Dans un rapport publié mercredi 31 août, l’ONU dénonce de possibles « crimes contre l’humanité » menés par les autorités chinoises contre les populations ouïghoures dans le Xinjiang. Pour Laurence Defranoux, journaliste et autrice d’un livre (1) sur l’histoire de ce peuple sacrifié, cette répression, reconnue par la France comme un génocide, prend racine dans les années 1990.
La Croix : À quand remonte le début de la persécution des Ouïghours au Xinjiang ?
Laurence Defranoux : Après la chute de l’URSS et les manifestations de Tian An Men en 1989, les éléments les plus anciens et les plus conservateurs du Parti communiste chinois (PCC) abandonnent toute idée de réforme démocratique du pays et prennent le virage de la répression. Les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale prennent leur indépendance. Pékin craint que les Ouïghours(ethnie musulmane qui peuple la province du Xinjiang, NDLR), très proches de leurs voisins, ne suivent cet exemple.
À partir des années 1990, tout ce qui s’apparente à une identité distincte dans les marges de la Chine va être réprimé : les artistes sont censurés et les pratiques culturelles, comme le port de la moustache ou la célébration de fêtes religieuses, sont interdites aux fonctionnaires. Les autorités ciblent tout ce qui peut faire le ciment d’une identité parallèle au discours officiel. Le sens de la fête, les arts, la solidarité traditionnelle des Ouïghours sont perçus comme une menace contre l’hégémonie du PCC, et le ferment d’une opposition à son pouvoir absolu.
Il y a de fait eu des attentats menés par des Ouïghours, mais il s’agissait essentiellement d’actes de rébellion isolés, très courants dans toute la Chine. Le chercheur Sean R. Robert évoque la notion de « prophétie autoréalisatrice » pour expliquer comment la politique répressive menée par la République populaire de Chine contre une menace terroriste très largement imaginaire peut mener à des attaques réelles.
Et de fait, compte tenu du harcèlement permanent que subit la population du Xinjiang – tout y est surveillé, de la navigation sur Internet à l’intimité des chambres à coucher –, une forme de résistance s’est développée. Mais il est impossible que ces actes, extrêmement réprimés, soient orchestrés par des organisations rebelles structurées.
Comment cette persécution évolue-t-elle après les événements du 11 septembre 2011 ?
L. D. : Avant les attentats du World Trade Center, les autorités chinoises justifiaient la répression dans le Xinjiang par un « séparatisme » ouïghour qui serait manipulé depuis Washington. Mais dès le 11-Septembre, ce discours change de façon spectaculaire. De « séparatistes », les Ouïghours deviennent des « terroristes » disciples d’Al-Qaida, pilotés par Ben Laden. Ce dernier n’a pourtant jamais parlé du Turkestan oriental.
Un mois après les attentats, les autorités chinoises ont voulu faire reconnaître un groupe ouïghour comme organisation terroriste aux États-Unis. Les experts américains ont d’abord refusé, tant les accusations ne reposaient sur rien. Un an plus tard, en contrepartie d’un soutien pour l’invasion en Irak, l’administration américaine s’est pourtant pliée aux demandes de la Chine. C’est en se servant de l’imaginaire occidental sur le terrorisme que Pékin a pu faire passer la persécution d’une ethnie à des buts politiques et économiques comme une facette de la lutte internationale contre le terrorisme.
Comment ce discours présage-t-il de la mise en place du génocide aujourd’hui perpétré contre le peuple ouïghour ?
L. D. : À l’automne 2013, Xi Jinping dévoile le projet des « nouvelles routes de la soie » qui doit permettre à la Chine, via de nouveaux axes commerciaux, d’étendre son influence sur l’Asie centrale, l’Europe et le reste du monde. Le Xinjiang, frontalier de huit pays, devient plus important que jamais.
Il faut que ce territoire soit stable et entièrement exploitable à merci. Pékin délocalise au Xinjiang les industries polluantes, exproprie les terres. Les « lois antiterroristes » vont alors s’étendre à toutes les formes « d’extrémisme religieux ». Arrêter de fumer, porter une jupe longue, appeler son fils Mohamed, réciter une prière à ses enfants… tout est considéré comme une forme de radicalisation permettant une répression toujours plus violente et un contrôle toujours plus accru de la population.
L’Assemblée nationale dénonce le « génocide » des Ouïghours par la Chine
En 2014, la « guerre du peuple » est déclarée, et les pratiques totalitaires commencent. Les autorités chinoises sont obsédées par la question des quotas ethniques et cherchent à tout prix à inverser la balance démographique dans la région. Depuis des décennies, elles font venir des Hans – l’ethnie majoritaire chinoise – en masse, mais cela ne suffit pas. Alors elles mettent en place des politiques pour limiter les naissances d’Ouïghours, enferment les hommes en âge de procréer, imposent aux femmes contraception et stérilisation. L’objectif final est clairement de dissoudre l’identité ouïghoure.
