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Livre – La mission « C » ou comment réprimer le terrorisme

 

image from www.revueconflits.com

 

Sujet d’histoire éminemment complexe et délicat, la guerre d’Algérie connait de nombreuses publications qui permettent d’appréhender son déroulement dans toutes ses dimensions. C’est aussi une guerre où s’est déroulée une action terroriste (FLN et OAS) que l’Etat a dû réprimer et juguler. C’est le rôle dévolu à la mission « C » comme choc. L’ouvrage de Robert Le Doussal, commissaire en fonction pendant dix ans en Algérie, permet de mieux comprendre cette mission et la répression contre l’OAS. 

Robert Le Doussal a publié une partie de ses mémoires, en 2011. Commissaire en fonction pendant dix ans en Algérie, il confrontait ses souvenirs aux traces laissées par cette période dans les archives. Cette recherche a été saluée comme un livre important[1]. Il livre cette année le produit de l’enquête qu’il a menée sur la répression de l’OAS pendant les derniers mois de la guerre d’Algérie. Le sujet n’a jamais été traité avec une telle exhaustivité ni pareille connaissance des rouages des forces de l’ordre : comment et à quel prix, sont-elles parvenu à terrasser en six mois une organisation tenue pour terroriste ?

Acheter le livre

En septembre 1961, de Gaulle a fait litière de toutes les réserves qu’il avait successivement opposées aux exigences du FLN — la souveraineté française sur le Sahara, l’exigence d’un cessez-le-feu préalable, la durée de la période transitoire… Les négociations sur les modalités de l’indépendance vont s’engager sur des bases qui font augurer d’un accord rapide. Mais depuis l’échec de la révolte militaire d’avril, l’OAS s’est renforcée jusqu’à devenir une force assez puissante pour ôter aux représentants français leur crédibilité à la table de négociation. Le FLN n’entend pas gouverner une Algérie grevée d’hypothèque et il n’y aura pas de dégagement possible avant que cet obstacle ne soit détruit. De Gaulle met dès lors tout son poids dans la balance pour que la destruction de l’OAS devienne prioritaire.

Jusqu’à l’automne, l’organisation a surtout fait parler d’elle par des plasticages et des émissions-pirates. Des assassinats comme celui de Me Popie ou du commissaire Gavoury apparaissent peu communs. L’OAS est implantée à Alger, Oran, Philippeville et Mostaganem ; elle s’est gagné le soutien et la reconnaissance de la population européenne, qui n’a pas été consultée sur l’avenir qu’on lui prépare et n’entend pas être chassée de chez elle sans riposte. L’organisation dispose ainsi de complicités dans les milieux les plus divers, dans l’armée, la police, les hôpitaux, l’administration. Fin novembre, le général Salan a demandé l’arrêt des plasticages, souvent aveugles, au profit d’actions mieux ciblées. Sa décision visait à modérer les débordements mais elle va susciter un recours croissant à des attentats, exécutés par les équipes déjà anciennes du Dr Pérez, et par les commandos Delta. Persuadé que le temps de l’action légale est passé, le lieutenant Degueldre, dirigeant les Deltas, s’inspire de deux modèles : pour Alger, celui de l’insurrection de Budapest, pour la formation de ses commandos, celui de la Haganah[2]. Ni l’un ni l’autre ne seront féconds.

Coopération des polices

En métropole, les troubles de l’ordre se multiplient tandis que des risques pèsent sur la vie du président. Aussi le ministre de l’Intérieur hésite à se découvrir et, dans un premier temps, Roger Frey choisit de recourir aux gaullistes de choc du MPC [Mouvement pour la Communauté] de Jacques Dauer et de Lucien Bitterlin dont le journaliste Lucien Bodard s’empresse d’annoncer la venue : « Les barbouzes arrivent[3] ! » Ils ont pour mission de fournir des renseignements à la police. Ils en seront incapables mais leurs exactions vont rapidement les rendre indésirables et leur amateurisme les exposer aux coups des Deltas. En février 1962, leurs effectifs clairsemés sont relevés par une seconde vague de barbouzes, Le Talion, activés par Dominique Ponchardier et Pierre Lemarchand, dont la violence dépassera celle de leurs prédécesseurs sans plus d’efficacité.

En décembre, le ministre se décide à envoyer à Alger une force de deux cents commissaires et inspecteurs de police, la Mission C (comme choc), sous la direction du directeur de la police judiciaire, Michel Hacq, pourvue de moyens matériels importants et de pouvoirs juridiques considérables. Hacq impose quelques règles : l’adversaire ne sera pas soumis à de mauvais traitements et la mission ne se livrera pas à des exécutions sommaires ; ses policiers ne se chargeront pas d’instruire sur les délits passés mais chercheront à empêcher des attentats et arrêter ceux qui les préparent[4]. Après quelques temps de rodage, la méthode s’avère efficace.

Contrecarrer l’insurrection promue par Salan

Après le 19 mars, pour contrecarrer l’indépendance qui s’annonce, Salan prescrit l’insurrection des villes et la création de maquis dans le bled. Les maquis sont rapidement réduits : la plupart des maquisards, anciens soldats, se rendent au premier combat pour n’avoir pas à tirer sur l’armée. Et la tentative de former un réduit à Bab-el-Oued entraîne un siège du quartier par l’armée, du 23 au 29 mars, au cours duquel sont déployés contre les habitants les chars, les appuis et l’aviation. Le 26 mars, le carnage de la rue d’Isly montre que, de la part du gouvernement, la volonté d’en finir est sans frein.

À bas bruit, la Mission C a poursuivi ses opérations ; les arrestations de Jouhaud le 25 mars, de Degueldre le 7 avril, et de Salan le 20 mai, marquent la fin des espérances pour l’organisation. Après quelques sursauts, Jean-Jacques Susini se résigne à négocier un accord avec le FLN tandis que la Mission C se dissout.

Quels moyens ont-ils été mis en œuvre pour venir à bout de la résistance de l’OAS ? Les tentatives d’entrisme n’ont pas donné grand-chose, sauf au cours de l’opération qui a permis de capturer le général Salan. Au plan métropolitain et international, la bataille de l’opinion a été gagnée et l’OAS s’en est trouvée durablement discréditée. Chose facile, car elle se vante de ses assassinats ciblés, tandis que le FLN n’a jamais cessé de tuer en silence et de faire disparaître.

Les poursuites menées contre ses soutiens ont visé à mettre fin à l’osmose établie entre l’organisation et la population européenne. Dans l’administration et l’armée, la surveillance, la délation et les mutations brutales sont devenues ordinaires. Une justice expéditive est désormais rendue par des cours martiales exorbitant du droit commun[5]. Après le 19 mars, un tribunal de l’ordre public [TOP] « qui aurait sans doute été annulé par le Conseil d’État si quelqu’un avait fait un recours » devait sanctionner les manquements de chaque communauté. Il ne jugea pourtant qu’un nombre infime de musulmans[6]. La population fut désarmée, tout détenteur d’arme condamné, sans défense ni appel, à trois ans de prison. Et le siège de Bab-el-Oued servit de parangon à des représailles collectives. Le commissaire Le Doussal dresse un parallèle pertinent entre les deux batailles d’Alger, celle menée en 1957 sous la conduite de la 10e division parachutiste, et celle du premier semestre 1962 dirigée par les forces de l’ordre, appuyées par le FLN, contre une population jugée complice de l’OAS. La Casbah n’a pas connu le traitement infligé au quartier des petites gens de Bab-el-Oued.

A lire aussi : Frédéric Pons – Algérie: Un destin en suspens 

Les méthodes de la mission « C »

Pour détruire l’organisation elle-même, la mission C est parvenue à réaliser l’union de toutes les forces de l’ordre. La SM [sécurité militaire], jusqu’alors occupée à surveiller le moral de l’armée afin de l’épurer, a accepté de travailler avec la police, et le général Ailleret a mis en place un commandement décidé à faire passer la lutte contre l’OAS avant celle qu’il menait jusqu’alors contre le FLN. Cependant, l’auteur précise que seules les barbouzes auraient travaillé de concert avec le FLN contre l’OAS. Les forces de l’ordre n’auraient fait qu’orienter et coordonner leurs attaques vers un seul adversaire.

Le commissaire Le Doussal, comme il l’a fait déjà dans son premier ouvrage, a voulu rétablir l’honneur de la police et convaincre son lecteur que la Mission C n’avait rien de commun avec les officines. Ce qu’il a fort bien fait. Toutefois, son travail va bien au-delà quand il s’attache à décrire deux formes de terrorisme[7], celui du FLN, celui de l’OAS, en quantifiant le nombre de leurs victimes, mois par mois, et en suivant l’évolution de leurs modes d’action. Les moyens de répression alors mis en œuvre par le gouvernement pour se débarrasser de ses dernières entraves algériennes montrent une résolution qui a fait bon marché de la légalité et du droit des personnes. Avec le soutien tacite de la plus grande partie de l’opinion métropolitaine, les derniers mois de la guerre ont littéralement mis hors-la-loi une fraction de la population française, européenne (aux 3/4 méditerranéenne), juive et musulmane, en l’excluant de la protection que l’État doit à ses ressortissants. Autant qu’un apport important à l’histoire de la police, cet ouvrage est une recherche pionnière dans le domaine des guerres civiles.

Robert LE DOUSSAL, La Mission « C ». Alger, décembre 1961 – juin 1962. De Gaulle contre l’OAS. Histoire d’une répression, Paris, Fauves éditions, 2020, 560 p.

[1]         R. Le Doussal, Commissaire de police en Algérie, 1952-1962. Une grenouille dans son puits ne voit qu’un coin du ciel, Paris, Riveneuve, 2011, 945 p. Voir le compte rendu de l’ouvrage sur le site de Guy Pervillé http://guy.perville.free.fr/.

[2]         Cité par O. Dard, d’après les témoignages de P. Montagnon et J.-J. Susini (Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, coll. Tempus, 2005, p. 88).

[3]         France-Soir, 2 novembre 1961. Leur nombre ne dépassait pas la centaine.

