Des bouquets de fleurs avec un message manuscrit qui se lit comme suit «Repose en paix Lola», affichée à l'extérieur de l'immeuble à Paris le 17 octobre 2022, où vivait une écolière de 12 ans, prénommée Lola. (Photo, AFP)
«Il leur a présenté ses condoléances et les a assurés de toute sa solidarité et de son soutien dans l'épreuve qu'ils traversent et qui nous bouleverse tous», a indiqué l'Elysée
Algérienne, la suspecte du meurtre, qui souffrirait de troubles psychiques, était connue des services de police comme victime de violences conjugales en 2018, a-t-on appris lundi de source proche de l'enquête.
PARIS: Le président Emmanuel Macron a fait part de "toute sa solidarité et tout son soutien" aux parents de Lola, 12 ans, collégienne assassinée à Paris, qu'il a reçus mardi à l'Elysée.
"Il leur a présenté ses condoléances et les a assurés de toute sa solidarité et de son soutien dans l'épreuve qu'ils traversent et qui nous bouleverse tous", a indiqué l'Elysée.
Une femme de 24 ans a été mise en examen lundi pour "meurtre" et "viol aggravé" puis écrouée, trois jours après la découverte, vendredi dans une malle à Paris, du corps de la collégienne de 12 ans.
La Première ministre Elisabeth Borne a pour sa part invité Marine Le Pen à la "décence" et au respect de la "douleur de la famille", alors que la patronne du RN insistait lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale sur le fait que "la suspecte de cet acte barbare n'aurait pas dû se trouver sur notre territoire".
"Laissons la police et la justice faire (leur) travail", a encore martelé Mme Borne en considérant que "notre responsabilité à tous, c'est de laisser la justice punir ce crime à la hauteur de ce qu'il mérite".
Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti avait quant à lui estimé, en réponse à une question du député LR Eric Pauget, que "faire de la petite politique, de la petite poloche, se servir du cercueil d'un gamine de 12 ans comme on se sert d'un marche-pied, c'est une honte".
"Ne rajoutez pas à l'atrocité la plus absolue le commerce indigne de la démagogie", a-t-il ajouté.
Algérienne, la suspecte du meurtre, qui souffrirait de troubles psychiques, était connue des services de police comme victime de violences conjugales en 2018, a-t-on appris lundi de source proche de l'enquête.
La jeune femme était entrée légalement en France en 2016 avec un titre de séjour d'étudiante.
Mais, le 21 août dernier, elle a été interpellée dans un aéroport français pour défaut de titre de séjour. Une obligation de quitter le territoire français (OQTF) lui avait alors été notifiée automatiquement le 22 août, "sans obligation de quitter immédiatement le territoire national. Il s'agit d'un départ volontaire", a précisé M. Dupond-Moretti.
Une Marche blanche annoncée par certaines sources pour mercredi n'aura finalement pas lieu, selon une source proche de la mairie du XIXe arrondissement de Paris, mais plusieurs élus, dont Jordan Bardella (RN), ont indiqué se rendre à un rassemblement "en hommage à Lola" jeudi soir.
L'attaquant français du Real Madrid Karim Benzema reçoit le Ballon d'Or lors de la cérémonie de remise du Ballon d'Or France Football 2022 au Théâtre du Châtelet à Paris le 17 octobre 2022. (Photo de FRANCK FIFE / AFP)
«Quand je marque, je suis Français; quand je ne marque pas, je suis Arabe»
Premier président français né après la guerre d’Algérie, M. Macron est le premier de la Cinquième République à se rendre sur un lieu de mémoire pour cette commémoration du 17 octobre 1961
Bien sûr, aujourd’hui, vedette mondiale des Bleus et du Real Madrid… On ne fait plus le bilan de Karim Benzema, tant son palmarès est éloquent, mais il ne faut pas oublier l’Histoire. Les médias n’ont jamais épargné ce fils d’immigrés algériens né à Lyon en 1987. Quand les Bleus perdaient, les critiquent l’assaillaient. Héros de la Coupe du monde de 2014, il subissait de sévères attaques sous prétexte qu’il ne chantait pas La Marseillaise! Dans une interview à Madrid, il déclarait: «Quand je marque; je suis Français, quand je ne marque pas, je suis Arabe.»
Jérôme Béglé, journaliste, l’invectivait dans un article violent, teinté de racisme: «… C'est dans la capitale des Gaules que le jeune malappris a été éduqué au football – seulement au football visiblement. Il devrait être animé par un devoir de reconnaissance, voire de respect à l'égard d'un club, d'une ville, d'un pays, qui ont cru en lui… qu'il ne foule pas aux pieds les symboles d'une nation qui l'a fait roi… l'enfoiré, c'est lui!» Ses détracteurs pouvaient se réjouir, puisque sa carrière en équipe de France se terminait fin 2015, après l’affaire de la vidéo pour laquelle il était mis en examen. Le Premier ministre, Manuel Valls, en personne, demandait son exclusion des Bleus. Du jamais-vu.
«Il a été sacrifié sur l’autel “du beur qui a réussi”», écrivait un journaliste du Monde. Pour le célèbre entraîneur Guy Roux, son éviction était «le fruit d’un racisme alimenté par des préjugés qui n’ont laissé aucune place à la présomption d’innocence... Si Benzema a été privé de l’Euro, c’est en raison de ses origines! Il faut avoir le courage de le dire. S’il s’appelait Jean-Claude et était né à Brest, on ne parlerait pas autant de cette affaire. […] Mais son problème est de s’appeler Karim. C’est déplorable…» Noël Le Graët, président de la Fédération française de football (FFF), ajoutait: «… Parce que j’aime bien Benzema, on a l’impression que je deviens quelqu’un de malhonnête. Il faut dire quoi? À mort l’Arabe? Qu’est-ce que c’est que tous ces gens qui m’écrivent pour me dire “Benzema dehors”? Certainement pas!… Je n’ai jamais vu un tel traitement médiatique. Jamais.»
