L i v r e s
Le chemin de ta mère. Nouvelles de Pierre Amrouche (Préface de Tassadit Yacine. Postface de Kangni Alem). Koukou Editions, Alger 2022, 127 pages, 800 dinars
Il a de qui tenir, Pierre Amrouche. C'est bien le digne fils de son père, Jean El Mouhoub Amrouche, le fils d'Ighil Ali. Ce dernier était déjà habité par l'Afrique. Il invitait alors des poètes du «Maghreb» à se revêtir du manteau de l'Afrique, et l'Afrique était présente dans tous ses écrits. «Pour lui, il n'y a d'identité, de personnalité propre qu'enracinée dans la terre d'Afrique, en particulier en période coloniale.
Les autochtones colonisés n'avaient pas d'histoire, d'identité culturelle et territoriale. La France était alors en Afrique. Les mots changent le sens des luttes» (Tassadit Yacine). Il y a aussi l'influence d'un grand père, Pierre Molbert, archéologue, expert international en art africain et en arts premiers, ce qui lui donne la passion de l'ancien... l'archaïque.
Ce premier recueil de nouvelles flirte certes avec du rêve et de la fiction, mais, en vérité, je les assimile, pour ma part, à de véritables enquêtes-reportages sur la société africaine dans les tréfonds de ses profondeurs. Une vérité toute crue portée par un grand amour. Des profondeurs presque inaccessibles au voyageur-touriste banal ou même à l'observateur n'ayant pas «l'Afrique dans la peau», une Afrique avec ses bons et ses mauvais côtés : les mythes, les rites, les oralités légendaires, les savoirs ancestraux..., loin des clichés coloniaux de l'homme blanc... avec une attirance pour les aspects relationnels individuels... et la sexualité.
L'Auteur : Né à Paris le 25 novembre 1948. Expert international en art africain et arts premiers, poète, photographe, il vit au Togo. Nombreuses publications sur les cultures africaines. Premier recueil de nouvelles.
Table des matières : Du même auteur/ Préface/ Misalisa/ Le chien de ta mère/ Petite mousson/ Une année pour l'infini/ Cœur sango/Postface/Lexique
Extraits : «Il se dit que comme il y avait deux prix au marché, un prix pour les Africains, un pour les blancs - ce qu'il trouvait somme toute assez normal - de même il y avait deux lois et règles, et il était dangereux de transgresser ces règles orales : blanc équivalait à argent» (p 82), «Ce que l'Afrique avait peut-être de spécifique, dans le domaine, c'était la caste des «tontons». Les oncles proches ou éloignés avaient une autorité naturelle dans les familles, ils en abusaient fréquemment. Protégés par une Omerta fondée sur une commune culpabilité : tout homme était aussi un «tonton» en puissance. Les loups ne se dévorent pas entre eux» (p 8)
Avis : Des nouvelles qui sortent de l'ordinaire national. Le regard d'un Autre sur des sociétés africaines (avec leurs qualités et défauts) et dont il fait, quelque part, partie. «Surprenantes de bout en bout, comme un bon cigare entre amis de longue date, un miroir tenu à bout de bras devant nos vanités de blancs et de noirs» (Kangni Alem)
Citations : «Même si les objets circulent, ils voyagent mais le lieu reste assurément le détenteur de la mémoire... lieu où inillo tempore le discours naquit :la pièce d'art et avec elle la trace ou empreinte mémorielle du groupe, de ses fondateurs et initiateurs» (Tassadit Yacine, p 9), «En Afrique, un homme riche n'était jamais vu comme un vieux, il était beau comme son argent, qu'il soit noir ou blanc» (p 86), «La connaissance des hommes, des milieux est un détail en littérature. Raison, la littérature n'est pas contextuelle, car le temps qui passe pourrait rendre le texte à sa simple nature d'archive documentaire» (Kangni Alem, p 124)
Les yeux d'Isabelle A. Roman de Ahmed Ben Alam. Editions Dar El Hikma, Alger 2021
Attention, surtout ne pas trop se fier au titre en couverture ainsi qu'à la photo, les deux étant plus qu'accrocheurs. Leur signification est tout de même importante, car les héroïnes du roman, la maman et ses deux filles, des jumelles, ont... les yeux de... Isabelle Adjani (Eh oui, c'est elle !). Le reste aussi, selon l'auteur.
Voilà donc des indices physiques remarquables et assez vite remarqués par les observateurs masculins et aussi féminins qui vont permettre à une petite famille dispersée de se retrouver.