[4]         Pour échapper à toute contagion, le personnel de la mission était renouvelé tous les deux mois, et vivait en milieu clos, entretenaient peu de contacts avec la police locale, aucun avec la population civile. Leur famille restée en métropole, ces policiers étaient imperméables au chantage.

[5]         « Il n’y avait ni recours ni pourvoi en cassation contre leurs jugements, immédiatement exécutoires. […] Ces cours martiales ne comprenaient aucun magistrat et, à côté d’eux, les tribunaux permanents militaires, si décriés par le FLN et par certains historiens, faisaient figure de juridictions modèles ! » (p. 325) « les jugements n’étaient pas motivés ». (p. 328).

[6]         Ibid., p. 328.

[7]         On pourrait y ajouter une troisième, celle des barbouzes, bien que leur intervention ait été brève et limitée. La violence de leurs méthodes n’avait rien à apprendre de groupes mieux établis. Robert Le Doussal remarque que la façon dont l’ingénieur Petitjean a disparu de leur fait justifiait d’une indignation égale à celle qu’a suscité l’affaire Audin.

 

 

par MARIE-DANIELLE DEMÉLAS

30 SEPTEMBRE 2020

httpspar MARIE-DANIELLE DEMÉLAS://www.revueconflits.com/robert-le-doussal-mission-c/

 

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Rédigé le 21/04/2022 à 10:11 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

« Il faut ramener Albert », quatre enterrements pour un seul homme

 

 

Michaël Zumstein raconte l’improbable mais véridique entreprise de ses trois aïeux pour rapatrier en France la dépouille de leur frère aîné, enterré à Oran depuis près de quatre-vingts ans.

 

« Il faut ramener Albert » (SQUAWK)

« Il faut ramener Albert » (SQUAWK)

 

Michaël Zumstein raconte l’improbable mais véridique entreprise de ses trois aïeux pour rapatrier en France la dépouille de leur frère aîné, enterré à Oran depuis près de quatre-vingts ans.

 
 

Le 22 mars dernier au Théâtre Libre, à Paris, l’auteur de ce film joyeux et grave montait sur la scène du « Live Magazine » où des journalistes, photographes, dessinateurs et réalisateurs se succèdent pour raconter une histoire en mots, en sons ou en images. Arrivant peu après un récit bouleversant sur la guerre en Ukraine, celui de Michaël Zumstein, scandé d’extraits de son film, a déclenché les rires du public. Beaucoup d’émotion aussi, comme ce fut le cas dans les salles de Biarritz où le film, « Il faut ramener Albert », sélectionné dans la catégorie « Documentaire national » au Fipadoc 2022, a été projeté. Mais qui est donc Albert ? Et pourquoi vouloir infliger à sa dépouille un ultime voyage, en pleine pandémie de surcroît ?

Mort pour la France

Dans la famille Levy, juive originaire d’Algérie, il y a Roger (98 ans), Colette, la mère du réalisateur (91 ans), et Nicole, la benjamine (88 ans). Chaque après-midi, la fratrie se retrouve dans l’appartement parisien de Roger où Michaël Zumstein, son neveu, les filme. Les retraités font des mots croisés, échangent des nouvelles de leurs enfants et se chamaillent gentiment. Ils n’ont pas toujours été trois. Il manque Albert, l’aîné, dont personne n’a jamais osé prononcer le nom depuis soixante-dix-huit ans. En 1943, écœuré d’avoir été exclu de la faculté de médecine d’Alger à cause des lois pétainistes antijuives, Albert, beau jeune homme athlétique et rayonnant tel que le montrent les vieilles photos en noir et blanc à bord dentelé, s’engage dans les Forces françaises libres.

« Il faut ramener Albert »

Envoyé sur le front en Italie, il fera preuve de courage avec ses camarades et mourra « pour la France » en 1944. Albert sera inhumé trois fois : la première dans la région de Monte Cassino où les tirs ennemis l’ont fauché, la deuxième à Naples, puis au cimetière militaire d’Oran (Algérie) par les soins de l’armée française. Trois enterrements, c’est déjà beaucoup pour un seul homme. Pourtant, aux yeux de Roger, il manque encore une étape pour que son frère atteigne le repos éternel.

« Maintenant, c’est l’accompagnement éternel, en famille, avec toute son histoire… »

Est-ce parce que Roger sent la fin approcher ? A bientôt 100 ans, le vieux monsieur a encore toute sa tête, même s’il a du mal à concevoir que la liseuse commandée par sa sœur contient un livre entier et plus encore. Roger ne supporte plus l’idée de laisser son aîné tout seul, à Oran, si loin des siens. Ce sera sa dernière mission sur terre : il faut ramener Albert ! Commence alors, en pleine crise sanitaire, l’épopée immobile de la famille Levy. Nicole, la sérieuse, et Colette, la malicieuse, se lancent dans l’aventure. Il va falloir dompter le numérique, ce qui n’est pas une mince affaire. Sous l’œil tendre de Michaël Zumstein, cela vaut de savoureux échanges sur l’enfer administratif. Et quelques séquences d’anthologie : Colette parle à Siri, Colette et les textos qui disparaissent, Colette et l’ « arobade »… Roger, plus réservé, ne parle jamais d’Albert. Comment se fait-il, se demande l’une des sœurs, que personne n’ait jamais fêté l’anniversaire de sa naissance ? Quand le vieux monsieur consent à leur montrer les lettres qu’Albert lui envoyait du front en Italie, elles mesurent à quel point la relation des deux garçons était intense. Un jour d’été, l’affaire se dénoue entre les représentations diplomatiques française et algérienne. Entre deux sanglots, Roger peut enfin parler d’Albert : « C’était un tel phénomène ! Il était isolé, le pauvre… C’était la solitude éternelle. Maintenant, c’est l’accompagnement éternel, en famille, avec toute son histoire… » Avec ce film, Albert ne sera plus jamais seul.

"Il faut ramener Albert"
Jeudi 21 avril à 20h30 sur LCP. Documentaire de Michaël Zumstein (2022), 52 min. (Disponible en replay 
 
 
https://twitter.com/i/status/1517035406864306176
 
 
 
Par Anne Sogno

·Publié le 21 avril 2022 à 13h00

https://www.nouvelobs.com/ce-soir-a-la-tv/20220421.OBS57418/il-faut-ramener-albert-quatre-enterrements-pour-un-seul-homme.html

 

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Rédigé le 21/04/2022 à 09:50 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

La force locale après les accords d’Évian (mars-juillet 1962)

 

1Dans une communication intitulée : « La guerre d’Algérie revisitée : zones d’ombre, points aveugles » datant de 2002, l’historien Guy Pervillé notait que des événements importants de la guerre d’Algérie restaient « méconnus ou mal connus, soit parce que les enquêtes sérieuses qui ont été faites sont trop peu diffusées et trop peu relayées par les médias, soit parce qu’aucune enquête méthodique n’a pu être faite » [1][1]Guy Pervillé, « La guerre d’Algérie revisitée : zones d’ombre,…. Parmi ces zones d’ombre, il évoquait des événements relatifs à la période qui suit les accords d’Évian. C’est en effet au moment des négociations du cessez-le-feu que le Comité des Affaires Algériennes (CAA) prend la décision de créer une force complètement hybride, aux multiples dénominations dont l’appellation la plus courante est celle de « force locale [2][2]C’est pourquoi nous retiendrons cette dénomination dans notre… ». Rares sont les ouvrages sur la guerre d’Algérie qui évoquent son rôle durant la période de transition du pouvoir. Pourtant cette force inédite de par sa composition a connu la période trouble qui s’est déroulée du 19 mars 1962, date de la proclamation du cessez-le-feu en Algérie, aux premiers jours de l’indépendance. De fait durant environ cent cinq jours, le Haut-Commissaire de la République Christian Fouchet et l’Exécutif provisoire, institution mixte dirigée par Abderrahmane Farès [3][3]L’Exécutif provisoire est composé de douze personnes : trois… s’accordent sur des mesures de maintien de l’ordre, en particulier dans les deux principales villes d’Algérie, Alger et Oran, où l’Organisation Armée Secrète (OAS) conteste activement le cessez-le-feu par une série d’attentats. L’Exécutif provisoire a également la charge d’organiser le scrutin sur l’autodétermination de l’Algérie [4][4]El Watan, 1er octobre 2004. « L’Exécutif provisoire entre le…. C’est à cette fin qu’il a obtenu la création d’une force locale qui devra garantir le bon déroulement du référendum [5][5]Vitalis Cros, Le Temps de la violence, Paris, Presses de la…. Pour les autorités françaises elle pourra également faire concurrence à l’Armée de Libération Nationale (ALN), le bras armé du Front de Libération Nationale (FLN) en devenant l’embryon de la future armée algérienne bien qu’elle inclue des recrues européennes. Analyser le rôle de la force locale, c’est donc non seulement mettre en lumière la création d’une force militaire sans précédent mais aussi mettre en évidence les nombreux événements tragiques de la fin de la guerre d’Algérie.

Un problème de recrutement

2L’historique de la force locale révèle que sa création, d’essence française car préparée en amont par le gouvernement français, a été sévèrement discutée aux Rousses et à Évian voire contestée par les deux parties [6][6]Chantal Morelle, Comment de Gaulle et le FLN ont mis fin à la…. Si elles sont d’accord sur cette création, la pierre d’achoppement porte sur sa composition et son effectif [7][7]François-Xavier Hautreux, « L’armée française et les…. Ainsi c’est au CAA que revient l’initiative de la formation d’une force algérienne. Mais il faut attendre le mois de mars 1962 pour que la force locale soit définitivement créée. La valse hésitante des civilo-militaires n’a donc pas laissé un grand souvenir d’efficacité et révèle une grande improvisation.

