’une terreur militaro-policière qui le révulsait.
Menacé de mort par l’OAS, éloigné au Brésil
C’est au nom d’un attachement viscéral à des valeurs républicaines dont il constatait à ce poste le viol quotidien et massif qu’il tenta en vain de s’opposer à Massu et à ses parachutistes, ces « seigneurs de la guerre aux terrifiants caprices » (Sartre). Et c’est au nom de ces mêmes valeurs, associées à celles du christianisme, qu’après deux mois il adressa au gouverneur Robert Lacoste une lettre de démission solennelle et accusatrice. Il y demandait à être relevé de fonctions qui le rendaient complice de crimes selon lui identiques à ceux de la Gestapo. Lui-même, rappelait-il, avait été de ces « humiliés dans l’ombre » suppliciés à l’eau et à l’électricité, comme à présent les milliers de « suspects » algériens.
Il mit ainsi en danger sa carrière, mais aussi sa vie : haï par les militaires et les « ultras » de l’Algérie française comme « traître », il fut menacé de mort par les parachutistes de Massu puis par l’OAS. Après son expulsion d’Algérie par le général Raoul Salan en mai 1958, témoin trop gênant, il fut privé – fait sans précédent dans l’histoire de la préfectorale – de poste et de traitement durant deux ans, à l’instigation du premier ministre Michel Debré, et même éloigné au Brésil pendant six mois, avant d’être nommé au Conseil d’Etat, bâillonné ainsi par l’obligation de réserve. Malgré cela, il témoigna auprès de l’historien Pierre Vidal-Naquet et devant la justice, notamment en défense de « porteurs de valises » pourtant fort éloignés de lui politiquement. En 1991, il mourut dans l’anonymat.
A ce jour, nul n’a formulé, au nom de la République qu’il adulait, le moindre regret pour ce traitement. Pourtant, quelle plus belle figure pour l’édification citoyenne que celle de ce courageux grand commis de l’Etat, intransigeant sur les principes républicains ? D’autant que le système de terreur auquel Paul Teitgen s’opposa a été, on l’a peu noté, reconnu officiellement comme tel par l’Elysée en 2018, dans une déclaration sur le meurtre par l’armée française de Maurice Audin, mathématicien et militant communiste arrêté en juin 1957 lors de la « bataille d’Alger ».
Des crimes comparables à ceux des nazis
Mais il est toujours politiquement impossible de faire de Teitgen un « juste » de la République. Pas plus, du reste, que du général de Bollardière, qui quitta l’armée pour protester contre la torture. Et pour les mêmes raisons exactement que celles qui ont empêché la panthéonisation de Gisèle Halimi.
Car honorer l’une comme l’autre reviendrait à reconnaître que la République coloniale à l’agonie et ses dirigeants commandèrent et couvrirent en Algérie – comme auparavant en Indochine et plus tard notamment au Cameroun – des crimes en effet comparables, beaucoup osaient alors le dire en métropole, à ceux des nazis durant l’Occupation : disparitions forcées, torture, viols, exécutions sommaires, toutes exactions aujourd’hui solidement documentées par les historiens et qualifiées en droit international de crimes contre l’humanité.
Ce serait aussi rappeler le passé criminel de nombreux officiers de l’armée, dont certains, véritables Klaus Barbie français, n’en firent pas moins après 1962, à la faveur de l’amnistie et de l’omerta sur ce passé honteux, de brillantes carrières, couverts d’honneurs alors qu’ils auraient dû l’être d’opprobre.
Enfin, ce serait s’engager sur une voie que sembla un temps vouloir emprunter l’actuel président lorsqu’il était candidat [en 2017], mais qu’il quitta bien vite une fois élu, s’évertuant depuis à éviter d’affronter la question pourtant essentielle : celle d’une nécessaire condamnation morale et politique par la République de la colonisation elle-même, dont la sale guerre d’Algérie et son cortège de crimes et de souffrances ne furent que l’aboutissement tragique.
Fabrice Riceputi est historien. Il est notamment l’auteur d’Ici on noya les Algériens (Le Passager clandestin, 2021) et de l’article « Paul Teitgen et la torture pendant la guerre d’Algérie, une trahison républicaine », 20 & 21. Revue d’histoire, (Presses de Sciences Po, n°142, avril-juin 2019, pp. 3-17).
Le militant nationaliste, ancien cadre du Parti communiste algérien, est mort le 3 novembre à Paris, où il vivait en exil depuis 1990. Il avait 94 ans.
Hadjerès au salon Le Maghreb des livres, en février 2015. INDIF / WIKIMEDIA COMMONS
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Au lendemain des émeutes sanglantes d’octobre 1988 qui ont ouvert la voie au multipartisme, les Algériens avaient pu enfin mettre un visage sur un nom déjà légendaire. Sadek Hadjerès, 60 ans à l’époque, avait passé près de trente années de sa vie dans la clandestinité. Recherché par l’armée française durant la guerre d’indépendance entre 1955 et 1962, il avait ensuite été traqué par les services de sécurité de l’Algérie indépendante. Figure historique de la gauche, le militant communiste est mort le jeudi 3 novembre à Paris, où il vivait en exil depuis 1990. Il avait 94 ans.
Fils d’instituteur, Sadek Hadjerès est né le 13 septembre 1928 à Larbaa Nath Iraten, en Kabylie. Après des études de médecine, il exerce dans le quartier populaire d’El Harrach, qui était à l’époque la banlieue est d’Alger. En 1943, il appartient aux Scouts musulmans algériens, voie de passage traditionnelle vers le Parti du peuple algérien (PPA, indépendantiste). Dissoute par les autorités coloniales, la formation s’est recréée sous la bannière du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Sadek Hadjerès milite dans sa branche estudiantine et devient en 1950 le président de l’Association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord.
Dans un contexte de marasme au sein du parti nationaliste, le jeune homme devient à son corps défendant, en 1949, l’un des protagonistes de ce que les historiens du mouvement national algérien appellent la « crise berbériste », formulation qu’il a constamment récusée. Sadek Hadjerès, avec deux autres jeunes militants, avait publié une brochure, intitulée L’Algérie libre vivra et signée collectivement « Idir El Watani », développant la vision d’une nation multiculturelle, «résultat d’un pacte tacite qui demande chaque jour à être renouvelé». La direction du MTLD y voit une « manipulation berbériste et anti-arabiste».
Condamné aux travaux forcés
Sadek Hadjerès démissionne et rejoint le Parti communiste algérien (PCA), dont il devient rapidement un dirigeant : il entre au comité central en 1951, puis au bureau politique en 1952. Trois ans plus tard, il est élu conseiller général à El Harrach, mais l’interdiction du PCA, en septembre 1955, le fait basculer dans sa première longue clandestinité.
