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Mon Islam, ma liberté. Essai de Kahina Bahloul. Koukou Editions, Alger 2022. 199 pages, 1500 dinars
Certes, c'est la première femme imame à diriger une mosquée en France (son premier prêche a été donné en février 2020... juste avant que le président Macron ne lâche le nouveau terme de «séparatisme»... («Encore un énième reproche qui vient rallonger les tristes qualificatifs accolés à ma religion ces dernières décennies...» (p173), mais ce n'est pas une première dans l'histoire. Dans plusieurs recueils de la tradition prophétique des hadiths, on rencontre une femme imame, Oum Waraqa. On a plusieurs imams femmes dans les pays occidentaux (Etats-Unis, Canada, Angleterre, Danemark, Allemagne...) mais aussi en Chine... depuis le XVIIIe siècle.
C'est la voie choisie par Kahina Bahloul. Diriger les prières et enseignante au niveau d'une mosquée n'est pas chose aisée. Peut-être même à la limite dangereuse. Au minimum, elle recueillera critiques et insultes quand ce ne sont pas des menaces. Heureusement, elle est à la hauteur de son prénom et de la maîtrise de ses classiques religieux. Avec une grande préférence pour l'œuvre d'Ibn Arabi («Al-Futûhât al-Makkiyya» et «Turjuman Al Ashwaq»), le grand mystique andalou (dont le plus célèbre et le plus fidèle interprète a été l'Emir Abdelkader et ceci transparaît dans l'universalisme et l'humanisme qui caractérisait ses écrits, sa spiritualité et son action d'homme politique). Bref, le soufisme.
Le soufisme a, globalement, une opinion favorable des autres religions en raison de chaque individu de sa vision libérale. Il accorde, en outre, une importance primordiale à l'expérience intérieure de chaque individu et privilégie une approche relativement non dogmatique de la religion musulmane.
L'Auteure : Première femme imame en France. Née d'un père algérien de Kabylie et d'une mère française, elle a grandi en Algérie au plus près de la montée de l'intégrisme islamiste (1991-2002). Spécialiste de la mystique musulmane et plus particulièrement de l'œuvre d'Ibn Arabi, elle décide de s'engager plus activement à la suite des attentats terroristes (en France) de 2015. Elle fonde en 2019 la mosquée Fatima d'inspiration soufie ouverte aux femmes... voilées ou non.
Table : Introduction/ Première partie : Le retour aux sources/ Deuxième partie : Pour une réforme aujourd'hui/Troisième partie : Pour un Islam spirituel/ Conclusion/ Notes/ Bibliographie.
Extraits : «L'islam aujourd'hui plus qu'à toute autre époque se caractérise par une inflation des lectures normatives centrées sur l'interdit et le permis, l'amputant ainsi de toute dimension spéculative ou mystique (p37), «Ce qui pose problème aujourd'hui, ce sont les lectures patriarcales du texte sacré, faites par des hommes ayant évolué dans des traditions misogynes où le rôle de la femme se limite à la sphère domestique (p114), «Le soufisme, courant spirituel de l'islam, a globalement une opinion favorable des autres religions en raison de sa vision libérale» (p137).
Avis : Pour un Islam moderne et libéral. Pour un Islam affranchi des peurs et des scléroses...C'est ce que l'on retrouve dans cet ouvrage franc, courageux et précis dans ses démonstrations.
Citations : «La foi ne s'hérite pas, elle s'acquiert, elle s'embrasse de plein gré, par un assentiment profond du cœur .Il n'y a rien de plus exigeant vis-à-vis de la liberté que la foi. Elle ne supporte ni contrainte ni coercition» (p10), «Sans le doute, aucun processus de recherche ne peut être entamé, que rien ne peut être désiré et découvert (...) Le doute et le questionnement suscitent, alimentent et renouvellent la foi à chaque instant, ils la gardent vivante et en mouvement» (p13), «Isoler la cause féministe des autres combats humanistes est souvent un prétexte pour les disqualifier» (p93), «Le discours des intégristes est un discours totalitaire et essentialiste. S'il y a une seule femme sorcière, elles le deviennent toutes...» (p118), «Ne demandez jamais quelle est l'origine d 'un homme, interrogez plutôt sa vie, ses actes, son courage, ses qualités et vous saurez qui il est» (Emir Abdelkader cité, p 163).
