Alors que s’exacerbe le conflit avec le Maroc, le régime, fortement contesté lors du mouvement du Hirak entre 2019 et 2021, cherche à « consolider le front intérieur ».
Parade d’étudiants à Alger, le 2 juillet 1962.
gestes envers les détenus du mouvement de protestation du Hirak. Les autorités algériennes ont choisi de marquer les esprits pour la commémoration, le 5 juillet 2022, du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
Les Algérois ressentent depuis plusieurs jours les effets des préparatifs du grand jour en raison de la fermeture à la circulation de la rocade nord de la capitale. Si certains expriment sur les réseaux sociaux leur irritation devant les désagréments causés par cette fermeture, beaucoup commentent avec fierté les vidéos des répétitions qui se déroulent en présence du public.
Alors que le cinquantenaire de l’indépendance s’était déroulé dans une atmosphère de relative routine sous la présidence d’un Abdelaziz Bouteflika à la santé déjà déclinante, le pouvoir algérien entend marquer avec faste ce nouvel anniversaire sous Abdelmadjid Tebboune, avec comme slogan « une histoire glorieuse et une ère nouvelle ». Plusieurs chefs d’Etat étrangers dont le président tunisien, Kaïs Saïed, et le chef de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, devaient assister aux commémorations.
L’armée aux premières loges
L’armée, dont le poids politique informel a été contesté par les participants du Hirak, qui réclamaient un « Etat civil et non militaire » lors des manifestations hebdomadaires qui se sont tenues de 2019 à 2021, est aux premières loges. La révision de la Constitution en novembre 2020 a accentué le poids de l’institution militaire, en lui confiant de jure la mission de « défendre les intérêts vitaux et stratégiques du pays ».
Le chef d’état-major de l’armée, Saïd Chengriha, a été promu par le chef de l’Etat, lundi, au cours d’une cérémonie de remise des grades, au rang de général d’armée. Le grand défilé militaire prévu mardi est considéré comme un message adressé à l’extérieur, et notamment au Maroc. Les tensions avec Rabat, déjà vives sur la question du Sahara occidental, se sont exacerbées avec l’affaire d’espionnage, via le programme Pegasus, de milliers de mobiles algériens et des déclarations du représentant du Maroc à l’ONU sur l’indépendance de la Kabylie. L’entrée d’Israël dans l’espace maghrébin à la suite de la normalisation diplomatique avec Rabat est perçue par Alger comme une menace sérieuse.
Mesures d’apaisements
Le communiqué indique également que le président, Abdelmadjid Tebboune, a « recommandé » des mesures d’apaisement en faveur des jeunes détenus poursuivis pour des faits « d’attroupements ». Une qualification qui concerne les détenus d’opinion du Hirak, au nombre de 262 selon le site Algerian Detainees.
La « recommandation » devrait normalement, selon un juriste, se traduire par des libérations pour ceux qui sont déjà condamnés et par des mesures de liberté provisoire pour les détenus non encore jugés. Par ailleurs, le cas des détenus des années 1990, une centaine selon des avocats, devrait être traité à travers une loi spécifique en cours d’élaboration. Ces annonces donnent un début de contenu aux appels du président à la « consolidation du front intérieur » et au « rassemblement ». Jusque-là, le chef de l’Etat avait surtout reçu des responsables de partis et des personnalités dans l’orbite du régime, donnant le sentiment que le « rassemblement » concernait avant tout les traditionnels soutiens du régime.
Sur le plan politique, le régime semble cependant peu enclin à faire des concessions à une opposition affaiblie par la stratégie d’étouffement du Hirak mise en œuvre par les autorités. Même si les 60 ans de l’indépendance ont été officiellement placés sous le signe d’une « nouvelle ère », le statu quo reste de mise. Une tendance confortée par une situation financière du pays sensiblement meilleure grâce à la flambée des prix du pétrole et du gaz liée à la guerre en Ukraine.
« Aubaine » gazière
Selon le PDG du groupe Sonatrach, Toufik Hakkar, les recettes des exportations algériennes en hydrocarbures devraient atteindre les 50 milliards de dollars (près de 48 milliards d’euros) vers la fin 2022 contre 35,4 milliards en 2021. L’optimisme est dopé par l’annonce, le 27 juin dernier, de la découverte d’un « important » gisement de gaz à Hassi R’Mel, dans le Sahara, dont les réserves sont estimées par Sonatrach « entre 100 et 340 milliards de mètres cubes de gaz à condensat ». Le groupe public prévoit même de débuter en novembre l’exploitation de ce gisement, qui doit produire 10 millions de mètres cubes par jour.
Une « aubaine » alors que l’Europe, à la recherche d’alternatives au gaz russe, est fortement demandeuse. Sonatrach, qui a décidé d’investir 40 milliards de dollars sur cinq ans dans l’exploration, la production et le raffinage, devrait ainsi disposer assez rapidement des capacités supplémentaires pour affirmer le choix d’une coopération accrue dans le domaine gazier avec l’Italie.
Si l’Algérie fait savoir clairement que les contrats gaziers avec l’Espagne seront respectés, tout indique que le choix du chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, de s’aligner sur les positions marocaines sur le Sahara occidental marque la fin d’une longue relation cordiale. Les responsables algériens ont d’ailleurs été particulièrement outrés par des déclarations de responsables officiels espagnols imputant la crise entre Alger et Madrid à des « manœuvres » de la Russie.ions officielles semblent apaisées après la minicrise provoquée par les propos du président Emmanuel Macron, fin septembre, sur la « rente mémorielle » et le « système politico-militaire » algérien. Au lendemain de la réélection du président français, Abdelmadjid Tebboune, a adressé un message de félicitations évoquant une vision « respectueuse des souverainetés et de l’équilibre des intérêts (…) qui a le potentiel d’ouvrir à [leurs] deux pays de vastes horizons d’amitié, de convivialité harmonieuse et de complémentarité mutuellement avantageuses ».
2022/07-05 i à 10h25,
Par Karim Amrouche
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/07/05/en-algerie-un-60e-anniversaire-entre-apaisement-et-statu-quo-politique_6133403_3212.html
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