Dans une Algérie en guerre depuis le 1er novembre 1954, Sadek Hadjerès et les autres dirigeants du PCA sont en situation de divorce silencieux avec le Parti communiste français (PCF). Le PCA se lance en 1955 dans la lutte armée en créant l’organisation des Combattants de la libération (CDL), que Sadek Hadjerès codirige avec Bachir Hadj Ali. Parmi les actions les plus connues des CDL, implantés surtout dans l’Ouarsenis (nord-ouest), figure le fameux convoi d’armes détourné le 4 avril 1956 par l’aspirant Henri Maillot, lequel sera tué le 5 juin suivant.
Condamné par contumace à vingt ans de travaux forcés pour « association de malfaiteurs et atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat », Sadek Hadjerès va négocier, fort de cet apport en armes, avec les dirigeants du Front de libération nationale (FLN) pour intégrer les combattants du CDL au sein de l’Armée de libération nationale.
Alors que le PCA s’est engagé en faveur de l’indépendance, le PCF vote le 12 mars 1956 la loi sur les « pouvoirs spéciaux » accordés au gouvernement français pour rétablir « l’ordre » en Algérie. Le divorce est consommé avec les communistes algériens. Dans la clandestinité, à Alger, Sadek Hadjerès sera, avec Bachir Hadj Ali, la « voix » du PCA jusqu’à l’indépendance du pays, le 5 juillet 1962.
Des militants raflés et torturés
Sadek Hadjerès reprend son travail de médecin, mais le retour à la vie normale est perturbé à la suite de l’interdiction du PCA, le 29 novembre 1962, par le nouveau pouvoir d’Ahmed Ben Bella, qui instaure le parti unique. Après un court intermède où il œuvre à mettre en place un appareil clandestin, Sadek Hadjerès entre dans sa deuxième période de clandestinité, la plus longue, à la suite du coup d’Etat du 19 juin 1965 du colonel Houari Boumédiène. Il est, en janvier 1966, parmi les fondateurs du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), qu’il dirige et dont l’influence sera notable dans le monde syndical et à l’université.
Tout en dénonçant « l’arbitraire », le PAGS apporte son soutien aux « actes progressistes » du gouvernement. Il va ainsi encourager et soutenir la nationalisation des hydrocarbures, en 1971. Mais la relative tolérance du régime à l’égard de la formation fait place, à la mort de Boumédiène en 1978, à une politique de plus en plus répressive. A la veille des émeutes d’octobre 1988, des centaines de militants du PAGS sont raflés à titre préventif et torturés.
En 1989, Sadek Hadjerès sort de la clandestinité et le PAGS est légalisé. Le processus démocratique entamé après les émeutes d’octobre 1988 est vite pris en tenaille entre la montée du Front islamique du salut (FIS), qui capte la colère populaire, et les puissantes entraves de l’intérieur du régime. L’attitude à avoir à l’égard des islamistes provoque une profonde crise au sein du PAGS. Sadek Hadjerès, en désaccord avec la ligne « éradicatrice » – couplée au renoncement au combat social – prônée par la nouvelle direction, se retire de l’activité partisane, comme de nombreux cadres et militants. Les nouveaux dirigeants liquident le PAGS et lancent un nouveau parti.
En exil entre la France et la Grèce, Sadek Hadjeres défend dès lors ses positions sur le site Socialgérie. Auteur de deux livres sur la révolution algérienne, il intervenait régulièrement dans le débat à travers des contributions publiées dans la presse. Il a apporté un soutien chaleureux au mouvement protestataire du Hirak, en 2019-2020, dont il a loué le pacifisme. « La qualité de ce mouvement, cette obstination à ne pas franchir le pas de la violence, c’est quelque chose d’extraordinaire », disait-il.
Aujourd’hui dans Totémic, il est question de 70 ans d’histoire de l’Algérie, grâce à un roman qui s’intitule “Au vent mauvais” de Kaouther Adimi. Elle a 36 ans, est née en Algérie et fait partie de cette nouvelle génération d’artistes qui s’empare de son histoire par le biais du roman.
Parfois une vie ne tient qu’à un pas, même un tout petit. Le pas qu’un jeune homme fait presque malgré lui, en direction d’un camion qui va l’emmener sur les fronts de la seconde guerre mondiale.
Il s’appelle Tarek. Il est né en 1922 et il est berger dans un village, à l’Est de l’Algérie.
Tarek aime Leïla. Le genre de gamine qui s’échappe de la maison pour aller jouer avec les garçons jusqu’à ce que son père installe des barreaux aux fenêtres.
“Au Vent Mauvais”, 5ème roman de Kaouther Adimi raconte l’amour entre Tarek et Leïla, en même temps que 70 ans d’histoire de son pays, l’Algérie.
Comment la vie de ces deux-là fut ballotée par le siècle ? Comment Tarek et Leïla ont existé dans la broyeuse d’événements qui les poussaient à l’effacement.
La vie de cet homme et de cette femme va aussi être abîmée par la publication d’un livre, écrit par un ami qui les trahit.
Le pouvoir des mots, le silence, ce que les enfants héritent de nos peines.
Il y a tout ça dans “Au vent mauvais”.
Extraits de l'entretien
Parler de la Guerre d’Algérie
Jusque-là, Kaouther Adimi ne s’intéressait pas à la Guerre d’Algérie. Mais elle a décidé d’écrire dessus dans son dernier livre Au vent mauvais : « Plus jeune, j'ai évité de m'intéresser à ce moment historique. Les symboles de la Guerre d'Algérie étaient trop présents dans mon pays. L’Algérie glorifie sa guerre d'indépendance. Or, ma génération a connu une autre guerre : la guerre civile des années 90, ou la décennie noire. Mais elle est aujourd’hui effacée de l'histoire politique, ou de l'actualité. En comparaison, la Guerre d’Algérie nous semble un peu loin. Par ailleurs, cet épisode historique, est raconté en noir et blanc. On passe sous silence tout ce qui peut gêner. On efface les femmes qui ont énormément participé avant d’être mise de côté dès l’indépendance. J'étais aussi marquée par le fait que toute tentative de raconter une histoire de l'Algérie un peu différente de la version officielle était extrêmement mal reçue. Le film "L’Oranais de Lyes Salem" a été interdit de salle parce qu'il montrait une vision des anciens moudjahidine qui ne plaisait pas. »
Une mutinerie à Versailles en 1944
Dans son dernier livre, l’écrivaine Kaouther Adimi raconte un épisode méconnu des relations franco-algériennes : « Mon grand-père connaissait des ordres en allemand qu'il avait appris pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a fait partie de ces fameux soldats nord-africains qui ont défendu la France.
