Nous sommes tous des nomades, nous traversons les espaces sans les habiter, nous sommes souvent appelés par l’espace qui est de l’autre côté, celui qui n’est pas notre. L’appel de l’autre rive est si puissant que nos hommes, les plus vaillants misent leurs vies pour la fouler des pieds. Haraga, n’est qu’un appel de l’ailleurs. L’autre espace. Celui des possibles…
Aborder le troisième roman de Rachid Mimouni, c’est interroger l’espace de la marginalité. Sans détour, nous nous effaçons devant son travail et lui laissons la place (ce qui est un espace, en plus réduit) pour qu’il s’exprime
Le mâle qui est considéré comme porteur de tare transmissible aux descendants. La mère, enfin de compte, n’est qu’un ventre, un espace transitoire, « neutre » par lequel passe le bébé sans qu’il y subît une influence. Ce qui nous apprend l’hégémonie masculine sur la descendance, et de ce fait sur l’espace dans son entier. Nous sommes devant une lignée patrilinéaire exclusive. La femme n’interviendrait sur aucun trait héréditaire que ce soit. C’est le male qui en a l’exclusivité.
L’homme a le monopole de la lignée. C’est lui qui domine. La femme est reléguée à l’arrière-plan. Elle est la compagne de l’homme. Elle est celle qui l’aide à asseoir son hégémonie sur la nature. Mais elle n’est pas son égale. Cela va sans dire de la place qui lui est réservée. Elle n’est pas présente en tant qu’actant actif dans l’histoire racontée, la femme demeure un objet acquis pour l’homme. Le récit ne mentionne pas de femmes présentes dans l’espace social sans qu’il y ait un male derrière. La femme du héros qui se retrouve seule, en ville, à la recherche d’un travail pour élever son fils, a vite été rattrapée par les hommes qui vont la soumettre à leur volonté. Comme si la présence féminine sans lien apparent avec un homme est un danger pour la communauté.
La seule histoire de femme est celle de Houria qui commence au lendemain de l’indépendance. Sa première incursion à l’extérieur, se fait après le départ des étrangers. A présent, se sont aux hommes de sa communauté qu’elle aura à faire. Poussée par la nécessité de subvenir à ses besoins et ceux de son fils, elle demande une pension de femme de chahid au maire du village. Celui-ci, s’avouant incapable d’accéder à sa demande, l’envoie en ville.
« (…) On m’a fait comprendre que cela n’était pas du ressort de la commune et on m’a donné l’adresse de l’administration compétente. C’était ici, dans cette ville » FD. P173
Elle obtient en quelque temps une maison et inscrit son fils à l’école : Deux jours après mon installation dans cette villa il (le sous-directeur) est venu m’apprendre qu’il venait d’obtenir l’admission de mon fils à l’école … » FD. Page 175
En contrepartie de cette première faveur, le sous-directeur entame un long abus : « Un jour, à la tombée de la nuit, il est venu me rendre visite. Il était ivre et avait les yeux rouges. Il s’est montré inconvenant et je l’ai repoussé violemment (…). Il s’est jeté sur moi je me suis mise à crier et à me débattre. Mais la villa était isolée et lui très fort. Son désir assouvi, il est parti, pour revenir le lendemain, et le jour suivant et beaucoup d’autres jours encore » FD. Page 176.
L’honneur de Houria ne sera lavé qu’avec l’intervention de son mari qui tuera les hommes responsables de cette débauche forcée. L’histoire de Houria montre la place réservée aux femmes dans cette société misogyne.
Pour conclure avec le féminin, nous signalerons, au passage, l’histoire de Rachid qui tourne elle aussi autour de la femme. Travaillant dans une coopérative des gens du sérail :
« Je travaillais dans une villa très spéciale. Entourée d’un haut mur d’enceinte. Deux soldats en défendaient l’entrée. Les rayons étaient chargés des produits les plus sophistiqués. (…) ; ils appelaient ça une coopérative. Mais strictement réservée. A partir de dix heures, les voitures commençaient à arriver (…). Assises à l’arrière. Chevelures savantes. Robes d’été transparente. » FD. Page 68.