En octobre 1961, d’autres Algériens pleuraient aussi en France, à Paris, pour d’autres raisons.
L’affaire de la vidéo a duré six ans. Le tribunal a estimé que Karim était personnellement impliqué. Il a fait appel, mais épuisé par la procédure, il renonçait en juin 2022 et acceptait sa condamnation. En 2016, Karim disait son amertume: «Je suis énervé... On m'a sali, par rapport à ma famille. Me voir sur toutes les chaînes… Comme si j'étais un terroriste. Je suis dégoûté… C'est plus la souffrance de mes parents qui me fait mal, quand tu vois ton père et ta mère qui pleurent.»
En octobre 1961, d’autres Algériens pleuraient aussi en France, à Paris, pour d’autres raisons. Alors que la guerre d’Algérie se terminait, que la tension entre la police parisienne, dirigée par Maurice Papon, et le Front de libération nationale (FLN) allait crescendo, un couvre-feu était imposé, uniquement pour les «Français musulmans d’Algérie» (FMA). Pour le défier, le FLN appelle alors, le 17 octobre 1961, hommes, femmes et enfants à défiler massivement pour l’Algérie algérienne dans la capitale, pacifiquement, proprement, comme le Hirak en Algérie en 2019. Dans la soirée, vingt à trente mille Algériens se retrouvaient dans les rues.
Vite, de fausses informations signalant plusieurs policiers morts et blessés circulaient. La manifestation est durement réprimée. Des Algériens sont assassinés: tabassés dans la rue, dans les centres d’identification, jetés dans la Seine ou bien abattus par balle. Entre cent vingt et deux cents sont tués. Douze mille sont arrêtés. Dès le lendemain, la préfecture, couverte par l’Élysée de De Gaulle, dresse officiellement un bilan de trois morts… attribués à des affrontements entre Algériens. Les historiens évoquent une «répression d’État la plus violente qu’ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l’Histoire contemporaine».
En 2021, Emmanuel Macron était attendu pour le soixantième anniversaire, dans un contexte franco-algérien tendu par sa sortie sur un «système politico-militaire» algérien «fatigué», fondé sur la «haine de la France», et une «rente mémorielle».
Puis les années qui suivent installent une omerta autour du 17 octobre 1961. Les langues commencent à se délier dans les années 1980 avec les enfants d’immigrés algériens, comme l’écrivain Mehdi Lalaoui, et ceux qui ont été témoins des tueries à Paris. En 1991, une avancée vers la connaissance et la mémoire de cet événement s’opère avec le livre de Jean-Luc Einaudi, La Bataille de Paris, 17 octobre 1961. Il balaie la version officielle de l’État et il évoque un bilan humain de plus de deux cents morts. L’enjeu mémoriel s’aiguise et divise.
Dix ans plus tard, en 2001, au côté du maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, inaugurant une plaque à la mémoire de ces Algériens tués, aucun ministre ni membre de l’État ne s’est associé. Dix ans plus tard, encore, en 2012, le président, François Hollande, reconnaissait enfin, dans un communiqué, au nom de la République, une «sanglante répression».
En 2021, Emmanuel Macron était attendu pour le soixantième anniversaire, dans un contexte franco-algérien tendu par sa sortie sur un «système politico-militaire» algérien «fatigué», fondé sur la «haine de la France», et une «rente mémorielle». Il déposait une gerbe à la hauteur du pont de Bezons, emprunté en octobre 1961 par les manifestants qui arrivaient du bidonville de Nanterre. Premier président français né après la guerre d’Algérie, il est le premier de la Cinquième République à se rendre sur un lieu de mémoire pour cette commémoration du 17 octobre 1961. L’eau a coulé sous le pont.
Ironie de l’Histoire, ce 17 octobre 2022, un fils d’immigrés algériens, Karim Benzema, vedette des Bleus, pourra enfin souffler et savourer, après les diatribes antialgériennes, antiarabes, islamophobes qu’il a endurées six longues années. Ce jour historique, il recevra le Ballon d’or au théâtre du Châtelet à Paris. Consécration ultime pour un footballeur. Le deuxième joueur français à la recevoir. En pleine embellie avec l’Algérie, le président Macron pourrait bien le recevoir à l’Élysée, histoire de soigner ses bleus en ces temps de pénurie.
Azouz Begag est écrivain et ancien ministre (2005-2007), chercheur en économie et sociologie. Il est chargé de recherche du CNRS. Twitter: @AzouzBegag NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français
Plusieurs des jeunes filles ont été emmenées à l’hôpital et d’autres ont été arrêtées. Panahi aurait succombé à ses blessures. (Photo, AFP)
Les autorités d’Ardabil ont battu et détenu plusieurs enfants à la suite d’une perquisition dans une école
Asra Panahi, 16 ans, est morte à l’hôpital, suscitant l’indignation dans tout le pays
LONDRES: Une écolière iranienne aurait été tuée après avoir refusé de chanter une chanson en faveur du régime de Téhéran dans sa classe.
Asra Panahi, 16 ans, aurait été battue, ainsi que plusieurs de ses camarades de classe, par les forces de sécurité après que le lycée de jeunes filles Shahed, à Ardabil, a fait l’objet d’une perquisition le 13 octobre, dans un contexte de manifestations nationales, selon le Conseil de coordination des associations syndicales d’instituteurs iraniens d’Ardabil.
