Vie et destin d'une famille berbéro-juive.
Je m’appelle Jean Caballero, je suis né à Oran en 1956. J’ai une sœur, Camille, elle aussi née à Oran en 1953.
Notre mère, aujourd’hui décédée, s’appelait Gilberte Bénichou, née à Oran et issue d’une famille berbéro-juive originaire de la région oranaise par mon grand-père Haïm et d’Alger, par ma grand-mère Camille.
Notre père, lui aussi décédée, est le fils de mon grand-père, Francisco, originaire de Malaga, arrivé en Algérie au début du 20ème siècle et de ma grand-mère, Vicenta, née à Oran à la fin du 19ème siècle. Sa famille était originaire d’Elche, près d’Alicante.
Ma famille maternelle a connu l’antisémitisme permanent qui existait à Oran dans les années 20, 30 et 40. Ma maman, élève brillante, a du quitter l’école après le certificat d’étude car d’origine juive, le faible niveau de vie de mes grands parents a certainement amplifié cette ségrégation.
Mon grand-père était marchand des 4 saisons et travaillait également pour les grands magasins Darmon de la place du théâtre à Oran. Radical-socialiste, 8 de ses 10 enfants se sont engagés, à un moment de leur vie, dans une organisation communiste (parti, mouvement de jeunesse).
La famille Bénichou, de la rue Cambrone, fait partie de ses familles juives qui se sont engagés largement dans le mouvement communiste pendant l’ Algérie française. Certain.es resteront fidèles à ces convictions, toute leur vie et 3 vont s’engager totalement dans la lutte de libération nationale.
Cette défiance envers la France vient, beaucoup, de la période pétainiste où plusieurs juifs algériens ont perdu confiance envers les autorités françaises mais aussi à cause du comportement profondément antisémite de nombreux membres de la communauté européenne en Algérie et de l’attirance des idées communistes à cette époque.
Ma famille paternelle appartient à cette ancienne émigration espagnole vers l’Algérie, pays de cocagne pour des travailleurs agricoles misérables du sud de l’Espagne.
L’histoire de mon grand-père est typique de ce parcours. Malaga est à quelques heures de bateau d’Oran, l’émigration andalouse est ancienne et le travail ne manque pas.
Il deviendra ouvrier dans une petite usine métallurgique située, à l’époque, sur l’actuelle place Hoche à Oran. Arrivé avec ses opinions anarchistes, il entraînera ses 2 fils dans la même usine. Mon père fera ses premières armes syndicales dans cette usine, puis au début des années 30 rejoindra l’embryon d’organisations communistes. Il en devient rapidement un responsable régional puis national. Il commence à côtoyer des militants communistes juifs.
Il participe à la désastreuse campagne de France, il est fait prisonnier par les Allemands, s’échappe et rentre clandestinement à Oran où il reprend de suite ses activités militantes.
Après avoir été condamné à mort par contumace par le régime pétainiste en 1941 ou 1942, il participe à la campagne d’Italie et de Provence, il revient en Algérie en 45 et prend des responsabilités importantes au sein du PCA (Parti Communiste Algérien).
En 1951, ma mère et mon père se marient , après s’être rencontré au local des jeunesses communistes d’Oran ou ma mère travaillait.
Au déclenchement de la lutte armée en 1954, le PCA, après quelques hésitations induites par les dirigeants du PCF de l’époque, s’engage pleinement dans le combat sous la direction du FLN.
Mon père va faire plusieurs petits séjours en prison et sera arrêté par les paras fin 1956, à Alger, dans le cadre de la chasse aux dirigeants communistes qui participaient à la lutte d’indépendance sous la direction du FLN. Cette répression causera la mort de Maurice Audin, la torture de nombreux militants racontée notamment par Henri Alleg et l’exécution de Fernand Yveton.
Ma mère est expulsée d’Algérie en 1957 et se retrouve sur le port de Marseille avec une seule idée, rejoindre le local de « La Marseillaise ». Quelques mois après, ma sœur et moi allons la rejoindre à Montreuil- sous-Bois en banlieue parisienne.
Suite à de nombreux évènements et manifestations fomentés par les partisans de l’Algérie française à Alger qui souhaitaient prendre d’assaut la prison de Barberousse, au-dessus de la Casbah, les autorités françaises transfèrent les prisonniers à la maison d’arrêt des petites baumettes de Marseille.
C’est là, en 1960, à l’âge de 4 ans, que je fais la connaissance de mon père pour la 1ère fois. J’ai gardé le souvenir d’un nombre incalculable de portes d’acier qui s’ouvrent et de ferment avant de le voir.