Un jour, il succombe à la tentation en acceptant les avances d’une cliente :
« Un jour, je lui ai proposé de lui montrer le velours importé (…) Elle m’a suivi dans l’arrière-boutique. Je l’ai coincée entre les étoffes. Elle a tout de suite écarté les jambes. » FD. P.68.
Après s’ensuit l’intervention du chauffeur de la dame qui prend la place de Rachid. Il est dénoncé. Chassé de la coopérative, Rachid va y mettre le feu.
« J’y ai foutu le feu. (…) Tout a brûlé. (…) » FD. P 69.
Il sera condamné : « Condamné à dix ans de prisons par contumace. » FD P69.
Le récit de Rachid, une fois encore met la femme au centre des convoitises. C’est elle qui attise les appétits et qui fait progresser, sinon bouger les choses. Dès qu’elle sort toute seule et s’émancipe, elle dérape pour tomber dans la débauche.
La violence de l’espace extérieur (au domicile) se manifeste partout. La femme à l’extérieur ne peut pas échapper à ce double destin : être la proie de l’homme ou victime de ses propres désirs et ses tentations à la débauche. De ce fait, la relation avec l’homme extérieur au cercle familial ne peut être qu’une relation sexuelle. Ces deux exemples ne nous offrent pas d’autres possibilités. C’est pourquoi, l’espace extérieur, tel qu’il nous est donné à voir à travers les récits des différents personnages est exempt de la présence féminine. Celles qui s’aventurent à l’occuper se trouvent violentées d’une des deux manières que nous venons d’évoquer. L’espace des femmes est à l’intérieur des foyers, entourées et sécurisées par l’homme.
L’action significative que réalise le personnage central est de sauver l’honneur de sa femme. Il tue les hommes qui l’incitèrent et la forcèrent à la débauche. Le seul horizon possible pour la femme à l’extérieur est la débauche, subie ou voulue. Cette relation hégémonique du genre masculin sur le féminin va se généraliser à l’ensemble des catégories défavorisées et semble être la seule sinon la plus visible des relations.
Pas à pas nous allons essayer de comprendre les différentes relations et interactions présentes dans l’espace que nous décrivent les différents personnages.
La domination de la force et de la violence
Le programme narratif de notre héros est son advenue dans un espace autre que celui où il se trouve. Sa quête est la possibilité d’accéder à l’étendue spatiale. Ce qui constitue chez lui une tension continue. Il est en proie à plusieurs forces extérieures dont il n’a pas pu s’en défaire et qui vont le mener de quête en quête à n’être qu’un simple exécutant des volontés des autres. S’il ne l’exécute pas, il la subit.
C’est en dépit de sa volonté qu’il rejoint le maquis. C’est l’une des premières volontés d’autrui qu’il exécute. Les maquisards : « (…) avaient besoin d’un bon cordonnier pour leur fabriquer de solides chaussures » P 23.
Au maquis, notre personnage ne va pas manier les armes comme les autres, il se contentera de faire son métier : « -Nous avons (dit le commandant) pris contact avec un cordonnier de la ville. Les produits nécessaires ne vont pas tarder à arriver. En attendant, tu peux t’entrainer au maniement des armes et au tir. Je répondis que je ne souhaitais que faire mon travail (cordonnier) » Le Fleuve détourné page 24.
Sa tribu s’est trouvée exilée par une force exercée depuis l’extérieur : « Loin du village, séparé des autres terres de la tribu, il y avait un bout de colline rocailleux et stérile. Y furent exilées cinq familles – nous qui soulignons- (…) Pieds nus et djellaba au vent, j’ai passé le plus clair de mon enfance à trotter le long des sentiers sinueux de cet espace abrupt » FD. P15- 17.