Plusieurs des jeunes filles ont été emmenées à l’hôpital et d’autres ont été arrêtées. Panahi aurait succombé à ses blessures. Les autorités iraniennes ont nié toute responsabilité, et un homme prétendant être son oncle est apparu plus tard sur la chaîne de télévision d’État, à la suite de la colère générale suscitée par sa mort, pour affirmer qu’elle était décédée d’une cardiopathie congénitale.
Ces dernières semaines, les manifestations se sont multipliées dans tout l’Iran après la mort de Mahsa Amini, 22 ans, détenue par la police des mœurs du pays en août. Les jeunes femmes et filles ont été particulièrement nombreuses à s’opposer au régime, des images virales montrant beaucoup d’entre elles en train d’enlever leur voile et de scander des slogans contre le Guide suprême du pays, Ali Khamenei.
La répression contre les manifestants a été brutale, avec notamment des perquisitions dans les écoles, des arrestations, des passages à tabac et des gaz lacrymogènes, ce que le Syndicat des enseignants du pays a qualifié de «brutal et inhumain». Selon le groupe Iran Human Rights, 215 personnes ont été tuées jusqu’à présent dans les manifestations et les mesures de répression, dont 27 enfants.
Une écolière, identifiée sous le pseudonyme de Naznin, s’est exprimée au sujet de la répression au quotidien britannique The Guardian. «Je ne suis pas autorisée à aller à l’école parce que mes parents craignent pour ma vie. Mais qu’est-ce que cela a changé? Le régime continue de tuer et d’arrêter des écolières.»
«À quoi bon rester chez soi, indignée? Mes camarades et moi dans tout le pays avons décidé de manifester dans les rues cette semaine. Je le ferai même si je dois le cacher à mes parents», a-t-elle ajouté. Une autre femme, du nom de «Nergis», a raconté au Guardian qu’elle avait été touchée par des balles en caoutchouc après être allée manifester après la mort de Panahi et de deux autres lycéennes iraniennes, Nika Shahkarami, 17 ans, et Sarina Esmailzadeh, 16 ans.
«Je n’ai pas de famille à Ardabil», a confié Nergis, «mais avec cette répression brutale contre nos sœurs, qui n’avaient que 16 ans, ils ont réveillé toute la nation». «Nous ne savions pas que nous étions si unis – dans les régions baloutches comme dans les régions kurdes. Le monde a entendu parler de Nika, Sarina et Asra, mais il y a tant d’autres enfants sans nom dont nous ne savons rien.»
«La République islamique tue notre peuple depuis quarante ans, mais nos voix n’ont pas été entendues. Que le monde sache que nous n’appelons plus à des manifestations, mais à une révolution. Maintenant que vous écoutez tous nos voix, nous ne nous arrêterons pas.»
Le Kurde iranien Erfan Salih, 34 ans, cousin de Mahsa Amini, décédé en garde à vue en Iran, est photographié dans une base du groupe nationaliste kurde iranien Komala, à l'extérieur de la ville de Suleimaniyah, dans le nord de l'Irak, le 26 septembre 2022. (AFP)
«La mort de Jhina a ouvert les portes de la colère populaire», a dit M. Mortezaee, en treillis militaire, utilisant le prénom kurde de sa cousine pour évoquer les manifestations en Iran.
Ils ont également pulvérisé un spray au poivre au visage de son frère, pour le neutraliser, avant d'emmener les femmes dans un van de la police des moeurs.
SOULEIMANIYEH: Mahsa Amini, l'Iranienne dont la mort a déclenché de vastes manifestations en Iran, est décédée après "un violent coup à la tête" donné par la police des moeurs le jour de son arrestation, a assuré son cousin qui vit en Irak.
La jeune femme de 22 ans était à Téhéran pour des vacances en famille avant d'entamer ses études universitaires dans la province de l'Azerbaïdjan occidental (nord-ouest). Mais son chemin a croisé celui de la police des moeurs le 13 septembre, a raconté à l'AFP Erfan Salih Mortezaee, 34 ans.
Ce dernier est installé depuis un an au Kurdistan d'Irak (nord), où il a rallié le groupe nationaliste kurde iranien Komala, engagé de longue date dans une insurrection contre le pouvoir iranien.
Il a affirmé avoir appelé la mère de Mahsa Amini, qui lui a narré les faits de ce funeste 13 septembre.
"La mort de Jhina a ouvert les portes de la colère populaire", a dit M. Mortezaee, en treillis militaire, utilisant le prénom kurde de sa cousine pour évoquer les manifestations en Iran.
Selon lui, la jeune femme, accompagnée de ses parents et de son cadet de 17 ans, était à Téhéran pour rendre visite à des proches.
Mahsa, son frère et d'autres femmes de la famille, ont voulu faire un tour dans la capitale. En sortant de la station de métro Haghani, "la police des moeurs les a stoppés, interpellant Jhina et ses proches", a dit M. Mortezaee, rencontré dans une base de Komala près de Souleimaniyeh.
Le jeune frère a essayé d'amadouer les forces de l'ordre en expliquant qu'ils sont "à Téhéran pour la première fois" et "ne connaissent pas les traditions" locales.
Rien n'y fait.
"Le policier lui a dit +nous allons l'embarquer, lui inculquer les règles et lui apprendre comment porter le hijab et comment s'habiller+", a ajouté le cousin, assurant que la jeune femme était "habillée comme toutes les femmes en Iran, et portait un hijab".
«Perdu connaissance»
En Iran, les femmes doivent se couvrir les cheveux et le corps jusqu'en dessous des genoux. Mais au quotidien, une grande partie d'entre elles s'autorisent certaines libertés -un foulard négligemment noué sur les cheveux par exemple.
