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A deux reprises, il a donc été un témoin et un acteur de la relation, «compliquée» dit-il, franco-algérienne . Cette relation, s'interroge-t-il, «serait-telle une «histoire sans fin, en ce sens que les mêmes problèmes, les mêmes questions sans réponses, les mêmes demandes sont toujours et encore l'agenda diplomatique franco-algérien».
L'auteur, cette fois-ci, peu diplomate, certainement délivré de son obligation de réserve ou lesté d'un «bon à dire», n'y est pas allé de main morte, abordant beaucoup d'aspects, et vidant tout son sac. Tout y passe : Comment l'Algérie («qui prend plaisir à jouer de la stratégie de la tension alors que le président Macron affiche sa bonne volonté» ) voit la France, le «système», les décideurs, la mémoire et l'histoire (l'insistance venant, bien sûr des Algériens), la presse et les journalistes, l'Eglise d'Algérie, une «Eglise algérienne», l'Islam et les islamistes, l'anniversaire de l'indépendance, l'influence française, la langue et la culture française, les relations économiques, le problème du visa pour la France ( «La seule chose qui intéressera les Algériens, ce seront toujours et uniquement les visas»... le «coeur du réacteur de la relation bilatérale»)... et, bien sûr, l'incontournable Hirak.
On ne peut pas dire qu'il a tout fait (et dit), à travers son recueil de souvenirs de ses deux passages à Alger pour qu'il y ait, soixante ans après l'indépendance, la construction d'une «relation normale» et un «partenariat d'exception»... comme si ceux-ci pouvaient, en ce nouveau Monde, exister. Pour lui, en effet, désormais, c'est à l'Algérie (qui «manie de manière très politique la «question française») et «pas seulement à la France» à «(leur) donner de la substance et de la chair». Raison invoquée ! Des «intérêts à défendre... et une opinion publique». Oubliant que l'Algérie les a... aussi... en plus d'une douloureuse histoire de cent trente deux années d'occupation coloniale française... une occupation impossible à oublier.
Une révélation : En 2001, l'Elysée avait travaillé sur un projet de lettre du président Sarkozy évoquant les «regrets» de la France (p144)
Une affirmation récoltée dans on ne sait quel réseau social ou rencontre : «Aujourd'hui, paradoxe suprême, nombreux sont ceux qui regrettent le régime de Bouteflika malgré la corruption et ses défauts» (p121)
Des erreurs concernant la presse étrangère... qui obligatoirement, et cela se pratique dans tous les pays du monde, dits démocratiques ou non, doit être «accréditée», la carte professionnelle de leur pays suffisant. Ce qui nest pas le cas pour les journalistes algériens. Quant au quotidien public «El Moudjahid» (créé en juin1965), traité de «Pravda» de l'ex-Urss, il n'a rien à voir avec El Moudjahid, l'hebdo historique du Fln/Aln alors géré par le Gpra.
L'Auteur : Sciences Po' et Ena (Paris). Diplomate et haut fonctionnaire français (Ancien collaborateur d'Alain Juppé, Consul général à Sydney, ambassadeur en Malaisie, directeur général de l'administration, chef de l'inspection générale des Affaires étrangères). Ambassadeur de France à Alger de 2008 à 2012 (Sous Sarkozy) et de 2017 à 2020 (sous Macron).