L’espace physique lui aussi exerce sa violence sur les habitants : « Espace désarticulé (…) de rares figuiers difformes, attestant leur mal de vivre (…) De la nuit à la nuit mon père s’échinait sur son lopin de terre avare et pierreux (…) » FD. P18.
Son père décide pour lui : « Tu resteras chez le cordonnier pour l’aider dans son travail et apprendre le métier » FD. P18.
Au maquis, il n’affronte pas l’armée française face à face avec les maquisards, mais il subit les effets de la guerre. Leur camp est bombardé par l’aviation ennemie :
« Un jour, à l’aube, des explosions nous réveillèrent en sursaut. Je sortis en courant de la baraque. Là-haut dans le ciel, une ronde d’avions déversait sur le camp un déluge de feu. Les bombes éclataient partout (…) je perçus une grande douleur à l’épaule et un choc sourd au sommet du crâne. Je m’évanouis » FD. P26.
Avant son départ au maquis, il épouse Houria, une fille de sa tribu violée par un homme. Une autre victime de la violence du groupe. A son retour au pays après qu’il a recouvert la mémoire, il se voit refusé l’accès à son douar de naissance :
« J’étais bien content de rentrer au pays. (…) A mon approche, deux hommes armés de fusils de chasse se levèrent. (…) Ils répondirent qu’ils ne me connaissaient pas et que je ne pouvais pas entrer au douar » FD P 44.
Le héros ne va pas accéder à l’espace du douar pace qu’il est considéré étranger. Il entame alors des actions pour rétablir son identité civile au niveau des autorités locales : « Je suis justement venu pour régulariser la situation de mon état civil » FD P 60.
Ces dernières, ne pourront rien faire pour lui car sa mort est un fait avéré et certifié par la loi.
Le héros restera marginalisé parce qu’il lui manque une clé pour entrer : avoir une identité civile. Encore une fois, il subit la violence du groupe. Tout au long de son parcours, il fera des tentatives de transformations de son état sans y parvenir. Il demeurera inchangé.
Pour la tranquillité du douar, il sera arrêté pour vagabondage et invité par le commissaire à quitter la région : « (…) Tout est bien tranquille dans ce village (…) Alors je vais te laisser partir. Mais tu dois rapidement disparaître à tout jamais de la région ». FD. Page 79.
Il se trouvera impliqué dans le trafic de bétail aux frontières. Vite, cette entreprise se soldera par l’échec car il se met une autre fois en opposition à une force beaucoup plus importante que la sienne, celle de l’armée :
« En une vingtaine de jours, nous effectuâmes ainsi, sept voyages qui se déroulèrent sans aucun incident notable (…) Nous nous dirigeâmes vers les hauteurs des montagnes par des sentiers accidentés mais discrets. Parvenus à un sommet, nous apparaît la petite plaine où s’était déroulé l’accrochage de la veille. Il y avait deux autres jeeps identiques à la première, un camion militaire et un hélicoptère à l’arrêt » (nous qui soulignons) FD. PP 95-97
En ville, il va chercher ce qu’est advenu de sa femme et de son fils. Sur les indications de son père, il entre dans un espace inconnu qui remet en cause son présupposé savoir :
« Déambulant le long des rues de la ville, je me rendis compte que j’avais été bien léger de me mettre en route sur la base d’une vague indication » FD. Page. 110.
Une fois dans cet univers, il trouvera deux personnes qui vont l’aider. Un cordonnier va lui offrir le gite et le couvert : « Viens donc avec moi, bonhomme, nous partagerons l’assiette de pommes de terre bouillies. Demain il fera jour. (…) Là-bas dans la nouvelle ville » FD P 113.
Et un certain Rabah lui offre un travail : «Enlève ta kachabias et mets ces gants. Tu t’occuperas d’un trottoir de la rue et moi de l’autre. Il suffit de vider les poubelles dans le camion. » FD. P 126.