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©GODONG/BSIP/BSIP via AFP
Depuis deux ans, Kahina Bahloul exerce en libéral, loin des conservateurs. Elle présente aujourd'hui, dans un livre, sa vision d'un islam des lumières. Rencontre éclairée.
Un père kabyle, une mère française, une grand-mère juive polonaise et un grand-père catholique : Kahina Bahloul sait mieux que personne la richesse et la complexité d'avoir des origines mêlées. Enfant choyée par sa famille paternelle en Algérie, elle fut une étudiante ivre de liberté en débarquant à Paris. Depuis deux ans, cette fine islamologue de 42 ans a choisi de devenir imame libérale. Nourrie de spiritualité, cette républicaine pourrait être l'équivalent musulman de la rabbin Delphine Horvilleur . Tout comme Kahina Bahloul n'est pas reconnue par les représentants de l'islam de France, trop conservateurs, Delphine Horvilleur ne l'est pas non plus par l'autorité juive centrale de France. Cela n'arrête pas son chemin hors norme, bien au contraire. Dans « Mon islam, ma liberté », elle en fait le récit lumineux, sans l'ombre de la moindre complaisance envers tous ceux qui instrumentalisent l'Islam pour tuer ou asservir.
ELLE. Le titre de votre livre, « Mon Islam, ma liberté », est-il une provocation ?
KAHINA BAHLOUL. Non ! La spiritualité musulmane m'a libérée intérieurement. Je déplore que la religion musulmane soit devenue très normative, avec une inflation de règles et de prescriptions au détriment de la spiritualité, qui est son essence même, comme toute religion.
ELLE. Dans les années 1990, en Algérie, vous avez vécu la décennie noire du terrorisme islamique, qui a fait des centaines de milliers de morts. À 15 ans, quelle image aviez-vous de la religion ?
K.B. J'ai vécu un basculement entre celle que j'ai connue petite, basée sur l'éthique, les valeurs humanistes universelles de générosité et de solidarité, et celle dont se revendiquaient les intégristes religieux, notamment les Frères musulmans. J'ai assisté de l'intérieur à une transformation de toute la société algérienne, dans ses mœurs et ses comportements du quotidien. C'était un basculement dans l'extrême violence, dans l'horreur. Des villages ont été exterminés en une nuit, on a découvert des charniers, des puits remplis de centaines de cadavres…
ELLE. De quoi être plutôt dégoûtée de la religion, non ?
K.B. Oui ! Par la manipulation, ces gens parviennent à établir une grande confusion, tout en jouant sur la peur et la culpabilité. Ils s'arrogent le droit de dire : « Voici le vrai islam, sinon, vous êtes de mauvais musulmans. » L'islamisme s'exerce en premier lieu contre les musulmans eux-mêmes. Pour l'adolescente que j'étais, c'était un choc très déstabilisant, un vrai désarroi. Ceux qui tuent au nom de Dieu finissent par vous convaincre que cette religion est violente par essence. J'ai mis des années avant d'y voir plus clair.
ELLE. À 24 ans, vous prenez vos distances en venant poursuivre vos études de droit à Paris…
K.B. Oui, la seule chose dont j'avais envie était de partir, d'être une femme libre. À Paris, j'ai été ravie de pouvoir aller me promener, prendre un train sans rendre de comptes. Je me suis délectée de cette liberté ! Se sentir libre de son corps, porter un short quand il fait 35 degrés, c'est génial aussi. J'ai connu une Algérie sans voile . Je n'en ai jamais porté, mais il fallait garder une certaine pudeur. Pas de minijupe, mais un maillot à la plage… Le rapport au corps de la femme était très compliqué, on passait de contradiction en contradiction.
ELLE. La mort de votre père a-t-elle été le déclic qui vous a fait redécouvrir votre religion ?
K.B. Oui. J'étais ravagée par le chagrin. Je questionnais le sens de la vie et de la mort, j'avais besoin de réponse. Je me suis intéressée au bouddhisme, à la philosophie… Pourquoi l'islam ne m'apportait-il pas de réponse ? Un jour, mon médecin, une femme chrétienne extraordinaire, m'a conseillé d'aller voir du côté du soufisme. Ce fut une révélation.