J'ai eu connaissance d’une histoire à Versailles qui a accueilli beaucoup de ces troupes-là en mai 1944. J’avais trouvé quelques lignes sur cet épisode. Ce n’était pas assez, mais pour raconter une histoire. Je suis donc partie enquêter dans les archives de la police et du ministère de l'Intérieur. Là, j’ai trouvé des informations sur ces soldats d’Afrique du Nord cantonnés par milliers à Versailles.
On leur dit qu’ils seront rapatriés sous huit jours, mais ils restent là des mois. Les Versaillais n'en peuvent plus de ces soldats étrangers dont ils ne veulent pas. Ils prennent toute une série d'arrêtés leur interdisant l'accès aux cinémas, aux cafés, ou aux bordels. Cela conduit à une mutinerie. En décembre 1944, pendant quelques heures, des soldats nord-africains ont pris toute la ville de Versailles. La gendarmerie et le ministère de l'Intérieur réagissent en menant une rafle contre des Nord-Africains dans des cafés qui n'ont rien à voir avec cette histoire. Mais il faut rehausser le prestige de la gendarmerie et donc on va arrêter des gens à l'aveugle. Cela dit beaucoup sur les violences policières à l'issue des populations nord-africaines. »
La littérature peut sauver, mais aussi faire beaucoup de mal
Dans son livre, il y a le personnage Leïla inspirée de la propre grand-mère de l’écrivaine. Une femme très forte, mariée mineure à un ami de son père et qui décide de divorcer contre l'avis de tout le monde. Un de leurs amis, le frère de lait de Tarek, va écrire un livre qui raconte leur histoire. Leila et Tarek vont se sentir dépossédés de leur identité. « J’ai longtemps mis cette histoire de côté, car j’admire cet écrivain. J’avais l'impression de trahir mon grand-père avec cet attrait. J'ai donc mis du temps à la raconter.
J'avais envie de poser la question de la responsabilité de l'écrivain. C'est une chose que nous les artistes n'aimons pas beaucoup. On aimerait créer comme on le souhaite.
Moi, je pense que nous les écrivains avons un pouvoir extraordinaire proche de celui de Dieu. On imagine ce que l'on veut, on crée les êtres que l'on souhaite, on en fait ce qu'on veut, on crée des univers... On a un pouvoir tout-puissant… Mais quelle est notre responsabilité lorsqu'on utilise et qu'on vampirise des gens qu'on a rencontrés ? Surtout lorsqu'on a le souhait qu'ils soient identifié,s et identifiables, qu'on garde le même nom, le même âge, les mêmes prénoms pour ses personnages... D’autant, et c’est très violent, qu’il s'agissait là de personnes très éloignées du livre. Cet objet qui ne signifiait pas grand’chose pour eux devient dangereux. Leila a l'impression qu'elle a disparu dans le livre qui a pris sa place. »
La carte blanche de l'invitée
Kaouther Adimi : "J’ai ouvert le grand placard, celui qui contient des classeurs et des boites de rangement. Ma vie répertoriée, classée, documentée. Quelque part là-dedans, se trouve un vilain papier reçu il y a une dizaine d’années.
J’ignore où il se cache. Alors j’ouvre les boites au hasard pendant que sur les chaînes de radio Gérald Darmanin promet de rendre « impossible » la vie des étrangers soumis à une OQTF, tout cela sur fond de crime atroce. Je me retrouve vite envahie d’avis d’imposition, de factures téléphoniques, de fiches de paie, et que sais-je encore. Je plonge dans les souvenirs de cette dernière décennie passée en France. Les adresses qui changent au grès des déménagements, les contrats d’édition, les courriers obscurs de l’URSSAF, ici et là, des lettres de lecteurs, des photos, des articles de presse.
Je ne le retrouverai pas ce vilain papier dans sa vilaine enveloppe. Je sais pourtant que je ne l’ai pas jeté, que ce vilain papier dans sa vilaine enveloppe m’a suivi tout ce temps. Je sais qu’il n’est plus là mais je sais aussi qu’il est là. Qu’il a simplement été enseveli sous la vie qui a continué après l’avoir reçu. Et je sais aussi que quelque part dans les archives d’un avocat, se trouve une copie du vilain papier et de la vilaine enveloppe sur laquelle figure deux tampons : celui de la date qui fait foi et celui d’une préfecture de police.
Je cherche le vilain papier pendant que des journalistes rapportent que le gouvernement veut inscrire toutes les OQTF au fichier des personnes recherchées.
Il y a une dizaine d’années, dans une vilaine enveloppe, moi aussi j’ai reçu une OQTF.
C’est étrange la mémoire et ce qu’on conserve des évènements. La texture du papier, la moquette grise de ma chambre d’étudiante et le ciel qui tombe, la nuit à travers la grande fenêtre, uniquement la nuit, comme si elle avait déteint sur le jour. Les gens autour de moi qui se mobilisent, l’avocat, bien droit, l’avocat qui photocopie la vilaine lettre, qui fera des miracles en moins de trente jours.
Du reste, je ne me souviens de presque rien. Si ce n’est de cette intime conviction : moi, je n’applaudirai jamais à la justice des injustes."
Il est devenu instituteur en Kabylie (Akfadou) dès 1960 jusqu’à son retour définitif en France en 1975. Son épouse l’a rejoint en 1963 pour enseigner dans la même école. Grâce à cet instituteur, la petite école dans laquelle il a travaillé, a contribué à changer la sociologie de toute la région : chaque année des dizaines d’élèves sont admis parmi les meilleurs du département, au certificat d’études et en sixième si bien qu’au bout de deux décennies, Akfadou eut ses premiers médecins, ingénieurs, comptables, instituteurs… Le couple d’instituteurs dut quitter l’Algérie suite au décret faisant obligation aux directeurs d’écoles d’avoir la nationalité algérienne. A travers ce documentaire le réalisateur montre l’amitié bien réelle entre un ancien soldat français devenu instituteur, et une population qui a su se mettre au-dessus des considérations politico-historiques.
Dans un entretien avec Joëlle Hazard, journaliste et experte des questions du Moyen Orient, notre chroniqueur Xavier Houzel revient, avec l’indépendance d’esprit et l’érudition qu’on lui connait, sur les accords de Minsk de 2014, qui n’ont jamais été appliqués, sur le double jeu américain, sur les propositions de paix du Pape François, sur la responsabilité des crises en Palestine et en Syrie dans le déclenchement du conflit ukrainien, ou encore sur la prise de conscience israélienne du danger que représenterait une guerre totale.
Xavier Houzel veut conserver l’espoir que la poursuite d’un dialogue auquel, selon lui, croit encore Poutine, ouvrira la voix d’un règlement de la guerre en Ukraine, dont beaucoup d’acteurs internationaux, y compris en tète les États Unis, portent une part de responsabilité.
Le président russe, Vladimir Poutine, s’est exprimé ce jeudi après-midi lors du forum du club Valdaï. « Nous sommes à un moment historique. Nous sommes sans doute face à la décennie la plus dangereuse, la plus importante, la plus imprévisible » depuis 1945, a-t-il notamment indiqué.
