Auteur d’un projet de résolution cosigné cet été par 33 député·es de gauche sur « l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien », le député communiste Jean-Paul Lecoq a subi un tombereau de critiques et d’injures. Il persiste et signe et répond ici, pour la première fois, à ses détracteurs.
Ce fut le mauvais buzz politique de l’été 2022 en France, à la mi-juillet. Le projet de résolution soumis au Parlement sur « l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » a été décrié, rejeté. Son auteur, Jean-Paul Lecoq, ancien maire de Gonfreville dans l’agglomération du Havre, député de Seine-Maritime, vice-président de la commission des affaires étrangères, et ses 33 député·es cosignataires ont été accusé·es du pire. Pour le gouvernement, pour les pro-israéliens, pour la droite, mais aussi pour une partie de la gauche, parler d’apartheid à propos d’Israël serait abusif, voire antisémite. Pourtant cosigné par des élus communistes, la France Insoumise (FI), des Verts, socialistes et indépendants, bref issus de toutes les nuances de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), ce texte a en outre été jugé par certains à gauche malencontreux et inapproprié dans le contexte de l’été, après une longue séquence électorale. Y a-t-il un bon ou un mauvais moment pour évoquer une situation qui perdure depuis des décennies ? Abasourdi par la violence des attaques subies, Jean-Paul Lecoq a décidé de répondre pour la première fois, pour Orient XXI. Pour le député, sur l’apartheid israélien, « il est temps de dire les choses ».
Jean Stern. — Pourquoi avoir choisi de présenter votre projet de résolution sur l’apartheid israélien cet été ?
Jean-Paul Lecoq. — Il y a une quinzaine d’années, j’ai vécu une expérience à l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) où j’étais l’un des députés représentant la France. Un député allemand avait alors présenté une résolution assimilant toute critique de la politique d’Israël à de l’antisémitisme. J’avais voté contre, comme l’ensemble des représentants français, de gauche, de droite et du centre. Je refuse de me résoudre à l’interdiction de parler.
J. S. — Vous n’avez donc pas été surpris de la violence des réactions à propos de cette résolution ?
J.-P. L. — Au moment de l’opération Plomb durci contre Gaza fin 2008-début 2009, j’ai fait partie d’une délégation parlementaire de haut niveau à se rendre sur place. Il y avait Bernard Accoyer, alors le président de l’Assemblée, Axel Poniatowski, Renaud Muselier, François Sauvadet, Jean-Marc Ayrault et moi-même. Je ne voulais pas participer à la rencontre avec Ehud Olmert, qui était le premier ministre israélien à l’époque. Et puis je me suis dit si tu as été élu, c’est aussi pour dire ce que tu penses à ces gens-là. Notre échange a été très vif, je lui ai parlé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, je lui ai aussi parlé de l’Afrique du Sud. Je ne fuis pas mes responsabilités, je pense qu’il faut dire les choses. De retour à l’hôtel, Accoyer m’a reproché ma prise de parole, mais Ayrault m’avait alors défendu en disant que ce que dit Lecoq, c’est ce que pensent 80 % des Français. Il faut continuer à dire que la situation en Israël et en Palestine n’est plus acceptable.
J. S. — D’où ce texte ?
J.-P. L. — Oui. En fait, il remonte à la mi-mai. Vous savez, je n’étais alors pas sûr d’être réélu, et je voulais laisser quelque chose. Sur la Palestine et Israël, après les Nations unies, après B’Tselem, après Amnesty International, il y avait de quoi s’appuyer pour dire que les choses étaient inacceptables. La résolution est sortie finalement en juillet, mais personne ne m’a entendu. Tous ceux qui m’agressaient ont fait campagne sur le vocable, sans parler du fond. Pourtant, ce n’était pas un mauvais moment, à une période où tout le monde en Europe évoquait des sanctions contre la Russie à propos de l’Ukraine.
J. S. — Vous vous attendiez à cette violence dans les réactions ?
J.-P. L. — De la part de Meyer Habib, cela ne m’a pas surpris. Mais je ne m’y attendais pas de la part d’un collègue socialiste comme Jérôme Guedj. Surtout qu’il ne m’en a pas parlé au préalable. Même chose de la part de Mathilde Panot et de Adrien Quatennens de la FI. Ils ont retiré leur signature sans même m’en parler, il y a eu zéro échange, rien. Pourtant on se voit souvent, je partage des actions militantes avec eux.
J. S. — Compte tenu des positions habituelles du parti socialiste, vous n’auriez pas dû être tellement surpris.
J.-P. L. — Une autre majorité, socialiste, avait voté pour la reconnaissance de l’État de Palestine…
J. S. — Qu’un gouvernement socialiste lui aussi n’avait pas avalisée…
J.-P. L. — Certes, et toutes ces contradictions méritent débat, mais rien ne justifie le niveau de violence que j’ai subi. Pourquoi en France je peux critiquer la Turquie, le Maroc, l’Iran et pourquoi je ne pourrais pas critiquer la politique d’Israël ? Au nom de quoi ? Sur l’apartheid, la définition des Nations unies s’applique par exemple à la Birmanie à propos des Rohingyas, sans que cela mette tout le monde en colère. Je veux débattre sur le fond.
J. S.— Vous avez été accusé d’antisémitisme.
J.-P. L. — Je n’ai pas envie de répondre, mais je ne me laisserai plus insulter. Mes multiples engagements comme élu local à Gonfreville, ceux de mon parti, se suffisent à eux-mêmes.
J. S.— La charge à l’Assemblée du ministre de la justice Éric Dupont-Moretti a été particulièrement violente contre votre résolution.
J.-P. L. — Il n’avait rien lu du tout, il n’était au courant de rien. Il fait son intervention à la tribune de l’Assemblée et nous décidons alors, mon groupe et moi, de quitter l’hémicycle. Je suis en bas et Dupont-Moretti vient me voir et me dit : « Ce n’est pas contre toi ». Je lui réponds : « Tu es en train de m’insulter, là ! » Mais comme la première ministre Élisabeth Borne ensuite, il était obsédé par les « islamo-gauchistes » de la FI. Ils ne savaient même pas que c’était une résolution d’origine communiste. Il y a quelque chose qui les aveugle. Ils condamnent avant même de lire. C’était pourtant l’occasion de mettre les bons mots sur des actes, de qualifier les choses convenablement.
J. S. — Comment comptez-vous donner suite à ce projet de résolution ?
J.-P. L. — Cette résolution, nous allons la faire vivre. Nous la présenterons bientôt dans une niche parlementaire. Et puis nous allons la transmettre à des groupes parlementaires proches de nous dans d’autres pays européens. J’ai l’intention de continuer à dire les choses, à ne pas lâcher la solidarité, à affirmer que le boycott est un acte pacifique. Je n’ai pas l’intention de lâcher.
JEAN STERN
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