« CHAQUE FEMME DOIT POUVOIR GÉRER SON CORPS COMME ELLE EN A ENVIE »
ELLE. Comment définiriez-vous l'islam qui vous parle ?
K.B. On comprend souvent le soufisme comme une branche dissidente de l'islam, voire opposée à l'islam. En tant qu'islamologue et spécialiste de la mystique musulmane, je sais que c'est faux. Depuis le début, c'est la dimension spirituelle de l'islam, l'essence de la pensée musulmane.
ELLE. Pourquoi écrivez-vous : « J'ai du mal à me définir comme féministe » ?
K.B. Je me considère comme humaniste. Je ne comprends pas pourquoi, quand on revendique plus de justice pour les femmes, on éprouve le besoin de les faire sortir du genre humain et d'en faire une catégorie à part. Le féminisme est un humanisme inclusif : si la justice doit être rendue aux femmes, c'est au nom de leur humanité, tout simplement !
ELLE. Comment comprenez-vous le retour du voile en France, souvent volontaire de la part des jeunes filles ?
K.B. J'explique dans mon livre à quel point l'évolution de cette question est complexe. Dans les années 1990, en Algérie, les femmes se sont mises à se voiler sous l'influence des islamistes qui veulent faire croire que le voile est une obligation religieuse. Derrière cette fausse croyance, il y a une vision misogyne et exclusive de la femme. Dans ce système de domination patriarcale, elle est considérée comme un corps à maîtriser. En France, on ne peut pas séparer le retour du voile de l'influence intégriste. Mais beaucoup de celles qui décident de le porter n'adhèrent pas à cette pensée et le considèrent plutôt comme un marqueur identitaire. Des intégristes comme Tariq Ramadan ont beaucoup joué sur cette ambivalence.
ELLE. Que pensez-vous des femmes « féministes islamiques » ?
K.B. Cela me gêne. Sortir la femme musulmane des autres femmes me semble problématique. En tant que femmes, nous avons toutes les mêmes préoccupations : pouvoir sortir la nuit en sécurité, être libres de notre corps, être respectées dans notre dignité. Cette désignation est une manipulation de l'islam identitaire, radical et politique. Ses défenseurs instrumentalisent les femmes, comme si leur corps était un sujet politique à gérer collectivement, par les leaders religieux. Non. Chaque femme doit pouvoir gérer son corps comme elle a envie.
ELLE. Que signifie pour vous être imame ?
K.B. La première imame a été l'Américaine Amina Wadud en 2005, puis la Danoise Sherin Khankan… il existe deux imames en France. Ma fonction est la même que celle d'une femme rabbin ou pasteur. Dans l'islam, il n'y a pas de notion de clergé, l'imam n'a pas une fonction sacrée, il anime des cérémonies religieuses et transmet un savoir.
ELLE. Cela fait deux ans que vous célébrez les offices du vendredi, pourquoi n'avez-vous toujours pas de lieu dédié ?
K.B. C'est compliqué. J'en profite pour lancer un appel ! On a du mal à trouver des salles à louer dans Paris, nous les finançons grâce au crowdfunding. Notre problème est lié à l'organisation de l'islam de France, qui est subventionné par des pays musulmans étrangers. Or ils ont une lecture de la religion conservatrice, parfois intégriste, et ne reconnaissent pas l'imamat libéral et féminin…
ELLE. Qui vient dans vos offices ?
K.B. Des jeunes, des personnes âgées, des convertis ou non, des curieux qui ont besoin de comprendre, ou d'entendre un discours moins archaïque… Depuis la pandémie, je fais des « live » sur Facebook. Ce que j'entends le plus est : « Merci de m'avoir expliqué ma religion. »
ELLE. Vous êtes insultée et menacée par des musulmans radicaux, et vous venez de sortir un livre. Avez-vous peur ?
K.B. Parfois, j'ai peur, bien sûr. C'est normal. Mais je reste très prudente, et je passe outre. Avec la peur, on ne fait jamais rien de sa vie.
