Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane assiste au sommet de Djeddah sur la sécurité et le développement, le 16 juillet 2022 (AFP)
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a été promu la semaine dernière au poste de Premier ministre, confirmant ainsi sa position de dirigeant de facto du royaume. Cette mesure sera synonyme de baisser de rideau pour le roi Salmane, qui deviendra encore plus invisible au cours des prochains mois. L’État, c’est désormais son fils MBS.
En tant que Premier ministre, Mohammed ben Salmane sera plus puissant que jamais, puisqu’il préside désormais les nombreux ministères et postes bureaucratiques du pays. Avec ses deux frères Khaled et Abdelaziz, respectivement à la tête des portefeuilles de la Défense et de l’Énergie, la monarchie saoudienne telle que nous la connaissions a été abolie. Le roi Salmane a passé les rênes à sa descendance.
Aucun dirigeant mondial ne peut désormais contourner le prince héritier au motif qu’il n’est pas la plus haute autorité officielle du royaume
Par le passé, le roi Saoud (1953-1964) avait tenté de placer plusieurs fils à des postes clés du gouvernement, mais n’y était pas parvenu sous la pression du prince Fayçal, qui le forcera à abdiquer au début des années 1960. Il est peu probable que Mohammed ben Salmane soit évincé peu de temps après être devenu l’unique dirigeant, compte tenu de l’absence de concurrents puissants capables de compromettre son règne comme Fayçal a pu le faire avec Saoud.
Sur le terrain, la promotion de Mohammed ben Salmane n’a pas de réelle incidence, puisqu’il est en charge des affaires intérieures du pays depuis 2017. Après avoir été nommé prince héritier, il a progressivement érodé l’autorité des autres princes et pris le contrôle de l’ensemble des fonctions et postes bureaucratiques de l’État, de l’économie à la sécurité.
En revanche, au niveau international, cette promotion change tout. Aucun dirigeant mondial ne peut désormais contourner le prince héritier au motif qu’il n’est pas la plus haute autorité officielle du royaume. Désormais, les dirigeants ne pourront plus chercher à rencontrer un roi invisible, mais devront s’adresser directement au prince héritier. Tous doivent désormais reconnaître que rien ne peut être fait sans l’approbation de Mohammed ben Salmane.
La terreur salmanienne
Le bilan controversé de Mohammed ben Salmane – qui comprend des projets et des visions économiques relevant de la mégapropagande, ainsi qu’une entreprise de libéralisation religieuse et sociale – a été salué pendant des années à l’étranger et parmi divers segments de la société saoudienne. En Occident, il était considéré comme un sauveur déterminé à sauver l’Arabie saoudite de ses démons intérieurs.
À l’échelle nationale, Mohammed ben Salmane a réduit au silence toute dissidence et toute critique, y compris au sein de sa propre famille. Il est apparu comme le « futur roi jeune et visionnaire ». Mais la propagande officielle a peiné à dissimuler la nouvelle ère de terreur associée au style de gouvernance de Mohammed ben Salmane. Tout en prétendant moderniser et libéraliser l’Arabie saoudite, il a transformé le pays en une prison géante, où un simple tweet critique peut valoir plusieurs décennies derrière les barreaux.
Il n’y a qu’une seule façon de décrire cette nouvelle terreur : un mélange maladroit entre la main de fer de Staline et le capitalisme néolibéral occidental. Les gens sont amenés à croire que ce mélange permettrait de mettre en œuvre le meilleur programme de modernisation que le pays ait jamais connu, d’attirer les investissements étrangers et de créer des emplois dont le pays a tant besoin. Mais il n’est pas certain que ce programme se soit traduit par une sécurité accrue pour les Saoudiens ordinaires.
La réputation du prince héritier s’est effondrée après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018. Le prince était ainsi boudé par l’administration Biden et d’autres dirigeants mondiaux, outre de nombreux investisseurs internationaux. Mohammed ben Salmane était isolé, même s’il s’efforçait de contrer l’image d’assassin qui lui était collée. Il s’est démené pour sortir de cet isolement jusqu’à ce que le président russe Vladimir Poutine lui sauve la mise en février dernier en envahissant l’Ukraine.
Un pétrole transformé en arme
Dans un contexte de crise énergétique mondiale, Mohammed ben Salmane a déployé les abondantes réserves de pétrole de l’Arabie saoudite comme une arme dans sa bataille pour retrouver sa position sur la scène mondiale. Des présidents et Premiers ministres en quête d’une coopération pour atténuer les pénuries d’énergie et empêcher de nouvelles hausses de prix ont commencé à défiler à Riyad. Tout le monde voulait que Mohammed ben Salmane augmente la production de pétrole. Il savait que le moment était venu pour lui de négocier avec le monde depuis une position de force.
Outre l’or noir si précieux sur lequel il est assis, le prince héritier-Premier ministre sait qu’il y a d’autres dossiers que lui seul peut contrôler et en fin de compte résoudre. L’intensification de ses liens sécuritaires et économiques avec Israël est un prélude à une normalisation, ce qui plairait à beaucoup d’interlocuteurs en Occident.
Mais Mohammed ben Salmane ne semble pas pressé d’accueillir une ambassade officielle d’Israël à Riyad. Il n’en a pas besoin pour l’instant, puisque toutes ses transactions commerciales et sécuritaires avec Israël sont des secrets de polichinelle. S’il n’y a pas d’urgence de son point de vue, la question est peut-être plus pressante pour Israël.
Le couronnement de Mohammed ben Salmane comme roi n’a pas encore eu lieu, mais sur le terrain, il est désormais le roi. Il devra attendre que les autres princes et les Saoudiens lui prêtent allégeance à la mort du roi Salmane. De nombreux princes accourront pour lui prêter allégeance, craignant pour leur vie s’ils ne se présentent pas à la cour royale. D’autres seront peut-être plus réticents, mais tous seront poussés à afficher ouvertement une loyauté sans réserve envers le nouveau roi. Dans le cas contraire, le prix à payer sera trop élevé, même pour ceux qui font déjà profil bas.
- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule Arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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