Ouvres en partage. Chroniques culturelles du Chélif. Recueil de chroniques de Jacqueline Brenot. Les Presses du Chélif, Chlef 2018, 207 pages.
Elle a commencé par rédiger, pour l'hebdomadaire chélifien «Le Chélif», une chronique hebdomadaire consacrée à la littérature algérienne francophone, en présentant des titres et des auteurs, mais aussi en s'intéressant à l'actualité culturelle et à des artistes d'origine algérienne vivant, pour certains, entre l'Algérie et la France. Quoi d'étonnant de sa part, en raison de sa formation et aussi et surtout, à mon avis, d'une bonne dose d'«algérianité».
Bien sûr, cela ne s'est pas fait de manière linéaire mais au hasard des parutions récentes et, aussi, en fonction des accès -parfois faciles, souvent difficiles- aux ouvrages récemment parus, hors du territoire national.
L'auteure, «graveuse d'histoires» (Djilali Bencheikh dixit) a su, à travers ses chroniques, saisir la préoccupation identitaire et mémorielle qui traverse les ouvrages récents de la littérature algérienne et grâce à son style et à son analyse tirer, en allant au-delà des simples lectures, les qualités des uns et des autres. Car, il est évident que chaque œuvre représente, quelque part dans la masse des pages noircies, une partie de la personnalité de l'auteur : le sens de l'énigme et du mot chez Yasmina Khadra, l'humour chez Azouz Begag, la concision du phrasé chez Kamel Daoud, la gravité chez Maïssa Bey, la poésie chez Amina Mekahli, la pluralité chez Leïla Sebbar...
Au total, 29 auteurs et 30 ouvrages sont présentés : cela va de Nourredine Saâdi avec «Boulevard de l'abîme», Samir Toumi avec «L'effacement», Maïssa Bey avec «Hizya» à Djilali Bencheikh avec «Le treillis et la minijupe», Mohamed Boudia avec ses «uvres, écrits politiques, théâtre, poésie et nouvelles», Nadjib Stambouli avec «Le fils à maman ou la voix du sang», en passant par Akram Belkaïd avec «Pleine lune sur Bagdad», Arezki Metref avec «Splendides exilées» et Yasmina Khadra avec «Ce que le mirage doit à l'oasis»... Des œuvres pour la plupart connues, et à (re-) découvrir pour d'autres.
L'Auteure : Née à Alger dans les années 50 (sa mère était du côté de Taher et son père, fonctionnaire en Algérie (et communiste) a été partisan de l'indépendance du pays. Professeur de lettres, écrivaine, artiste plasticienne. Plusieurs ouvrages dont «Une enfance dans la guerre -Algérie 1954-1962» et «A l'école en Algérie des années 1930 à l'Indépendance». Collaboratrice au journal (hebdomadaire) «Le Chélif» de Ali Laïb.
Extrait : «La cuisine méditerranéenne est l'antre de l'enfer des animaux marins» (p 17).
Avis : Pour (tout ?) savoir sur la littérature algérienne présentée par l'auteure. Très instructif. En attendant une suite.
Citations : «On ne plaisante pas avec les héros, alors on les terrasse par derrière, en traître, on les expédie dans l'autre monde avec des poisons de pacotille» (p 22), «On ne raconte pas les combats de Géants, on les assume, puis la mythologie s'en charge» (p 22).
Je suis vêtue de peau fraternelle. Dans l'intimité des mémoires algéro-françaises. Ouvrage collectif coordonné par Nazim Benhabib et Emile Martinez. Editions Frantz Fanon, Alger 2022, 330 pages, 1.000 dinars.
Un ouvrage somme toute assez original sortant de l'ordinaire qui fait qu'un ouvrage collectif est la somme de contributions généralement assez consistantes. Ici, point du tout. Au total, une trentaine de contributeurs se partagent plus de 300 pages, avec des textes assez ramassés. L'autre aspect intéressant est le sujet abordé : celui de la fraternité algéro-française à (re ?-)trouver. Tout du moins dans ses parties qui avaient réussi à faire un bout de chemin durant la colonisation et après. Tâche peu aisée lorsqu'on sait les mille et un obstacles encore dressés outre-Méditerrannée par les laudateurs des «bienfaits de la colonisation» rejoints, ces derniers temps, par les islamo-arabo-algérophobes. Mais, l'espoir fait vivre. Le contenu de cet ouvrage y participe grandement. Il y a un peu de tout et de tout un peu, ce qui en fait sa richesse. Les auteur(e)s sont nombreux (intellectuels, artistes, écrivains, diplomates, hommes de foi, architectes, médecins, pédagogues...) et leurs contributions diverses, toutes tentant de démêler en quelques pages l'accessoire et l'essentiel avec finesse et lucidité. Ils nous plongent dans l'intimité des mémoires franco-algériennes pour en extraire ce qu'il y a de positif, de beau et de commun avec pour objectif la mise en valeur des promesses de l'avenir.