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La Croix : À quand remonte le début de la persécution des Ouïghours au Xinjiang ?
Laurence Defranoux : Après la chute de l’URSS et les manifestations de Tian An Men en 1989, les éléments les plus anciens et les plus conservateurs du Parti communiste chinois (PCC) abandonnent toute idée de réforme démocratique du pays et prennent le virage de la répression. Les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale prennent leur indépendance. Pékin craint que les Ouïghours(ethnie musulmane qui peuple la province du Xinjiang, NDLR), très proches de leurs voisins, ne suivent cet exemple.
À partir des années 1990, tout ce qui s’apparente à une identité distincte dans les marges de la Chine va être réprimé : les artistes sont censurés et les pratiques culturelles, comme le port de la moustache ou la célébration de fêtes religieuses, sont interdites aux fonctionnaires. Les autorités ciblent tout ce qui peut faire le ciment d’une identité parallèle au discours officiel. Le sens de la fête, les arts, la solidarité traditionnelle des Ouïghours sont perçus comme une menace contre l’hégémonie du PCC, et le ferment d’une opposition à son pouvoir absolu.
Il y a de fait eu des attentats menés par des Ouïghours, mais il s’agissait essentiellement d’actes de rébellion isolés, très courants dans toute la Chine. Le chercheur Sean R. Robert évoque la notion de « prophétie autoréalisatrice » pour expliquer comment la politique répressive menée par la République populaire de Chine contre une menace terroriste très largement imaginaire peut mener à des attaques réelles.
Et de fait, compte tenu du harcèlement permanent que subit la population du Xinjiang – tout y est surveillé, de la navigation sur Internet à l’intimité des chambres à coucher –, une forme de résistance s’est développée. Mais il est impossible que ces actes, extrêmement réprimés, soient orchestrés par des organisations rebelles structurées.
Comment cette persécution évolue-t-elle après les événements du 11 septembre 2011 ?
L. D. : Avant les attentats du World Trade Center, les autorités chinoises justifiaient la répression dans le Xinjiang par un « séparatisme » ouïghour qui serait manipulé depuis Washington. Mais dès le 11-Septembre, ce discours change de façon spectaculaire. De « séparatistes », les Ouïghours deviennent des « terroristes » disciples d’Al-Qaida, pilotés par Ben Laden. Ce dernier n’a pourtant jamais parlé du Turkestan oriental.
Un mois après les attentats, les autorités chinoises ont voulu faire reconnaître un groupe ouïghour comme organisation terroriste aux États-Unis. Les experts américains ont d’abord refusé, tant les accusations ne reposaient sur rien. Un an plus tard, en contrepartie d’un soutien pour l’invasion en Irak, l’administration américaine s’est pourtant pliée aux demandes de la Chine. C’est en se servant de l’imaginaire occidental sur le terrorisme que Pékin a pu faire passer la persécution d’une ethnie à des buts politiques et économiques comme une facette de la lutte internationale contre le terrorisme.
Comment ce discours présage-t-il de la mise en place du génocide aujourd’hui perpétré contre le peuple ouïghour ?
L. D. : À l’automne 2013, Xi Jinping dévoile le projet des « nouvelles routes de la soie » qui doit permettre à la Chine, via de nouveaux axes commerciaux, d’étendre son influence sur l’Asie centrale, l’Europe et le reste du monde. Le Xinjiang, frontalier de huit pays, devient plus important que jamais.
Il faut que ce territoire soit stable et entièrement exploitable à merci. Pékin délocalise au Xinjiang les industries polluantes, exproprie les terres. Les « lois antiterroristes » vont alors s’étendre à toutes les formes « d’extrémisme religieux ». Arrêter de fumer, porter une jupe longue, appeler son fils Mohamed, réciter une prière à ses enfants… tout est considéré comme une forme de radicalisation permettant une répression toujours plus violente et un contrôle toujours plus accru de la population.
L’Assemblée nationale dénonce le « génocide » des Ouïghours par la Chine
En 2014, la « guerre du peuple » est déclarée, et les pratiques totalitaires commencent. Les autorités chinoises sont obsédées par la question des quotas ethniques et cherchent à tout prix à inverser la balance démographique dans la région. Depuis des décennies, elles font venir des Hans – l’ethnie majoritaire chinoise – en masse, mais cela ne suffit pas. Alors elles mettent en place des politiques pour limiter les naissances d’Ouïghours, enferment les hommes en âge de procréer, imposent aux femmes contraception et stérilisation. L’objectif final est clairement de dissoudre l’identité ouïghoure.
(1) Les Ouïghours Histoire d’un peuple sacrifié, Tallandier (2022)
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