Cherchell, 10 décembre. - L'opposition entre les réactions des musulmans d'une part, des Européens d'autre part, qui s'était déjà manifestée vendredi, s'est montrée d'une manière peut-être encore plus frappante samedi matin à Cherchell.
Le général de Gaulle est arrivé à midi dans l'ancienne Césarée. Dans un impressionnant ballet aérien neuf hélicoptères déposent sur le stade de l'École des élèves officiers de réserve de Cherchell le cortège officiel. Le chef de l'État se rend vers la grande allée qui mène à la place de l'École entre deux haies de parachutistes ou de soldats de l'infanterie derrière lesquels sont massés des civils.
Ce sont d'abord principalement des musulmans qui crient tout de suite : " Vive de Gaulle ! " et qui applaudissent. La foule remonte parallèlement à lui cette longue avenue qui va jusqu'à la place.
Mais, à mi-hauteur environ sur la gauche, on trouve massés des Européens qui scandent " Algérie française " et conspuent le chef de l'État.
Un extraordinaire dialogue se noue alors d'un côté à l'autre du cortège. D'un côté les Européens crient " Algérie française ", de l'autre répondent les musulmans, cette fois criant à pleine voix : " Algérie algérienne. "
Le chef de l'État, comme à l'accoutumée, rompt à plusieurs reprises les barrages. Il se dirige vers des groupes essentiellement composés de musulmans. Quelques Européens aussi sont là, qui applaudissent. Mais il " saute " le groupe qui lui manifeste son hostilité pour entrer de nouveau dans la foule un peu plus haut.
Ce qui frappe surtout, c'est ce chœur étrange qui fait se répondre face à face les deux thèses, dont lune, celle que propose le président de la République, est défendue par les musulmans, nombreux et pour la plupart très jeunes.
Le général parvient à la place où se trouvent rangés les élèves de l'École des officiers de réserve. Les honneurs sont rendus, et le chef de l'État s'adresse aux futurs officiers, leur déclarant notamment : " Vous allez contribuer d'une manière des plus directes à une œuvre française, commencée depuis longtemps. Cette œuvre, c'est l'Algérie.
" Elle se présente aujourd'hui sous un autre aspect, dans des conditions et avec un but complètement différents. Cela tient aux changements du monde et de l'Algérie elle-même. Désormais, ce que nous allons construire, c'est une Algérie qui, chaque jour, prendra un peu plus conscience de son destin et sera un peu plus unie, mais avec lucidité, à la France. Cette œuvre-là est digne de notre patrie. "
Sur les bas-côtés de la chaussée, des soldats, l'arme au bras, renforcent le dispositif. Des blindés et des automitrailleuses circulent lentement et prennent position. Les servants surveillent les crêtes à la jumelle.
Déploiement de troupes
A Cherchell même c'est un déploiement imposant de troupes.
A l'antique porte romaine, la porte d'Alger, comme à l'entrée de Cherchell, la gendarmerie filtre les habitants européens et musulmans qui viennent également se ranger derrière la double haie d'honneur de l'armée. La " poêle à frire " fonctionne, long manche terminé par un plateau rond, elle " visite " un à un ceux qui se présentent. L'aiguille de ce compteur signale au passage les engins suspects.
La population de Cherchell, qui compte avec les communes regroupées alentour près de trente mille habitants, dont quinze mille à vingt mille musulmans pour la ville même, est tout entière sur la route à la porte d'Alger.
En ville, la place Romaine, bordée de belombras, qui regarde au large l'îlot Joinville dominant le phare, est en cette exceptionnelle circonstance déserte.
G. M.
Publié le 12 décembre 1960
https://www.lemonde.fr/archives/article/1960/12/12/algerie-francaise-algerie-algerienne-a-cherchell-de-nouveau-des-ch-urs-alternes-se-repondent_3028571_1819218.html
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