Joelle HazardL’escalade se poursuit entre la Russie et l’Ukraine, même si le froid va contribuer à geler provisoirement la situation sur le terrain. Comment expliquez-vous qu’aucune médiation n’ait pu aboutir après huit longs mois de guerre ?
Xavier Houzel Aucune tentative de médiation intelligente n’a été encore osée par personne, à deux exceptions près, celle du Pape François – qui est sur la durée – et celle de l’Algérie – qui est la plus récente ! Et à cela, je ne vois qu’une double explication de complotiste : que l’escalade actuelle est entretenue de l’extérieur – comme le furent, depuis la seconde guerre mondiale, toutes les surenchères révolutionnaires et guerrières au Moyen-Orient – et que l’affrontement en cours n’a pas encore atteint son objectif. Il est risqué de s’opposer de front à l’Amérique.
On revient toujours au Pétrole, au Gaz et à leurs routes et à ce que les philosophes allemands appellent le Dasein – l’être-en-situation – que le président Poutine et Israël traduisent par Existence. La Russie post soviétique et Israël ont, l’une comme l’autre, un problème existentiel. Une médiation voudrait, pour être un succès, qu’une analyse du mal et de ses racines soit faite au préalable, comme le fait le Pape en élevant le débat et comme l’Algérie a tenté de le faire au Sommet de la Ligue Arabe, le Jour des morts, à Alger, en le recentrant à son tour sur la question de la Palestine.
« Les crises de Palestine, d’Iran et de Syrie sont congénitalement liées à celle de l’Ukraine ».
La question n’est pas de savoir s’il faut coûte que coûte arrêter cette guerre pendant qu’elle bat son plein ou s’il serait préférable d’attendre le verdict des armes, comme le président ukrainien Volodymyr Zelensly insiste pour le faire. Bien sûr qu’il faut tout faire pour arrêter cette guerre, non seulement parce qu’elle est meurtrière, mais aussi parce qu’elle est inepte.
Dans son discours du 27 octobre devant les membres du Club Valdaï, le président Poutine s’en est pris à l’Occident Il a aussi déploré le fait que le président Macron ait rendu publique une partie de la conversation qu’ils avaient eue ensemble. Mais, par ce même message, ce dernier lui propose implicitement de poursuivre leur dialogue mais « autrement »
Joelle Hazard Comment a-t-on fait pour en arriver là ? Quelles sont les causes de la guerre ? Qui a tort et qui a raison ?
Xavier Houzel. À la fin de la Guerre Froide, des accords écrits et non écrits ont été passés : l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) devait rester cantonnée à bonne distance des nouvelles frontières ; or ce modus vivendi n’a pas été respecté. Privée des anciens satellites de la défunte Union Soviétique, la Russie attendait de ses voisins à l’Ouest qu’ils multipliassent avec elle des échanges économiques équilibrés ; or ce ne fut pas fait, non plus.
Le gazoduc Brotherhood construit par l’Union Soviétique en 1967 pour approvisionner l’Ukraine et l’Allemagne de l’Est, faisait l’objet de coulages (loss in transit) et d’énormes arriérés de paiement, aussi la Russie et l’Allemagne Fédérale s’étaient-elles résolues à contourner le mauvais payeur (l’Ukraine) en construisant successivement les deux gazoducs sous-marins de « Nord Stream I » et de « Nord Stream II », à grand prix !
En 2014, la révolution de Dignité, dite de Maïdan, s’était soldée par des accords intérimaires entre l’Ukraine et la Russie sur la Crimée et les minorités russophones de l’Est et du Sud ; or ces Accords, dits de Minsk, n’ont jamais été mis en œuvre, en dépit de garanties formelles données à Moscou par la France et l’Allemagne. Le dasein était funeste.
« Lorsqu’un contingent de l’armée russe envahit l’Ukraine, en février 2022, ce fut un tollé comme pour un viol dans une maison close ! »
En d’autres temps, bien avant les images de chars en mouvement, un général de Gaulle se serait fait une idée précise du casus belli. À coup sûr, au moins trois de ses successeurs, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac, en auraient fait autant : c’était l’honneur de la France ! Le gouvernement français s’honorerait aujourd’hui de ne pas attendre 60 ans, comme avec le rapport de Benjamin Stora sur la Guerre d’Algérie, pour démêler le vrai du faux parmi les allégations qui circulent sur les ingérences américaines et anglaises en Ukraine depuis 2013.
La guerre d’Ukraine n’est plus une opération spéciale conduite pour une affaire de bornage chez des voisins indélicats, c’est bel et bien une guerre ouverte livrée entre les États-Unis d’Amérique et la Fédération de Russie sur un théâtre d’opérations ukrainien, réduit à une fonction de proxy en informatique. L’enjeu d’un seul accès à la Crimée par le couloir du Donbass n’aurait jamais justifié de tels transports – un pont flambant neuf y suppléant !
« Les enjeux de cette guerre dépassent très largement les frontières de l’Ukraine ».
L’Américain et le Russe tiennent chacun leur prétexte : l’OPEP Plus pour l’un et l’extension de l’OTAN pour l’autre, deux interdits à ne pas transgresser. Et ils n’en démordent pas. Il ne s’agit pas de leurres, mais de brandons bien réels, autrement dit : de barbichettes par lesquelles ils se tiennent. Une médiation circonscrite à ces obstacles-là pourrait, au mieux, faire espérer un cessez-le-feu, mais pas la Paix, sachant que ces entraves-là ne sont que l’écume d’une mer démontée mais nullement le cœur du problème, lequel se situe au Moyen-Orient plutôt qu’au sein de la vieille Europe, où l’on ne trouve, hélas, ni de Pétrole ni de Gaz.
La Crise israélo-palestinienne – qu’il faudrait inventer si elle n’existait pas ! – est la matrice de tous les abcès de fixation de ce dysfonctionnement global au Moyen-Orient, en particulier en Iran et en Syrie, qui empoisonne les relations internationales depuis un demi-siècle. Israël ou la Palestine (selon le point de vue que l’on a choisi) sont à l’origine de la Guerre d’Ukraine (par effet papillon). TotalEnergies ne serait pas aventuré en Sibérie et l’Allemagne non plus, si l’Irak et l’Iran n’avaient pas été frappés de sanctions. Mais, au-delà du Pétrole et de ses chimères, ces drames ont la dimension spirituelle de la « crise decivilisation » qui les englobe.
