Ferrat Abbas. Pendant que Messali Hadj continue son ascension politique, un autre homme apparaît et jouera un rôle central. Il s'agit de Ferrat Abbas. Né en 1899 dans un milieu aisé – Ferrat est fils de Bachaga – son père est Commandeur de la Légion d’Honneur.
Après de longues années d’études de pharmacie – huit au total – il se lance en politique. Il écrit des articles dans le journal le « Jeune Algérien ».
Il demande : l’égalité raciale, le respect de l’Islam, l’égalité des droits.
Dans ses articles, il fait remarquer qu’ « à l’exemple du Japon, tous les peuples arabes aspirent à se mettre à l’école de l’Europe sans pour autant renoncer à leur civilisation et à leurs traditions. Ce qu’il leur faut, c’est une nation européenne qui accepterait de leur servir de trait d’union entre le passé et le présent sans que cela se traduise pour eux par un asservissement. Les jeunes algériens souhaitent que cette nation soit la France et que Alger et Paris deviennent le rendez-vous des intellectuels arabes en vue de contribuer à la renaissance du monde musulman. Leur mission est d’amener la France à jouer ce rôle. »
En 1930, la population en Algérie se répartit comme suit :
- 833 000 Européens (dont 549 000 Français d’origine métropolitaine),
- 71 000 étrangers naturalisés,
- 37 000 Juifs naturalisés,
- 5 millions de Musulmans. (dont une petite minorité ayant renoncé à son statut coranique que les musulmans surnomment les M’Tournis).
Le pays est prospère, les terres pratiquement toutes cultivées, (vignes, céréales, oliviers, orangeraies), peu d’industries, mais des mines productives, un réseau ferré et routier très dense (le plus dense de toute l’Afrique du Nord).
Il faut dire que dès le milieu du XIXe siècle, avec le souci de moderniser l’Algérie et de développer le pays, l’idée d’un réseau couvrant tout le pays fut avancée et mise en pratique. Une voie principale traversant les plateaux et les vallées d’Est en Ouest, partageant les chaînes de l’Atlas. Levert et Randon travaillaient à la « pénétration saharienne par une ligne transsaharienne ». Ce fut un mouvement continu de modernisation, des compagnies s’ouvraient pour les concessions de chemin de fer Alger-Blida. Jusqu’à ce que l’insurrection des Ouled-Sidi-Cheikh en 1864 perturbe le projet.
« Les M’zabs concluent une convention avec Randon, en contrepartie ils conservent une autonomie. Randon noue des relations avec les Touaregs, il s’appuie sur les chefs musulmans, en particulier Si Hamza, chef de la confrérie des Tidjanya . Hamza avait comme ambition de commander tout le Sud. Randon s’assurera de sa fidélité. Randon veut établir des relations commerciales avec le Soudan, avec un double objetif, explorer le Touat et Ghadanès… L’infatigable Baudicour se rend dans le Sud Constantinois jusqu’à Biskra (Biscara). Son périple dure 15 jours. Il poursuit jusqu’à El Kantara où il écrit à son frère : « El Kantara n’est pas encore tout à fait dans le Sahara, on est descendu de 500 à 600 mètres pour y arriver de Bathana (Batna). On descend presque encore autant pour arriver à Biscara… C’est là que commence le véritable Sahara…
L’oasis de Biscara renferme 135 000 palmiers ! ».1
En 1930, dans l’ensemble du pays, la sécurité règne, les autorités du gouvernement général s’y emploient. Malgré les tracts diffusés à Alger par les « indépendantistes », les idées prônées ne font pas recette chez les Musulmans. Quant aux autorités françaises, elle mettent cela sur le compte d quelques « agitateurs ».
Deux événements vont intriguer Ferrat Abbas.
1/ La France met en place un programme pour l’enseignement public en direction des populations musulmanes, programmes d’ alphabétisation, avec un crédit de 150 millions de Francs.
2/ Dans le même temps, le Cheick Ben Badis crée « l’Association des Oulémas », des théologiens de l’Islam venant de Tunis ou du Caire, pour mailler le territoire algérien d’écoles coraniques avec des maîtres (menderres), enseignant aux jeunes enfants l’Islam et les sciences modernes.
Les Oulémas veulent aller aussi loin et vite que possible, pour rénover la « grandeur de l’Islam », « rescussiter le passé de l’Algérie musulmane ».
Ce que Ferrat Abbas « recherchera vainement dans les livres et les cimetières ».
Les Oulémas prônent en Algérie un mouvement rénovateur qui « se répand dans tout le monde musulman ». La rénovation de l’Islam « aboutit inévitablement au Coran, sur l’idée de guerre sainte ».
250 écoles coraniques sont ouvertes sous l’impulsion de Ben Badis. Elles ne créeront pas d’intellectuels sur le modèle de l’Occident, à l’image d’un Ferrat Abbas, par exemple, mais des « lettrés d’un peuple axé sur une culture essentiellement coranique ».
L’enseignement devient un enjeu.
Un groupe d’instituteurs publics formés à l’école française lancent une petite revue : « La voix des humbles ». Ils défendent le droit à l’égalité sociale et veulent participer à l’émancipation par l’instruction à travers des programmes d’alphabétisation des populations arabes..
Mais l’action des Oulémas et leur enseignement est mieux perçu par les populations musulmanes qui préfèrent envoyer leurs enfants dans les écoles coraniques plutôt que celles des instituteurs de l’école publique française.
Les Oulémas ne sont pas en odeur de sainteté auprès du gouvernement général d’Alger, il se méfie d’eux, bien qu’il les « tolère ». Aussi, « heurter de front » un mouvement religieux aussi important, est risqué. En 1933, un arrêté réserve aux imams et aux muphtis le droit des prêches dans les mosquées. Ils en écartent les Oulémas qui, furieux, protestent et iront jusqu’à Paris pour rencontrer le ministre de l’Intérieur. Ils seront éconduits. A leur retour d’Alger, le gouverneur général, malgré tout, conscient de leur pouvoir sur la population leur promet des réformes. L’affaire en reste là.
En 1935, le gouvernement constate une recrudescence d’agitation dans la région de Constantine, des grèves et des meetings sont organisés par les partis de gauche : communistes et socialistes.
Le 16 avril 1935, Messali Hadj est libéré, après que les jugements qui le condamnaient soit « cassés ». Il gagne la Suisse, puis revient à Alger.
En France, le Front Populaire a remporté les élections.
Cette victoire « fait naître les plus grands espoirs parmi l’opinion musulmane ».
De plus, les communistes favorables à l’idée d’une indépendance future de l’Algérie, Léon Blum et les Socialistes de leur côté, sont disposés aux réformes.
Maurice Violette, Ministre d’État, travaille sur un « statut algérien ». Le docteur Bendjelloul – délégué financier du Constantinois – (un modéré), revendique « l’assimilation ».
Les Oulémas s’y joignent, mais « du bout des lèvres ». En effet, au mois de Juin 1936 doit avoir lieu le « Congrès musulman » où sera présenté la « doctrine commune ».
Messali Hadj assiste au Congrès musulman.
Intraitable, il s’en tient à ce qu’il a toujours dit et pensé depuis le début : l’indépendance de l’Algérie. Or, en plein milieu du Congrès un événement sanglant l’interrompt : l’assissinat du Muphti Kahoul, « réputé pour sa francophilie ».
Un Oulémas, Tayeb El Okbi est accusé. Il sera lavé de tout soupçons. L’opinion musulmane criera à la « machination de l’Administration ».
.../...
par
lundi 8 août 2022
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/de-la-guerre-d-algerie-no-3-243150
.
Les commentaires récents