La violence subie dans cet univers est celle de l’administration. A titre illustratif, les grilles des salaires sont décidées en haut lieu et Salah le responsable de la voierie ne peut rien y faire : «Je te répète pour la millième fois que je n’ai aucun pouvoir de décision sur les rémunérations. Vous êtes classés selon une grille que nul ne peut modifier. » FD. P127.
Une grève des éboueurs va lui faire perdre son travail. Il est soupçonné d’être un espion à la solde de l’étranger : « Avec l’histoire de la grève, les policiers se sont mis à questionner les gens et à fouiner partout. (…) Ils ont tout de suite fait le rapport entre mon recrutement au service de la voirie et la grève qui y a été déclenchée quelques jours plus tard. Ils me prennent pour un agitateur professionnel au service de l’étranger » FD. Page.146
Le héros subira une autre violence quand il rencontre enfin sa femme. Celle-ci de peur de perdre un privilège du fait que son mari était considéré comme mort refuse de suivre son mari au village afin de régulariser sa situation. Elle lui raconte alors son aventure et ses déboires. Notre héros se trouve dans une situation tragique et devant un dilemme. Pour le dénouer et en finir avec toutes les injustices, il passe à la manière violente et tue les hommes qui ont trainé sa femme sur cette voie :
«« Figés par le bruit de la sonnette, les quatre hommes attendaient. Ils se figèrent autour de la table en me voyant apparaître. (…)
– C’est mon mari ! lança Houria dans un ton de défi.
J’avançai encore et ils aperçurent enfin le double canon du fusil pointé vers eux. (…) J’appuyai une première fois, une seconde fois. Ils furent tous atteints … » FD. Page.180/181
Le héros subira une dernière violence : il n’est pas reconnu par son fils qui refuse de voir en lui son géniteur. L’histoire de ce personnage singulier peut se prêter à une double lecture. Malgré l’élasticité du dire qui la prend en charge, elle se résumerait en un simple principe : pour s’imposer et être visible dans un espace, il faut user non pas de dialogue ou de la discussion mais de la violence physique voir armée. L’histoire du héros est semblable à celle du pays qui se trouva sous l’autorité coloniale. Les différentes péripéties pour accéder à une identité civile seraient les vaines tentatives de doléances auprès des autorités coloniales à voir en les autochtones des êtres semblables. Ayant pris conscience de l’impossible dialogue entre les deux altérités en présence, il faut trancher par la violence.
Des Algériens prirent alors les armes pour libérer cet espace qui est le leur. Et le héros opte pour la violence afin de laver son honneur et libérer sa femme de la tutelle des hommes du sérail. La fin du récit problématise l’errance du fils qui se cherche à travers son passé. N’est-il pas d’un peuple qui se cherche ?
La congruence de ces deux parcours est-il un déterminisme ou la seule issue d’une relation conflictuelle à propos d’un objet de valeur – ici l’espace permettant l’advenue des altérités- demeure une action par la violence ? Ou simplement un trait caractéristique de l’espace algérien, trop longtemps violenté, trop longtemps convoité, en particulier, de l’espace maghrébin ensuite, et de l’espace de la sphère musulmane en général qui ne permet guerre l’expression de ce qui n’est pas conforme aux lois et principes de la religion dominante ?
Vingt-cinq est un actant qui va produire de la violence. C’est sa modalité d’être dans l’espace. Sa façon d’être au monde. Et nous pouvons ajouter son projet de vie. En racontant son histoire, il nous saisit sa violence envers les autres :
«Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours vécu de rapines. J’ai commencé par sévir parmi les paysans de la région. En ce temps-là, une grande partie du pays était couverte de forêts. Pour rentrer chez eux, ces campagnards devaient emprunter des chemins isolés. Le jour de la vente de leur récolte d’orge ou de tabac, ils me trouvaient les attendant au coin du bois. La vue de ma taille et de celle de mon gourdin dissuadait de toute résistance. Ils se laissaient tranquillement dépouiller » FD. P154.