"Les policiers ont frappé Jhina, ils l'ont frappée devant son frère, il est témoin", a encore dit M. Mortezaee. "Ils l'ont giflée, avec un bâton ils l'ont tapée aux mains, aux jambes."
Ils ont également pulvérisé un spray au poivre au visage de son frère, pour le neutraliser, avant d'emmener les femmes dans un van de la police des moeurs.
Direction leurs locaux, rue Vezarat.
Les coups vont se poursuivre à bord du véhicule, d'après M. Mortezaee.
"Quand ils l'ont frappée à la tête avec le bâton, elle a perdu connaissance."
Après son arrivée au poste, il a fallu attendre encore au moins une heure et demie avant qu'elle ne soit transportée à l'hôpital, selon M. Mortezaee. Après trois jours dans le coma, son décès sera prononcé le 16 septembre.
Toujours selon le récit de la mère rapporté par le cousin, les médecins à l'hôpital ont informé la famille que leur fille "avait reçu un violent coup à la tête".
«A l'avant-garde»
Les autorités nient toute implication dans la mort de Mahsa Amini. Mais depuis, des Iraniens manifestent tous les soirs contre son décès.
Selon un dernier bilan donné mardi par l'agence de presse iranienne Fars, "environ 60 personnes ont été tuées" depuis le 16 septembre lors des manifestations. Mais l'ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo, a fait état d'au moins 76 morts.
En outre, plus de 1 200 manifestants ont été arrêtés, selon les autorités.
Dans un Iran frappé par des sanctions américaines, en proie à une grave crise économique, des manifestations ont secoué le pays ces dernières années.
Mais cette fois-ci, "les femmes sont à l'avant-garde et participent courageusement aux manifestations", a dit M. Mortezaee.
"Nos jeunes savent que si ce régime tombe, une vie meilleure les attend."
relative à la substitution, à l’expression,« aux opérations effectuées en Afrique du Nord », de l’expression « à la guerre d’Algérie ou aux combats, en Tunisie et au Maroc »
Antoine PLANQUETTE, secrétaire général de la préfecture de Haute-Loire, a présidé cet après-midi, au jardin Henri Vinay, la cérémonie organisée à l’occasion du 23ᵉ anniversaire de la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999 relative à la substitution, à l’expression,« aux opérations effectuées en Afrique du Nord », de l’expression « à la guerre d’Algérie ou aux combats, en Tunisie et au Maroc », aux côtés des autorités civiles et militaires, ainsi que des représentants du monde combattant.
Le secrétaire général a ensuite donné lecture du message de Patricia MIRALLES, Secrétaire d’État auprès du ministre des armées, rappelant notamment que « le choix de cette date du 18 octobre pour honorer les combattants de la guerre d’Algérie est le symbole de la volonté de la nation qu’il n’y a plus de place ni pour le déni ni pour le silence » et soulignant « qu’une société sans forces morales serait condamnée à l’errance à l’heure des choix stratégiques, quand se décide l’avenir des nations ».
La présidence française s’exprime pour la seconde fois en deux jours sur la guerre d’Algérie. Après la condamnation réitérée, lundi 16 octobre, par le président Emmanuel Macron des « crimes inexcusables » commis sur des Algériens le 17 octobre 1961, un hommage sera rendu ce mardi 18 octobre aux soldats français ayant pris part au conflit.
La cérémonie marque l’anniversaire de la loi de 1999 qui reconnaît comme « guerre » ce qui s’est passé en Algérie entre 1954 et 1962. Elle est prévue à l’hôtel des Invalides et sera présidée par Emmanuel Macron, annonce l’Elysée dans un communiqué qui constitue une déclaration forte sur le conflit et les exactions qui ont été commise.
La fin de la guerre en 1962 ne fut « ni dans les faits ni dans les cœurs », la fin de cette histoire. « Deux nations en sortaient ébranlées, bouleversées, endeuillées », écrit la présidence française, qui rappelle au passage quelques chiffres clés liés à la mobilisation et aux victimes militaires françaises pendant la guerre : en sept ans et demi, près d’un million et demi de soldats ont été envoyés se battre en Algérie, 23 000 y sont morts et plus de 60 000 ont été blessés et « tous furent marqués à vie par ce conflit », dans lequel « à la violence des combats, s’ajoutait la cruauté des attentats ».
L’Elysée dit reconnaître « avec lucidité » que des actes de « torture » et même de « terrorisme » ont été commis, « envers et contre toutes les valeurs d’une République fondée sur la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen », soulignant néanmoins qu’il s’agissait de l’œuvre d’une « minorité » et d’une « poignée » de combattants qui se sont placés « hors République ».
« Dérives criminelles » durant la guerre d’Algérie
« Reconnaître cette vérité ne doit jamais nous faire oublier que l’immense majorité de nos officiers et de nos soldats refusa de violer les principes de la République française. Ces dérives criminelles, ils n’y ont pas souscrit, ne s’y sont pas soumis, et s’y sont même soustraits », lit-on dans la déclaration. En 1961, c’est la loyauté de la majorité de ces soldats qui a fait « tenir » la République lors du putsch des généraux, écrit la présidence française.
Les soldats revenus d’Algérie « n’ont pas été accompagnés et soutenus comme ils auraient dû l’être », reconnaît-elle, ajoutant que les familles des disparus vivent dans le « désarroi » de ne pas connaître le sort des leurs. La déclaration rappelle qu’un hommage a été rendu récemment à 652 d’entre eux, ainsi qu’aux Harkis, dont le président Macron a « reconnu le sort singulier » et auxquels il a « demandé pardon ».
« Nous avons compris que nous n’avancerions pas en fermant les yeux », indique l’Elysée, exprimant « la profonde reconnaissance » de la France à « tous ceux qui furent engagés dans cette guerre et ne se sont pas affranchis, dans l’accomplissement de leur devoir, de leur conscience républicaine ». « La force morale dont ils ont fait preuve pendant et après, là-bas comme ici, les honore et nous oblige », conclut la déclaration.
