Choisie avec soin, la date de l’enclenchement de la Révolution algérienne marqua aussi bien la continuité d’une lutte que le début d’un embrasement généralisé qui aboutira, sept ans et demi plus tard, à l'indépendance.
A / Hatem Kattou
Durant la nuit du dimanche au lundi 1er novembre 1954, plusieurs dizaines d’actions armées, notamment dans les Aurès (est) ont été menées un peu partout en Algérie, à l’époque colonie française, pour être ainsi l’amorce de ce qui deviendra une des plus sanglantes et grandes insurrections et révolutions du XXe siècle.
En effet, un quart d’heure avant l’heure « H », soit le dimanche 31 octobre à 23h45, une bombe artisanale a été posée sur la route reliant les villes de Boufarik et de Blida (à quelques dizaines de kilomètres au sud d’Alger) ainsi que sur la voie ferrée Ager- Oran, métropole de l’ouest du pays.
N’étant pas fortuit, le choix de la date du 1er novembre, qui correspond à la fête catholique de la Toussaint (la fête des morts), est symbolique. Ce choix a vu surtout un peuple resusciter et se soulever pour aspirer à une vie digne, loin du joug de l’humiliation et de l’oppression coloniale venue prétendre civiliser des populations indigènes.
Comme il est laborieux, difficile et délicat, voire impossible, de cerner en quelques lignes ou pages cet évènement déclencheur des « Évènements d’Algérie » (apprécions au passage l’amer euphémisme usité par la France), nous tenterons, dans le cadre d’un choix subjectif et d’un effort de synthèse de revenir sur quelques facettes de cet événement majeur et qui a inspiré tant d’autres luttes.
- L’Appel : ce texte fondateur pour accompagner la lutte armée
Les instigateurs de la lutte ne se sont pas contentés d’enclencher un combat armé contre un empire colonial mais ont montré de la hauteur d’esprit et un certain intellect en s’adressant à la conscience d’un peuple asservi et dominé.
Ce texte n’est autre que « L’Appel du 1er novembre » diffusé le jour-même du lancement de la lutte armée.
Deux éléments majeurs caractérisent cet Appel fondateur. Le premier est que dès le deuxième paragraphe, il évoque explicitement les décades de lutte, ne niant pas ainsi les combats passés, qui à vrai dire, ne se sont jamais arrêtés, voire très peu, depuis le début de l’occupation en juillet 1830.
De plus, les rédacteurs de l’Appel qui évoquent ce « peuple uni derrière le mot d’ordre d’indépendance et d’action », admettent dans une phrase lapidaire mais ô combien illustrative et emplie de résolution et de détermination « qu’il est vrai, la lutte sera longue mais l’issue est certaine ».
- Le lourd tribut de la Guerre
Pas une famille algérienne n’a pas été endeuillée par la perte d’un être cher tombé au combat, ou pire encore, par la disparition de l’un de ses membres dont le sort est resté et reste encore méconnu, sans sépulture ni documents attestant sa mort ou son exécution.
En effet, le nombre des disparus et des morts a avoisiné selon des sources algériennes les 1,5 millions de personnes. Dans le camp opposé, celui des autorités françaises ou des historiens de l’Hexagone, l’on « admet » que ce ne sont pas moins de 300 mille à 400 mille Algériens qui ont péri, contre 27 500 soldats et 2 800 civils parmi les Européens et les pieds-noirs.
Cette guerre des chiffres, et indépendamment de l’exactitude des bilans, et de leurs manipulations à des fins propagandistes ou de glorification ou encore ou de dédramatisation, dénote que cette confrontation, inégale, au vu du rapport des forces, avait généré des déchirements humains et des plaies béantes qui sont restées ouvertes pendant de longues décennies, voire qu’elles ne se sont jamais refermées.
- La torture : une pratique institutionnalisée et une politique d’Etat
Pire que les exécutions sommaires et extra-judiciaires, et autres assassinats ciblant un militant de premier plan ou tout un village, ce sont les actes de torture qui ont ciblé les militants de l’Indépendance et les combattants de la liberté qui resteront gravés à jamais, telles des traces indélébiles sur le fronton de la République d’une France chantre de la démocratie et des…droits de l’Homme.
En effet, la France avait érigé en Algérie un système institutionnalisé et loin d’être « une dérive ou un aléa de la guerre » comme certains le prétendaient. Il s’agit de la torture où la barbarie le disputait à l’horreur.