A la maison, pour ma sœur et moi, c’est un combattant absent et extraordinaire. Il est libéré en 1962 après les accords d’Evian. Je me rappelle encore cette journée où, tous les 3, nous sommes allés à la gare de Lyon pour l’accueillir, je ressent encore l’émotion de ma mère quand elle l’a pris dans ses bras.
Cette guerre d’indépendance à marquée très fortement notre famille. Mon oncle Roger Bénichou a fait de la prison et fut expulsé en France avec mes deux cousins, ma tante Gabrielle a été torturée de manière barbare par les paras (supplice de la baignoire, marques de cigarettes sur tout le corps), car elle était responsable des femmes communistes à Oran. Elle aussi passera plus de 5 ans en prison à la petite roquette et à Rennes.
La famille Bénichou a été éparpillée sur toute la France (Nice, Marseille, Banlieue parisienne).
La famille Caballero, moins nombreuse, a aussi subi des conséquences terribles. Ma tante Hélène, a vraisemblablement été assassinée au Maroc par « la Main Rouge », escadron de la mort créé par les services secrets français pour éliminer des militants favorables à l’indépendance des pays du Maghreb. Je connais mal son histoire, est-ce une erreur ou était-ce une militante ?
J’ai eu la chance de faire quelques voyages, avec une de mes tantes maternelles, entre Paris et Oran à cette époque (1959 - 1961). A part la blancheur du soleil, la chaleur, j’ai gardé le souvenir de nuits parfois rythmées par des tirs d’armes automatiques et plus rarement des explosions. L’OAS entrait en scène dans une ville, Oran, très imprégnée par les partisans de l’Algérie française.
Après la guerre, nous sommes repartis à Oran en septembre 1962, mes parents ma sœur et moi, mais aussi ma tante, mon oncle et mes 2 cousins. Nous y avons rejoints nos 2 tantes qui y sont restés pendant toute la durée de la guerre et nous avons fait notre vie. La ville était étincelante de blancheur solaire, les murs des immeubles parsemés d’impacts de balles et 2 grands réservoirs d’hydrocarbures brûlaient sur le port, résultat de la politique de la terre brûlée de l’OAS.
Oran était enfin algérienne, mais toute la corniche oranaise était encore sous contrôle de la France, à cause d’une base de l’Otan à Mers-el-Kébir. Le dimanche nous prenions le bus (Sotac) pour aller aux plages d’Aïn-el-Turk, du Cap Falcon, de Bouisville ou des Andalouses. A chaque fois, les gendarmes français contrôlaient les identités des passagers. Ça n’a pas duré trop longtemps.
Mon père, ma mère, mon oncle, ma tante sont devenu.es des citoyens algériens, parfois difficilement mais avec l’aide d’amis connus dans l’action et en prison, tous les quatre le deviendrons.
En juin 1965, le coup d’état militaire qui, à Oran, a donné lieu à 4 jours de combats de rue entre armée et étudiants a de nouveau précipité ma famille dans les tourments de l’histoire puisque mon père est arrêté en septembre 1965. Cette histoire est gravée dans ma mémoire. C’est moi qui a ouvert la porte à la sûreté militaire algérienne, un soir, juste avant le dîner. Les 3 canons de Kalachnikov qui me faisait face, font parfois des retours dans mes rêves.
Mon père est reparti pour un parcours de prisonnier qui l’a mené dans les mêmes maisons utilisées auparavant par les paras français et fut emprisonné à la prison d’El Harrach (ex maison carrée) à Alger.
Il fut totalement libéré en 1970 après des pérégrinations l’ayant envoyé à la prison d’El Kala à la frontière tunisienne et en résidence surveillée à Djelfa sur la route du désert.
Cela nous a permis de découvrir des régions éloignées d’Oran et de renforcer notre amour pour ce magnifique pays qu’est l’Algérie.
Mon père, décédé en 1995, ancien moudjahid (combattant), fut distingué en 2009 par l’Ambassade d’Algérie en France lors d’une cérémonie émouvante, mais un peu hypocrite.
Pour ma tante et mon oncle il aura fallu attendre aujourd’hui, et le 60ème anniversaire pour qu’iels soient distingué·es eux aussi.
Sur la participation des juifs d’Algérie à la lutte contre la colonialisme, lire l’excellent ouvrage de Pierre-Jean Le Foll-Luciani publié aux PUR (Presses universitaires de Rennes).
Sur l’engagement des militants ouvriers et nationalistes consulter le dictionnaire « Le Maintron » : Algérie, engagements sociaux et question nationale sous la direction de René Galissot publié aux éditions de l’Atelier.
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