ELLE. Comprenez-vous le rejet que suscite l'islam dans une société secouée par le terrorisme ?
K.B. La France a été meurtrie, je comprends que les Français soient horrifiés et qu'une première réaction soit le rejet. Mais on ne peut pas mettre tous les musulmans dans le même sac. Je regrette que l'on s'arrête à cette idée fausse et délirante, forgée par les islamistes eux-mêmes, que l'islam est violent et meurtrier par nature. Certains polémistes médiatiques comme Éric Zemmour en font hélas leur fonds de commerce. Réduire la richesse d'une religion et d'une civilisation vieille de quatorze siècles à cette idée, sous prétexte que quelques fous ont décidé d'aller se faire exploser en criant : « Alla-hou akbar », c'est abject. Avec mon livre, j'invite les lecteurs à être plus curieux et à découvrir l'islam des Lumières malheureusement méconnu, y compris par les musulmans eux-mêmes !
La boîte noire de l'Islam. Le sacré et la discorde contemporaine. Essai de Amin Zaoui. Tafat Editions, Alger 2018, 500 dinars, 155 pages. (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel)
Pas si drôle que ça, le titre de l'essai. Tragique même. Car un avion qui a perdu sa «boîte noire» est un appareil qui, de toute évidence, s'est écrasé, emportant avec lui, dans un «autre monde» la quasi-totalité, sinon la totalité de ses passagers.
Mais que s'est-il donc passé ? Depuis quelques siècles, en matière de religion en général et d'Islam en particulier, chacun y est allé de son approche, de ses analyses, de ses observations, de ses critiques... et, depuis quelques décennies, la cogitation n'a fait que croître.
Un phénomène naturel ! La disparition des colonialismes classiques alors bien visibles, l'apparition de substituts moins présents mais plus pernicieux comme la mondialisation, la globalisation... et, surtout, l'«invasion» des nouvelles technologies de la communication qui a entraîné de nouvelles formes de vie culturelle et cultuelle... Elles ont donc relancé les débats... puis des ««conflits» que l'on croyait oubliés ou à jamais enterrés, d'où de nouvelles interrogations et d'autres recherches, analyses et propositions. Des plus sérieuses aux plus farfelues. Des plus compréhensives aux plus intolérantes. Des plus pacifiques aux plus belliqueuses.
L'auteur, qui n'en est pas à sa première incursion en la matière, a emprunté (plutôt, a continué) une voie qui est, peut-être, la plus simple et la plus porteuse d'espoir d'un «vivre ensemble» selon sa foi, dans le respect de la loi... et surtout dans la tolérance et l'amour du prochain. Pour le plus grand bien-être de la collectivité.
Il n'y va pas par quatre chemins (et ce qui est le plus pédagogique quand on vise le plus large public) pour se (nous) sortir de la «boîte noire»: ne plus vivre en otage d'un côté par la chariâa et de l'autre par les ulémas de cette chariâa.
Pour lui, la chariâa islamique n'est autre que des interprétations temporelles (d'ailleurs contestées et sources de conflits et de différends, pour la plupart sanglants) des textes sacrés, des lectures controversées réalisées par des êtres humains. Des «Ulémas» (traduits par «Savants» bien qu'ils n'aient rien inventé, «moulins de la rhétorique»... ce qui a amené une historienne, je crois, à utiliser le mot de «Sachants»), certes... mais qui «avec le temps qui passe et l'ignorance qui s'installe» se sont métamorphosés en gourous.
Ajoutez-y les intrigues pour la subordination de la chariâa à la politique et aux politiciens au pouvoir (ou à sa prise) et l'on commencera à déchiffrer -difficilement et à v(n)os risques et périls- la «boîte noire».
Au total, plus d'une cinquantaine d'articles et autant de sujets. Des chroniques sociétales et cultuelles ? Des articles critiques ? Plus que ça. Des pensées (des «dits») raisonnées qui prennent leur source dans une vaste culture religieuse et une observation multi-directionnelle des terrains.
