De façon immuable, chaque année, notre fête nationale est préemptée par le défilé militaire sur les Champs-Elysées, une manifestation qui bénéficie d’une importante publicité médiatique.
Ce jour-là, le peuple est convié à venir applaudir les soldats de nos armées, mais surtout des centaines d’engins de mort, des missiles, des chars et des avions que la France se glorifie d’exporter aux quatre coins du monde. Les derniers bijoux de la quincaillerie militaire qui font la « fierté » de notre pays sont présentés au peuple dans l’ignorance totale des conséquences de leur utilisation sur les populations, principales victimes des conflits modernes.
Cette pitoyable procession d’un autre temps, expression historique du militarisme français au XIXe siècle, qui rend un culte aux armes de guerre, y compris de destruction massive, est bien un spectacle dégradant et déshonorant qui tourne le dos aux valeurs humaines, et d’abord aux valeurs de la République.
Ce n’est rien d’autre qu’une parade organisée par l’État à la gloire de l’institution militaire et surtout de ses valeurs guerrières. Un pays qui, le jour de sa fête nationale, n’a rien d’autre à proposer à son peuple que d’admirer et d’applaudir des engins de mort est un pays tourné vers le passé. C’est un pays toujours en quête d’une illusoire grandeur.
En réalité, l’archaïsme de ce défilé est à l’image de notre arrogance congénitale et de notre incapacité à incarner dans les faits les valeurs fondatrices de la République : Liberté, Egalité, Fraternité.
Cette démonstration guerrière annuelle nous rappelle que la France est l’un des pays les plus militarisés au monde, avec une industrie de défense qui alimente un important (et honteux) commerce des armes, une politique de défense de plus en plus coûteuse (dépenses inégalées en Europe), la modernisation constante des armes nucléaires (aussi inutiles que dangereuses), d’incessantes interventions militaires extérieures (désastreuses la plupart du temps) et des forces de maintien de l’ordre toujours plus militarisées (blessant et mutilant des manifestants avec des armes de guerre, toujours en toute impunité).
Dans ce paysage d’une France qui s’est de plus en plus militarisée sous la Ve République, le complexe militaro-industriel, au mépris de la démocratie, continue d’imposer au monde politique et militaire ses « innovations » technologiques en matière d’armement. Pourtant, ce « pouvoir sans visage »1 ne travaille que pour sa propre pérennité et non pour les besoins réels de la défense nationale.
Qui s’en offusque ?
La militarisation des esprits en France, à laquelle ce défilé militaire participe, s’est particulièrement renforcée ces dernières années. Ainsi, les différents protocoles Armée – Education (depuis 1981) continuent, sans aucune opposition, d’assurer une propagande indigne dans les établissements scolaires en faveur des choix militaires de la France, tandis que l’instauration du Service National Universel représente une nouvelle tentative de caporalisation de la jeunesse, digne des régimes totalitaires.
Les commémorations nationales, au nom du devoir de mémoire, mais d’une mémoire bien sélective (quid des crimes de l’armée française), poursuivent ce travail de célébration de l’institution militaire, des faits d’armes et des héros guerriers, dans l’ignorance des résistances civiles, non armées, qui ont joué un rôle non négligeable dans notre Histoire.
Le courage, il serait temps de l’admettre, n’est pas l’apanage des soldats.
Le 14 juillet, clamait Victor Hugo à la tribune du Sénat le 3 juillet 1880, c’est « une fête populaire, une fête universelle, une fête humaine ». Pas seulement une fête nationale, mais une fête de la fraternité.
En quoi les engins de mort exhibés ce jour-là ont-ils leur place sur l’avenue des Champs-Elysées, eux qui précisément n’ont d’autre vocation que de blesser, de tuer et de détruire ?
Assurément, le défilé militaire, symbole de la culture de la violence et de la guerre, conjugue indécence et obsolescence. Il véhicule des valeurs à l’opposé de celles de la fraternité et des droits de l’homme. Il pollue les esprits autant que la planète. Et il nous coûte environ 3,5 millions d’euros.
Il est temps, au regard des immenses défis climatiques, démographiques, migratoires et sociaux auxquels notre civilisation est confrontée, d’investir dans une culture de la coopération et de la paix au service des besoins réels de l’humanité.
Il est temps que les peuples, qui sont toujours les premières victimes des choix militaristes des États, imposent à leurs dirigeants des choix audacieux qui rendront inutiles les instruments de guerre qui n’existent et paradent encore le 14 juillet du fait de notre soumission volontaire à l’ordre jupitérien.
Il est temps que les citoyens français s’insurgent contre cette pathétique procession qui voudrait nous faire croire que la France n’est grande qu’à travers la taille de ses missiles, la puissance de ses chars et la beauté de ses uniformes.
En attendant ce jour de gloire où le peuple ami de la vie détrônera les idoles de la mort, ignorer ce défilé, en ne se rendant pas aux Champs-Elysées ou en éteignant sa télévision, est un minimum salutaire.
Le maximum étant certainement d’organiser un contre-défilé des forces vives de la société civile, des femmes et des hommes qui chaque jour se dépensent sans compter pour le bien commun, qui font œuvre de solidarité avec les exclus et les démunis, qui construisent la paix par les moyens de la paix. Un défilé « fraternitaire » en quelque sorte...
En ces temps troublés, ce serait juste une petite étincelle d’espérance.
Alain Refalo, auteur de Démilitariser la France : plaidoyer pour un pays acteur de paix, Chronique Sociale, 2022.
PS : une pétition pour la suppression du défilé militaire du 14 juillet est disponible : Pétition · Pour la suppression du défilé militaire du 14 juillet · Change.org
1Pierre Marion, Le pouvoir sans visage : le complexe militaro-industriel, Calman-Lévy, 1990.
- 11 JUIL. 2022
- PAR ALAIN REFALO
- BLOG : LE BLOG D'ALAIN REFALO
https://blogs.mediapart.fr/alain-refalo/blog/110722/defile-militaire-du-14-juillet-l-indecence-continue
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