3Le 20 janvier 1961, un groupe de travail civilo-militaire dépendant du CAA prévoit pour la fin de l’année la constitution d’une force qui comptera entre 30 000 et 35 000 hommes. Placée sous l’autorité d’un délégué général, elle sera transférée « le cas échéant, à un organisme algérien chargé de préparer l’autodétermination [8][8]Ibid., p. 342. ». Le 24 octobre, son nom est modifié. Elle est désormais appelée : « force d’ordre, locale » et en théorie sa composition serait la suivante : elle comprendrait 4 500 gendarmes auxiliaires, 11 000 gardes des Groupes Mobiles de Sécurité (GMS) et 18 000 moghaznis, sous l’autorité d’une personnalité civile musulmane, assistée d’un officier supérieur musulman [9][9]Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique…. Initialement, les autorités françaises et le FLN s’opposent au recrutement de supplétifs dans la force locale. Redha Malek négociateur à Évian, rappelle dans son livre que les « harkis et groupes d’autodéfense en seront exclus [10][10]Redha Malek, L’Algérie à Évian. Histoire des négociations… ». En réalité les auxiliaires de gendarmerie sont des supplétifs qui ne sont pas désignés par leur appellation courante : « harkis gendarmerie [11][11]François-Xavier Hautreux, « L’armée française et les… ». Selon l’historien François-Xavier Hautreux, la force locale représente donc une solution de reclassement pour l’ensemble des GMS et de nombreux harkis [12][12]Ibidem, p. 345.. D’ailleurs le lieutenant Georges Grillot, chef du « Commando Georges » crée en 1959, demandera en vain l’intégration de ses supplétifs dans la force locale afin qu’ils ne rejoignent pas l’OAS [13][13]Guy Pervillé, Les Accords d’Évian (1962). Succès ou échec de la….

4Pourtant, un problème de recrutement est posé en raison du déficit de l’encadrement musulman. Les autorités françaises décident donc de recruter des cadres européens [14][14]Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique…. En février 1962, la composition de la force locale est encore étudiée aux Rousses et elle est l’objet de vives discussions entre les deux parties. D’un effectif de 30 000 à 35 000 hommes, elle comprendrait des unités de sécurité à base de GMS, de maghzens et de pelotons de gendarmes auxiliaires. Néanmoins, la délégation du FLN n’accepte pas qu’il y ait des GMS et des moghaznis. C’est pourquoi, les négociateurs envisagent de remplacer les moghaznis par 19 000 appelés dont 1 000 Européens [15][15]Ibid., p. 71.. Pour Pierre Messmer, le ministre des Armées, qui souhaite la création de la force locale afin de ne pas mêler l’armée aux tâches secondaires :

5

La moitié des officiers musulmans n’étant pas volontaire pour l’encadrer, il faudra désigner sans faire appel au volontariat (sic) des cadres français, qui ensuite pourront constituer des organismes d’assistance technique de l’armée algérienne, comme cela a si bien réussi au Maroc. Les gendarmes, peuvent fournir 4 500 hommes. Ou bien on obtient 10 000 à 15 000 GMS, complétés par 15 000 appelés. Ou bien aucun GMS, il faudrait alors trouver 25 000 appelés, qui seront « d’une mauvaise qualité technique » [16][16]Ibid., p. 72..

6Une autre alternative est également proposée. Il s’agirait d’utiliser des unités existantes, retaillées en gardant les cadres et en y mettant des appelés [17][17]Ibid.. Selon le capitaine de Camille Renaud – une ancienne recrue de la force locale – cette solution a été confirmée. Il lui aurait dit lors d’un entretien téléphonique en 2000 :

7

« Votre commando 127, on n’en a plus besoin. On va le transformer en force locale ». Il raconte ensuite : « Après ça, il arrivait des Algériens (appelés) de partout. Alors, on a utilisé les anciens locaux du commando 127 et la structure » [18][18]Entretien avec Camille Renaud..

8Cependant d’emblée, des responsables sont réticents à la création de la force locale. La composition comme la direction de cette force sont controversées [19][19]Le Soir d’Algérie. Abdelmadjid Merdaci, « Actualités :…. Et ce, du côté des autorités européennes comme des autorités algériennes. À Reghaia, le commandement est hostile à cette initiative. Le général Emmanuel Hublot, chef d’état-major, estime que le maintien de l’ordre requiert des forces spécialisées. Tandis que les frontistes refusent cette force qui ferait concurrence à l’ALN [20][20]Chantal Morelle, Comment de Gaulle et le FLN ont mis fin à la…. En effet, pour le général de Gaulle cette force locale pourrait constituer le noyau de la nouvelle armée et boycotter l’ALN :

9

Plus l’Exécutif provisoire exercera une emprise, plus il souhaitera avoir une armée. Ces forces peuvent être appréciées et devenir le noyau d’une future armée au lieu de l’ALN. Le but à atteindre est de fournir des éléments militaires valables qui puissent constituer l’embryon de cette armée [21][21]Maurice Faivre, Les Archives de la politique….

10Selon Chawki Mostefai, membre de l’Exécutif provisoire, elle sera « l’armée algérienne de demain [22][22]Ibidem, p. 350. ». Cette idée est confirmée par le colonel Mohamed Ramdani, ancien moudjahid, sur son blog :

11

De grandes opérations ont été menées pour réduire la pression sur les wilayas […] Noyauter le passage à une armée nationale avec la constitution à la veille de l’indépendance, durant la période de cessez-le-feu, précisément, d’une force locale. Pour les Français, la force locale devait servir de colonne vertébrale à la constitution d’une armée nationale [23][23]http://www.mohamedramdani.com « Ramdani Mohamed rend hommage à….

12Par ailleurs l’effectif de cette force est aussi critiqué dès le premier jour des négociations à Évian, le 7 mars. Les nationalistes algériens veulent qu’elle soit nombreuse afin de lutter efficacement contre l’OAS. C’est pourquoi le nombre de 40 000 hommes avancé par les autorités françaises est jugé « dérisoire » par Saâd Dahlab. Celui qui est alors ministre des Af­- faires étrangères du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) propose un volume entre 50 000 et 80 000 hommes [24][24]François-Xavier Hautreux, « L’armée française et les….

13En dépit de ces critiques, la force locale est tout de même créée et correspond à la composition déjà prévue par les autorités françaises bien avant les accords d’Évian ; comme le révèle une lettre de Pierre Messmer au commandant supérieur des forces armées en Algérie le général Charles Ailleret, en date du 24 février 1962 [25][25]SHD 1H 2457, dossier 1. Le ministre des Armées à M. le général….

14C’est finalement l’arrêté interministériel du 30 mars 1962 pour l’ap­- plication du Titre IV du décret 62-306 du 19 mars 1962 portant sur l’orga­nisation provisoire des pouvoirs publics en Algérie qui fixe dans l’article 2, la répartition des 40 000 hommes en :

15–  une direction des commandements régionaux et départementaux ;

16– 114 GMS ;

17–  110 Pelotons de Garde Territoriale (PGT) constitués par des gendarmes et des auxiliaires de gendarmerie ;

18–  114 compagnies constituées par des appelés, dont la numérotation commence à 401.

19À ces unités s’ajoutent des compagnies sahariennes d’un effectif total de 3 500 hommes. Destinée à être l’embryon de la future armée algérienne, la force locale comporte pourtant des Européens.

Une force hybride ou des « compagnies caméléons [26][26]Expression du commandant Michel Passicos qui a fait partie de… »

20Dans son livre intitulé C’était de Gaulle le ministre de l’Information Alain Peyrefitte, rapporte une discussion au cours du Conseil des ministres du 18 avril 1962 sur la mise en place de la force locale et sa composition : « Diverses unités sont constituées de 90 pour cent de musulmans du contingent et de 10 pour cent de Français de Souche Européenne (FSE) [27][27]Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, Fayard, 1994, t. I,…. » Les Unités de Force Locale (UFL) sont donc mixtes [28][28]SHD 1H 3605, dossier 3. Le commandant supérieur des forces…. Majoritairement composées de Musulmans [29][29]SHD 1H 2918, dossier 1. Exécutif provisoire algérien.…, elles comportent aussi quelques Européens ce qui donne lieu à des « compagnies caméléons ».

21De nombreux Européens refusent d’en prendre le commandement. C’est l’exemple du capitaine J. de F., dont le témoignage est rapporté par l’historien Maurice Faivre. Il a été désigné en avril 1962 pour être à la tête d’une UFL par le colonel Bernard, commandant le 19e RC. N’acceptant pas cette responsabilité il est, en conséquence, condamné à une peine d’un mois d’arrêt de forteresse. Finalement il change d’avis et prend le commandement d’une UFL déplacée de Bou Saada à Bouira [30][30]Maurice Faivre, Les Combattants musulmans de la guerre….

22En outre le transfert dans la force locale est très mal vécu par certains Européens. On peut citer à ce propos le témoignage de Camille Renaud. Appelé européen métropolitain de 2e classe, il a appris son incorporation dans la 514e UFL à son retour de permission, en avril 1962. Il insiste sur le changement brutal résultant de l’alliance de l’armée française avec le FLN :

23

Je m’adressais au capitaine qui me connaissait : « Je n’ai pas demandé cette affectation ! Je ne les considère pas comme mes frères ! Je n’ai rien à faire de la force locale ! » Dès les premiers mots, le capitaine m’arrêta : « Puisque vous le prenez sur ce ton, Renaud, je refuse de vous écouter. » Il me tourna le dos. Fou de rage, je continuais à crier mon désespoir. Le lieutenant Ghazzi, un Arabe, militaire de carrière, me prit par le bras et m’entraîna à l’écart : « Qu’est-ce qu’il y a Renaud ? Qu’est-ce qui ne va pas ? » J’étais incapable de parler, les larmes me brouillaient les yeux. Et je me dégageais sans douceur. Notre désarroi était total. Nous étions livrés, aux ordres d’une armée arabe, commandés par des Arabes, que nous venions de combattre, un mois auparavant [31][31]Témoignage de Camille Renaud tiré du courrier des lecteurs….

24Quand nous l’interrogeons sur cette réaction, Camille Renaud s’ex­plique a posteriori :

25

Mon désarroi n’était pas d’être commandé par des Musulmans, mais d’avoir été muté malgré moi, dans une armée étrangère, celle-là que nous combattions, depuis 16 mois pour mes camarades et moi. Comme je l’ai indiqué à ma première entrée dans cette chambrée que je connaissais bien, j’ai instantanément compris que je n’incorporais pas l’armée française mais l’armée du FLN [32][32]Entretien avec Camille Renaud..