Quelques exemples: Le racisme («l'homme noir dans l'imaginaire musulman»), la «boîte noire de l'Islam» (une personne... Abou Hourayra), l'athéisme, le terrorisme, les musulmans, leur Livre et les livres, les imams, l'amour, le fatalisme (au pays d'inch'Allah»), le voile islamique, l'islamisation en Kabylie, les juifs maghrébins, le juste milieu, La Mecque, Le halal et le haram, le citoyen et le croyant, le corps féminin, l'école coranique, la poupée Barbie, patrie et religion, l'humiliation des femmes berbères... par un calife omeyade, la colonisation turco-ottomane (1515-1830), la haine (structurée et graduée... contre la femme, contre le juif, contre l'Occident, la laïcité, l'athée, le communiste, les droits de l'homme, le temps)...
L'Auteur : Né en novembre 1956 à Bab El Assa (Msirda/Tlemcen). Etudes primaires au Maroc, Lycée à Tlemcen, Université d'Oran, Docteur d'Etat à Damas, Enseignant de littérature puis Directeur du Palais des Arts et de la Culture d'Oran et de 2003 à 2008, Directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie (un «Âge d'or» selon moi, mais vite étouffé)... Écrivain bilingue (arabe et français), auteur de plusieurs ouvrages (des romans, des essais, un beau livre...) dont certains traduits dans plus d'une dizaine de langues... chroniqueur de presse...
Extraits : «L'époque des lumières de Tolède musulmane fut un exemple du «vivre ensemble». Dans cette ville, plutôt cette principauté, vivaient en harmonie les juifs, les chrétiens, les musulmans et non-croyants, faisant de leur cité un espace de respect et d'échange. Et cette vie en commun, avec sa diversité religieuse et culturelle, a engendré un mode de vie exceptionnel et harmonieux dans l'histoire de l'Andalousie musulmane» (p 21), «Critiquer l'islam radical, en Europe, cela signifie que vous êtes automatiquement taxés d'islamophobe... Critiquer l'islam radical en terre d'Islam, dans le monde arabo-musulman, cela signifie que vous êtes un aliéné» (p 22), «L'Algérie a vécu deux épreuves historiques consécutives : le mal de la colonisation orientale et celui de la colonisation occidentale. Notre peuple a goûté aux deux recettes !! Shawarma et Omelette !» (p 139), «Sans la réconciliation avec notre patrimoine local et universel de rationalité, le fanatique prendra le dessus par rapport à la critique, le féqih vaincra le philosophe, le charlatan battra le scientifique, l'hypocrisie voilera la sincérité » (p 144).
Avis : Un livre pamphlet écrit rageusement par un intellectuel vrai, bien ancré dans le réel... par un homme fidèle à son engagement et un auteur fidèle à son style. Avec une plaidoirie solidement argumentée et courageuse en faveur des valeurs de la citoyenneté («la religion commune dans une société moderne»)... avant tout... «la patrie étant plus vaste que la religion».
Sur le plan de la forme, beaucoup de coquilles. Dommage ! Ce qui est certainement dû à une certaine précipitation dans l'édition... et les auteurs devraient automatiquement et sans complexe s'astreindre (ou demander) l'épreuve des corrections avant tout B.a.t et impression.
Citations : «L'athéisme est le miroir fidèle de la foi. Il n'y a pas de foi sans la présence de l'athéisme. Une présence chez l'individu ou dans le collectif. L'athéisme n'est pas l'équivalent de l'égarement ou de l'erreur. Il est l'image humaine d'un état de questionnement éternel» (p 19), «Dans la religion des salafistes, on parle beaucoup de sexe, mais rien sur l'amour» (p 44) , «Dieu n'habite pas La Mecque ; il habite les cœurs pleins d'amour et d'adoration» (p 73), «Lire, c'est chercher à multiplier sa vie individuelle par le nombre de livres lus» (p 77), «Dans le monde arabo-musulman, la seule guerre qui, depuis quinze siècles, arrive à faire rassembler tout le monde, c'est celle déclenchée contre la femme» (p 93), «Notre société a perdu l'islam en adoptant l'islamisme» (p 124), «Si l'Histoire est un rouleau compresseur, les intellectuels sont les faiseurs de cette Histoire. Par la raison, par la lumière, par la science, ils font bouger les lignes de l'interdit, reculer la zone de l'ignorance et de la peur et élargir le champ de la liberté de pensée» (p 129), «La société arabo-musulmane vomit tout respect à la notion du temps. Elle n'a aucune estimation, aucune considération pour le temps, parce que le temps est lié au travail, parce que le travail est lié au capital, parce que le capital est l'image du juif et de l'Occident athée...» (p 152).