À l'occasion du 61e anniversaire du 17 octobre 1961, le président de la République a de nouveau dénoncé la répression sanglante de la manifestation pacifique d'Algériens à Paris. En Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a observé une minute de silence en hommage aux victimes.
"Des crimes inexcusables." C'est par un tweet posté lundi 17 octobre que le président Macron a choisi de dénoncer le massacre d'Algériens, le 17 octobre 1961 à Paris. Ce soir-là, des centaines de manifestants pacifiques avaient été battus, tués par balle ou jetés dans la Seine
"La vérité est le seul chemin pour un avenir partagé", a-t-il également écrit.
En 2021, Emmanuel Macron avait reconnu "une vérité incontestable" lors de la cérémonie officielle pour les 60 ans du massacre.
"Cette tragédie fut longtemps tue, déniée ou occultée", indique la présidence, qui qualifie cette soirée du 17 octobre 1961 de "répression sanglante". "Les crimes commis cette nuit-là sous l'autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République", pouvait-on lire dans le communiqué de l'Élysée.
"La France regarde toute son Histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies. Elle le doit d'abord et avant tout à elle-même, à toutes celles et ceux que la guerre d'Algérie et son cortège de crimes commis de tous côtés ont meurtris dans leur chair et dans leur âme. Elle le doit en particulier à sa jeunesse, pour qu'elle ne soit pas enfermée dans les conflits de mémoires et construise, dans le respect et la reconnaissance de chacun, son avenir."
En Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a observé une minute de silence à 11h au siège de la Présidence de la République.
À l'occasion du 61e anniversaire du 17 octobre 1961, le président de la République a de nouveau dénoncé la répression sanglante de la manifestation pacifique d'Algériens à Paris. En Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a observé une minute de silence en hommage aux victimes.
"Des crimes inexcusables." C'est par un tweet posté lundi 17 octobre que le président Macron a choisi de dénoncer le massacre d'Algériens, le 17 octobre 1961 à Paris. Ce soir-là, des centaines de manifestants pacifiques avaient été battus, tués par balle ou jetés dans la Seine
"La vérité est le seul chemin pour un avenir partagé", a-t-il également écrit.
En 2021, Emmanuel Macron avait reconnu "une vérité incontestable" lors de la cérémonie officielle pour les 60 ans du massacre.
"Cette tragédie fut longtemps tue, déniée ou occultée", indique la présidence, qui qualifie cette soirée du 17 octobre 1961 de "répression sanglante". "Les crimes commis cette nuit-là sous l'autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République", pouvait-on lire dans le communiqué de l'Élysée.
"La France regarde toute son Histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies. Elle le doit d'abord et avant tout à elle-même, à toutes celles et ceux que la guerre d'Algérie et son cortège de crimes commis de tous côtés ont meurtris dans leur chair et dans leur âme. Elle le doit en particulier à sa jeunesse, pour qu'elle ne soit pas enfermée dans les conflits de mémoires et construise, dans le respect et la reconnaissance de chacun, son avenir."
En Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a observé une minute de silence à 11h au siège de la Présidence de la République.
Massacre des Algériens du 17 octobre 1961 : que s'est-il passé lors de cette "sanglante répression" à Paris ?
Le contexte
En 1961, la guerre d'Algérie dure déjà depuis sept ans. Si on ignore à cette date que l'indépendance algérienne serait scellée six mois plus tard par les accords d'Évian, cette issue semble déjà inéluctable pour la plupart des acteurs, ainsi que l'historien Emmanuel Blanchard l'explique à l'AFP. "Chacun a le sentiment que l'Algérie va devenir indépendante", estime-t-il, et "le gouvernement souhaiterait que le FLN (Front de Libération Nationale) ne soit pas seul à la table des négociations. Il y a l'idée qu'il faudrait faire émerger une troisième force."
C'est dans ce contexte que la répression policière s'accroit fortement sur les militants pro-FLN en France. "À partir du début septembre", poursuit l'historien, "les arrestations, les passages à tabac se multiplient". La base armée du FLN réagit en reprenant les attentats contre des policiers : cinq d'entre eux sont tués à Paris le même mois. Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, décrète un couvre-feu à partir du 5 octobre, qui ne s'applique qu'aux seuls "Français musulmans d'Algérie". C'est contre cette mesure, et en solidarité avec ceux qui luttent en Algérie, que la fédération française du FLN décide alors d'une grande manifestation le 17 octobre.
Les faits
Pour faire face à cette manifestation, non déclarée mais attendue, la préfecture décide d'une stratégie très restrictive : il s'agit d'empêcher les Algériens d'entrer dans Paris, de tenir les ponts et les portes. Une foule de gens endimanchés et désarmés, souvent venus en famille, marche en cortèges successifs depuis les villes de la périphérie parisienne. "Ce devait être une manifestation pacifique", raconte Djamila Amrane soixante ans après. Cette ancienne militante FLN, aujourd'hui âgée de 87 ans, se souvient que "les organisateurs nous avaient dit de n'avoir rien sur nous, même pas une épingle à nourrice". "Certaines des femmes à qui j'avais demandé de venir s'étaient bien habillées, croyant aller à une sorte de fête", raconte celle qui avait manifesté ce jour-là avec son bébé de deux mois dans les bras.
