Photo: David Ospina «À cause du soleil» oscille entre deux époques, deux régions du monde, deux couples et deux climats.
Pour adapter L’étranger, le premier roman d’Albert Camus, paru en 1942, le directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant, a fait appel à Evelyne de la Chenelière. À partir des tribulations de Meursault, l’autrice a imaginé À cause du soleil, une pièce qui oscille entre deux époques, deux régions du monde, deux couples et deux climats. Malheureusement, plutôt que de clarifier les rapports entre les deux espaces-temps, la mise en scène, la première que signe Florent Siaud au TDP, aussi splendide soit-elle, brouille les pistes.
Sauf erreur, la dernière fois que les mots de Camus ont retenti sur la scène du TDP, c’était en 2008, alors qu’André Melançon dirigeait Les Justes. La fois précédente ? Probablement le mémorable Caligula mis en scène par Brigitte Haentjens en 1993. Pourtant toute désignée pour initier les adolescents à des notions philosophiques aussi fondamentales que l’absurde, et des réalités sociales aussi cruciales que la solidarité, l’oeuvre de Camus est peu montée par les temps qui courent. Avis aux camusiens : en janvier, au TNM, on pourra voir Je t’écris au milieu d’un bel orage, un spectacle signé Dany Boudreault et Maxime Carbonneau à partir des correspondances de Camus avec Maria Casarès.
Chercher la cause
L’action se déroule donc à la fois en 1940 et en 2020, en Algérie et au Québec, sous un soleil de plomb et dans un froid glacial. Alors que Meursault et Marie sortent tout droit du roman de Camus, Medi et Camille, Québécois d’origine algérienne, proviennent de l’imaginaire de l’autrice. Dans chacune des histoires, quelqu’un est mort de manière totalement absurde, dans une odieuse indifférence. L’Arabe est mort à cause du soleil, dira Meursault. La vieille dame est morte à cause de la neige, dira Medi.
La pièce établit de riches correspondances entre deux époques où les notions de colonialisme et de racisme, notamment, minent cruellement le vivre-ensemble. Pourquoi certaines personnes n’ont-elles toujours pas droit à un nom, à une identité ? Pourquoi en sont-elles réduites à une fonction, à un rôle anonyme, qui les prive d’humanité ? Par moments, tout de même, on ne peut s’empêcher de se demander si la seconde trame est vraiment nécessaire. Est-ce que se contenter de transposer le récit déjà complexe de L’étranger n’aurait pas suffi ?
Le dispositif imaginé par Romain Fabre est, une fois de plus, somptueux. Nuage métallique suspendu au-dessus de la scène. Rideau de franges sur lequel sont projetés rivages et visages. Moins convaincants sont les deux plateaux tournants, non seulement parce qu’ils sont fort bruyants, mais aussi parce qu’ils ne contribuent pas à la fluidité du spectacle. Picturale à souhait, la mise en scène est d’une grande beauté, mais d’une beauté froide, qui maintient le public à distance, notamment parce qu’elle se garde bien de clarifier les liens entre les deux récits entrelacés.
Malgré un investissement physique et émotionnel indéniable, Mustapha Aramis — du moins le soir de la première — ne parvenait pas à communiquer à sa narration le souffle nécessaire. Dans le rôle de Meursault, exigeant parce qu’il prive de tout emportement, Maxim Gaudette est fort juste, souvent troublant. Quant à Évelyne Rompré, sa Marie lumineuse, captivante, elle vaut à elle seule le détour.
Christian Saint-Pierre
https://www.ledevoir.com/culture/theatre/759685/critique-theatre-a-cause-du-soleil-etranger-au-monde
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