Extraits : «Il faut, dans ce pays (l'Algérie) un ou deux ans pour comprendre le mode de fonctionnement du «système».Il arrive que certains, parmi mes collègues, quittent même Alger sans avoir très bien compris ce pays, ni les ressorts de la politique intérieure, ni la complexité de la relation avec la France» (p13), «Au Maghreb, seul l'ambassadeur à Alger est «haut représentant» (p19), «Les autorités algériennes savent aussi comment parler à nos politiques, dérouler le tapis rouge quand il le faut, les froisser ou les humilier lorsque cela est nécessaire» (p73), «Du côté français, nous sommes toujours sur cette ligne de crête, entre la reconnaissance et la repentance. Reconnaître l'histoire n'est pas se repentir ou présenter des excuses (... ). Le piège est bien là aller au-delà de la reconnaissance, c'est inévitablement frôler la repentance» (pp 140-141),
Avis : Un livre «fourre-tout» (le propre d'un recueil de «chroniques») écrit par un diplomate qui semble en vouloir aussi bien à sa hiérarchie «métropolitaine», qui ne l'a pas assez écouté et suivi, qu'aux Algériens qui ont «raté» leur Hirak
Citations : «L'Algérie, pour la France, mais aussi pour un diplomate, c'est autant de la diplomatie que de la politique intérieure française (...).C'est le seul pays (du Maghreb) où l'ambassadeur doit non seulement réfléchir à l'avenir, mais aussi gérer le passé» (p59), «La France, pour l'Algérie, c'est donc à la fois la référence, le modèle, le point d'entrée sur le monde, mais aussi le bouc émissaire, le repoussoir, l'adversaire» (p84), «Le «système», ce n'est ni une structure, ni une organisation, c'est plutôt un mode de fonctionnement du pouvoir» (p122), «Chacun a la mémoire de son histoire «(p134), «Les politiques n'aiment pas trop aborder les sujets qui fâchent et préfèrent les choses agréables à dire» (p235)
Quatre nuances de France, quatre passions d'Algérie. Essai de Rachid Arhab, Karim Bouhassoun, Xavier Driencourt, Nacer Safer (préface de Jean-Louis Debré. Avant-propos de Jean-Pierre Chevènement). Editions Frantz Fanon, 2016. 270 pages, 900 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)
Un ancien ambassadeur de France à Alger, catholique pratiquant, un sanspapiers venu d'Algérie il y a plus d'une décennie, un enfant de banlieue devenu conseiller technique et qui, lui, a acquis la double nationalité française et algérienne après avoir découvert le pays de ses ancêtres... et un journaliste célèbre d'origine algérienne mais Français de nationalité. Des rencontres, des discussions, des voyages en pays profond, et cela a donné un livre écrit, écrit à quatre mains et à quatre voix, à la veille des attentats du 13 novembre 2015. Par quatre personnes venues de formations et d'horizons différents mais, peu à peu, liés par une amitié sincère et fraternelle.
Une véritable contre-histoire de France «dans un pays qui doute de lui-même, de son identité, de ses lendemains» (R. Arhab)... Un «voyage ensemble», mais aussi un puzzle «construit à quatre, chacun détenant plusieurs morceaux». Immigration, Identité nationale, (Bi-nationalité, Intégration, Laïcité, Islam, l'Algérie profonde... Tous les sujets sensibles. Tout y passe.
Ils nous entraînent à mieux connaître la France, pas toute la France, pas la France «réelle», celle de la pleine propriété, rancunière, oublieuse du passé colonialiste, bien noir de certains de ses pères, raciste même, excluant toute idée de co-propriété, mais celle de «Liberté, Egalité, Fraternité» sûrement.
Ce qui est sûr, c'est que Rachid Arhab est devenu «plus diplomate», Xavier «plus à l'écoute», Karion a changé et Nacer comprend mieux les positions des uns et des autres. S'entendre et se respecter... une belle leçon pour les partis politiques.
Les Auteurs :
- Rachid Arhab est né en Algérie en 1955. Journaliste de formation, il a été présentateur sur France 2 et grand reporter. Membre du Conseil supérieur de l'Audiovisuel durant six ans. Né français, devenu Algérien puis redevenu Français, en 1992, sans être Algérien.
-Karim Bouhassoun, 35 ans, est Français de naissance. Diplômé de Sciences Po' Paris, il est fonctionnaire au Conseil régional de Franche-Comté à Besançon.
-Xavier Driencourt, 60 ans, Français de souche, catholique pratiquant, inspecteur général au Quai d'Orsay, ancien ambassadeur de Franc en Algérie (2008-2012). -Nacer Safer, 37 ans, Algérien sans-papiers durant douze ans. Régularisé par la suite.
Extraits : «Il y a trop d'excès et de facilité avec la double nationalité : ici Français, là Algérien, ailleurs Australien ou Marocain. On ne prend jamais le «menu complet» mais on choisit à la carte les avantages de chaque nationalité» (R. Arhab, p 79), «Il est faux de dire que l'on peut indifféremment être attaché à deux Etats et servir deux pays. On aime un pays, son histoire, on s'identifie à son avenir, on souhaite être un acteur (et non un simple spectateur) du pays dont on a la nationalité» (R. Arhab, p 79)
Avis : Destiné surtout aux Français de souche et d'adoption... ainsi qu'aux candidats à la «harga»
Citations : «L'Islam en tant que tel n'est pas un problème. Mais, c'est plutôt son assimilation et son acceptation qui constituent un véritable défi» (pp 99 et 100), «Les banlieues, c'est comme un «archipel urbain» que personne ne revendique» (p 130), «Être libre, c'est créer des richesses, des services, être utile, créer, rencontrer, vivre ses rêves» (R. Arhab, p 150), «L'Algérie et la France sont un vieux couple séparé mais qui doit garder des liens, pour ne pas laisser à l'abandon tous ses nombreux enfants» (p 215).
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 25 aout 2022
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5314718
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