La très bonne idée est d'avoir ouvert le livre avec un texte de Mgr Paul Desfarges, un digne héritier de Mgr Léon Duval, se «sentant personnellement impliqué» dans les efforts de réconciliation des mémoires.
Un autre texte émouvant est celui de Daniel Blanc qui nous fait revivre son père le maire d'Evian assassiné par l'OAS parce que sa ville avait accepté d'accueillir les négociations Etat français-GPRA. Et d'autres, et d'autres...
Les auteurs : Paul Desfarges, Daniel Blanc, Fatima Besnaci Lancou, Didier Nebot, José-Alain Fralon, Nazim Benhabib, Emile Martinez, Corinne Chevallier, Anne Chatel-Demenge, Marie-Joëlle Rupp, Georges Timsit, Alice Cherki, Anne-Sophie Joncoux-Pilorget, Jean-Pierre Benisti, Didier Francfort, Tassadit Yacine, Anne Prouteau, Bernadette Nadia Saou-Dufrêne, Rudy Ricciotti, Lotfi Zeroual, Nordine Aït-Laoussine, Abdelkrim Touhami, Ahmed Tessa, Abdelhamid Senouci Bereksi, Stanislas Frenkiel, Helène Cixous.
Table des matières : Préface/I. Trois messages/II. Panser les plaies, penser les blessures/III. Nous nous sommes tant aimés/IV. La voix cachée des choses (et cahier photos)/V. Polyphonies algériennes/VI. Rendre visible la mémoire/VII. Ombres et lumières.
Extraits : «Le mot «pardon» fait partie du vocabulaire religieux, mais je crois qu'il faut oser l'employer en vue du but espéré : la réconciliation, si l'on veut arriver à une paix profonde des consciences» (Paul Desfarges, Archevêque d'Alger, p 15), «La jeunesse de tout temps sait transmettre son désir de liberté et de solidarité : les gouvernants actuels seraient bien inspirés de s'en souvenir» (Abdelkrim Touhami, p 281), «L'antidote décisif/préventif aux ravages occasionnés par la barbarie des hommes reste l'éducation des futurs adultes. C'est le seul vaccin efficace à 100%» (Ahmed Tessa, p 297), «Les Pieds-noirs se sont considérés comme seules victimes sans voir le malheur des gens avec lesquels ils vivaient. La colonisation a été une «réussite», c'est-à-dire une catastrophe !» (Hélène Cixous, p 321).
Avis : Le titre est un vers de la poétesse algérienne Anna Gr»ki (Sned, 1963). Un livre «sans destinataire ni destination»... Pour tous. Un des plus émouvants livres parmi tous ceux édités portant sur la fraternité humaine, au-delà du temps et de l'espace. Apaisant. Chaque témoignage, concis et direct, est une sorte de confession nous ramenant à la profonde amitié liant tous ceux qui aiment l'Algérie, et ce, quels que soient les erreurs ou dérapages du passé.
Citations : «L'amnistie peut répondre à des nécessités politiques, mais elle ne doit pas déboucher sur une amnésie collective qui ferait passer aux oubliettes de l'histoire la mémoire tragique de ces justes qui ont payé si cher leur engagement pour des valeurs auxquelles ils croyaient profondément» (Daniel Blanc, fils de Camille Blanc, maire d'Evian, assassiné par l'OAS), «Un traité ne suffit pas à extirper des mémoires collectives les sentiments qu'une histoire douloureuse y a inscrits» (Emile Martinez, p 102), «La mémoire n'est juste que si l'Histoire la confirme» (Emile Martinez, (p 104), «La colonisation était un crime, on ne nous avait enseigné que d'illusoires bienfaits» (Marie-Joëlle Rupp, p 124 ), «Une grand chirurgien n'est pas simplement un chirurgien habile, au diagnostic sûr, au geste efficace. Un grand chirurgien est un homme qui laisse une école» (Georges Timsit, p 142), «Amrouche (Jean El Mouhoub) n'est pas une littérature, c'est une âme» (Tassadit Yacine, p 214).
par Belkacem Ahcene-Djaballah
Jeudi 26 mai 2022
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5312569
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