La fiction romanesque dans laquelle nous installe l’auteure avec une plume à la fois fiévreuse et mélodieuse, puisque les chapitres sont constamment émaillés de longs passages poétiques, décrit les rapports tumultueux d’un couple.
Ecriture de femme par excellence, entourée comme un rouleau de parchemin de fines et élégantes pensées à l’endroit de la vie et des hommes, pour lesquels elle se lie d’affection ou d’amour, le dernier roman de Nadia Sabkhi se lit comme une sonate au clair de lune dont les notes viendraient s’égrener au fil des cruels déchirements sociaux de la sanglante décennie noire sur laquelle revient en leitmotiv le roman avec une touche qui affiche sans ambages des idées féministes que l’auteure dissémine dans le texte. Les sanglots de Césarée pleurent avec l’âpre amertume du présent le passé flamboyant de la ville de Cherchell, le royaume numidien qu’avaient instauré sous son règne Juba II et sa femme Cléopâtre Séléné. Ils sont surtout un dernier rappel à la splendeur d’une histoire antique dont il ne reste que les vestiges de sculptures en marbre ou en bronze dans un musée qui témoigne aujourd’hui encore, malgré les aléas du temps, d’une époque florissante. La fiction romanesque dans laquelle nous installe l’auteure avec une plume à la fois fiévreuse et mélodieuse, puisque les chapitres sont constamment émaillés de longs passages poétiques, décrit les rapports tumultueux d’un couple. Au sortir d’un bus qui la conduit à l’université où elle suit des cours d’archéologie, Lyna fait la connaissance d’un officier militaire pas comme les autres, Racym, qui aime lire Gandhi et Omar Khayyam. Ces derniers tombent immédiatement sous le charme de la passion amoureuse et ne tardent pas à se marier six mois plus tard. Passé les temps de leur première idylle et des ébats, le couple qui pourtant s’aime d’un amour sincère commence à déchanter car l’amère réalité politique et sociale a vite fait de les rattraper. Racym, qui fait partie d’une brigade antiterroriste, considère que leur bonheur est en sursis et ne veut pas avoir d’enfant. Lui l’orphelin qui n’a jamais connu ses parents ne désire qu’une chose, c’est d’accomplir son devoir envers sa patrie au risque de briser son couple. Ce qu’il voit cependant dans l’enfer des tueries fanatiques le désole au plus haut point, il devient agnostique et il se met à boire et à fréquenter les cabarets après chaque mission périlleuse et finit par une blessure importante à la poitrine après avoir éliminé avec la troupe d’hommes qui l’accompagne un dangereux chef terroriste.
Mais le personnage de Lyna, la déesse rebelle mais aussi la colombe fragile qui est la voix principale du roman, est celui qui quête l’absolue vérité de l’existence dans les méandres tragiques du présent, elle se cramponne contre vents et marées aux souvenirs de son enfance passée avec sa demi-sœur Rasha, près d’un père aimant, un musicien amoureux du malouf qui est en réalité un Juif sépharade. Pour dépasser la mésentente de son couple, elle se perd dans ses recherches archéologiques entre Alger et Cherchell, un travail qui donne finalement un sens à sa vie et accepte de voyager au Portugal pour retrouver son amour de jeunesse Tariq, avec lequel elle partage des textos enflammés de mots d’amour. Mais survient Aissam, l’enfant de cinq ans à peine que retrouve Racym comme un miraculé et seul survivant d’un massacre terroriste, et qu’il prend chez lui pour l’adopter. Le couple se retrouve à nouveau autour de l’affection qu’il prodigue tous les deux à cet enfant, ange captif dans un film d’épouvante retrouvé gisant auprès des corps inanimés de sa famille. Si l’enfant qui s’est bien intégré dans sa nouvelle famille échappe à la folie, il n’en demeure pas moins que Lyna et Racym qui s’enlise dans la dépression n’ont plus rien à partager. La noirceur du réel qui accable les hommes qui se transforment en ombres et fantômes finit par tuer pour ainsi dire les derniers sursauts d’amour du couple. Parallèlement à l’héroïne du roman gravite dans cette fiction un autre personnage féminin qui est celui de Rasha, la demi-sœur de Lyna qui obéit à une marâtre acariâtre qui la marie à un inconnu qui demande sa main. Ce dernier est obsédé par son corps et la viole puis la bat avec une sauvagerie inouïe et l’enferme à la maison.
Celle qui prépare des études de droit se sauve chez ses parents et refuse de retourner avec cet homme monstrueux qui l’humilie et en fait une femme-objet. Elle est alors répudiée et finalement sauvée des griffes de son tortionnaire de mari. Les sanglots de Césarée, qui tout en faisant l’éloge de la beauté féminine qui transparaît plusieurs fois dans le texte comme celle des antilopes, comporte de beaux passages de poésie qui sont là pour éclairer la narration, comme une sorte de musique intérieure qui accompagne ces vacarmes du silence, ces sanglots pour humanité que le destin a atteint de ses cruels dards pour la sacrifier sur l’autel de la souffrance et du crime. Nadia Sabkhi nous entraîne dans des moments plus vifs que la douleur pour nous raconter une vie de femme comme un talisman caché au tréfonds de sa mémoire.
Lynda Graba
Sabkhi Nadia, Les sanglots de Césarée aux éditions L. de minuit, 219 p, Alger 2012
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