26Il avait donc le sentiment de servir l’armée algérienne même si la force locale dépendait clairement des autorités civiles françaises. Les propos de Camille Renaud sont corroborés par le général de brigade Robert-Jacques Frat, commandant la Zone Nord-Constantinois (ZNC) qui affirme au mois de mai 1962 que :

27

Les cadres européens se trouvent aux ordres d’un organisme pour moitié composé de membres du FLN qu’ils combattent depuis sept ans. Aux difficultés d’ordre interne qu’ils vont connaître va s’ajouter l’impression d’être sous les ordres de l’adversaire [33][33]SHD 1H 3605, dossier 3. Le général de brigade Robert-Jacques….

28En revanche pour certains supplétifs, l’engagement dans la force locale est un moyen de rester en Algérie. En effet alors que J.-P. Sénat, chef de Section Administrative Spécialisée (SAS) à la SAS du barrage de Ghrib, à l’ouest de Médéa, conseille à ses moghaznis d’aller en métropole, certains décident de rejoindre les UFL, à l’image de Z. dont l’entretien est rapporté par l’historien Gregor Mathias. « Moi, on m’a dit que la force locale, c’était comme l’armée », raconte le témoin qui s’est engagé volontairement dans la force locale, de mars à juillet 1962 [34][34]Gregor Mathias, Les Officiers des SAS et des SAU et la….

29Ce n’est pas le point de vue de M. Saadi. Abandonné par ses supérieurs, ce moghazni doit essayer de rejoindre la métropole par ses propres moyens. Le chef de SAS d’Azrou M’Béchar, le capitaine J.M. a mis ses affaires dans un conteneur et l’armée a récupéré ses armes et ses munitions. M. Saadi semble alors très perplexe quant à son intégration dans la force locale, qu’il attribue à tort à Ahmed Ben Bella, où se côtoient des recrues de diverses origines :

30

On nous a dit de nous débrouiller et de faire ce qu’on voulait. De toute façon, Ben Bella va nous intégrer soi-disant dans une force locale : comme si on pouvait mettre ensemble un chien et un chat  [35][35]Ibid., p. 759..

31Finalement se dégage une impression de force hybride voire « fourre-tout », qui est confirmée par le témoignage de Jean Kersco, auteur du livre : Quand le merle sifflera. Algérie, 1961-1962, du putsch à l’indépendance :

32

On en profite pour déverser le tout-venant des harkas, des maghzens, des forces supplétives de gendarmerie, etc. qui déserte au bout de quelques jours avec son arme afin de donner des gages tardifs au FLN. C’est la démarche du patron qui veut licencier sans respecter ses obligations légales : il crée une structure provisoire dans laquelle il entasse les candidats au licenciement. Un véritable fiasco, un tonneau des Danaïdes qui se vide aussitôt qu’il se remplit  [36][36]Jean Kersco, Quand le merle sifflera. Algérie, 1961-1962, du….

33À cela s’ajoute le problème de la gestion de la force locale : son autonomie est théorique.

Une autonomie illusoire

34La force locale est censée être sous l’autorité de l’Exécutif provisoire selon l’article 3 de l’arrêté interministériel du 30 mars 1962 :

35

Les pelotons de garde territoriale, les compagnies de force de l’ordre ainsi que les personnels militaires désignés pour servir dans la direction et les commandements, sont mis pour l’emploi à la disposition de l’Exécutif provisoire.

36L’article 4 précise que :

37

L’emploi des unités de la force de l’ordre relève normalement des autorités préfectorales. L’Exécutif provisoire peut, toutefois donner à une partie d’entre elles, normalement aux groupes mobiles de sécurité et exceptionnellement seulement aux autres formations, des missions particulières hors de la région où elles sont stationnées. Les pelotons de garde territoriale et les compagnies agissent en principe dans les limites de l’arrondissement où ils sont implantés.

38En effet si elle est d’abord organisée par le général de gendarmerie Corberant [37][37]Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique…, à partir du mois d’avril cette responsabilité est confiée au colonel Ghenim et au commandant Yazid, attachés au cabinet d’Abderrahmane Farès. Son commandement est quant à lui, assuré par le préfet de Saida, le commandant Omar Mokdad [38][38]Omar Mokdad a servi dans l’infanterie comme officier entre 1941… et par son adjoint le lieutenant-colonel Abdelkrim Djebaili, nommés au début du mois d’avril par l’Exécutif provisoire [39][39]Journal Officiel de la République française, 10 avril 1962.. Enfin la force locale est supervisée par Abdelkader El Hassar [40][40]Guy Pervillé, Les Accords d’Évian (1962). Succès ou échec de la….

39Néanmoins pour Redha Malek, son autonomie est fictive car elle dépend de la logistique française [41][41]Redha Malek, L’Algérie à Évian. Histoire des négociations…. Initialement, le but était de créer une force indépendante des autorités françaises et du FLN, uniquement aux ordres de l’Exécutif provisoire [42][42]François-Xavier Hautreux, « L’armée française et les…. En réalité cette institution n’a que trop peu de pouvoir et de légitimité en Algérie. De plus le maintien de l’ordre relève, en dernier ressort, de l’autorité du Haut-Commissaire de la République en Algérie : Christian Fouchet. D’ailleurs, lorsque le ministre des Affaires algériennes Louis Joxe demande au général Philippe de Camas d’exposer les conceptions françaises sur la façon d’assurer l’ordre en Algérie pendant les mois critiques il affirme que :

40

En cas de situation grave et, si la force locale était débordée, l’Armée française interviendrait sous la requête du Haut-Commissaire [43][43]Robert Buron, Carnets politiques de la guerre d’Algérie par un….

41Il est vrai que le maintien de l’ordre restera finalement essentiellement entre les mains de Christian Fouchet [44][44]Hubert Michel, « Les institutions politiques algériennes »,…. C’est donc conjointement que le Haut-Commissaire et le président de l’Exécutif provisoire inspecteront les rangs de la force locale [45][45]« Christian Fouchet et Abderrahmane Farès inspectent la force….

Les missions de la force locale

42Selon l’article 1 de l’arrêté interministériel du 30 mars 1962 sa principale mission est de faire régner l’ordre :

43

La force de l’ordre créée par l’article 19 du décret 62-306 du 19 mars 1962 est chargée d’assurer la surveillance de générale, la protection des personnes et des biens et le maintien de l’ordre à l’exclusion de toutes des missions en matière de police judiciaire et de police militaire.

44Le 14 avril 1962 lors d’une réunion de l’Exécutif provisoire, Abdelkader El Hassar annonce que la force locale doit servir à lutter contre l’OAS. Cette idée est soutenue par Chawki Mostefai [46][46]Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique…. En revanche pour Abderrahmane Farès, la force locale devrait être employée dans les maquis du Sud afin de combattre les opposants aux accords d’Évian [47][47]Abderrahmane Farès, La Cruelle vérité. L’Algérie de 1945 à…. Mais Abdelkader El Hassar maintient sa volonté de déplacer des UFL dans les villes, lors de la réunion du 19 avril. Puis le 24 avril, il propose également la création de policiers auxiliaires car il estime que la force locale n’est pas assez efficace [48][48]Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique….

45Il est vrai que dans les grandes villes fortement européanisées : Alger et Oran, les activistes pratiquent la stratégie de la tension qui se manifeste par de nombreux attentats [49][49]Jean Monneret, La Phase finale de la guerre d’Algérie, Paris,…. C’est pourquoi Rabah Zerari, dit Si Azzedine, le commandant de la Zone Autonome d’Alger (ZAA), attend avec impatience le déploiement de la force locale dans Alger afin de liquider les groupes de l’OAS [50][50]Si Azzedine est un combattant de l’Algérois. Il passe à…. À la suite de l’attaque orchestrée par l’OAS à l’encontre des dockers musulmans qui a eu lieu le 2 mai sur le port d’Alger, le chef de la ZAA décide de riposter ouvertement en opérant une série d’attentats visant des commerces européens dans la ville, le 14 mai. Puis lors d’une conférence de presse, il réclame la force locale insistant sur le fait que les autorités françaises ne luttent pas assez contre l’OAS [51][51]Jean Monneret, La Phase finale de la guerre d’Algérie, op.…. Cet argument récurrent dans le discours nationaliste est peu justifié : au même moment, commence l’opération Fouchet, une série de mesures prises par le Haut-Commissaire afin de dissoudre l’OAS [52][52]Soraya Laribi, « Le plan Simoun ou l’appel anticipé des…. Mais la présence d’une force composée majoritairement de Musulmans est aussi réclamée par Si Azzedine à des fins stratégiques car elle serait plus bienveillante envers les nationalistes.

46Le gouvernement français renforce ainsi la lutte contre l’OAS en déplaçant dans les grandes villes des UFL, comme le montre un article du journal Le Monde datant du 14 mai 1962 qui a pour titre : « La reprise en mains dépend de l’emploi de la force locale. L’absence de la force locale à Alger. » D’ailleurs certaines recrues de la force locale protestent elles aussi contre leur affectation dans des zones relativement calmes. Elles demandent à être transférées à Alger où leur rôle serait, selon elles, plus utile : « Dans la région de Batna en particulier deux groupements ont protesté contre leur maintien dans une région où ils n’ont rien à faire alors que leur présence paraissait beaucoup plus nécessaire à Alger [53][53]Le Monde, 14 mai 1962, p. 3.. » Les UFL sont également aidées par les Auxiliaires Temporaires Occasionnels (ATO), désignés dès le mois de mai 1962 [54][54]Soraya Laribi, « Le dernier “gouverneur général” de l’Algérie :…. Ce sont des policiers musulmans au nombre de 1 200 à 1 500 qui seront encadrés par des gendarmes mobiles, dont 150 venant du Maroc [55][55]Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique…, et établis dans huit commissariats d’Alger. Ils poursuivront la lutte contre les activistes sous la houlette du commandant Omar Oussedik, officier de liaisons et de renseignements de la wilaya 4 [56][56]Libération, 13 mai 1962, p. 3. Cependant il sera difficile pour….

