L'œuvre de Rachid Bouchareb rend souvent hommage aux immigrés maghrébins de France, à travers des films comme «Indigènes» ou «Hors-la-loi». LP/Fred Dugi
« Inconsciemment, ce film était en moi depuis trente-cinq ans », assure Rachid Bouchareb. Lorsque Malik Oussekine est mort, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, le cinéaste franco-algérien était âgé de 33 ans et venait de sortir son premier film, « Bâton rouge ». Cette nuit-là avait lieu une autre tragédie : Abdel Benyahia, Français d’origine algérienne comme Oussekine, était tué d’une balle dans la tête par un policier ivre dans un bar de Pantin (Seine-Saint-Denis). Beaucoup moins médiatisée que la mort de Malik Oussekine, cette autre bavure avait elle aussi bouleversé Rachid Bouchareb.
« Je vivais à Bobigny, donc j’avais entendu parler de la mort d’Abdel, raconte le cinéaste. J’étais un enfant de l’immigration comme lui et comme Malik. J’étais choqué, écœuré, révolté. Ces drames, liés comme un couple pour moi, ont fait partie des histoires qui ont traversé ma vie. » Plus tard, le réalisateur n’a cessé de rendre hommage aux immigrés maghrébins de France, à travers des films comme « Indigènes » (sur la Seconde Guerre mondiale) ou « Hors-la-loi » (sur la guerre d’Algérie). Il y a quelques années, il a donc décidé de se replonger dans cette nuit du 5 au 6 décembre 1986.
Présenté au Festival de Cannes (en sélection Cannes Première) avant une sortie en salles pas encore datée, « Nos Frangins » raconte de manière très émouvante les deux bavures qui ont causé les morts de Malik Oussekine et d’Abdel Benyahia et les trois jours qui les ont suivis. Pour écrire son scénario, le cinéaste de 68 ans a rencontré un frère d’Abdel et discuté avec Sarah Oussekine, la sœur de Malik, mais il a aussi « pris des libertés dans la narration ». Il a notamment créé un personnage de flic et même réuni, dans une scène totalement imaginée, les familles de Malik et d’Abdel dans un couloir de l’Institut médico-légal.
« Des images d’archives, c’est dix fois plus fort »
Le cinéaste s’appuie également sur de nombreuses images d’archives. On y revoit les manifestations étudiantes qui ont précédé la mort de Malik et celles qui ont rendu hommage au jeune homme, les interviews des responsables politiques de l’époque, ou encore celle du témoin qui a permis d’incriminer les policiers responsables du décès d’Oussekine. « Je ne me voyais pas reconstituer ces événements-là, argue Rachid Bouchareb. Des images d’archives, c’est dix fois plus fort. » Le réalisateur a cependant dû mettre en scène toutes les séquences concernant Abdel Benyahia, car il n’existait pas d’images autour de cette bavure que la police a « voulu mettre sous le tapis », selon le metteur en scène, pour ne pas ajouter à la colère suscitée par le décès de Malik Oussekine.
Au final, Bouchareb signe un film poignant, centré sur la douleur des familles et les manipulations des autorités pour étouffer les deux affaires. Incarné avec intensité par Reda Kateb, Lyna Khoudri, Raphaël Personnaz ou encore Samir Guesmi, le long-métrage s’arrête alors que les deux victimes ne sont pas encore enterrées, laissant le spectateur dans l’émotion de ces morts injustes et révoltantes.
La concomitance du film avec la série « Oussekine » de Disney +, qui s’achève début 1990 avec le procès des policiers qui ont tué Malik Oussekine et use quasi exclusivement de scènes jouées, est une « coïncidence », assure Rachid Bouchareb. « J’ai appris que Disney + travaillait sur une série au moment où je commençais à tourner », affirme-t-il. Le réalisateur n’a pas encore vu « Oussekine », mais se dit « très curieux » et « très content » que cette autre fiction existe. Il prédit d’ailleurs que « ce ne sont ni le dernier film ni la dernière série qui parlera de cette affaire historique ».
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