Face aux manifestants, dès les ponts stratégiques comme celui de Bezons, la police ouvre le feu, frappe à coups de manche de pioche ou de ces longs bâtons noirs qu'on surnommait les "bidules". Et en plusieurs occasions jusqu'au milieu de la nuit, jette des personnes à la Seine ou les contraint à le faire. Le résultat est effroyable : des dizaines de noyés au moins, plusieurs morts par étouffement ou piétinées, d'autres directement sous les coups de la police. La plupart des blessés ne seront pas envoyés vers les hôpitaux : certains seront expulsés, d'autres internés et les derniers renvoyés chez eux sans soins.
La répression ne s'arrête pas là : 12.000 manifestants sont raflés ce jour-là, entassés dans des cars de police et emmenés en plusieurs points de rassemblement, comme le stade Coubertin ou le Palais des Sports. Des témoins parlent de violences inouïes perpétrées contre eux lors de ces transferts. De nombreux cadavres criblés de balles ou portant des contusions seront repêchés dans la Seine les jours suivants.
Un point aveugle dans la mémoire collective
Comment, avec un tel niveau de violence et autant de témoins et d'acteurs, cet épisode noir de l'Histoire a-t-il pu être "oublié" ? Pour l'historien Pierre Manceron, "avant d'oublier il faut d'abord connaitre. Le 17 octobre 1961 n'a pas été oublié, mais consciemment occulté par le pouvoir en place". Pour l'historien Emmanuel Blanchard, c'est dès le matin du 18 octobre que se met en place "un mensonge d'État", avec une "communication gouvernementale visant à incriminer le FLN, les Algériens". Des traces sont effacées, les archives sont longtemps inaccessibles, le bilan véritable est alors très difficile à évaluer.
Du côté du FLN, le souvenir de la répression d'octobre sera peu exploité : l'organisation redeviendrait rapidement l'unique interlocuteur des discussions, et les accords d'Évian seraient bientôt signés. Dans la mémoire collective française, et notamment à gauche, ce sont les neuf victimes du métro Charonne, lors d'une manifestation contre l'OAS en février 1962, qui s'imposeront comme un symbole. "Toutes les personnes tuées ce soir-là étaient des militants de la CGT", rappelle Emmanuel Blanchard, "des personnes encartées au PCF".
C'est à partir de la fin des années 80 que le souvenir d'octobre 1961 revient en force. La génération taiseuse de ceux qui avaient participé à la manif, est interrogée par celle qui suit, alors qu'émergent des mouvements antiracistes comme la "Marche des Beurs", puis SOS Racisme. Les langues se délient enfin, et les archives s'entrouvrent. C'est en 1991, 30 ans après les faits, que l'historien Jean-Luc Einaudi avance le chiffre de deux-cents morts, dans un ouvrage qui marque un virage : "La Bataille de Paris". La même année, le réalisateur Mehdi Lallaoui marque les esprits avec le Silence du fleuve, où il expose des faits nouveaux et la parole de témoins directs. Mais il faudra encore attendre 2012 pour qu'un président français rende "hommage à la mémoire des victimes" de cette "sanglante répression", ainsi que la nomme alors un communiqué de François Hollande.
Pour l’Ukraine, l’indépendance énergétique se joue dans les coulisses du conflit
Les affrontements entre Russes et Ukrainiens autour de la centrale de Zaporijia ont ravivé le spectre d’une catastrophe nucléaire, et conduit l’Agence internationale de l’énergie atomique à dénoncer une situation « intenable ». Dans son dernier ouvrage, le journaliste Marc Endeweld montre pourquoi le nucléaire représente dans ce conflit un enjeu énergétique autant que stratégique.
Au cours d’un échange téléphonique avec son homologue français le 11 septembre 2022, le président russe Vladimir Poutine renouvelle sa mise en garde au sujet de la situation de la centrale nucléaire de Zaporijia, la plus grande d’Europe, située près de la ville d’Energodar sur les rives du Dniepr, le fleuve qui partage à cet endroit la ligne de front. Le même jour, on apprend que l’ensemble des six réacteurs de mille mégawatts ont été mis à l’arrêt.
Tout au long de l’été, Russes et Ukrainiens se sont renvoyé la responsabilité des bombardements sur le site et autour. Ainsi, peu de temps après l’appel téléphonique entre les deux présidents, Moscou dénonce publiquement jusqu’à vingt-six bombardements ukrainiens sur la zone. De son côté, Kiev accuse son adversaire de positionner des armes lourdes au sein de la centrale et de procéder à des tirs vers la rive opposée du Dniepr, sous contrôle de l’Ukraine. Si début août le président Volodymyr Zelensky menace de répliquer à ces attaques russes, certains de ses soldats ne l’ont pas attendu. Le 19 juillet, au moyen de drones de petite taille, ils s’en prennent aux soldats russes présents sur le site : « L’armée ukrainienne harcèle les forces occupantes jusqu’à l’intérieur de la centrale », commente Le Monde (1). Le 19 septembre, un bombardement russe touche un bâtiment situé à trois cents mètres d’un des réacteurs d’une autre centrale nucléaire, « Ukraine du Sud », dans l’oblast de Mykolaïv.
La convention de Genève (protocole II), ratifiée en 1977 par l’Ukraine et la Russie (alors toutes deux dans l’Union soviétique), interdit pourtant les attaques contre des sites nucléaires : « Les ouvrages ou installations contenant des forces dangereuses, à savoir les barrages, les digues et les centrales électriques nucléaires, ne doivent pas faire l’objet d’une attaque. »
L’occupation par l’armée russe de la centrale de Zaporijia intervient tôt dans la guerre opposant la Russie à l’Ukraine : le 4 mars. Dès le premier jour de l’invasion, qui a lieu le 24 février, les troupes aéroportées russes prennent le contrôle de la centrale de Tchernobyl, dont les réacteurs sont à l’arrêt depuis de nombreuses années — le site sera occupé jusqu’au 31 mars. Ce lieu symbolique (du fait de la catastrophe nucléaire de 1986) est hautement stratégique car il abrite de nombreux déchets nécessaires à la fabrication de bombes atomiques. Durant la même période, les forces russes mènent une offensive importante dans la région de Kherson pour tenter de prendre le contrôle de la centrale « Ukraine du Sud ». L’opération échoue. Dès le début de la guerre, M. Poutine fait donc des centrales nucléaires ukrainiennes (quinze réacteurs VVER à eau pressurisée de conception soviétique) un objectif majeur de son « opération militaire spéciale ».