Le Pape François ne s’y est pas trompé dans sa supplique au président Poutine, avant de recevoir à Rome le président Macron et de se rendre ensuite à Bahreïn pour y retrouver le grand imam d’Al-Azhar, le cheikh Sunnite Ahmed al-Tayeb. Ce pape jésuite était déjà allé prier pour la Paix – huit ans auparavant – à Jérusalem, le « trou noir » des religions de l’Arbre. Il avait rejoint, en mars 2021, l’Ayatollah Chiite Ali Al-Sistani à Bassorah, avant de présider une rencontre interreligieuse à Ur, la ville natale du Patriarche Abraham (Ibrahim pour les Musulmans). Donald Trump et son gendre Kushner lui avaient, en quelque sorte, volé la politesse avec les premiers Accords d’Abraham.
Joëlle Hazard Que cherche réellement Poutine désormais ? Une révision des Accords de Minsk, une annexion d’une partie de l’Ukraine, un recul de l’OTAN ? Faute de victoire, aurait-il les moyens de mettre le feu aux poudres au Moyen-Orient ?
Xavier Houzel. C’est au président de la Fédération de Russie de dire ce que son pays recherche. Le mieux serait de le lui demander personnellement, voire d’interroger, dans son entourage, une ou plusieurs personnalités autorisées à répondre à une telle question. Mais on peut essayer de deviner. Sans être un grand clerc, on peut considérer les Accords de Minsk comme caduques. Il faudra innover pour trouver une solution aux problèmes des frontières et l’on peut d’ores et déjà affirmer que la Russie maintiendra jusqu’au bout la mise en garde qu’elle n’a cessé d’afficher concernant l’OTAN.
C’est une faute monumentale que de vouloir étendre la couverture de l’Otan à la Suède et à la Finlande d’abord et de menacer de l’élargir ensuite à l’Ukraine, voire plus tard à la Géorgie. Je ne comprends pas, pour ma part, la décision du gouvernement français de souscrire sans réserve à cette option et je loue, pour une fois, le président Orban de Hongrie et le président Erdogan de Turquie d’apposer leurs vetos à cette extension, quelle que soit l’habillage qu’ils donnent à une telle preuve de sagesse. Il faudrait leur dresser une statue !
Quant à la réponse à la troisième partie de votre question, la Guerre d’Ukraine a été déclenchée, au fond, à la suite et à cause du rapprochement opéré par la Russie avec l’OPEP, emmenée de son côté par le prince Mohamed bin Salman (MBS) d’Arabie saoudite. Jusqu’alors, l’Amérique avait la haute main sur les cours du Pétrole et du Gaz en raison du Pacte du Quincy ; or, voilà que, sans coup férir mais au prix d’un camouflet donné à l’Amérique, la Russie l’a remplacée. Les perspectives du Moyen-Orient en ont été bouleversées.
La Russie est présente en Syrie où ses bases lui sont aussi précieuses que celles de Crimée : la Crimée lui donne une dimension régionale en Mer Noire mais la Syrie lui permet uneprojection mondiale. Les troupes américaines encore stationnées en Syrie y sont très vulnérables, raison pour laquelle l’Amérique ne cache plus son intention de quitter bientôt le pays. En risquant une attaque contre la base navale de Tartous ou à la base aérienne russe de Hmeimim, les Américains prendraient une option sérieuse pour la troisième guerre mondiale ; beaucoup plus encore qu’en frappant, par exemple, le Pont de Crimée ou un navire amiral russe en haute mer.
Joelle Hazard. L’alliance objective que la Russie a développée avec l’Iran est stigmatisée par la façon avec laquelle Moscou a retardé et en réalité empêché le retour de l’Amérique dans l’Accord de Vienne de 2015 sur le nucléaire (JCPOA).
Xavier Houzel. La vente par l’Iran à la Russie de drones et de missiles ne se serait pas faite sans une grande connivence et des contreparties. Il s’en faudra de peu que l’Iran n’annonce, devant les résultats des élections de mi-mandat, la fin des pourparlers qu’elle continue de poursuivre avec l’AIEA. Il y a effectivement un risque qu’une telle situation ne mette un jour le feu aux poudres quelque part au Moyen-Orient, du fait des Israéliens, des Américains ou même des Iraniens ! Au Moyen-Orient, tout le monde tient une mèche incendiaire et peut la brandir.
C’est l’une des raisons pour laquelle il faudrait pouvoir régler au plus vite les problèmes encore en suspens entre l’Iran, l’Amérique et Israël et réussir à sauver l’Accord de Vienne sur le Nucléaire (le JPCOA). II faut œuvrer en faveur de la réintégration d’urgence de la Syrie dans la communauté internationale et dépêcher sur place des équipes avec des moyens pour enrayer une épidémie de choléra. Il faudra surtout convaincre Israël de trouver une solution au problème palestinien et ne pas hésiter, pour y parvenir, à le menacer de sanctions, s’il n’y parvenait pas.
Joëlle Hazard le retour en scène de Netanyahou en Israël et probablement celui des Trumpistes aux élections de mi-mandat aux Etats-Unis risquent de jouer un rôle crucial dans les mois à venir. Quels pourraient en être les effets les plus dommageables ?
Xavier Houzel Au point où nous en sommes, devant les atermoiements et les louvoiements des Israéliens entre leurs mentors américains et leurs amis russes et leur danse du ventre éhontée devant le Maroc et les Émirats Arabes Unis sans tenter d’améliorer en rien le sort des Palestiniens, je plébiscite le retour aux affaires du Premier ministre Netanyahou. Au moins, Netanyahou est-il un personnage carré ! A force de menacer l’Iran des frappes (soit proprio motu, soit comme proxy des Américains), Israël prend le risque de déclencher des heurts avec la Russie, ce qu’elle doit éviter à tout prix en Syrie. Pendant l’absence de Netanyahou, la classe politique israélienne a pris conscience de sa responsabilité et du danger de guerre mondiale pour l’existence même d’Israël.
Le retrait précipité d’Afghanistan des troupes américaines a provoqué d’immenses dégâts au Moyen-Orient, à mettre au déficit de Joe Biden. La manière avec laquelle son administration a horriblement mal géré l’affaire Khashoggi a laissé la brouille s’installer entre le royaume wahabite et Washington. L’ancien président Trump était parvenu à esquiver le pire ; le président Biden a été incapable de retenir l’Iran dans la mouvance occidentale ; les démocrates ont fait lanterner ses négociateurs jusques aux midterms, en leur faisant regretter le pragmatisme des républicains en dépit de leur brutalité.
Joelle Hazard La France est-elle en état, en position et en mesure de jouer le moindre rôle d’intermédiaire dans des négociations entre Moscou et Kiev ?
