Cuisinier à l’hôpital de Mâcon après une carrière militaire, Dominique Poutot, âgé de 57 ans, publie son premier roman, Le Tringlot. Un livre consacré à son père Maurice, originaire de Mersuay, envoyé en Algérie pour participer « aux opérations de maintien de l’ordre ». Il en est revenu traumatisé.
Dominique Poutot présente son livre devant la ferme de ses grands-parents. C’est là qu’est né son père Maurice, décédé en 2009 dans sa 70e année. Photo ER /Bruno
Maurice Poutot est né de parents (*) agriculteurs à Mersuay, un village de 300 habitants situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Vesoul. Mais il a passé la majeure partie de sa vie à Audincourt, effectuant sa carrière professionnelle au sein des Cycles Peugeot, à Beaulieu.
On lui ordonne de commettre l’irréparable
« Mon père ne se confiait qu’à des gens qui avaient fait, comme lui, la guerre d’Algérie », se souvient Dominique Poutot. Ce fut trois jours avant son décès qu’il a commencé à se libérer, en révélant à son épouse Denise qu’il avait commis l’irréparable. Un secret si lourdement gardé. « Il était en mission avec des légionnaires lorsqu’ils ont arrêté un homme. Je ne sais pas s’il était du FLN. Un gradé lui a ordonné de le tuer, en le menaçant avec son pistolet automatique : « C’est lui ou toi ! » Maurice Poutot s’est exécuté.
« À son retour d’Algérie, il était fou »
En 1960, le jeune tringlot - un militaire appelé de l’arme du train - avait été envoyé en Afrique du nord pour participer aux « opérations de maintien de l’ordre ». Il en est revenu marqué à jamais, détruit par ce meurtre, par les horreurs de la guerre en général.
« Quand je l’ai connu, c’était un jeune homme enjoué », raconte Denise, avec laquelle il s’est marié à l’issue de son service militaire, fin 1959 : « A son retour d’Algérie, il était fou. Il hurlait la nuit. Il a effectué plusieurs séjours en psychiatrie, au Mittan à Montbéliard. »
La grâce du général De Gaulle
Maurice est décédé en 2009 dans sa 70e année, dans son village natal de Haute-Saône (*) qu’il avait rejoint pour y passer sa retraite. Cuisinier à l’hôpital de Mâcon en Saône-et-Loire, domicilié dans l’Ain, né en 1965 à Besançon, Dominique Poutot a dès lors ressenti le besoin de comprendre cet homme mutique, dont il s’était éloigné. « J’ai devancé l’appel à 18 ans pour quitter la maison », explique celui qui laisse une carrière de militaire - « 25 ans dans la gendarmerie » - derrière lui.
Passionné, il s’intéresse alors naturellement à la guerre d’Algérie, se documente, rassemble des témoignages d’autres appelés… Il apprend que son père aurait aussi été condamné à la place d’un gradé qu’il aurait protégé dans le cadre d’un trafic de cordes. Après deux mois et demi de prison, il avait obtenu la grâce du général De Gaulle.
Ancrés au plus profond
« Il y a encore beaucoup de choses taboues. De fil en aiguille, ça m’a incité à vouloir laisser une trace. À l’origine, je ne voulais pas produire un livre, je ne m’en sentais pas capable. » Au fur et à mesure des chapitres et des encouragements des proches, l’évidence s’est imposée. Dominique Poutot a publié Le Tringlot , tiré dans un premier temps à 300 exemplaires aux Éditions Baudelaire (266 pages ; 19,50 euros), un éditeur participatif installé à Lyon.
« Un million et demi de jeunes Français ont participé à cette guerre. Près de 250 000 musulmans se sont engagés aux côtés de la France. Près de 150 000 Algériens ont servi dans l’ALN (Armée de libération nationale) », énumère l’auteur : « Tous en ont conservé les stigmates, ancrés au plus profond d’eux-mêmes. »
(*) Georges Poutot, son père, fut maire de Mersuay de 1954 à 1965.
« Qu’aurais-je fait à sa place ? »
Ce livre, c’est aussi une réalisation familiale. Les trois enfants de Dominique et Élisabeth Poutot sont impliqués. Roméo, 20 ans, a dessiné la couverture ; Laura, 32 ans, s’est occupée de la calligraphie ; Mathieu, 29 ans, a réalisé la préface. « Acariâtre, nonchalant, absent. Ces quelques mots me viennent à l’esprit quand je pense à mon grand-père. De lui, je ne connais pratiquement rien. L’adolescent que j’étais n’a pas compris le malaise qui l’a tourmenté jusqu’au jour de son décès. Ce livre a donc été pour moi l’occasion de découvrir une facette de sa vie. Et de me poser cette question, à la fois simple et difficile : “qu’aurais-je fait à sa place ?” », écrit le jeune homme. « La guerre d’Algérie prit fin avec les accords d’Evian le 19 mars 1962. Il s’agit là de la date officielle. Mais pour tous ces hommes qui ont participé au conflit, quand a-t-elle réellement pris fin dans leur esprit ? Pour eux, a-t-elle au moins pris fin un jour ? »
Par 01 nov. 2022 à 05:00 | mis à jour hier à 09:32
-https://www.estrepublicain.fr/culture-loisirs/2022/11/01/il-publie-un-livre-sur-son-pere-jeune-appele-traumatise-par-la-guerre-d-algerie
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