L'histoire ? Un très jeune couple, tirant le diable par la queue : avec un époux fainéant et ne pensant qu'à la harga sans se soucier de ses responsabilités familiales, une épouse devant s'occuper de la «marmite» quotidienne et de ses petites filles, des jumelles, aidée en cela par une voisine au cœur «gros comme ça», vieille dame épicière de son état. Le père abandonne sa famille, la jeune épouse est expulsée du logement et se retrouve «dans la rue», et chacune des jumelles est adoptée par d'autres familles, bien plus aisées, et sans enfant.
Le reste est l'histoire de trois trajectoires de vie plus ou moins heureuses, plus ou moins difficiles, avec des hauts et des bas, souvent se croisant sans se reconnaître, parfois se retrouvant mêlées aux «histoires» habituelles de notre société, de toute société : jalousie, coups tordus, criminalité et trafics en tous genres, enquêtes policières, affairismes douteux, ambitions démesurées, mariages et divorces...
Un roman à la fin heureuse. Au tout début, on n'y croyait plus. Heureusement, il y avait Isabelle A... les yeux et la ressemblance physique. Etre jumelles et avoir une maman qui n'a pas perdu l'espoir de retrouver ses deux enfants perdus en cours de route, ça sert !
Avis : Journaliste à la retraite, scénariste et auteur de plusieurs romans
Extrait: «Dire que les murs ont des oreilles est un euphémisme : les arbres, les herbes, les pierres, les ruisseaux, tout a des yeux et des oreilles. On est épié, surveillé, et on est tenu de rester sur ses gardes, dans le respect des règles de vie en société» (p 88)
Avis : «C'est un texte extrêmement beau dont la lecture est parfois complexe. Une suite de micro-récits enchâssés comme dans les 1001 Nuits. De très nombreux personnages. Plein de situations mélodramatiques soutenues par des ingrédients puisés dans les techniques du roman policier... Un beau texte à découvrir, il se laisse lire à tel point que le lecteur, malgré la longueur du livre, ne voudrait pas arrêter la lecture». Extrait d'un texte (fb) du Pr Ahmed Cheniki...
Un roman avec des histoires et des personnages qui se croisent (on s'y perd un peu), passionnant, tenant le lecteur en haleine. L'auteur étant un journaliste au long cours, l'écriture est rapide. Peut-être un peu trop ! Avec une articulation se rapprochant beaucoup plus de l'écriture cinématographique. Un projet de film, pourquoi pas ?
Citation : «Il n'y a pas d'artiste raté ! Il n'y a que des travailleurs et des fainéants. L'art, c'est 90% de sueur et 10% de talent» (p208)
Il a de qui tenir, Pierre Amrouche. C'est bien le digne fils de son père, Jean El Mouhoub Amrouche, le fils d'Ighil Ali. Ce dernier était déjà habité par l'Afrique. Il invitait alors des poètes du «Maghreb» à se revêtir du manteau de l'Afrique, et l'Afrique était présente dans tous ses écrits. «Pour lui, il n'y a d'identité, de personnalité propre qu'enracinée dans la terre d'Afrique, en particulier en période coloniale.
Les autochtones colonisés n'avaient pas d'histoire, d'identité culturelle et territoriale. La France était alors en Afrique. Les mots changent le sens des luttes» (Tassadit Yacine). Il y a aussi l'influence d'un grand père, Pierre Molbert, archéologue, expert international en art africain et en arts premiers, ce qui lui donne la passion de l'ancien... l'archaïque.
Ce premier recueil de nouvelles flirte certes avec du rêve et de la fiction, mais, en vérité, je les assimile, pour ma part, à de véritables enquêtes-reportages sur la société africaine dans les tréfonds de ses profondeurs. Une vérité toute crue portée par un grand amour. Des profondeurs presque inaccessibles au voyageur-touriste banal ou même à l'observateur n'ayant pas «l'Afrique dans la peau», une Afrique avec ses bons et ses mauvais côtés : les mythes, les rites, les oralités légendaires, les savoirs ancestraux..., loin des clichés coloniaux de l'homme blanc... avec une attirance pour les aspects relationnels individuels... et la sexualité.
L'Auteur : Né à Paris le 25 novembre 1948. Expert international en art africain et arts premiers, poète, photographe, il vit au Togo. Nombreuses publications sur les cultures africaines. Premier recueil de nouvelles.
