Louisette Ighilahriz, militante algérienne torturée en 1957 à Alger. L'Humanité du 22 juin consacre sa « une » à la polémique née des déclarations contradictoires des généraux Massu et Bigeard ( Le Monde du 22 juin). Le Monde tente de cerner la personnalité du docteur Richaud, qui a sauvé la vie de Mme Ighilahriz.
LA CONFESSION de « Lila » n'aura pas été vaine. Cette femme, Louisette Ighilahriz, militante du FLN, rendait hommage, dans Le Monde du 20 juin, à un médecin militaire français qui l'avait arrachée aux griffes de ses tortionnaires, en 1957, l'année de la bataille d'Alger. Elle avait vingt ans. La révélation publique de ce drame aura permis de mettre en lumière la personnalité de son sauveur, ce « Richaud » à qui elle ne voulait « qu'une chose : lui dire merci».
Ce médecin-général, mort à Pau en septembre 1997 à l'âge de 84 ans, ne saura jamais que « Lila » l'a recherché pendant plus de quarante ans pour lui exprimer sa reconnaissance. La biographie de ce Marseillais le situe, en 1939, comme médecin d'un bataillon de tirailleurs algériens puis, après captivité et évasion, dans un maquis de la Résistance. Devenu parachutiste après-guerre, Richaud participe aux opérations de Suez avant d'être nommé médecin-chef de la Xe division de parachutistes d'intervention, celle que commande le général Massu. Ce qu'il vit et voit alors, il ne le partagera avec aucun des membres de sa famille qui, stupéfaite, découvre aujourd'hui l'épisode « Lila ». « C'était une partie de sa vie dont il ne parlait jamais », dit Geneviève, sa fille aînée qui, à l'époque, avait 20 ans et se souvient douloureusement d'avoir perdu « plusieurs amies dans les attentats » en Algérie. C'est probablement à elle que le médecin faisait allusion lorsqu'il a expliqué à la jeune Louisette Ighilahriz qu'elle lui rappelait sa fille. Mais Geneviève, née Richaud, ne souhaite « surtout pas [s]' approprier en quoi que ce soit » les actes de son père. « Il a fait ce qu'il pensait être bien », indique seulement cette femme qui « préfère ne plus entendre parler de cette période difficile, qu'on a dépassée ».
Annie, sa soeur cadette, quinze ans à l'époque, accueille avec davantage d'enthousiasme la révélation de l'acte courageux de son père : « Cela ne m'étonne pas : mon père était un humaniste, un type de grande valeur, lance cette assistante sociale de l'armée. Cela me fait plaisir de savoir qu'il a sauvé cette femme. Mais la torture, il n'en avait jamais parlé ». Eprouve-t-elle de la fierté ? « Fière oui, j'ai toujours été fière de lui », admet-elle en envisageant d'entrer en contact téléphonique avec « Lila ».
Anny Camicas, la compagne de Richaud à la fin de sa vie, elle aussi, tombe des nues. Elle souligne les qualités médicales de l'intéressé, promoteur à Suez d'une antenne chirurgicale parachutée, « adepte des médecines douces » et se souvient que le général Massu en personne avait décerné à cet homme « qui aidait tout le monde » le grade de commandeur de la Légion d'honneur.
ASSIGNÉE À RÉSIDENCE
Sauvée par cet « humaniste », selon l'expression du général Massu, Louisette Ighilahriz n'en avait pourtant pas fini avec la détention. Incarcérée durant quatre ans, à Alger, puis en métropole, « Lila » connut ensuite pas moins de sept prisons. En 1961, c'est une femme française, grande résistante, révoltée par la misère des Musulmans d'Algérie, qui réussit à lui faire goûter à nouveau un semblant de liberté : Germaine Tillion obtient son assignation à résidence à Corte, en Corse. M. T., un enseignant de philosophie engagé contre la guerre d'Algérie, se souvient précisément que MmeTillion lui avait confié le soin de veiller sur « Lila » alors qu'il était en poste au lycée de Corte. « Elle nous a tout déballé, nous a montré les traces de tortures sur son corps. On ne parlait même que de celà, se souvient ce nouvel ange gardien. Elle était raide, dure, farouche. On essayait que cette gamine, aussi forte qu'elle était, puisse survivre. Le calvaire qu'elle avait subi était assez exceptionnel, emblématique. Nous connaissions toutes ces horreurs mais, nous en avions un terrible exemple vivant parmi nous. »
Un jour pourtant, « Lila » a disparu de Corte. Elle en avait assez de pointer matin et soir au commissariat. M. T. a seulement su qu'elle s'était évadée et avait regagné l'Algérie, via l'île d'Elbe. Quarante années de silence ont suivi. Quarante ans, note M. T., « le délai de rigueur pour comprendre les choses».
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