Selon le « New York Times », l’État hébreu aurait confié à Washington avoir assassiné le responsable iranien. Mais les zones d’ombre sont toujours nombreuses et interrogent entre autres sur l’impact que pourrait avoir le crime sur les pourparlers indirects sur le nucléaire entre les États-Unis et la République islamique.
Des Iraniennes arborant le portrait du colonel Sayyad Khodayari, assassiné le 22 mai à Téhéran, lors de ses funérailles. Atta Kenare/AFP
Il était le suspect numéro un et sa responsabilité est désormais confirmée. Israël est officiellement derrière l’élimination dimanche dernier à Téhéran de Hassan Sayyad Khodayari, un colonel a priori de haut rang au sein de l’unité al-Qods, puissant bataillon des gardiens de la révolution chargé de superviser la politique étrangère de la République islamique. Le quotidien américain New York Times rapporte ainsi dans son édition du 25 mai que l’État hébreu aurait confié à Washington avoir organisé l’assassinat. Une information récoltée par le quotidien à travers un responsable du renseignement.
D’emblée, plusieurs questions se posent. Car le flou qui entoure l’identité du défunt est toujours prégnant. Certes, Khodayari est érigé par les autorités en martyr, « défenseur du sanctuaire », des termes utilisés pour qualifier les soldats qui ont – d’après elles – combattu l’État islamique en Syrie ou encore en Irak, même si en réalité Téhéran est intervenu en Syrie dès 2011, soit bien avant l’émergence du groupe jihadiste, pour sauver le régime Assad alors contesté par une grande partie de la population syrienne.
Mais dans les heures qui ont suivi l’annonce de sa mort, les nécrologies de Khodayari sont restées assez évasives sur ses fonctions exactes. En revanche, il a tout de suite été décrit par la presse israélienne comme l’un des cerveaux derrière une série d’opérations visant des hommes d’affaires et des diplomates nationaux dans différents pays, que ce soit en Amérique du Sud, en Afrique, en Turquie, à Chypre ou encore aux Émirats arabes unis. Selon la source précitée interrogée par le NYT, l’État hébreu a déclaré à Washington que cet assassinat avait pour but de contraindre Téhéran à mettre un terme aux activités d’un groupe secret au sein de la brigade al-Qods connu sous le nom d’« unité 840 » et chargé des enlèvements et des assassinats d’étrangers dans le monde. Le groupe est qui plus est soupçonné d’avoir enfoui des explosifs en Syrie, sur le plateau du Golan occupé par Israël, non loin de la frontière. Or, selon les informations recueillies par le NYT, Khodayari était le commandant adjoint de l’unité 840. Et côté israélien, les responsables semblent déterminés à vouloir ériger le défunt en butin de guerre, en « gros poisson ».
Exécuter les ordres
À en croire Amos Yadlin – l’ex-chef du renseignement militaire israélien dont les propos sont rapportés par le quotidien français Le Monde –, Khodayari serait ainsi fait du même bois que Imad Moghniyé, haut responsable militaire du Hezbollah tué en 2008 à Damas, ou encore que Kassem Soleimani, ancien commandant en chef de la brigade al-Qods, éliminé dans un raid américain sur l’aéroport de Bagdad à l’orée de l’année 2020. Soit deux figures emblématiques dont la disparition dans de telles conditions paraît avoir durablement affecté la psyché du régime iranien.
« Téhéran restera prudent dans sa réponse immédiate à l’assassinat. Car, malgré les affirmations israéliennes, il existe de réelles incertitudes quant à l’importance de cette personne dans la hiérarchie des opérations, notamment concernant son travail en dehors des frontières iraniennes, en Syrie ou au Yémen », nuance Abdolrasool Divsallar, expert non résident au Middle East Institute. « Cette personne ne faisait certainement pas partie du cycle décisionnel. Elle jouait plutôt un rôle d’exécution des ordres. Or nous ne savons pas à quel point cette perte est précieuse et comment l’Iran l’évalue. Toutes représailles seront basées sur ce calcul », poursuit le chercheur.
