Pendant quinze années, de 1944 à 1959, soit quelques semaines avant la mort d’Albert Camus, Maria Casarès et l’écrivain échangent une correspondance où jaillit l’intensité de leur amour. Neuf cent lettres incandescentes qui disent le feu de leur rencontre, la déchirure de leurs séparations, l’impossible extinction de l’éclat de leur liaison. Cette correspondance a été publiée grâce à Catherine Camus, la fille du Prix Nobel de littérature*. Aujourd’hui, la réalisatrice et scénariste Élisabeth Kapnist, qui aime visiblement allier le cinéma et la littérature, propose le documentaire Maria Casarès et Albert Camus, toi, ma vie.
Contexte historique
Elle raconte l’histoire du point de vue de la comédienne née le 21 novembre 1922 et morte le 22 novembre 1996. Le film est une mise en scène de cette relation entre deux monstres sacrés qui s’appuie sur la correspondance, mais s’enrichit aussi du contexte historique et du parcours des deux amoureux, ainsi que d’images d’archives. Avec cette approche, Élisabeth Kapnist, telle une conteuse, donne une dimension vivante et pleine d’émotion au récit, aidée des trois «voix» qu’elle a choisies: il faut absolument citer Chloé Réjon (la narratrice), Natalia Dontcheva (voix de Casarès) et Loïc Corbery (voix de Camus, quel clin d’œil quand on sait que le personnage du Premier Homme s’appelle Cormery). Autant le dire tout de suite: ce film est une grande réussite. C’est même fascinant, à bien des égards.
«Brasier magique»
Tout commence en 1944. Maria Casarès et Albert Camus ne font que se croiser lors d’une soirée chez les Leiris. Tous les deux sont à l’aube d’une carrière qui va mener chacun au sommet. Elle a un peu plus de 20 ans, il en a 30. L’écrivain né en Algérie a publié L’Étranger. La comédienne exilée de sa Galice natale est remarquée par les grands dramaturges. Ils partagent deux passions: l’Espagne et le théâtre.
Le 6 juin 1944, jour du Débarquement, ils se retrouvent, se dévoilent et passent la nuit ensemble. Les deux connaissent la déchirure de quitter leur pays, cela les rapproche. La famille de Maria a dû fuir Franco. Elle prend des cours de français, tombe amoureuse de la langue, au point où elle en deviendra, avec son délicieux accent, l’un des plus grands porte-drapeaux. Les amants vivent deux années de folie amoureuse. On en aurait oublié que l’écrivain et dramaturge est pourtant marié. La guerre se termine. Francine Camus, restée à Oran, rejoint son époux à Paris. Maria Casarès, la mort dans l’âme, choisit la rupture - à ce moment-là, on se rend compte à quel point cette femme au tempérament volcanique est douée d’une intégrité et d’une éthique qui forcent l’admiration. Pour oublier son amant, elle se réfugie dans «ce brasier magique qu’est le théâtre»…
Bonheur, tempêtes, accalmies...
Le 6 juin 1948, deux ans, jour pour jour, après leur première nuit, ils se recroisent à Saint-Germain-des-Prés. Ils ne se quitteront plus, même s’ils s’éloignent par moments. Leur relation amoureuse est intimement liée à leur activité théâtrale. Difficile de résumer une histoire aussi riche, aussi intense, aussi complexe. Bonheur, tempêtes, accalmies… La beauté de leur amour est aussi forte que celle de leurs mots. Camus écrit à Casarès: «Pour moi, tu as toujours été le génie de la vie, sa gloire, son courage, sa patience et son éclat. Tu riais quand je te disais que tu m’as appris à vivre…» Maria, qui a si souvent incarné la mort au théâtre lui répond: Nous brûlions les jours qui nous étaient donnés.»
* Albert Camus-Maria Casarès, Correspondance 1944-1959, Avant-propos de Catherine Camus (Folio).
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