Xavier Houzel.Intervenir entre Moscou et Kiev ? Je ne l’imagine même pas : les Russes et les Ukrainiens conservent toutes les lignes qui leur sont nécessaires, en cas de besoin. Et Kiev reçoit ses ordres de Washington. Mais il est vrai que, si la France ne tentait pas quelque chose avant le prochain G20 et avant l’hiver en se distinguant par une vision qui lui est propre, elle abdiquerait sa place de grand pays. En citant Dostoïevski à ce propos, Vladimir Poutine glisse ce conseil à son cadet français, parce que seule la France, à condition de le vouloir, est en mesure de jouer ce rôle primordial entre la Russie et les États-Unis – où elle conserve un ascendant moral – et que c’est ce qui importe exclusivement. Elle pourra s’atteler simultanément aux tâches collatérales également urgentes ; d’abord, à la reprise d’un dialogue apaisé avec la Syrie, interrompu depuis dix ans dans des conditions désastreuses ; ensuite, à l’amélioration de ses propres relations diplomatiques avec l’Iran, devenues exécrables – en commençant par la nomination d’un ambassadeur et par l’arrêt de ses propres invectives (même amplement justifiées par la répression violente des manifestations actuelles ; à la reprise, enfin, de ses efforts pour une entente plus constructive entre Israël et les Palestiniens, comme autrefois tous les présidents français (avant Nicolas Sarkozy et François Hollande) les avaient déployés.
Joëlle Hazard Quels sont les pays les mieux à même de contribuer à une sortie de l’impasse ?
Xavier Houzel. En dehors des fauteurs et des victimes des différentes crises, je distinguerais quatre interlocuteurs majeurs. Parmi eux, je mettrais en tête l’Algérie, avec laquelle la France renoue des liens historiques ; Alger vient de réconcilier le Fatah et le Hamas, dont les dirigeants font à nouveau le chemin de Damas ; les dirigeants algériens font exactement la même analyse que celle que je défends devant vous ; ils entretiennent les meilleurs relations possibles avec la Russie. En deuxième position, je placerais les Émirats Arabes Unis, en la personne de leur président, l’émir Mohamed bin Zayed (MBS), qui parle a tout le monde et bénéficie de gros moyens, d’une réelle expérience et d’une bonne crédibilité personnelle. En troisième position, je choisirais la Hongrie – un ancien satellite de l’Union Soviétique mais nostalgique d’un empire différent – et le président Orban, parce que ce dernier bloque l’extension de l’OTAN. Enfin, mais le plus discrètement possible, je ferais confiance à l’ancien président Trump ! Oui, l’ancien président Trump, parce qu’il est beaucoup plus diplomate qu’on ne le pense, étant un homme d’affaires et un bon négociateur et le seul à même de fléchir le président de la Fédération de Russie ; disons qu’il serait capable d’en calmer l’ire légitime après les commentaires désobligeants dont il a fait l’objet. Je comprends la harangue du président Poutine contre l’Occident, qui appelle cette citation de Georges Corm : « La notion d’Occident, aujourd’hui plus qu’hier, lorsqu’elle suscitait des querelles entre Européens, n’est plus qu’un concept creux, exclusivement géopolitique, sans contenu enrichissant pour la vie de l’esprit et pour bâtir un avenir meilleur. C’est la culture politique américaine qui a repris la notion à son compte et en a fait un usage si intensif au temps de la Guerre froide qu’elle ne semble plus pouvoir l’abandonner. En Europe, les vieilles et redoutables querelles philosophiques, mystiques et nationalistes, qui s’étaient polarisées sur ce terme chargé d’émotion, désormais apaisées, c’est avec délectation que le concept est employé pour confirmer sa fonction mythologique d’une altérité unique par rapport à tout ce qui est hors d’Occident et d’un sentiment de supériorité morale à laquelle le reste du monde doit s’ajuster ». L’Iran fait partie de l’Occident, que je sache – la Perse s’étant longtemps baignée en Mer Méditerranée, et la Russie de Saint-Pétersbourg en partage depuis deux siècles l’âme et la culture à plus d’un titre.
Tous ces efforts pour aboutir à l’Organisation par la France d’une ambitieuse conférence pour la Paix, qui aurait pour parrains proactifs la France, la Russie, l’Iran, l’Algérie et le Vatican, avec pour but l’extension progressive à la Syrie et à l’Iran des Accords d’Abraham – avec le soutien affichés des Trumpistes au grand ravissement des Juifs courtisés par tout le monde. Par ce moyen apparemment détourné – une sorte de Congrès de Versailles, où les missions seraient réparties entre les chancelleries et les instances religieuses. Les premiers dialogues entre Israël et l’Iran, entre les États-Unis et l’Iran, entre les Palestiniens (unis) et les Israéliens, entre les Russes et les Américains, seraient inaugurés, la Diplomatie française travaillant ainsi directement pour la Paix en Ukraine, sans avoir à le dire. Un rêve !
Je serais prudent avec l’Allemagne, parce que cette dernière préfère le business avec la Chine sans en assumer la responsabilité ; je garderais mes distances avec Bruxelles ; je me méfierais du président turc, parce qu’il est sectaire et mercantile et qu’il penche trop facilement du côté du plus offrant et j’éviterais l’ONU, dans le cadre de laquelle aucune crise majeure n’a jamais été définitivement résolue depuis sa création. Une inconnue subsiste avec MBS, qui aurait pu être un grand roi : il ne tenait qu’à lui de démonter le stratagème de l’OPEP Plus qui faisait de lui le maître des horloges – un balancier d’or entre la Russie, l’Amérique et la Chine, qu’on aurait tort d’oublier -, mais il ne l’a pas fait ! Il aurait aussi pu reprendre à son compte l’offre de Paix faite à Israël en 2002 par le roi Abdallah et conjuguer cette approche avec la dynamique des Accords d’Abraham, dans un même élan, mais il ne l’a pas fait ! Alors, attendons de lui qu’il succède à son père, ce qui est loin d’être assuré.
Joelle Hazard L’Iran semble avoir fait son choix, à savoir le rapprochement militaire avec Poutine. Au président Biden qui a lancé ce message aux manifestants iraniens « Ne vous inquiétez pas, nous allons libérer l’Iran ! », le président Raïssi a répliqué « l’Iran ne sera pas votre vache à lait ! ». L’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien est-il totalement mort ?
Xavier Houzel Non, l’Iran n’a pas encore fait de choix. La République Islamique d’Iran est loin d’être une girouette et son peuple appartient à une civilisation majeure responsable. La France ne pardonne toutefois pas à l’Iran d’avoir extorqué des vrais faux aveux à des vraies fausses barbouzes pour en faire des monnaies d’échange, ce dont il s’est fait une spécialité depuis 1979. On se défend comme on peut, certes, mais c’est une pratique condamnable.