Pour autant, l’élimination de Khodayari marque un tournant puisque c’est la première fois qu’un responsable au sein des IRGC est tué à domicile. La série d’attaques conduites en Iran au cours de la dernière décennie a surtout visé le programme nucléaire iranien, qu’il s’agisse d’infrastructures ou de scientifiques à l’instar de Mohsen Farkhizadeh en novembre 2020. Plus généralement, ce dernier assassinat rappelle à quel point les brèches dans l’appareil sécuritaire iranien sont nombreuses. « Il y a un véritable problème en interne dans la coordination entre plusieurs organisations du renseignement et la compétition qu’elles se livrent », souligne Abdolrasool Divsallar. « Cela reflète le degré d’infiltration d’Israël dans le pays ainsi que la volonté d’individus ordinaires d’aider à conduire de telles opérations. Cela suggère qu’Israël a exploité les griefs politiques ainsi que les vulnérabilités économiques au sein de la population », commente pour sa part Sanam Vakil, directrice adjointe du programme MENA à Chatham House.
Escalade nucléaire
Dans ces circonstances, la République islamique peut-elle se permettre de ne pas répondre ? Ou se contentera-t-elle d’appeler à la vengeance – comme elle le fait en ce moment – sans que l’action ne suive le discours ? Le contexte régional et international ne lui est pas favorable. Les pourparlers indirects sur le nucléaire avec Washington sont au point mort depuis mars, butant sur un point : Téhéran exige le retrait des IRGC de la liste noire américaine des « organisations terroristes », une sanction décidée par l’administration US précédente. Le président en exercice alors, Donald Trump, l’avait imposée après s’être retiré unilatéralement en 2018 du deal sur le nucléaire qui avait été conclu en 2015 (JCPOA). En retour, le gouvernement iranien a intensifié son programme nucléaire bien au-delà des limites fixées par le JCPOA.
Mardi, un article de Politico a révélé que l’actuel locataire de la Maison-Blanche Joe Biden a décidé de ne pas annuler la désignation « terroriste » des IRGC et qu’il en a informé le Premier ministre israélien Naftali Bennett le mois dernier. De son côté, l’envoyé spécial américain pour l’Iran Robert Malley a confirmé mercredi devant le Congrès que les perspectives de rétablissement de l’accord étaient « au mieux ténues », insistant également sur le fait que si l’Iran tenait à ce retrait, il devait offrir en échange des concessions non nucléaires. Des « accommodements » jugés essentiels par les alliés de Washington dans la région – à savoir Israël ou encore les États arabes du Golfe, à commencer par l’Arabie saoudite – qui ont dans leur collimateur le programme balistique et le réseau régional de supplétifs iraniens. Or, aux yeux de la République islamique, missiles et milices relèvent de ses lignes rouges.
Selon Sanam Vakil, l’assassinat de Khodayari pourrait avoir un impact sur ces négociations, « car Téhéran va répliquer ». Un réponse qui, pour la spécialiste, pourrait prendre trois formes : en augmentant le taux d’enrichissement de l’uranium, en menant une escalade dans la région, aux frontières avec l’État hébreu, en essayant de cibler un Israélien de la diaspora. « L’escalade nucléaire est la plus facile et la plus contrôlable, mais il s’agit aussi de celle qui présente le plus de risques car l’Iran pourrait provoquer une réaction parmi les P5+1 (pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies ainsi que l’Allemagne, tous comptant parmi les parties prenantes de l’accord sur le nucléaire de 2015, ainsi que des négociations en cours, NDLR). Cela pourrait mener le groupe à s’unifier pour contrer les activités de l’Iran », souligne la spécialiste qui évoque la possibilité pour le Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique de censurer l’Iran. Or, même si la Russie et la Chine bloquaient ensuite toute résolution contre Téhéran, cela créerait « une pression maximale multilatérale », qui « pourrait tuer l’accord sur le nucléaire une bonne fois pour toutes ».
OLJ / Soulayma MARDAM BEY, le 27 mai 2022 à 00h00
https://www.lorientlejour.com/article/1300804/elimination-de-khodayari-par-israel-quelle-revanche-pour-teheran-.html
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