Il connaitra deux grands moments où la violence s’exprime haut, la deuxième guerre mondiale et la guerre de libération.
Quand la Guerre contre l’Allemagne éclate, Vingt-Cinq oriente sa violence vers le trafic de l’huile d’olive. Il compatit à la misère des paysans.
« La guerre contre l’Allemagne la seule période honnête de ma vie. (…) je me refusais à détrousser des vieillards tremblants, (…), c’était la misère, ils n’avaient pas grand-chose sur eux, je descendais sur la capitale pour faire la contrebande de l’huile, c’était le temps du rationnement. » FD. P.156
Pendant la guerre de libération, il va être aux côtés des combattants : « Quand vint la guerre de libération, je me trouvais déjà au maquis » FD. Page 157.
Et, il se voit absout de tous ses crimes : « (…) Mes anciens forfaits devinrent des faits d’armes. » FD. Page 157
Il ne tardera pas à renouer avec la violence : sa seule façon d’être au monde : (…) Brahim (…) m’initia aux ficelles de la pratique (…) nos razzias devinrent plus méthodiques » FD. Page 158.
C’est dans la violence aussi, que se manifeste la présence au monde d’Omar : « Un jour, j’ai volé un piège à moineaux (…) mes parents avaient recueilli une petite orpheline (…) un jour (…), j’ai violé la fille (…) »
« Le bien et le mal sont restés pour moi des notions d’une parfaite abstraction » FD. P 186
« Dans mon univers personnel (…), je volais, je violais, j’aurais assassiné en toute clarté de conscience, dans la paix de l’âme. » FD. Page 186
Enfin, Omar, le dernier a aussi vécu dans la violence. Il livre à ses compagnons de prison quelques bribes de sa vie, les plus marqués par l’adversité et la tragédie. C’est la victime. Il épousera une femme qui tombera malade et mourir plus tard.
La violence se trouve aussi, lors des arrachements à des espaces désirés, à des espaces voulus.
C’est par la violence que la famille de notre héros est chassée (donc arrachée) des terres regrettées : « Autrefois, nous vivions unis et prospères sur de vastes terres exploitées dans l’indivision. Mais un colon du voisinage (…) soudoya un membre de la tribu qui alla demander le partage des terres.
L’arrachement est vécu de façon douloureuse : « Ce fut un vrai désastre. (…) FD. P14. Car il y a passage d’un espace qui offre la prospérité à un autre qui est stérile (…) Loin du village (…) il y avait un bout de colline rocailleux et stérile. Y furent exilées cinq familles » FD. P15.
Tout comme c’est par la violence des oiseaux et leur acharnement sur les fleurs du jardin que notre héros recouvre la mémoire et se voit arraché à cet espace édénique qu’il quitte avec regret : « J’ai vécu ainsi plusieurs années, serein et calme, entouré de gens amicaux et fraternels. J’y aurais volontiers passé le reste de mon existence. Mais il fallut que le malheur survienne.
Un jour, comme pris de folie, les oiseaux descendirent des branches et se mirent à picorer les fleurs (…) ce fut ce jour que je recouvrais la mémoire (…) je savais qu’il ne m’était plus possible de rester là-bas »
Espace imposé
Par ailleurs, nous pouvons déduire de ce récit de Rachid Mimouni, un autre caractère en relation avec le trait de violence que nous avons dégagé. En fait, les espaces marginaux que nous avons traités plus haut ont en commun le fait que les personnages et les sujets qui l’habitent, y sont contraints. Ce n’est ni un choix volontaire, ni un désir pousseront les personnages à se trouver dans les différents espaces visités, mais une contrainte exercée depuis l’extérieur. La présence en ces lieux est le fruit d’une volonté extérieure, celle d’un autre personnage, ou d’un tiers actant transcendant. L’espace est alors imposé. La présence en son sein est décidée par les autres.