Ce que répond le président Raïssi au président Biden en parodiant l’humour d’une salle de garde ne préjuge rien, c’est du parler yankee. L’Accord de Vienne sur le nucléaire n’est pas mort, au contraire. Une délégation iranienne est justement à Vienne en ce moment pour structurer avec l’AIEA un accord robuste pour servir de socle au nouveau JPCOA, que Téhéran a tout intérêt à faire revivre. Par la faute du président Trump, l’Iran compte désormais parmi les pays du seuil. L’Iran est toujours actionnaire de l’EURODIF et ne demande qu’à renouer avec la coopération que le Shah avait commencée avec la France pour le nucléaire civil – pour les petits réacteurs modulaires (small modular reactors, SMR), par exemple.
Joëlle Hazard Peut-on parler aujourd’hui d’alliance entre Russie et Iran ? A la différence de la Syrie, désormais place forte du Kremlin ?
Xavier Houzel. On peut parler d’une alliance entre la Russie et l’Iran. Et non à la fois, parce que ce rapprochement serait celui de l’aveugle et du paralytique ; et parce la fin de leur différend date de la conférence de Téhéran en 1943 et qu’ils n’ont pas oublié que l’Union Soviétique les avait amputés alors de l’Azerbaïdjan. Les échanges commerciaux entre les deux pays sont minimes. À la seule exception possible de l’arme nucléaire et de l’exploration spatiale, l’Iran n’a plus rien à apprendre de la Russie ; en revanche, les deux économies sont concurrentes, elles se partageant les premières places dans le palmarès des réserves de Gaz. Unis, elles pourraient devenir redoutables. L’Iran a appris à tirer parti des sanctions comme l’Angleterre l’avait fait du blocus continental, alors que la Russie, pourtant habituée à l’isolement derrière un rideau de fer, n’avait pas prévu d’en faire un jour l’expérience.
Au cours du récent séjour du vice-président iranien Mohammad Mokhbér à Moscou, des liens ont été tissés entre la Russie et l’Iran dans de nombreux domaines : l’armement, les turbines à Gaz, les drones, l’établissement de zones franches, un succédané du SWIFT avec le CIPS, la recherche nucléaire, l’exploration-production avec Gazprom, en Iran comme à l’étranger. Mais pourquoi pas ! De tels échanges ne sont pas incompatibles avec ceux que la Russie pourrait retrouver avec la France et que la France pourrait avoir de nouveau avec l’Iran.
Joëlle Hazard Avez-vous une botte secrète à proposer ? Avez-vous un allié dans la coulisse ? Avez-vous des émules ? Craignez-vous un trouble-fêtes ?
Xavier Houzel.Une botte secrète? Une amnistie générale pour martingale magique, comme celles qui furent accordées aux Allemands après la première Guerre Mondiale et aux compatriotes de Staline après la chute du Mur de Berlin.
L’allié sur lequel pouvoir compter est le général Hiver? Le même qui a eu raison de la Grande Armée et de la Wehrmacht – même si j’espère qu’il sera, cette année, plus clément que d’habitude : j’espère qu’il sera de bon conseil en incitant le président Zelensky à discuter avec son voisin, en dépit du froid et de l’obscurité.
Des émules? Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité du président des États-Unis et William Burns, le patron de la CIA, ont repris leurs conversations au coin du feu de l’automne dernier avec Nicolaï Patrouchev, le secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie : ils trouvent que Zelensky en fait trop. Les Américains ne veulent pas d’interférences, notamment pas de friture française sur leur ligne.
Un trublion?Recep Tayyip Erdoğan, président de la République de Turquie prépare un plan de Paix pour le prochain G20, mais il cache sa copie comme un voleur son butin.
Elle a été la chance de toutes les femmes de France et d’ailleurs. L’avocate Gisèle Halimi a défendu les plus grandes affaires de viols, quitte à risquer sa vie.
Elle a été la chance de toutes les femmes de France et d’ailleurs. L’avocate Gisèle Halimi a défendu les plus grandes affaires de viols, quitte à risquer sa vie.
Elle a été la chance de toutes les femmes de France et d’ailleurs. L’avocate Gisèle Halimi a défendu les plus grandes affaires de viols, quitte à risquer sa vie.
Les podcasts donnent la parole à celles et ceux qui, des deux côtés de la Méditerranée, ont été il y a tout juste 60 ans les témoins directs de la fin de la guerre en Algérie. Par le biais de témoignages rares, enregistrés dans le cadre de la série documentaire en 6 épisode produite par L’INA et diffusée sur ARTE en mars dernier En guerres(s) pour l’Algérie, et dans le prolongement de La Guerre d’indépendance racontée par les Algériens (diffusée sur LSD du 28 févier au 3 mars 2022), des Algériens et des Français nous racontent la fin et les conséquences de la Guerre d’Algérie, de leur point de vue et telles qu’ils et qu’elles les ont vécues.
Femmes et hommes, ils sont plus d’une trentaine en tout. Nous les rencontrons 60 ans après les faits, en France et en Algérie. Ils nous délivrent un témoignage précieux et inédit : celui de leur expérience concrète des derniers jours de la guerre, des premières semaines de l’indépendance algérienne et du retour tant attendu à la paix. Ils nous expliquent également à quel point leur vie d’après le conflit a été et continue d’être marquée par celui-ci.
D’origines très diverses, ces personnages sont, en 1962, adolescents ou adultes. Les longues et douloureuses années du conflit franco-algérien ont été décisives dans la formation de leur personnalité et de leur identité.
Du côté des Algériens, les uns ont été des militants actifs du FLN (Front de libération national) ou du MNA (Mouvement national algérien) ; combattants de l’ALN (Armée de Libération Nationale) ou membres de l’Organisation Spéciale du FLN. Les autres ont éprouvé la guerre en tant que « simples » civils, ou se sont engagés du côté des harkis. Ils ont connu la perte de proches, les privations de liberté, la violence des combats et même la torture… Au printemps de l’année 1962, ils sont en passe de devenir les citoyens d’une nouvelle nation : l’Algérie.
Du côté des Français, les uns sont viscéralement liés à cette terre algérienne qu’ils considéraient comme « la leur » depuis plusieurs générations. Les autres ont été contraints de participer directement ou non, à un conflit auquel ils s’identifiaient peu. En ce début d’été 1962, les uns vivent la fin de la guerre comme une catastrophe, car elle signifie la fin de « leur » monde, tandis que les autres éprouvent un immense soulagement.
Entre déplacements forcés, traumatismes à long terme, constructions de nouvelles vies, espoirs d’un avenir meilleurs, désillusions et conflits internes parfois très violents, la fin du conflit franco-algérien ne se fait pas du jour au lendemain. Pour tous nos témoins, elle s’avère au contraire longue, difficile et pleine de séquelles à long terme.
Souvent à l’écart des grands événements médiatiques ou historiques qui ont marqué la chronologie du printemps et de l’été 1962 ainsi que celle des mois et des années suivantes, nos personnages nous révèlent la complexité de ce qu’a été pour eux l’après-guerre d’Algérie avec une exceptionnelle et émouvante acuité. À leurs propos se mêlent des reportages et des chansons d’époque ; nous nous immergeons ainsi dans cette période bien peu connue du grand public.