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 5 mai 2022
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5312036
Amin Zaoui : «Il faut avoir le courage intellectuel pour dénoncer la mainmise sur la religion au nom de la politique»
Dans cet entretien, Amin Zaoui revient sur son essai «La Boîte noire de l’islam», paru récemment aux éditions Tafat, dans lequel il aborde la question très actuelle du sacré. Dans ses textes, il défend des thèmes chers à son cœur, notamment la liberté et le vivre-ensemble.
interview publiée par le site reporter.dz le 11 06 2018
Reporters : Vous avez publié chez Tafat un nouveau recueil de chroniques intitulé «La Boîte noire de l’Islam» orienté vers les questions liées au sacré. Cela est-il en lien avec l’actualité de l’Algérie et du monde ou les raisons sont ailleurs ?
Amin Zaoui : Avant de le publier sous forme de chroniques, «La boîte noire de l’Islam» fut d’abord un avant-projet de livre. En le publiant, en partie, sous forme de chroniques, je voulais le faire connaître auprès de mes lecteurs «journalistiques» avant de le faire sortir en volume livre/librairie, aux éditions Tafat. Le sacré est une problématique qui me hante, sur le plan philosophique comme sur le plan littéraire romanesque. Le charlatanisme religieux et politique, profitant de la naïveté des citoyens, exploite le sacré pour faire passer ses messages et atteindre ses abjects objectifs. Dans une société où la culture de la raison est absente ou agonisante, où la pluralité culturelle et religieuse sont bafouées, le charlatan devient un intellectuel et le charlatanisme une religion. Le mal de cette société vient de cette exploitation du sacré par les hypocrites religieux et politistes. Et c’est le rôle des écrivains et des intellectuels éclairés de s’attaquer à ce commerce religieux illicite. Je suis convaincu que notre problème, en Algérie, n’est pas économique, mais plutôt civilisationnel et culturel. La religion est utilisée comme moyen pour éloigner le citoyen de sa réalité. La religion est la drogue la plus efficace pour endormir une société.
La charia serait, selon vous, cette «boîte noire de l’islam» qui l’aurait «vidé de sa spiritualité et de son ouverture», pourquoi ?
Dans «La boîte noire de l’Islam», j’ai imaginé l’islam comme un avion qui a chuté dans les eaux profondes d’un océan, un vieil avion de quinze siècles sans pilote! Et afin de comprendre les conséquences de ce crash, j’ai ouvert la boîte noire que j’ai trouvée dans les textes religieux et dans l’histoire de ces textes. J’ai lu, j’ai essayé de décoder le message qui explique cette chute catastrophique. Ainsi, j’ai essayé d’interpeller le pourquoi de «la haine islamique envers la femme», le pourquoi de «la violence islamique», le pourquoi de ce «sang islamique», le pourquoi de «la phobie de l’autre»… Effectivement, la charia est un ensemble de textes politiques avec une rhétorique religieuse. La charia est une explication politique saisonnière dont le but est de jeter la société musulmane dans une prison au nom des lois islamiques bien sélectionnées. Chaque calife avait son mufti qui est une sorte du ministère de la propagande religieuse. Chaque calife avait son Coran, parce que le Coran, sur le plan social, est une interprétation politique, juridique et sociétale! C’est les califes omeyyades qui ont débuté cette tradition, non recommandée par le prophète, afin de mettre une interprétation bien définie pour le texte sacré, le Coran, et mettre en avant des hadiths falsifiés ou pas fiables pour justifier leur pouvoir sur la société musulmane et justifier leur mainmise sur la religion. Et depuis, et jusqu’au jour d’aujourd’hui, chaque calife, président, roi ou roitelet a fait de l’islam un costume sur-mesure !
Pour quelles raisons, selon vous, les idées les plus radicales et les pensées les plus dogmatiques trouvent un écho auprès d’un nombre important de personnes ?