47Mais la force locale a aussi d’autres missions comme le montre le té­moignage de Jacques Macé – sergent de la 3e compagnie du 3e Zouaves dans le Constantinois – affecté au sein de la 403e UFL au mois de mars 1962 :

48

Début avril, la 403e UFL, rassemblée à Ouled Rahmoun-important nœud ferroviaire au sud de Constantine-était transférée en plein bled, à la Cheffia à une quarantaine de kilomètres au sud de Bône.
Sa mission nous allions l’apprendre progressivement-était triple :
– protéger le chantier d’un important barrage hydraulique en construction dans le cadre du Plan de Constantine ;
– assurer la sécurité d’un regroupement de population situé près de notre camp ;
– ouvrir le barrage de la frontière tunisienne (la Ligne Morice) pour permettre l’entrée en Algérie des unités de l’ALN stationnées de l’autre côté de la frontière [57][57]Jacques Macé, « Mes cent jours dans la force locale », Guerre….

49Pour Jean-Claude Enard, 2e classe, transféré dans le Sud Constantinois avec une trentaine de soldats européens et environ 300 Musulmans dans une SAS à Henchir Toumghani afin d’encadrer la 413e UFL :

50

[La] mission consistait notamment à les former à la discipline militaire. J’étais moi-même secrétaire, trésorier et je devais enseigner à un jeune Algérien comment gérer les effectifs, effectuer la paye, acheter la nourriture pour les hommes [58][58]« J’ai rencontré pour vous : Jean-Claude Enard », L’Ancien….

51Une autre mission est d’assurer le bon déroulement du référendum sur l’autodétermination en veillant à la protection des urnes et au maintien de l’ordre aux abords des bureaux [59][59]Vitalis Cros, Le Temps de la violence, op. cit., p. 258.. Yvon Marie-Noël Priou – 2e classe du 4e Bataillon de Chasseurs à Pied (BCP) – affecté dans la 434e UFL à T’kout puis à Guyotville raconte :

52

Au milieu d’une circulation imposante et d’une foule assourdissante, le matin du 1er juillet 1962, j’avais accompagné le capitaine […] de l’unité 434 et le nouveau chauffeur de la jeep J… M. du 86, pour aller vérifier l’installation des bureaux de vote de Guyotville, pendant que l’armée française était consignée dans leurs cantonnements respectifs [60][60]http://wwww.marienoelyvonpriouforcelocale19mars1962.e.monsite.co….

53Les recrues de la force locale se sentent pourtant en danger car elles ont connaissance de l’insécurité grandissante avec notamment les vols de voi­- tures, les occupations abusives d’appartements, les enlèvements d’Européens et le sort des supplétifs. Les missions des UFL sont donc risquées [61][61]ANOM. MA 155, dossier 1. Ce dossier contient des lettres des…. Certes un plan a été rédigé afin d’assurer le repli des UFL et de garantir la sécurité des civils qui dépendaient des autorités françaises. Appelé « Carrousel », ce plan en trois volets prévu pour les mois de juin et de juillet 1962 n’était que théorique et il ne fut pas appliqué en dépit des nombreux accrocs au cessez-le-feu. Par ailleurs il concernait le Constantinois [62][62]Soraya Laribi, « Le plan Carrousel, mesures à prendre contre…. Il semble qu’aucun plan similaire n’ait été préparé pour l’Algérois ou l’Oranie.

54Finalement les UFL n’ont pas pu mener à bien leurs missions car elles souffraient de nombreuses carences comme le raconte rétrospectivement Bernard Tricot, secrétaire du Haut-Commissaire durant cette période troublée :

55

Une force algérienne de l’ordre fut créée et le préfet Omar Mokdad en fut nommé directeur début avril. Les premiers éléments de cette force commencèrent tout de suite à intervenir ; mais bien qu’elle ne fût pas sortie d’un coup du néant, elle manquait d’entrainement et de cohésion [63][63]Bernard Tricot, Les sentiers de la paix. Algérie 1958/1962,….

56D’ailleurs, le rôle de la force locale est très vite limité par les nombreuses désertions et le noyautage.

Noyautage et « crise d’identité [64][64]Redha Malek, L’Algérie à Evian. Histoire des négociations… »

57Très rapidement, des désertions avec emports d’armes sont notables dans les UFL. Charles Koenig membre de l’Exécutif provisoire raconte que : « Ses effectifs fondaient comme neige au soleil, ses membres désertant pour aller grossir les rangs de l’ALN avec armes et bagages [65][65]Guy Pervillé, Les Accords d’Évian (1962). Succès ou échec de la…. » De fait au printemps 1962 beaucoup de Musulmans souffrent d’une « crise d’identité ». Ils sont écartelés entre l’armée française dans laquelle ils combattaient auparavant, la force locale, nouvel organisme, et le FLN qui les incite à déserter et à rejoindre ses rangs [66][66]Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Paris, Fayard,…. Ceux qui prennent le parti de rejoindre le FLN, sont appelés les « marsiens ». Ces désertions sont grandement favorisées par le FLN car elles ont pour but de renforcer son potentiel militaire [67][67]François-Xavier Hautreux, « L’armée française et les…. Ainsi en témoignent les propos du général Lennuyeux commandant la zone de l’Oranais qui dans une lettre du 2 avril 1962 évoque les difficultés à « maintenir les appelés Français de Souche Nord-Africaine [FSNA] sous les drapeaux ou au sein de la force locale ». Il est impossible alors, selon lui d’accorder « la moindre confiance » à ces hommes ce qui entraîne une « discrimination entre “Français de Souche Européenne” et “Français de Souche Nord-Africaine” dans l’usage des armes ». Il propose ainsi leur démobilisation [68][68]SHD 1H 1393, dossier 1. Le général Lennuyeux à M. le général…. Ces désertions ont aussi lieu dans le Constantinois, comme le révèle le général Frat, à la date du 18 avril :

58

Le FLN les considère comme un objectif prioritaire dans son action subversive. Il empêche leur mise sur pied sous le drapeau français ou tout au moins les rend inefficaces, laissant le champ libre à l’action de ses propres forces. De surcroît, il y trouve, sans bourse délier, des armements supplémentaires [69][69]SHD, 1H 3605, dossier 3. Le général de brigade Robert-Jacques….

59Michel Passicos – sous-lieutenant au 51e Régiment d’Infanterie (RI) dans l’Ouest-Constantinois – affecté après le cessez-le-feu dans une UFL dans la région de Grarem, met en évidence, dans son récit, le climat de peur suscité par les nombreuses désertions et les emports d’armes des Musulmans :

60

Pour les cadres européens, de moins en moins nombreux, au fil des jours, les choses n’étaient pas simples, les inquiétudes et la méfiance régnaient de façon insidieuse. Le bruit courait que des compagnies des forces locales, sans attendre l’indépendance, étaient passées de l’autre côté après avoir liquidé les “roumis” encore présents [70][70]Bulletin de l’association des officiers de réserve de Bordeaux,….

61À ces désertions et noyautages s’ajoute une certaine méfiance de toutes parts. Du côté des Européens, certains pensent à tort, que ce sont des membres de la force locale qui auraient tiré sur la foule durant la manifestation de la rue d’Isly, le 26 mars 1962 [71][71]Jacques Macé, « Mes cent jours dans la force locale », op. cit.. La mise en place de l’opération Fouchet qui vise à lutter contre l’OAS ainsi que l’installation des UFL et des ATO dans Alger suscite aussi l’inquiétude des Pieds-Noirs comme Francine Dessaigne qui écrit dans son journal, à la date du 13 mai, les lignes suivantes :

62

Hier, au Rocher Noir, on a pris des mesures en vue de détruire l’OAS et de réduire la résistance des Européens. Des milices musulmanes vont être armées, quinze mille hommes de la force locale implantés en ville, et dans les commissariats il y aura des gardes mobiles assistés de policiers musulmans. Ces mesures avivent l’inquiétude au moment où on retire aux Européens l’autorisation de posséder des armes mêmes déclarées [72][72]Francine Dessaigne, Journal d’une mère de famille Pied-Noir,….

63Du côté des nationalistes la méfiance est également de mise. Le commandant Si Azzedine, qui avait pourtant insisté pour que la force locale s’installe à Alger, révèle qu’elle était surveillée par ses hommes :

64

La ZAA doit s’assurer, de son côté, que la force locale sert la paix et la sécurité. Nous la contrôlons en douce, car des milliers d’hommes armés et formés par l’ennemi d’hier ne peuvent avoir, d’un coup de baguette magique, les mêmes aspirations que les militants FLN/ALN  [73][73]Si Azzedine, Et Alger ne brûla pas, op. cit., p. 322..

65Face à l’échec de cette force hybride contestée par tous, plusieurs options ont été proposées. Sa suppression et sa relève par l’ALN. La création d’une gendarmerie mobile algérienne ou le maintien dans sa forme actuelle [74][74]Maurice Faivre, Les Archives de la politique algérienne.…. Par ailleurs, lors des accords OAS/FLN, respectivement signés le 17 juin 1962 par Jean-Jacques Susini et Chawki Mostefai mais désavoués par les représentants des deux parties, une clause signalait que les Européens pourraient rejoindre la force locale [75][75]Chantal Morelle, Comment de Gaulle et le FLN ont mis fin à la…. Finalement elle a été maintenue jusqu’aux premiers jours de l’indépendance qui furent critiques pour ses recrues.

Un repli rapide ou l’échec de la force locale

66Les premiers jours de l’indépendance, proclamée le 3 juillet et célébrée le 5 juillet ont été très difficiles pour les membres de la force locale. Les UFL se retrouvent mêlées au conflit intra-FLN qui oppose les groupes de Tlemcen et de Tizi-Ouzou. Il y a des prises d’otages dans un contexte de guerre entre les wilayas comme le rappelle Yvon Marie-Noël Priou :

67

Au soir des élections, il [Yvon Priou] fut considéré comme déserteur, les 3 et 4 juillet 1962, comme tous ses camarades, par toute la presse les radios françaises et la télévision, ainsi que par des hauts responsables de son régiment et de l’armée française, lors d’une mutinerie. Mutinerie et prise d’otage par des éléments civils et armés d’une wilaya, sur l’unité 434 de la force de l’ordre algérienne cantonnée à Guyotville-Alger, au cours du soulèvement des wilayas, en dissidence entre elles, et, contre le Gouvernement Provisoire de la République algérienne pour la prise de pouvoir [76][76]Témoignage d’Yvon Marie-Noël Priou, op. cit..