La présence en ce premier lieu qu’est la tribu est le fruit d’un exil : « Loin du village (…) il y avait un bout de colline rocailleux et stérile. Y furent exilés cinq familles » FD. P 15.
Quand le héros va apprendre le métier de cordonnier, c’est son père qui l y contraindra : «Tu resteras chez le cordonnier pour l’aider (…) et apprendre le métier.
-Je suis ton père, tu ne dois pas discuter mes ordres. FD. P18. (Nous soulignons)
Quand il monte au maquis, il le fait sans conviction politique mais parce qu’on l’a persuadé qu’on a besoin d’un cordonnier : « Il (un maquisard) ajouta que là-haut, dans la montagne, on avait grand besoin d’hommes comme moi, parce que des chaussures solides et résistant étaient pour eux une nécessité (…) » FD. P 21.
La ville nouvelle, où le héros est hébergé chez Saïd, un cordonnier de profession, est aussi un lieu investi par la nécessité et la contrainte : «Parc immense, autocars innombrables. Ils furent graduellement investis par les sans – logis arrivés dans la ville, les vagabonds, les paysans en rupture de ban, les miséreux et les orphelins à la recherche d’un abri pour se protéger des bises de l’hiver » (nous soulignons) FD. Page 115
Quant à la ville, c’est pour chercher sa femme et son fils qu’il se rend. Said qui l’héberge lui dit :
« (…) Te voilà surgi dans la ville, (…) comme un mirage (…) prétendant chercher une femme et un fils dont tu ne sais rien (…) FD. P119.
En outre, l’espace d’énonciation ; le camp ou sont internés les hommes du groupe suspectés d’être porteurs de germes subversifs, est un espace imposé et non choisi. Tout le plaidoyer du narrateur est de convaincre l’administrateur en chef de l’y soustraire. Dès les premières lignes, il qualifie sa présence dans cet infâme lieu d’une erreur : « Ma présence en ce lieu n’est que le résultat d’un regrettable malentendu » FD. Page 9.
Le caractère de non-adhésion aux différents espaces est constant chez le héros. Il ne s’attache à aucun d’eux. Il ne fait que les traverser, séjourner quelques temps, sans vraiment prendre racine. Son séjour pendant un laps de temps assez long dans un pays voisin n’a été possible qu’avec le concours de son amnésie. Le jour où il recouvra la mémoire, il le quitta pour entrer au pays à la recherche des siens :
(…) ce fut ce jour que je recouvrai la mémoire. J’en informai mon infirmière et racontai mon histoire au directeur qui conclut : – Il est temps pour toi de retourner dans ton pays, de retrouver ta femme et ton enfant. (…) je savais qu’il ne m’était plus possible de rester là-bas » FD. P 35.
Nous remarquons qu’il n’y a pas de transformation de l’espace. Il y a absence d’une dynamique de changement. Vingt ans que le héros est absent de son village, bien après la guerre et l’indépendance du pays, il retrouve le même décor :
« Après un détour du chemin mon douar natal m’apparut. Rien n’avait changé parmi ces masures plaquées sur le flanc de la colline (…) » FD. P. 43
L’espace a changé de maître mais il est resté figé. Le père du héros : « De la nuit à la nuit mon s’échinait sur son lopin de terre avare et pierreux » FD. P17
Était occupé à la même tâche longtemps après : « Mon père était en train de labourer son petit lopin de pierrailles » FD P44.
Cet exposé, nous le voulions minutieux et laborieux. Rachid Mimouni, nous présente une société profondément travestie et trahie. Ce troisième roman est annonciateur des dérives totalitaires futures dans ce vaste espace qui porte un nom. Algérie.
Said Oukaci
15/06/2022
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