Aux yeux des pouvoirs politiques, la religion n’a jamais constitué un but en lui-même, elle n’est qu’un moyen fort pour gouverner, pour régner. Celui qui détient les mosquées déteint le pouvoir. Ce ne sont pas les universités qui forgent le pouvoir ou détrônent celui qui le détient. D’abord, le discours extrémiste islamiste est un discours populiste, accessible et piégeur. Il ressemble au discours fasciste. Il rêve d’une oumma et un califat islamique sans frontières. Une oumma sur toute la planète, où ne vivent que les musulmans. Les autres n’ont pas droit d’y vivre parce que l’islam, aux yeux des extrémistes religieux, est la dernière religion révélée ; la seule religion vraie et absolue. Les autres sont falsifiées et n’ont pas le droit d’exister. Leur existence est contre Allah. Cette idéologie hégémonique a trouvé une terre fertile pour germer ses grains empoisonnés. Une société sans culture de liberté, sans culture de la rationalité. Une population qui vit sans rêve. Des générations suicidaires. Et parce que l’idéologie religieuse islamiste extrémiste use d’un discours coléreux, elle a trouvé et facilement sa place et son impact sur ces générations égarées. Cette idéologie néo-fasciste est opérante parce qu’elle présente le passé historique des musulmans comme un temps paradisiaque, angélique, ce qui est complètement faux. L’Histoire des musulmans est une Histoire pleine de sang et de violence, cela perdure depuis la mort du Prophète. Les guerres entre les compagnons du Prophète nous montrent l’image de cette violence et de cette soif du pouvoir au nom de la religion ! Cette idéologie extrémiste religieuse néo-fasciste fait rêver les jeunes en détresse de mettre la main sur les richesses de l’Occident athée, prendre en butin de guerre les femmes, l’agent et la technologie!
Et les intellectuels «éclairés» dans tout cela ? Sont-ils démissionnaires ?
Nos intellectuels éclairés sont démissionnaires ou loin de la réalité. Ils vivent dans un silence complice. Dans chaque intellectuel éclairé sommeille un féqih ! Ce féqih se réveille dès qu’on touche à la religion ! Il n’existe plus ou peu d’intellectuels, à l’image de Mouloud Mammeri, de Jean Sénac ou de Kateb Yacine… Des intellectuels de réflexion, mais aussi de terrain. Nos intellectuels éclairés sont paresseux et fainéants surtout les arabisants. Ils ne participent pas dans le débat ou peu, et avec hésitation et confusion.
Vous le dîtes dans votre note introductive de «La boîte Noire de l’Islam» et vous le rappelez dans vos chroniques : le citoyen passe avant le croyant. Comment l’être selon vous?
Sur le plan institutionnel, nous sommes dans un Etat basé sur le droit civil, un Etat séculier, mais, en réalité, nous vivons dans un Etat pris en otage par une société religieuse. Le poids de la religion se sent partout. La société est régentée par le religieux. Il y a une énorme régression dans la liberté individuelle. Notre société est devenue un «ensemble d’êtres humains», un nombre de «gens qui se ressemblent». La société s’est transformée en un espace de clonage intellectuel. L’intellectuel de service politique, professionnel ou de nourriture ! Usant du même discours religieux, imprégnés par le même discours religieux, les citoyens, plutôt les individus, sont devenus identiques, le médecin comme le forgeron, l’universitaire à l’image de l’épicier. Face à cette uniformisation idéologique, la société est gangrénée par l’hypocrisie religieuse, intellectuelle, politique et morale. Le chaos dans l’échelle des valeurs. La patrie est un espace pour la diversité, pour la différence. Elle est capable, et elle est créée pour abriter les religions et les langues et les cultures de ses citoyens. Et c’est à l’Etat de droit de garantir cette pluralité en cultivant la culture de la citoyenneté au lieu d’encourager la culture de la foi. La foi, c’est un acte personnel. Un contrat entre créature et créateur ! La foi, dans notre société, est devenue un acte politique. Il faut que l’Etat, garant de la cité, veille au respect de la différence comme principe fondamental de la citoyenneté.
