En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes appartenant au parti socialiste révolutionnaire organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. En réponse à notre contexte actuel, Caroline Hatem adapte Les Justes d’Albert Camus au Liban.
Durant la Thawra en 2019, Caroline Hatem a l’idée de monter Les Justes d’Albert Camus, afin d’aborder sous une forme adaptée au contexte libanais, la singularité d’un groupe révolutionnaire prêt à se sacrifier pour sauver le pays face à l’échec des autres alternatives. Elle décide ainsi dès 2020 de réunir un groupe d’étudiants et de jeunes diplômés de l’Université libanaise car, selon elle, « un révolutionnaire est toujours jeune, comme les poètes ».
Un exutoire à nos désirs
Interviewée par Ici Beyrouth, la metteuse en scène précise: « Il a fallu gommer certains aspects liés à la religion ou au marxisme pour la simple raison que si un groupe pareil devait se former aujourd’hui au Liban, il n’aurait pas d’idéologie. Il serait simplement épris d’absolu, porté par des désirs simples: le soleil, la justice, la dignité. Pendant les élections, quand les membres des groupes pour le ‘changement’ parlaient de leur programme, ils exprimaient des revendications de base. C’est dire combien notre situation est déplorable. «
Dans cette pièce, des actrices et des acteurs issus de diverses régions, à la beauté et l’énergie débordantes, expriment leurs rêves cachés, ce qui pourrait bien être l’ultime acte politique dont nous sommes capables. « Nos jeunes veulent de tout leur cœur partir. C’est terrible pour leurs parents, leurs amis, pour la vie. Cette tristesse, j’ai voulu la combattre en créant avec eux, pour les convaincre que nous pouvons œuvrer pour un théâtre de qualité », poursuit Caroline.
Metteuse en scène, comédienne et danseuse, Caroline Hatem s’est formée à la philosophie, au théâtre et à la danse au Liban, en France, puis aux États-Unis. En 2018, elle a fondé avec Kinda Hassan et Walid Abdelnour l’association YAZAN, rassemblant des artistes, des techniciens et des professionnels de la culture au sein d’une plateforme artistique multidisciplinaire.
Avec le soutien de l’Union européenne et de All-around Culture, YAZAN implémente un réseau de diffusion dans le pays, afin de permettre aux artistes de tourner toute l’année et faire profiter les régions de spectacles dont elles sont habituellement privées.
« Nous manquons gravement de compétences au niveau des arts du spectacle, de scénographes, de créateurs lumière et son, d’acteurs de qualité. Il y a beaucoup à faire « , explique Caroline Hatem. Grâce à des fonds de l’Arab Fund for Arts and Culture (Afac), de l’Institut français et du Goethe-Institut, YAZAN a organisé des ateliers de professionnalisation. Pour Les Justes, Marc Laîné, directeur du Théâtre national de Valence, est venu donner un workshop de scénographie, et Stefan Zimmerli une formation sonore.
La vitalité de la jeunesse
Caroline Hatem a déjà mis en scène Al-Beyt d’Arzé Khodr – prix du meilleur texte et des meilleures comédiennes au Festival national de théâtre du Liban en 2018 – et Al-Zifaf, une adaptation de La Noce chez les petits-bourgeois de Brecht en 2019.
Pour sa troisième pièce, Les Justes, elle a opté pour une scénographie minimale. « J’ai placé mes révolutionnaires au-dessus d’un bar à Mar Mikhaël, de sorte qu’ils baignent dans la musique, les rires et le plaisir de jeunes qui font la fête, tandis qu’eux se préparent à commettre ce qu’ils appellent des ‘actes de justice’. Le rappeur Bou Nasser el-Touffar a cédé par ailleurs les droits de deux chansons. »
«
L’important, c’est que l’on voit la force, l’engagement des corps sur scène. Je veux que la jeunesse soit pleine de vitalité, révoltée, insolente. Notre système hyper embourgeoisé a la fâcheuse conséquence de l’écraser, de l’enfermer », conclut Caroline.
Pièce après pièce, c’est d’abord un hymne à la liberté qui jaillit. De la sœur révoltée d’Al-Beyt, à la mariée qui se met à voler dans Al-Zifaf, telle une toile de Chagall, à Nasri dans Les Justes (incarné par Josef Akiki), passant d’un amour fou de la vie à un amour infini dans le sacrifice, les personnages échappent résolument à l’absurdité d’une absence d’horizon.
Caroline Hatem prépare actuellement Transit Tripoli, une adaptation du roman d’Anna Seghers, avec une première prévue en novembre 2022 à l’Akademie der Künste à Berlin.
Les Juste (Al-‘Adiloun) d’Albert Camus, mise en scène de Caroline Hatem
En arabe libanais, sous-titré en français
jeudi 26, vendredi 27, samedi 28, dimanche 29 mai
https://mondafrique.com/les-justes-dalbert-camus-a-la-libanaise/
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