Épisode 1/4 : Une transition sous le signe du chaos et de la violence
Résumé
Le 18 mars 1962, l’issue des négociations entre belligérants français et algériens n’a signifié ni le retour à la paix, ni l’indépendance immédiate de l’Algérie. Il a cependant lancé un processus de transition politique difficile et chaotique.
En savoir plus
Cet épisode démarre le jour de la signature des accords d’Evian et de l’annonce du cessez-le-feu entre les belligérants. Approuvés par une très large majorité des Français, qui ne comprennent plus les enjeux de cette guerre éprouvante, démarrée il y a plus de 7 ans, ces accords sont considérés comme une victoire par les Algériens, à qui est enfin ouverte la voie vers l’indépendance tant désirée de leur pays.
Djilali Leghima*, évoque l’émotion de cette victoire : “On était contents évidemment de voir l’indépendance, mais on ne pouvait oublier ce qui c’était passé. Il y avait donc la joie et les pleurs à la fois, le même jour, au même moment. Comment on en était-on arrivé là ? Tant de morts, de sacrifices subis pour les Algériens… Oui, il y avait de la joie et des pleurs à la fois”.
Mais les violences ne s’interrompent pas pour autant. Réunis au sein de l’OAS, les partisans les plus radicaux de l’Algérie française font tout, au cours du printemps 1962, pour saboter la transition politique en Algérie.
Jean-François Barennes* souligne que l’importance de cette date n’a pas, pour autant, signifié la fin des bains de sang : “On ne pouvait pas continuer comme ça, donc le gouvernement a pris la décision d’arrêter la guerre. Le cessez-le-feu en Algérie, c’est comme la date de l’armistice. Il y a eu un 11 novembre 1918, il y a eu un 8 mai 1945 et il y a un 19 mars 1962. Mais, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de morts après, qu’il n’y a plus eu d’horreurs, d’abominations. Il reste, que c’est une date historique”.
Ahmed Yahiaoui* parle des luttes fratricides apparues aussitôt : “Le cessez-le-feu, c’était une très bonne nouvelle pour la cessation des hostilités. Mais, les hostilités, malheureusement, elles ont continué parce que c’était la hache et le couteau. Le FLN continuait à courir après le MNA pour les assassiner. On s’attendait à ce qu’il y ait des descentes par groupes, et effectivement, le FLN venait attaquer le MNA et ça, ça a duré pas mal de temps”.
Mal préparée et précipitée, la transition politique se déroule tant bien que mal dans une atmosphère de chaos et de violence aveugle. Elle pousse ceux qu’on appelle alors les « Pieds Noirs » à quitter massivement leur terre de naissance et elle accroit immanquablement le fossé qui les sépare des Algériens.
Dominique Moebs* se rappelle encore de cette période : “L’Enfer, c’était quotidien. Le bruit, la fureur, la peur, les larmes, le sang partout dans Alger. La guerre, oui, c’était ça. C’était la tristesse et les larmes”.
Avec:
Alban Liechti, né à Paris dans une famille de militants communistes. Premier « soldat du refus », il a été condamné à 4 ans de prison et plusieurs mois de commando disciplinaire.
Roger Deberghes, appelé français envoyé en Algérie à l’âge de 20 ans.
*Djilali Leghima, né à Tizi Ouzou et parti travailler en France en 1951. Militant du MTLD, puis du FLN. Arrêté, torturé puis interné à Fresnes à partir de février 1961.
Bachir Hadjadj, a effectué son service militaire et ses études en France, avant de rejoindre clandestinement les rangs de l’ALN en Tunisie, où il stationne à l’annonce du cessez-le-feu.
Roger Bissonnier, sous-lieutenant (Cherchell promotion 106), Chef de poste et en même temps chef de section de commando de chasse puis chef de section de la Force Locale. Début avril 1962, il est placé à la tête d’une unité de Force Locale composée d’Algériens.
*Jean-François Barennes, sous les drapeaux en Algérie depuis juin 1961 en tant qu’instituteur dans une SAS, puis à la tête d’une patrouille de 12 harkis en opérations de maintien de l’ordre à Alger, de début avril à fin mai 1962.
Nourredine Djoudi, né en 1934, représentant du FLN en Angleterre, puis aux Etats-Unis, avant de rejoindre les rangs de l’ALN, l’Armée de Libération Nationale. Au moment du cessez-le-feu, il se trouve avec son unité en territoire marocain.
*Ahmed Yahiaoui, né en Algérie en 1942 mais installé en métropole depuis le début des années 50. Messaliste convaincu, il a participé à la lutte fratricide entre MNA et FLN.
Mohand Zeggagh, militant de la première heure du FLN en France, arrêté pour transport d’armes. Condamné à 15 ans de travaux forcés par le Tribunal Militaire de Paris, il a été, à 19 ans, le plus jeune prisonnier du FLN.
Mohamed Khaznadji, combattant de l’ALN en Algérie, condamné à mort pour acte de terrorisme, puis gracié par le Général de Gaulle quelques mois avant sa libération.
Slimane Guesmia, 18 ans en 1962, membre des scouts musulmans. A grandi dans un bidonville d’Alger, puis à la Cité Mahiedinne, qui a soutenu activement le FLN et son combat.
Simone Aiach, née dans une famille juive à Alger en 1929. Militante communiste, son mari a été arrêté et torturé par les troupes du Général Massu en 1958 pour avoir soigné des membres du FLN. Elle a été ensuite contrainte de s’installer avec sa famille à Paris.
*Dominique Moebs, née à Alger en 1953. Sa famille vivait sur place depuis près d’un siècle.
Bernard Zimmerman, jeune instituteur à Krystel, un petit port situé à 18 kilomètres de sa ville natale. En 1962, ses élèves y sont tous des petits Algériens.
Gerard Rozenzweig, membre à 18 ans d’un groupe de l’OAS à Oran qui livre, au cours du printemps 1962, une guérilla urbaine permanente contre les militaires français.
Jean Montpezat, jeune officier et futur énarque, a dirigé pendant un an la SAS d’Ain Allem, avant d’être envoyé en avril 1962 préparer la passation de pouvoir à la préfecture d’Oran.
Alice Cherki, née dans une famille juive d’Alger. Interne en psychiatrie, elle a soigné en Tunisie de nombreux Algériens traumatisés par la guerre et revient dans sa ville natale en avril 1962.
Pierre-Marie Guastavino, né en 1946 à Oran dans une famille d’origine espagnole. Sympathisant convaincu de l’OAS en 1962.
Production
Un documentaire de Rafael Lewandowski, réalisé par Rafik Zénine. Une production France Culture, en partenariat avec l’INA et ARTE France.
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