Au printemps dernier, l’occupation de la centrale de Zaporijia suscite les inquiétudes de la communauté internationale. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) demande très tôt qu’une mission d’inspection accède au site. Dans un premier temps, l’Ukraine s’y oppose, de peur, officiellement, de voir l’occupation russe de l’installation légitimée par une institution internationale. Au cours de l’été, un accord est trouvé. Le gouvernement de Kiev obtient que la délégation de l’AIEA transite par les territoires qu’il contrôle pour accéder à la centrale. Tandis que le président Zelensky dénonce à de multiples reprises le « chantage russe » au sujet de la centrale de Zaporijia, le Kremlin convoque en urgence une réunion du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) consacrée exclusivement à cette question.
Un couplage avec le réseau européen
Les uns et les autres jouent avec la peur d’un « nouveau Tchernobyl », et l’AIEA fait l’objet de très fortes pressions des deux belligérants. Kiev veut imposer une « démilitarisation » de la centrale, quand Moscou souhaite que l’Ukraine soit dénoncée comme l’auteure principale des bombardements. Dans son rapport, l’agence internationale demande l’arrêt immédiat des bombardements (sans évoquer l’origine des tirs) et propose l’établissement d’une « zone de protection » autour de la centrale de Zaporijia (sans plus de précisions). Elle estime que la situation est « intenable » et constitue « une menace permanente pour la sûreté et la sécurité nucléaires car des fonctions essentielles à la sûreté du site, en particulier le refroidissement des installations (…), pourraient être touchées » (2). Les inspecteurs de l’AIEA ont constaté de nombreux dégâts à la suite des bombardements : le toit d’un bâtiment où sont entreposées des barres de combustible neuf ainsi que des déchets radioactifs a par exemple été éventré. Ils s’inquiètent aussi des conditions de travail des techniciens ukrainiens, soumis aux pressions de l’armée russe.
Zaporijia ne constitue pas uniquement un enjeu de sûreté nucléaire : la centrale représente un but de guerre à vocation géopolitique. Avant l’occupation russe, les six réacteurs fournissaient 20 % de l’électricité ukrainienne. L’indépendance énergétique de l’Ukraine se joue donc dans les coulisses du conflit, notamment autour de la question du raccordement électrique de la centrale. Lors de sa visite du site, l’AIEA a constaté que de nombreux bombardements avaient ciblé les lignes à haute tension en direction de l’est de l’Ukraine, en partie occupé par les Russes, ainsi que les stations de raccordement et les transformateurs électriques. Le 25 août, la centrale est déconnectée durant quelques heures du réseau ukrainien, et l’Ukraine craint que les Russes ne la raccordent à leur propre réseau. Un détournement d’énergie « inacceptable », dénonce le département d’État américain (3).
Les centrales ukrainiennes, héritées de l’Union soviétique, étaient jusqu’à récemment connectées au réseau électrique de la Russie et de la Biélorussie. L’information est passée sous les radars des grands médias mais, quelques heures avant l’invasion, l’Ukraine a procédé au découplage de son réseau avec la Russie, une phase de « test » décidée plus tôt, mais qui a perduré du fait de la guerre. L’opération a facilité le raccordement du réseau électrique ukrainien avec celui de l’Europe, via la Pologne, en mars 2022. L’idée d’une connexion avec l’Ouest remonte à 2015, quelques mois après l’annexion de la Crimée et le début du conflit au Donbass. Il reçoit le soutien de la France, qui mobilise son gestionnaire Réseau de transport d’électricité (RTE) pour aider les Ukrainiens ainsi qu’Électricité de France (EDF) Trading pour assurer une partie du financement (un total de 2,6 milliards de dollars (4) en partenariat avec les groupes polonais Polenergia et américain Westinghouse). À terme, l’Ukraine souhaite exporter de l’électricité bon marché aux pays européens.
L’une des motivations de M. Poutine pour lancer son « opération militaire spéciale » était en fait de mettre un coup d’arrêt à la volonté des Ukrainiens d’échapper à la tutelle russe sur leur parc nucléaire, un enjeu à la fois énergétique et sécuritaire. Longtemps après la chute de l’URSS, la maintenance et la sûreté des réacteurs VVER en Ukraine, la fourniture en combustible nucléaire et la gestion des déchets ont été assurées par les Russes (les pièces détachées des centrales proviennent de Biélorussie), comme pour tous les réacteurs de ce type en Europe. Jusqu’alors, le cycle nucléaire en Ukraine se décomposait ainsi : le Kazakhstan fournissait l’uranium, celui-ci était enrichi en Russie, qui l’envoyait en Ukraine. En 2010, TVEL, filiale de Rosatom, l’entreprise d’État russe du nucléaire, a vendu pour 608 millions de dollars de combustible à l’Ukraine. Cette dernière est alors le client le plus important de TVEL.