68Dans la même logique Jean-Claude Enard raconte que le 5 juillet son UFL devait se rendre à Djidjelli. Après avoir passé plusieurs barrages de l’ALN, elle est arrêtée à Ain M’lila où la population en liesse fêtait l’indépendance et acclama les recrues de la 413e UFL. Au Nord de la ville, le convoi fut arrêté par un barrage de l’ALN et les Européens assistèrent impuissants à la désertion des 212 Musulmans qui faisaient partie de l’unité. Puis survint le pillage des paquetages, des vivres, des armes, des munitions, des dix-huit véhicules par la foule. Celle-ci était soutenue par l’ALN qui tenait en joue les chauffeurs [77][77]« J’ai rencontré pour vous : Jean-Claude Enard », op. cit.,….

69Tandis que l’UFL de Brahim X, un supplétif dont le témoignage est rapporté par Maurice Faivre, est désarmée par l’ALN. Le préfet Mokdad l’avait affecté en mai 1962 au 6° Régiment des Chasseurs d’Afrique (RCA) et il commandait un peloton half-track de la force locale. Mais le 4 juillet, l’ALN fait emprisonner les cadres de la force locale. Brahim X arrive à s’évader et à rejoindre le 1er RCA à Fort de l’Eau [78][78]Maurice Faivre, Les Combattants musulmans de la guerre….

70Seules quelques UFL sont restées intactes à l’image de celle du lieutenant Rabah Kheliff. La 4e compagnie du 30e BCP dont il était lieutenant a été transformée en 430e UFL [79][79]Id., p. 162.. Contrairement aux ordres du général Joseph Katz, ce lieutenant a décidé d’intervenir au secours des personnes menacées lors des massacres du 5 juillet à Oran [80][80]Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique…. Il en fut de même pour l’officier musulman R.B. qui commandait la 502e UFL [81][81]Jean Monneret, La Phase finale de la guerre d’Algérie, op.….

71La déflation des effectifs de la force locale a lieu quelques jours plus tard. De Gaulle décide de replier rapidement les recrues européennes des UFL ce qui confirme l’échec total de cette force militaire. Il écrit à Messmer le 10 juillet : « Étant donné l’anéantissement de la force locale par désertion, il paraît nécessaire de reprendre les cadres français que nous y avons encore [82][82]Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets. 1961-1963, Paris,…. » L’ordre est confirmé le 17 juillet : « Le retrait des cadres de la force locale doit être achevé dans les meilleurs délais [83][83]Décisions prises le 17 juillet 1962 et notifiées le 21 juillet.…. » C’est la fin de la force locale.

Conclusion

72En somme la force locale ne fut jamais qu’une création de circonstance, une force mixte, de maintien de l’ordre au moment du changement de souveraineté sur l’Algérie. Les diverses appellations de la force locale dite : « force bancale » à Alger ou « petit monstre » [84][84]Entretien avec Yvon Marie-Noël Priou. reflètent l’échec de cette création [85][85]Maurice Faivre quant à lui, parle d’un « constat de faillite ».…, en raison des nombreuses désertions des Musulmans et du refus d’y adhérer des Européens, notamment. Cette force n’est plus qu’un témoignage du drame de la fin de la guerre d’Algérie. C’est pourquoi, pour les anciennes recrues un sentiment d’incompréhension est encore très vivace plus de cinquante ans après. Ainsi en témoigne la conclusion de Camille Renaud :

73Qu’une force de l’ordre algérienne ait été décidée cela semble normal. Qu’elle ait été créée durant la période transitoire peut s’admettre. Que cette force locale ait été saupoudrée de soldats métropolitains, cela semble aberrant surtout pour d’anciens combattants de la France Libre ayant connu le chaos qui a suivi la libération de la France [86][86]Entretien avec Camille Renaud..

Notes

  • [1]
     Guy Pervillé, « La guerre d’Algérie revisitée : zones d’ombre, points aveugles », in Anny Dayan-Rosenman, Lucette Valensi, La Guerre d’Algérie dans la mémoire et l’imaginaire, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2004, p. 225-253.
  • [2]
     C’est pourquoi nous retiendrons cette dénomination dans notre article.
  • [3]
     L’Exécutif provisoire est composé de douze personnes : trois Européens et neuf Musulmans dont six font partie du Front de Libération Nationale. Abderrahmane Farès, La Cruelle vérité. L’Algérie de 1945 à l’indépendance, Paris, Plon, 1982, p. 98.
  • [4]
     El Watan, 1er octobre 2004. « L’Exécutif provisoire entre le marteau et l’enclume » : Interview de Chawki Mostefai.
  • [5]
     Vitalis Cros, Le Temps de la violence, Paris, Presses de la Cité, 1971, p. 258.
  • [6]
     Chantal Morelle, Comment de Gaulle et le FLN ont mis fin à la guerre d’Algérie. 1962, les accords d’Évian, Bruxelles, André Versaille éditeur, 2012, p. 215.
  • [7]
     François-Xavier Hautreux, « L’armée française et les “supplétifs musulmans” pendant la guerre d’Algérie. Expérience et enjeux ». Thèse de doctorat sous la direction du professeur Didier Musiedlak, université Paris X-Nanterre, 2010, p. 343.
  • [8]
     Ibid., p. 342.
  • [9]
     Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique algérienne.1958-1962, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 71.
  • [10]
     Redha Malek, L’Algérie à Évian. Histoire des négociations secrètes, 1956-1962, Paris, Seuil, 1995, p. 204.
  • [11]
     François-Xavier Hautreux, « L’armée française et les “supplétifs musulmans” pendant la guerre d’Algérie. Expérience et enjeux », op. cit., p. 344.
  • [12]
     Ibidem, p. 345.
  • [13]
     Guy Pervillé, Les Accords d’Évian (1962). Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne (1954-2012), Paris, Armand Colin, 2012, p. 126.
  • [14]
     Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique algérienne.1958-1962, op. cit., p. 72.
  • [15]
     Ibid., p. 71.
  • [16]
     Ibid., p. 72.
  • [17]
     Ibid.
  • [18]
     Entretien avec Camille Renaud.
  • [19]
     Le Soir d’Algérie. Abdelmadjid Merdaci, « Actualités : l’indépendance de l’Algérie : le 3 ou le 5 juillet 1962 ? », 4 juillet 2012.
  • [20]
     Chantal Morelle, Comment de Gaulle et le FLN ont mis fin à la guerre d’Algérie. 1962, les accords d’Évian, op. cit., p. 215.
  • [21]
     Maurice Faivre, Les Archives de la politique algérienne.1958-1962, op. cit., p. 72.
  • [22]
     Ibidem, p. 350.
  • [23]
     http://www.mohamedramdani.com « Ramdani Mohamed rend hommage à Houari Boumediene. » Site consulté en juin 2014.
  • [24]
     François-Xavier Hautreux, « L’armée française et les “supplétifs musulmans” pendant la guerre d’Algérie. Expérience et enjeux », op. cit., p. 343.
  • [25]
     SHD 1H 2457, dossier 1. Le ministre des Armées à M. le général CSFA, 24 février 1962. Courrier cité par François-Xavier Hautreux. Ibidem, p. 344.
  • [26]
     Expression du commandant Michel Passicos qui a fait partie de la force locale. Bulletin de l’association des officiers de réserve de Bordeaux, 2005.
  • [27]
     Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, Fayard, 1994, t. I, p. 113.
  • [28]
     SHD 1H 3605, dossier 3. Le commandant supérieur des forces armées. État-major. 3e bureau. 9 mai 1962.
  • [29]
     SHD 1H 2918, dossier 1. Exécutif provisoire algérien. Organisation de la force de l’ordre, 14 mai 1962.
  • [30]
     Maurice Faivre, Les Combattants musulmans de la guerre d’Algérie. Des soldats sacrifiés, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 193.
  • [31]
     Témoignage de Camille Renaud tiré du courrier des lecteurs d’Historia magazine, série consacrée à la guerre d’Algérie. Supplément au numéro 369. Il a été de nouveau publié sur le site suivant : http://www.grands-reporters.com, avec pour titre « Algérie la force locale ». Site consulté en juin 2014.
  • [32]
     Entretien avec Camille Renaud.
  • [33]
     SHD 1H 3605, dossier 3. Le général de brigade Robert-Jacques Frat, commandant la Zone Nord-Constantinois à la 14e division d’infanterie. 18 avril 1962.
  • [34]
     Gregor Mathias, Les Officiers des SAS et des SAU et la politique de pacification pendant la guerre d’Algérie. Thèse de doctorat sous la direction du professeur Guy Pervillé, Université de Toulouse Le Mirail II, 2013, p. 757.
  • [35]
     Ibid., p. 759.
  • [36]
     Jean Kersco, Quand le merle sifflera. Algérie, 1961-1962, du putsch à l’indépendance, Paris, Thélès, 2007, p. 150.
  • [37]
     Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique algérienne. 1958-1962, op. cit., p. 73.
  • [38]
     Omar Mokdad a servi dans l’infanterie comme officier entre 1941 et 1963. Michel Hardy, Hervé Lemoine, Thierry Sarmant, Pouvoir, politique et autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes et institutions, 1945-1962, Condé-sur-Noireau, SHAT/L’Harmattan, p. 356.
  • [39]
     Journal Officiel de la République française, 10 avril 1962.
  • [40]
     Guy Pervillé, Les Accords d’Évian (1962). Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne, op. cit., p. 126.
  • [41]
     Redha Malek, L’Algérie à Évian. Histoire des négociations secrètes, 1956-1962, op. cit., p. 250.
  • [42]
     François-Xavier Hautreux, « L’armée française et les “supplétifs musulmans” pendant la guerre d’Algérie. Expérience et enjeux », op. cit., p. 345.
  • [43]
     Robert Buron, Carnets politiques de la guerre d’Algérie par un signataire des accords d’Évian, Paris, Plon, 1965, p. 253.
  • [44]
     Hubert Michel, « Les institutions politiques algériennes », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n° 1, 1996, p. 141.
  • [45]
     « Christian Fouchet et Abderrahmane Farès inspectent la force locale ». Ina, JT 20 heures, 21 avril 1962.
  • [46]
     Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique algérienne. 1958-1962, op. cit., p. 73.
  • [47]
     Abderrahmane Farès, La Cruelle vérité. L’Algérie de 1945 à l’indépendance, op. cit., p. 106.
  • [48]
     Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique algérienne. 1958-1962, op. cit., pp. 73-74.
  • [49]
     Jean Monneret, La Phase finale de la guerre d’Algérie, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 123.
  • [50]
     Si Azzedine est un combattant de l’Algérois. Il passe à l’extérieur en 1959. En mars 1962, le GPRA l’envoie dans la capitale algérienne afin de réorganiser la ZAA et de combattre l’OAS. Commandant Azzedine, Et Alger ne brûla pas, Paris, Stock, 1980, p. 197 et 201.
  • [51]
     Jean Monneret, La Phase finale de la guerre d’Algérie, op. cit., p. 175.
  • [52]
     Soraya Laribi, « Le plan Simoun ou l’appel anticipé des conscrits européens d’Algérie en juin 1962 », Revue historique des armées, n° 269, décembre 2012, pp. 98-107.
  • [53]
     Le Monde, 14 mai 1962, p. 3.
  • [54]
     Soraya Laribi, « Le dernier “gouverneur général” de l’Algérie : Christian Fouchet, Haut-Commissaire de la République (mars-juillet 1962) », in Vincent Joly, Patrick Harismendy, Algérie, sortie (s) de guerre (1962-1965), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 89.
  • [55]
     Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique algérienne. 1958-1962, op. cit., p. 74.
  • [56]
     Libération, 13 mai 1962, p. 3. Cependant il sera difficile pour l’Exécutif provisoire de recruter des ATO.
    Maurice Flory, « La fin de la souveraineté française en Algérie », Annuaire Français de droit international, vol. VIII, 1962, p. 914.
  • [57]
     Jacques Macé, « Mes cent jours dans la force locale », Guerre d’Algérie Magazine, n° 6, 2002.
  • [58]
     « J’ai rencontré pour vous : Jean-Claude Enard », L’Ancien d’Algérie, n° 516, avril 2013, p. 36.
  • [59]
     Vitalis Cros, Le Temps de la violence, op. cit., p. 258.
  • [60]
     http://wwww.marienoelyvonpriouforcelocale19mars1962.e.monsite.com Témoignage d’Yvon Marie-Noël Priou, extrait de son blog consulté en juin 2014.
  • [61]
     ANOM. MA 155, dossier 1. Ce dossier contient des lettres des procureurs d’Alger et d’Oran (8 et 12 juin) au sujet d’assassinats et blessures causées à des personnalités européennes des UFL.
  • [62]
     Soraya Laribi, « Le plan Carrousel, mesures à prendre contre l’ALN dans le Nord-Constantinois (juin-juillet 1962) », Revue historique des armées, n° 268, 2012, pp. 66-78.
  • [63]
     Bernard Tricot, Les sentiers de la paix. Algérie 1958/1962, Paris, Plon, 1972, p. 333.
  • [64]
     Redha Malek, L’Algérie à Evian. Histoire des négociations secrètes, 1956-1962, op. cit., p. 250.
  • [65]
     Guy Pervillé, Les Accords d’Évian (1962). Succès ou échec de la réconciliation franco-algérienne, op. cit., p. 126.
    Entretien avec Yvon Marie-Noël Priou.
  • [66]
     Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Paris, Fayard, 2002, p. 638.
  • [67]
     François-Xavier Hautreux, « L’armée française et les “supplétifs musulmans” pendant la guerre d’Algérie. Expérience et enjeux », op. cit., p. 398.
  • [68]
     SHD 1H 1393, dossier 1. Le général Lennuyeux à M. le général commandant le CAO, 2 avril 1962 cité par François-Xavier Hautreux. Ibid., p. 346.
  • [69]
     SHD, 1H 3605, dossier 3. Le général de brigade Robert-Jacques Frat, commandant la Zone Nord-Constantinois à la 14e division d’infanterie. 18 avril 1962.
  • [70]
     Bulletin de l’association des officiers de réserve de Bordeaux, op. cit.
  • [71]
     Jacques Macé, « Mes cent jours dans la force locale », op. cit.
  • [72]
     Francine Dessaigne, Journal d’une mère de famille Pied-Noir, Paris, L’Esprit Nouveau, 1962, p. 201.
  • [73]
     Si Azzedine, Et Alger ne brûla pas, op. cit., p. 322.
  • [74]
     Maurice Faivre, Les Archives de la politique algérienne. 1958-1962, op. cit., p. 75.
  • [75]
     Chantal Morelle, Comment de Gaulle et le FLN ont mis fin à la guerre d’Algérie. 1962, les accords d’Évian, op. cit., p. 223.
  • [76]
     Témoignage d’Yvon Marie-Noël Priou, op. cit.
  • [77]
     « J’ai rencontré pour vous : Jean-Claude Enard », op. cit., p. 37.
  • [78]
     Maurice Faivre, Les Combattants musulmans de la guerre d’Algérie. Des soldats sacrifiés, op. cit., p. 200.
  • [79]
     Id., p. 162.
  • [80]
     Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique algérienne. 1958-1962, op. cit., p. 77.
  • [81]
     Jean Monneret, La Phase finale de la guerre d’Algérie, op. cit., p. 248.
  • [82]
     Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets. 1961-1963, Paris, Plon, p. 246. En effet, Maurice Faivre note que les cadres musulmans ne sont pas concernés par cette directive. Maurice Faivre, Les Archives de la politique algérienne. 1958-1962, op. cit., p. 77.
  • [83]
     Décisions prises le 17 juillet 1962 et notifiées le 21 juillet. Ibidem, p. 302.
  • [84]
     Entretien avec Yvon Marie-Noël Priou.
  • [85]
     Maurice Faivre quant à lui, parle d’un « constat de faillite ». Maurice Faivre, Les Archives inédites de la politique algérienne. 1958-1962, op.cit., p. 75.
  • [86]
     Entretien avec Camille Renaud.
 

