L’intervention du doyen des députés français à l’installation des nouveaux élus a suscité un large débat aussi bien en France qu’en Algérie où on suit de près les mouvements suspects de certains cercles nostalgiques de la colonisation. La «guerre d’Algérie» est, en réalité, loin d’être terminée et les derniers soubresauts qui agitent la classe politique et académique française en est la parfaite illustration. Après l’historien Olivier Le Cour Grandmaison, c’est au tour de Benjamin Stora de réagir à travers un message adressé au «Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée, opposé au Congrès du cercle algérianiste de Perpignan».
«Ce qui est compliqué aujourd’hui en France, c’est que les partisans d’un système colonial, considéré comme positif, ont quitté les rivages de l’extrême-droite traditionnelle pour aller vers une droite très classique. Le gaullisme avait entretenu une frontière entre droite et extrême-droite. Le général De Gaulle était une figure de la décolonisation et il était difficile aux partisans de l’extrême-droite d’aller vers lui. Aujourd’hui, la frontière tend à s’effacer», constate l’historien, qui rappelle que, depuis le début des années 2000, «la notion de guerres des mémoires s’affirme dans le débat public». «Les termes de repentance et de lois mémorielles sont entrés dans le discours politique et la mémoire devient un enjeu du présent», note Benjamin Stora.
«Les médias, les historiens et les responsables politiques s’engagent et certains évoquent même un risque de débordement mémoriel, en particulier à propos de l’histoire coloniale», fait-il remarquer, en ajoutant que «l’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie est ainsi devenue en France un formidable espace de jeux politiques». «On se souvient de la mobilisation importante contre la loi du 23 février 2005, en particulier son article 4 indiquant la nécessité d’enseigner la colonisation dans ses aspects positifs, ou encore des manifestations à propos des menaces planant contre des historiens au sujet de l’écriture de l’histoire de l’esclavage», écrit le professeur des universités spécialiste des guerres de décolonisations.
«Depuis plusieurs années, les chercheurs se sont interrogés sur l’instrumentalisation et la confiscation des mémoires», relève-t-il, en indiquant que «loin de s’apaiser, les passions autour de la guerre d’Algérie sont toujours aussi vives». Benjamin Stora en veut pour preuve «cette guerre autour de la création d’un mur des disparus, dans les années 2010, à Perpignan, avec le nom de Français morts en Algérie, victimes du FLN, [qui] a été l’occasion d’une guerre des mémoires». «Un certain nombre de points ont incité des historiens à mettre en garde contre un tel projet», souligne-t-il dans son message, en estimant que «le climat actuel est donc bien celui d’une concurrence des mémoires, y compris dans les enjeux de l’immigration et de ses mémoires en mouvement».
«Quand l’avenir est fermé, quand l’espérance s’épuise, alors l’interprétation de ce qui n’est plus occupe une place centrale, décisive. Le travail historique et politique aide à sortir de ce dilemme entre trop-plein et absence de mémoires. En laissant ouverte la porte des controverses citoyennes démocratiques, débarrassées des discours fermés de revanches, pour sortir de la rumination du passé colonial et des blessures mémorielles», conclut l’auteur de La guerre d’Algérie expliquée à tous.
Par Abdelkader S.
juin 29, 2022 -
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