Table des matières : Du même auteur/ Préface/ Misalisa/ Le chien de ta mère/ Petite mousson/ Une année pour l'infini/ Cœur sango/Postface/Lexique
Extraits : «Il se dit que comme il y avait deux prix au marché, un prix pour les Africains, un pour les blancs - ce qu'il trouvait somme toute assez normal - de même il y avait deux lois et règles, et il était dangereux de transgresser ces règles orales : blanc équivalait à argent» (p 82), «Ce que l'Afrique avait peut-être de spécifique, dans le domaine, c'était la caste des «tontons». Les oncles proches ou éloignés avaient une autorité naturelle dans les familles, ils en abusaient fréquemment. Protégés par une Omerta fondée sur une commune culpabilité : tout homme était aussi un «tonton» en puissance. Les loups ne se dévorent pas entre eux» (p 8)
Avis : Des nouvelles qui sortent de l'ordinaire national. Le regard d'un Autre sur des sociétés africaines (avec leurs qualités et défauts) et dont il fait, quelque part, partie. «Surprenantes de bout en bout, comme un bon cigare entre amis de longue date, un miroir tenu à bout de bras devant nos vanités de blancs et de noirs» (Kangni Alem)
Citations : «Même si les objets circulent, ils voyagent mais le lieu reste assurément le détenteur de la mémoire... lieu où inillo tempore le discours naquit :la pièce d'art et avec elle la trace ou empreinte mémorielle du groupe, de ses fondateurs et initiateurs» (Tassadit Yacine, p 9), «En Afrique, un homme riche n'était jamais vu comme un vieux, il était beau comme son argent, qu'il soit noir ou blanc» (p 86), «La connaissance des hommes, des milieux est un détail en littérature. Raison, la littérature n'est pas contextuelle, car le temps qui passe pourrait rendre le texte à sa simple nature d'archive documentaire» (Kangni Alem, p 124)
Les yeux d'Isabelle A. Roman de Ahmed Ben Alam. Editions Dar El Hikma, Alger 2021
Attention, surtout ne pas trop se fier au titre en couverture ainsi qu'à la photo, les deux étant plus qu'accrocheurs. Leur signification est tout de même importante, car les héroïnes du roman, la maman et ses deux filles, des jumelles, ont... les yeux de... Isabelle Adjani (Eh oui, c'est elle !). Le reste aussi, selon l'auteur.
Voilà donc des indices physiques remarquables et assez vite remarqués par les observateurs masculins et aussi féminins qui vont permettre à une petite famille dispersée de se retrouver.
L'histoire ? Un très jeune couple, tirant le diable par la queue : avec un époux fainéant et ne pensant qu'à la harga sans se soucier de ses responsabilités familiales, une épouse devant s'occuper de la «marmite» quotidienne et de ses petites filles, des jumelles, aidée en cela par une voisine au cœur «gros comme ça», vieille dame épicière de son état. Le père abandonne sa famille, la jeune épouse est expulsée du logement et se retrouve «dans la rue», et chacune des jumelles est adoptée par d'autres familles, bien plus aisées, et sans enfant.
Le reste est l'histoire de trois trajectoires de vie plus ou moins heureuses, plus ou moins difficiles, avec des hauts et des bas, souvent se croisant sans se reconnaître, parfois se retrouvant mêlées aux «histoires» habituelles de notre société, de toute société : jalousie, coups tordus, criminalité et trafics en tous genres, enquêtes policières, affairismes douteux, ambitions démesurées, mariages et divorces...
Un roman à la fin heureuse. Au tout début, on n'y croyait plus. Heureusement, il y avait Isabelle A... les yeux et la ressemblance physique. Etre jumelles et avoir une maman qui n'a pas perdu l'espoir de retrouver ses deux enfants perdus en cours de route, ça sert !
Avis : Journaliste à la retraite, scénariste et auteur de plusieurs romans
Extrait: «Dire que les murs ont des oreilles est un euphémisme : les arbres, les herbes, les pierres, les ruisseaux, tout a des yeux et des oreilles. On est épié, surveillé, et on est tenu de rester sur ses gardes, dans le respect des règles de vie en société» (p 88)
Avis : «C'est un texte extrêmement beau dont la lecture est parfois complexe. Une suite de micro-récits enchâssés comme dans les 1001 Nuits. De très nombreux personnages. Plein de situations mélodramatiques soutenues par des ingrédients puisés dans les techniques du roman policier... Un beau texte à découvrir, il se laisse lire à tel point que le lecteur, malgré la longueur du livre, ne voudrait pas arrêter la lecture». Extrait d'un texte (fb) du Pr Ahmed Cheniki...
Un roman avec des histoires et des personnages qui se croisent (on s'y perd un peu), passionnant, tenant le lecteur en haleine. L'auteur étant un journaliste au long cours, l'écriture est rapide. Peut-être un peu trop ! Avec une articulation se rapprochant beaucoup plus de l'écriture cinématographique. Un projet de film, pourquoi pas ?
Citation : «Il n'y a pas d'artiste raté ! Il n'y a que des travailleurs et des fainéants. L'art, c'est 90% de sueur et 10% de talent» (p208)
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 28 juillet 2022
http://www.lequotidien-oran.com/?news=5314066
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