 

 

Soraya Laribi

https://www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2015-3-page-77.htm#:~:text=Compos%C3%A9e%20d'environ%2090%20%25%20de,de%20la%20future%20arm%C3%A9e%20alg%C3%A9rienne.

 

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Rédigé le 20/04/2022 à 20:46 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

Les derniers feux de la guerre d'Algérie. Pierre Pellissier

 

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Souvent, les fins de guerre sont bâclées. Bâclées sur le terrain où le dégagement ne se passe généralement pas selon le plan, bâclée comme le sera l’histoire du conflit achevé qu’il va falloir écrire. Le camp des vainqueurs met en scène la liesse de sa victoire, sans dire mot de ses débordements. N’ayant plus qu’à se taire, le vaincu tourne la page s’il ne remâche pas de revanche. Cette année de commémoration offre l’occasion d’évoquer la fin de la guerre d’Algérie sans rabaisser, cette fois, la vision les vaincus.

Pierre Pellissier, Les Derniers feux de la guerre d’Algérie, Paris, Perrin, 2022, 298 p.

 

 

Pierre Pellissier consacre son ouvrage à la dernière année de la guerre, sujet mieux connu depuis quelques années grâce aux recherches d’un nombre croissant d’auteurs[1] à contre-courant de la vulgate qui, depuis soixante ans, décrit la guerre d’Algérie comme une décolonisation victorieuse et une libération. Ainsi racontée, l’histoire n’a pas eu à se soucier du sort des vaincus. Oubliés, les disparus, leur nombre minimisé, les exilés crédités d’une intégration facile servie par le dynamisme des « trente glorieuses ». Et la férocité des derniers mois s’est expliquée en faisant peser sur l’OAS la responsabilité du regain de violence. Il a fallu plusieurs décennies pour que des historiens comme Philippe Ariès, qui n’appartenait certes pas à une association de rapatriés, se risquent à dire que la défense de la terre natale n’était pas forcément pendable[2].

Un tour d’horizon des drames de l’année 1962

Pierre Pellissier passe en revue les événements marquants de cette courte période : le siège de Bab-el-Oued et la fusillade de la rue d’Isly en mars, les maquis de l’OAS qui n’ont pas connu deux mois d’existence, les enlèvements pratiqués par le FLN durant la période qui va de mars à juin, les massacres et les disparitions qui se sont produits à Oran, le 5 juillet, le dégagement de l’armée et le sort des harkis, enfin. Son ouvrage s’achève sur un bilan des pertes et des disparus militaires et civils.

À lire également

Entre histoire et mémoire: lectures sur la Guerre d’Algérie (1)

Certains épisodes ont déjà donné lieu à de solides études ; deux épisodes moins connus font l’objet d’une synthèse nécessaire. Un chapitre, qui s’appuie principalement sur les mémoires de Pierre Montagnon, traite des maquis créés par l’OAS, rapidement disparus — l’épisode éclaire cependant la diversité des tendances présentes au sein de l’organisation. Un autre décrit la courte expérience de la Force locale, une entité franco-algérienne, créée en mars 1962 qui devait se substituer à l’ALN pour maintenir l’ordre pendant la période intermédiaire entre le cessez-le-feu et le référendum. Cela se réduisit à un arsenal dans lequel le FLN a largement puisé, un lieu de règlements de comptes et de disparitions jamais élucidées. Quant au maintien de l’ordre…

S’il comprend un index et des notices biographiques succinctes, l’ouvrage n’offre pas d’introduction ni de véritable conclusion. Il ne s’y trouve aucune note, mais quelques erreurs de détail[3] et la bibliographie est trop réduite pour tenir compte d’ouvrages récents qui auraient pourtant apporté de l’eau à son moulin. En dépit de faiblesses qui agacent un universitaire, l’ouvrage permet de lire avec facilité une autre version de l’histoire. Voici plus de vingt ans, Pierre Pellissier était bien seul à dire que la bataille d’Alger avait été gagnée avec des effectifs si réduits qu’ils feraient honte à « Sentinelle ».