Dès les années 2000, l’Ukraine cherche à diversifier ses approvisionnements en combustible nucléaire et à mettre à niveau ses vieux réacteurs de conception soviétique. Les gouvernements issus de la « révolution orange » de 2004 se tournent alors vers le groupe américain Westinghouse. Pour ce dernier, les débuts en Ukraine sont difficiles. Le groupe connaît plusieurs défaillances. Au point qu’en 2012 un incident sérieux survient sur l’un des réacteurs de la centrale « Ukraine du Sud » équipé d’un assemblage américain de combustibles. Le cœur est gravement endommagé. Adapter des combustibles aux contraintes d’une technologie soviétique est une opération délicate, qui exige du temps. Après plusieurs essais infructueux, Westinghouse réussit néanmoins à alimenter six réacteurs ukrainiens. À la centrale de Zaporijia, quatre des six réacteurs fonctionnent à partir de combustibles fournis par Westinghouse.
Ces dernières années, les pressions russes se sont multipliées pour préserver le système nucléaire entre les deux pays. Le prédécesseur de M. Zelensky, M. Petro Porochenko, avait promis à Westinghouse une part majoritaire du marché du combustible, avant de se raviser et de lui accorder moins de contrats qu’envisagé. À partir de 2019, les Ukrainiens, bien décidés à éloigner les Russes de leur industrie nucléaire, changent de ton. Cette année-là, un nouvel accord prévoit une baisse des commandes de combustibles à la Russie. Energoatom, l’exploitant des centrales nucléaires en Ukraine, décide de se fournir principalement chez Westinghouse.
Deux ans plus tard, tout s’accélère : en août 2021, un accord de coopération américano-ukrainien prévoit la création par Westinghouse d’une usine de fabrication de combustible nucléaire. Un mois plus tard, la société américaine et Energoatom signent un protocole d’accord représentant 30 milliards de dollars pour la construction de quatre réacteurs AP1000 en Ukraine. En juin 2022, un nouvel accord est signé : Westinghouse construira en tout neuf réacteurs dans le pays. Discrètement, le groupe américain lance son offensive dès 2018 sous l’impulsion de l’administration Trump, qui souhaite que les États-Unis reviennent en force sur le marché du nucléaire civil mondial face à la Chine et à la Russie (5).
Le rapprochement entre l’Ukraine et les États-Unis préoccupe M. Poutine. À ses yeux, il s’agit non seulement d’un affront, mais aussi d’une menace. Le nucléaire est une technologie potentiellement duale : à la fois civile et militaire.
Préserver le contact avec les Russes
Pour appréhender la réaction de Moscou, il convient de revenir au mémorandum de Budapest de 1994, signé par l’Ukraine, la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni (ainsi, plus tard, que par le reste des puissances nucléaires déclarées, soit la France et la Chine). Le document avait amené les Ukrainiens à accepter le renvoi à Moscou de l’arsenal nucléaire présent sur leur sol, et hérité de l’URSS, contre des garanties strictes d’intégrité territoriale et de sécurité. Salué à l’époque comme un modèle de désarmement nucléaire (l’Ukraine signant en parallèle le traité de non-prolifération [TNP]), le mémorandum comporte pourtant une faille de taille : les garanties de sécurité ne sont accompagnées d’aucune obligation réelle de défendre l’Ukraine, et aucune sanction ou mesure contraignante n’est prévue en cas de violation du texte par l’un des pays. Or, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, une partie des élites ukrainiennes ne cesse de regretter publiquement le désarmement intervenu une dizaine d’années plus tôt (6).
Ce débat dépasse les frontières de l’Ukraine. En juin dernier, M. Radosław Sikorski, l’ancien ministre de la défense et des affaires étrangères polonais, a déclaré que la Russie avait violé le mémorandum de Budapest et que, par conséquent, l’Occident pouvait « offrir » des ogives nucléaires à l’Ukraine afin « qu’elle puisse défendre son indépendance ». Cinq jours avant l’invasion russe, le 19 février 2022, à la conférence de sécurité de Munich, M. Zelensky fait référence au mémorandum de Budapest de 1994 en expliquant que, si une renégociation ne s’enclenche pas rapidement entre les parties signataires, son pays considérera qu’il n’est plus tenu de respecter ses engagements historiques : « L’Ukraine a reçu des garanties de sécurité pour avoir abandonné la troisième capacité nucléaire du monde. Nous n’avons pas cette arme. Nous n’avons pas non plus cette sécurité. »
Fin mars, lors des négociations de paix entre Russes et Ukrainiens, sous l’égide du président turc Recep Tayyip Erdoğan, M. Zelensky se déclare prêt à la neutralité de son pays et promet de ne pas développer d’armes atomiques, comme l’écrit le Financial Times, si la Russie replie ses troupes et si Kiev reçoit des garanties de sécurité sérieuses (7) : « Le statut non nucléaire de notre État, nous sommes prêts à y aller… Si je me souviens bien, c’est pour ça que la Russie a commencé la guerre [NDLR : la Russie refusant que l’Ukraine se nucléarise à terme militairement] », explique le président ukrainien.
Tout en aidant les Ukrainiens dans le nucléaire civil, les Américains ont tenu à préserver le contact avec les Russes sur ce dossier. Le président Donald Trump avait mandaté un haut fonctionnaire, M. John Reichart, ancien patron du Centre d’étude des armes de destruction massive, pour évaluer l’ensemble de la situation nucléaire en Ukraine, lequel a discrètement rendu ses rapports. Et aujourd’hui, malgré la guerre, des négociations secrètes entre États-Unis et Russie sont en cours au sujet du futur partage du nucléaire civil ukrainien : « Ils savent qu’avant que les centrales AP1000 ne soient construites en Ukraine, pas plus qu’eux que les Ukrainiens ne pourront faire sans les Russes », commente en off un acteur de l’industrie nucléaire mondiale.
Marc Endeweld
Octobre 2022
Journaliste, auteur de Guerres cachées. Les dessous du conflit russo-ukrainien, Seuil, Paris, 2022.
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