La centralisation des réservations pour le hadj sur une plateforme électronique saoudienne met sur la touche les agences de voyage, qui craignent la faillite. Riyad se justifie en affirmant vouloir mettre fin aux pratiques douteuses de certains voyagistes.
Voyagistes et candidats au pèlerinage à la Mecque sont révoltés par les nouvelles procédures imposées par l’Arabie saoudite (AFP/Mahmud Hams)
Athmane, un Parisien de 56 ans, a été surpris et soulagé d’apprendre le 17 juin dernier, par un mail de Motawif, la nouvelle e-plateforme saoudienne de réservation du hadj par tirage au sort électronique, qu’il ferait partie du million de pèlerins attendus à La Mecque et à Médine du 7 au 12 juillet.
Après deux années de covid, l’Arabie saoudite avait décidé en avril dernier d’autoriser l’arrivée sur son sol de pèlerins étrangers âgés de moins de 65 ans et présentant un schéma vaccinal complet.
Pour les musulmans d’Occident (originaires de 57 pays d’Europe, des États-Unis et d’Australie), les démarches ont néanmoins changé avec le lancement, le 6 juin dernier, de Motawif, site qui prend en charge – et ce de manière exclusive – l’organisation de la nouvelle loterie du hadj mise en place par Riyad, les formalités d’obtention du visa électronique et l’organisation du séjour des pèlerins sur les lieux saints de l’islam.
Des tarifs onéreux
Athmane, qui avait reporté son pèlerinage à cause de la crise sanitaire, s’est inscrit sur le portail dès son ouverture. « J’ai envoyé ma candidature et mes documents comme une bouteille à la mer. Dans une loterie, tout est une question de hasard. Je ne pensais pas que mon nom allait être tiré au sort, surtout que le quota réservé aux Français est faible, un peu plus de 9 000 places je crois [9 268 exactement contre 20 000 habituellement] », confie le futur pèlerin.
« On aurait pu nous proposer des formules plus économiques. Tout le monde ne veut pas être logé dans des hôtels cinq étoiles et rester une vingtaine de jours en Arabie saoudite »
- Athmane, futur pèlerin français
Même s’il est très heureux à l’idée de réaliser le voyage de sa vie, le Français déplore néanmoins la cherté des quatre formules de séjour proposées (hébergement et transports). Le prix du forfait le moins onéreux, dit Argent, s’élève à 7 792 euros, alors que le Platinium Plus, davantage luxueux, est fixé à 11 958 euros. Entre les deux, il y a le forfait Or au prix de 8 171 euros et Platine à 11 105 euros.
Sur les réseaux sociaux, les tarifs sont raillés. « On dirait qu’on va au Club Med », a réagi un internaute. « Ça n’a plus rien de spirituel », « C’est honteux », ont rebondi d’autres personnes.
Athmane, qui a choisi le forfait Argent, a payé le double car son épouse est du voyage. Selon les règles édictées par le ministère saoudien du Hadj, chaque personne tirée au sort sur la plateforme Motawif peut être accompagnée de neuf personnes de son entourage au maximum.
« On aurait pu nous proposer des formules plus économiques. Tout le monde ne veut pas être logé dans des hôtels cinq étoiles et rester une vingtaine de jours en Arabie saoudite, surtout que le pèlerinage obligatoire dure beaucoup moins longtemps », argumente notre interlocuteur.
Résigné, il a fini par régler la somme demandée, mais après bien des péripéties. « J’avais 48 heures pour tout payer mais comme le montant dépassait largement le plafond paiement autorisé par ma banque, j’ai dû solliciter mes frères, qui ont complété le montant », confie Athmane, qui déplore la complexité des démarches en ligne malgré les garanties d’expertise, de flexibilité et de fiabilité mises en avant par le site Motawif.
« Livrés à eux-mêmes »
Abdelghani, pour sa part, nourrit surtout de la colère. Responsable d’Ariane Voyages, un tour-opérateur à Paris spécialisé dans le hadj et l’oumra – le « petit pèlerinage », plus court et qui peut être accompli tout au long de l’année –, il reproche aux autorités saoudiennes de vouloir accaparer le marché du hadj, en fixant les prix comme bon leur semble.
« La plateforme certifie que les tarifs sont adaptés selon les besoins et le budget de chacun. Mais en réalité, ils sont beaucoup plus chers que ce nous proposions avant », constate le voyagiste.
Il dénonce par ailleurs le monopole de la compagnie aérienne saoudienne Saudia, qui devient dans les pays occidentaux où elle est présente le transporteur exclusif des pèlerins. En France par exemple, les vols en direction de La Mecque qui ont eu lieu ces 24 et 25 juin ont tous décollé de Paris.
Dans les pays non desservis par Saudia, les voyageurs doivent se débrouiller seuls pour trouver une autre compagnie et payer leurs billets d’avion.