Vous avez titré cette note introductive «Islam(s) ou le non-dit !», est-ce une manière de souligner les différentes interprétations de cette religion ?
• L’Islam a une multitude de visages, selon les interprétations faites au texte fondamental de cette religion qui est le Coran. Les musulmans prient d’abord leur calife avant de prier Dieu. C’est le Calife qui est l’ombre de Dieu sur terre. Et chaque Calife a ses féqihs qui produisent des lectures des textes religieux à sa taille, sur commande. Donc le nombre d’Islams est au nombre des califes. Il y a l’islam de Daesh, celui du wahhabisme, celui du chiisme, celui des Mozabites, celui des Maghrébins, et chacun de ces islams a enfanté d’autres islams. Et chaque islam voit en lui la vérité divine absolue et en même temps considère que l’autre est un islam égaré et faux. Et par conséquent, il faut lui déclarer la guerre. Et c’est cela la réalité de l’islam politique dans le monde arabo-musulman.
Pensez-vous qu’il existe aujourd’hui en Algérie un véritable débat sur la question de l’islam ou vous vous sentez un peu seul ?
Je pense que la question de la religion et celle de la religiosité sont des phénomènes d’absurdité démesurée dans notre société. Si on n’arrive pas à établir un Etat séculier qui respecte la citoyenneté, on n’arrivera jamais à accéder à la modernité et à la liberté. Il faut avoir le courage intellectuel pour dénoncer la mainmise sur la religion au nom de la politique. Il nous faut un statut clair qui définit le rôle des mosquées. Il faut revoir le statut des écoles coraniques qui sont des bombes à retardement.
Dans quel état d’esprit vous écrivez vos chroniques ?
J’écris mes chroniques quand je me sens interpellé. Mon entourage universitaire et intellectuel, dans son côté fanatique, m’interpelle. Je suis un citoyen qui fait le marché et respecte la file d’attente devant la boulangerie ou devant l’agence de voyage, donc ce quotidien m’interpelle. La société algérienne est une mine de sujets qui nous interpellent, sur le plan religieux, sur le plan politique, sur le plan intellectuel, sur le plan universitaire, artistique… Je n’aime pas écrire en colère. Je préfère l’humour pour dénoncer. L’humour est plus fort que la colère. Je suis choqué par l’absence de la raison dans notre société prise en otage par le religieux et le fanatisme.
Pensez-vous traduire ce livre ?
J’ai déjà signé un contrat pour une traduction en allemand, il sortira aux éditions Sujet Verlag.
Cette question ne concerne pas votre livre directement, mais elle rejoint cet idéal de liberté que vous défendez : vous avez signé une tribune il y a quelques jours dans «Al-Arab» sur la liberté de création dans le Monde arabe. Vous y évoquiez les voix qui s’élèvent pour confiner les auteurs dans des cases, ce qui ne concorde par avec la réalité puisqu’il y a toujours des interconnexions et des liens entre les genres littéraires.
Dans la culture et la littérature arabes, le religieux a affecté la création. Ainsi dans la pensée littéraire arabe dominante, il est interdit ou mal vu celui qui mélange les genres littéraires, ou celui qui écrit dans plusieurs genres littéraires. Cette pensée littéraire conservatrice hisse des barrières entre les genres littéraires. Et cette situation bloque ou handicape la liberté de l’imaginaire dans l’écriture littéraire. Ces derniers temps, les critiques et les journalistes littéraires arabes parlent beaucoup de ce qu’ils appellent «l’exode littéraire des poètes vers le roman» tout en condamnant cet acte. La littérature, le texte littéraire, est libre dans sa forme et dans son style. La liberté est le sens et l’essence du beau. Il n’y a pas de frontières entre le roman et la poésie. Dans chaque texte narratif, il y a une poétisation et il y a du poétique, et dans chaque texte poétique il y a de la narration. La faiblesse des textes littéraires arabes réside, en partie, dans cette mentalité conservatrice moraliste qui règne et oriente inconsciemment le créateur dans son atelier.
https://france-fraternites.org/amin-zaoui-la-boite-noire-de-l-islam-il-faut-avoir-le-courage-intellectuel-pour-denoncer-la-mainmise-sur-la-religion-au-nom-de-la-politique/
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