De la baignoire et la corvée de bois à la gégène et au sérum de vérité en passant par les viols, les pendaisons, l’arrachage d’ongles et la guillotine, la France a doublé d’ingéniosité pour inventer et sophistiquer des méthodes de torture, aussi abjectes les unes que les autres, soulevant même des réactions au sein de la métropole où des intellectuels se sont élevés contre ces pratiques moyenâgeuses.
- Primauté du politique sur le militaire
En dépit de l’enclenchement d’une lutte armée sans relâche contre une armée coloniale et un pays membre de l’OTAN, les architectes du combat nationaliste algérien ont saisi, avec justesse et intelligence, la pertinence de l’action politique et son importance aussi bien sur le plan interne national que sur l’échiquier régional et international afin d’attirer les adhésions et les appuis au combat des Algériens.
C’est au cours du congrès de la Soummam, tenu au mois d’août 1956, dans la vallée éponyme et plus précisément dans le village d’Ifri (dans la région de la Petite Kabylie), à la barbe et au nez de l’armée française, que les dirigeants du Front de la Libération nationale (FLN) ont organisé dans la clandestinité une rencontre majeure.
Ce Congrès a permis de « structurer » et d’organiser la révolution algérienne, en soulignant la primauté du politique sur le militaire et en donnant à la Révolution les moyens d’avoir une assise nationale et de lui assurer une présence sur le plan international.
Nous avons survolé, dans ce qui précède, quelques-uns des multiples aspects de la Révolution algérienne, enclenchée en novembre 1954, bien que cet évènement charnière et fondateur, qui a été l’objet et le centre d’intérêt de dizaines de films (dont celui de la Bataille d’Alger, réalisé en 1966 par l’Italien Gillo Pontecorvo, ou encore l’Opium et le Bâton, Palme d’or à Cannes en 1975), de centaines de documentaires ainsi que de milliers d’articles scientifiques, de thèses, de livres et d’ouvrages en tout genre, mériterait beaucoup plus pour cerner la majeure partie de ces facettes.
En effet, nous pouvons parler de la dimension diplomatique de la Révolution et de son action, amorcée déjà au Sommet des Non-Alignés à Bandung en 1955, jusqu’à acculer la France, à la faveur d’un travail acharné du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), dans l’antre même de l’ONU avec l’aide de quelques Etats arabes, tels que la Tunisie, le Maroc, la Libye et l’Egypte et le soutien aussi des pays du bloc de l’est en Europe et de la Chine.
Nous serons en mesure aussi de mettre en avant le génie de certains responsables du FLN et de l’ALN (Armée de libération nationale), qui ont mis en place, alors que l’Etat algérien n’existait pas encore, un service de renseignement efficace et des plus redoutables.
Un autre coup de génie fut celui de mettre sur pied une sélection nationale algérienne de football compétitive et composée de professionnels évoluant tous en championnat de France et dont certains évoluaient et étaient des titulaires indiscutables en équipe de France. Ce projet qui a tant porté la voix de l’Algérie et qui a tant apporté à la Révolution avec un impact psychologique et social certain en France et partout dans le monde, grâce aux prouesses techniques des « dribbleurs de l’Indépendances » mais aussi à leur maturité politique et à leur conscience nationaliste.
Nous pouvons encore s’étaler davantage en revenant sur la dimension médiatique avec la création du journal Al-Moudjahid, porte-voix de la Révolution, à Alger dans un premier temps avant qu’il ne soit transféré à Tunis en 1957, ou encore le lancement de la « Voix de l’Algérie » (Sawt al Jazair) à Radio Tunis avec la voix envoutante au verbe mobilisateur de Aissa Messaoudi, le zeitounien.
Autant de facettes et de d’aspects, nombre de femmes et d’hommes, épris de liberté et assoiffés de dignité, qui ont consenti de lourds sacrifices et qui ont gravé en lettres d’or et pour l’éternité leurs actes de bravoure dans le Panthéon du combat, pour que vive la Nation algérienne – dont certains lui dénient le droit d’exister, plus de six décades plus tard – et à qui la Patrie est reconnaissante.
Toutefois, s’il y a un nom à retenir d’un seul combattant, ça sera celui du peuple algérien, unique héros, qui avec les mains nues, dans le dénuement et la misère matérielle la plus totale, a su se soulever et se dresser, en « aspirant vivre » dignement, pour « briser les chaînes » et voir « les ténèbres se dissiper », répondant ainsi à l’appel de son destin.
AA / Hatem Kattou
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