« C’est irresponsable », note Abdelghani, qui reproche aux autorités saoudiennes d’avoir précipité le lancement de la plateforme de réservation sans avoir effectué de tests préalables et un mois seulement avant le début du pèlerinage.
Dans un communiqué, la Coordination des organisateurs agréés Hadj de France (CHF) évoque « une démarche troublante et comportant des risques importants sur le déroulement du pèlerinage au départ de la France ».
« Les pèlerins devront maintenant voyager seuls. Certains ne parlent que très peu l’arabe. Je me demande comment ils pourront se débrouiller sur place »
- Abdelghani, voyagiste à Paris
Elle pointe un certain nombre de manquements, comme l’absence d’assurance voyage en cas de test positif au covid et de prise en charge alternative pour pallier un éventuel désistement des établissements d’hébergement saoudiens.
La coordination regrette également que les pèlerins ne soient pas accompagnés dans leur voyage, comme auparavant par des encadreurs qui les orientaient dans l’accomplissement de leur rite.
« Nos pèlerins de France vont se retrouver sans l’assistance régulière assurée par les agences de voyage habituellement installées avec eux dans les mêmes lieux d’hébergement 24h/24 pour leur porter assistance depuis leur arrivée en Arabie saoudite jusqu’à leur retour en France », prévient la CHF, qui ajoute que les pèlerins « seront livrés à eux-mêmes » en cas de problèmes de santé, de perte de documents ou d’argent et dans les situations de rapatriement d’urgence.
Les agents de voyage devant le fait accompli
À Ariane Voyage, cela fait environ une dizaine d’années que les pèlerinages à La Mecque sont organisés. L’agence agréée par le ministère saoudien du Hadj proposait jusque-là des séjours incluant diverses prestations, dont la présence de guides bilingues et une équipe médicale prenant l’avion avec les pèlerins et les assistant pendant toute la durée de leur présence sur les lieux saints de l’islam.
« Les pèlerins devront maintenant voyager seuls. Certains ne parlent que très peu l’arabe. Je me demande comment ils pourront se débrouiller sur place », s’interroge Abdelghani.
Sur le site de son agence, subsiste encore une offre pour le hadj 2022. Mais comme les autres voyagistes, Ariane Voyages est mis sur la touche, évincé par Motawif.
« Les Saoudiens avaient annoncé depuis quelque temps qu’ils allaient centraliser à leur niveau les réservations pour le pèlerinage. Mais on ne savait pas qu’ils allaient le faire maintenant. Ils ne nous ont pas prévenus, ni consultés », regrette le voyagiste, qui craint déjà la faillite.
« Si la même plateforme est utilisée pour les réservations de la oumra, nous serons obligés de mettre la clé sous le paillasson », renchérit-il.
Auparavant, Ariane Voyages devra rembourser toutes les personnes qui l’avaient sollicitée pour le hadj en 2019 et qui n’avaient pas pu partir en raison de la détérioration de la situation sanitaire.
« Comme toutes les agences de voyage, nous avions délivré des avoirs aux clients, en pensant pouvoir les envoyer à La Mecque après la fin du covid. Ce qui n’est plus possible aujourd’hui », relève Abdelghani.
Régulation du marché
Selon Leïla Seurat, chercheuse associée à l’Observatoire des mondes arabes et musulmans (OMAM), la réforme du pèlerinage par l’Arabie saoudite fait partie du projet Vision 2030 du prince héritier Mohammed ben Salmane, qui vise à préparer le royaume à l’après-pétrole en investissant notamment dans le tourisme religieux (le hadj et la oumra rapportent déjà 12 milliards de dollars au royaume annuellement).
Une source saoudienne a par ailleurs affirmé à l’AFP que le nouveau système d’attribution des visas avait pour objectif de lutter contre les escroqueries de « fausses agences » de voyage.
Pour Abdellah Zekri, président de l’Observatoire national de lutte contre l’islamophobie, ces escroqueries existent bel et bien et beaucoup de pèlerins français en ont été victimes.
« Des agences véreuses envoyaient des rabatteurs dans les mosquées pour attirer des clients. Une fois à La Mecque, les pèlerins bénéficiaient de prestations bien en deçà de ce qui était promis. On les logeait dans des hôtels éloignés et on les parquait à plusieurs dans une seule chambre. Certaines personnes abandonnées sur place avaient dû être rapatriées par l’État français », explique-t-il à Middle East Eye.
D’après lui, des plaintes ont été déposées par des pèlerins devant la justice, mais la plupart n’ont pas abouti car ceux qui réglaient en espèces leur voyage pour La Mecque n’étaient pas en mesure de prouver qu’ils avaient été escroqués.
En 2018, Leïla Seurat et Jihan Safar, socio-démographe et chercheuse associée au Collège de France, avaient réalisé une étude sur le marché français du hadj pour le compte du bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur. Elles avaient révélé l’existence d’un système opaque impliquant des agences non agréées, des associations et même des mosquées.
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