À lire également

Entre histoire et mémoire : lectures de la guerre d’Algérie (3). Les épurations dans l’armée

[1] Pour ne citer que quelques noms : Jean Monneret (2003), Robert Davezac (2008), Roger Le Doussal (2011 et 2020), Jean-Jacques Jordi (2011), Guillaume Zeller (2012), Guy Pervillé (2014 et 2019), Roger Vétillard (2020).

[2] « Je regrette de n’avoir pas conservé un billet ancien où M. Escarpit, à propos de la solidarité morale de l’OAS et des Français d’Algérie, s’en prenait à un sens trop viscéral de la terre natale, de la petite patrie, et y dénonçait les vestiges d’une mentalité primitive et les germes des cancers fascistes. » (Le Présent quotidien (1955-1966), Paris, Le Seuil, 1997).

[3] Roger Degueldre n’était pas capitaine mais lieutenant, Constantin Melnik n’a pas dirigé le service Action (même s’il s’en est vanté), la Légion étrangère n’a pas quitté Sidi-bel-Abbès en emportant tous ses trophées : le drapeau des Pavillons Noirs que le capitaine de Borelli avait ramené de Tuyen Quang a été brûlé avant son départ

 

 

par MARIE-DANIELLE DEMÉLAS

20 AVRIL 2022

https://www.revueconflits.com/guerre-dalgerie-les-derniers-feux-pierre-pellissier/

 

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Rédigé le 20/04/2022 à 08:46 dans France, Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

LE MONDE APRÈS NOUS de Louda Ben Salah-Cazanas

 Film

 

image from img.lemde.fr

Labidi (Aurélien Gabrielli) dans « Le Monde après nous », de Louda Ben Salah-Cazanas. TANDEM FILMS

 

Dans Le Monde après nous, Louda Ben Salah-Cazanas, 33 ans, raconte l’histoire de Labidi, aspirant écrivain qui se bat pour survivre, aimer et écrire dans un Paris trop cher pour lui. Puisque cette histoire puise directement dans sa propre expérience, il fallait comprendre comment un gamin de la petite classe moyenne s’est rêvé cinéaste, comme son personnage se rêve écrivain.

 

Quand Louda Ben Salah-Cazanas parle de la route qui l’a mené à son premier long, il prévient : « Je viens d’une famille pas du tout ciné, pas du tout culture… » Néanmoins, le dernier de trois enfants dévore polars et cinéma américain avec sa mère aide-soignante, grâce à l’achat d’un décodeur Canal+. Mais les télévisions qu’il y a « vraiment partout » dans l’appartement familial ne suffisent pas toujours à occuper cet enfant agité d’Éragny (95). On inscrit Louda au théâtre et, à 6 ans, il « met à peu près en scène » une pièce avec d’autres gamins. Quelques années plus tard, c’est sa grande sœur et son grand frère qu’il dirige dans un petit film tourné avec un caméscope que leur père a emprunté au boulot. « J’aime pas les gens qui disent que leur passion remonte très loin mais… j’ai tout de suite voulu faire des films, même si j’avais pas le droit de le dire. » La famille déménage à Lyon lorsque Louda a 11 ans, son père reprenant la gérance d’un café qui, deux décennies plus tard, sera celui des parents de Labidi dans Le Monde après nous. Tandis que les deux grands brillent à l’école, le benjamin redouble, aide un peu au café, se voit vaguement ouvrir une boutique de fringues hip-hop après le BEP vente-action marchande auquel on le destine.  

 

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LE MONDE APRES NOUS 2022 de Louda Ben Salah-Cazanas Aurelien Gabrielli Louise Chevillotte. COLLECTION CHRISTOPHEL © Les idiots – 21 Juin Cinema

Un gros budget de court métrage  

Le bac obtenu « miraculeusement », Louda s’inscrit à la fac et joue surtout de la basse dans un groupe de métal, avant qu’un bon prof ne le réconcilie avec les cours, les révisions et les bonnes notes, en double licence éco/sciences po. Il rêve alors d’école de cinéma et élargit sa cinéphilie « un peu débile », en piochant dans les « 5 DVD pour 20 euros » de la Fnac : À bout de souffle, Le Petit Soldat, Jules et Jim, Shortcuts… Godard le mène à Tarkovski, Resnais, Chabrol, Melville… Il lit André Bazin, Les Cahiers du cinéma, et une lettre ouverte sur les violences policières à Lyon lui permet de « gratter » un stage au service culture de Libération. Ses critiques sont nulles mais on lui présente Gilles Marchand, qui l’aide à préparer la Fémis, qu’il « rate comme une merde ». Le mentor lui conseille plutôt d’apprendre sur le tas. Pour tenir le rythme des étudiants de l’école, il réalise presque un film par an entre 2015 et 2019 et se fait une bande : Olivier le producteur, Amine le chef op’, Jean-Charles le compositeur, Élias le monteur son… Lola, elle, lui donne son nom de famille, Cazanas, après leur mariage en 2018. Pour financer la vie à Paris, Louda vit de petits boulots dans la vente, d’Apple à Leroy-Merlin. De la nécessité naît une routine : il se lève tous les jours sur les coups de cinq heures pour écrire, beaucoup, avant que la journée commence. Pour passer au long métrage, Marchand et son producteur le convainquent d’écrire sur cette vie-là. Labidi le romancier amoureux comme allégorie de Louda, Lola et les autres, et un film que l’on tourne sans financement ni autorisation, en équipe réduite et avec « un gros budget de court métrage »… Le film atterrit à la Berlinale début 2021, avant de sortir enfin en salles. Son vécu et ses souvenirs de galère nourrissent Le Monde après nous mais le jeune cinéaste reste pudique : « Je m’en veux d’avoir eu honte de mes parents, et je crois que c’est ce qui définit un trans-classe, finalement. » Le mot est à la mode, dans un « petit monde du cinéma »  et une société qui ont besoin d’exceptions pour confirmer la règle. Peu importe : avec ce premier film abouti, Ben Salah-Cazanas a gagné le droit de regarder devant.

 

 

 

19 avril 2022

https://sofilm.fr/le-monde-apres-nous-de-louda-ben-salah-cazanas/

 

 

 

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Rédigé le 20/04/2022 à 07:19 dans Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)

Kahina Bahloul, première femme imam en France: «Mon Islam, ma liberté»

 

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Kahina Bahloul est la première femme imam en France. Elle a fondé, en 2019, la mosquée ‘Fatima', d'inspiration soufie, ouverte à tous et en particulier aux femmes voilées ou non voilées.

Une femme imam ? J'ai questionné pas mal de gens autour de moi et les avis sont très partagés. Certains s'interrogent : «a-t-on quelquefois eu des femmes imam ? D'autres au contraire approuvent «c'est une excellente idée»

Moi aussi je m'interroge et j'ai décidé de la rencontrer pour en savoir plus.

Son livre «mon Islam ma liberté» vient de sortir en Algérie aux éditions Koukou.

Elle nous dit « je connais l'Islam de l'intérieur, j'ai grandi dans un pays musulman, l'Algérie que j'ai quittée à l'âge de vingt-quatre ans. Mon père et mes grands-parents paternels furent les premiers à me le transmettre et, l'islam m'a aussi été enseigné à l'école publique algérienne jusqu'à la fin de mes études secondaires.

On me pose souvent la question, créer une mosquée libérale est-ce bien nécessaire ? C'est un acte symbolique fort, signifiant la volonté de se réapproprier notre religion et d'assurer un enseignement religieux éclairé par la réflexion et la sagesse»

«Mon Islam, ma liberté» c'est un livre chaleureux, émouvant, qui peut être lu par tous et qui donne une image très positive de l'Islam.



Ali Ghanem: Pouvez-vous nous rappeler le rôle d'un imam. Quelles ont été les réactions lorsque vous avez choisi de le devenir ?

Kahina Bahloul : le rôle de l'imam c'est de guider la prière, officier à différentes cérémonies religieuses : prières mortuaires, bénédiction de mariages…et surtout de transmettre un savoir religieux et une spiritualité et accompagner les croyants, les fidèles, pour qu'ils puissent s'émanciper et devenir des individus libres et responsables, leur apprendre à se libérer intérieurement et à assumer leurs choix de vie, leur apprendre à avoir un rapport à la religion émancipateur des consciences à travers les textes fondateurs.

 S'agissant des réactions, je reçois énormément de messages sur les réseaux sociaux après chacun de mes passages dans les médias de la part de musulmans ou de non musulmans. Le mot qui revient souvent c'est espoir. Beaucoup me disent : « vous êtes une vraie bouffée d'oxygène, voir cette image de l'islam nous redonne de l'espoir» Me voir parler d'une possibilité de vivre l'islam compatible avec notre époque leur redonne de l'espoir.

A. G. :Qu'est ce qui a changé dans votre vie depuis que vous êtes imam ?

K. B. : (Elle rit) ce qui a changé c'est que les médias n'arrêtent pas de m'appeler (elle rit encore) alors, parfois, je suis un peu submergée, un peu dépassée mais par ailleurs je crois que c'est très significatif aussi de l'attente du grand public, musulman ou non, de pouvoir parler autrement de l'islam, d'un islam apaisé, d'un islam des Lumières, d'un islam qui s'adapte à notre époque.

A. G. : Dans votre livre, vous écrivez qu'on ne trouve rien dans le texte coranique qui parle de l'imamat, qu'il s'agisse des hommes ou des femmes, mais que la tradition prophétique fait état d'une femme, Omm Waraqa, désignée par le prophète pour être imam. Pouvez-vous nous dire pourquoi il est si important que les femmes s'approprient le domaine religieux, pensez-vous que les hommes ne leur font pas de place ?

K. B. : L'exemple de l'imamat des femmes est un exemple très significatif et très parlant des conséquences pour les femmes des lectures masculines fondées sur le système de domination patriarcale. Comme j'en fais l'analyse dans mon livre, il n'y a absolument rien dans le texte coranique qui interdit aux femmes d'être imams, en réalité le Coran ne s'est simplement pas préoccupé d'organiser cette fonction, ni au masculin ni au féminin. Par ailleurs, nous trouvons dans la tradition prophétique (la sunna) dans plusieurs recueils, Ibn Hanba, Abu Dawud, Al-Bayhaqi, des traditions prophétiques (hadîths) qui font le récit d'une femme qui a été désignée par le prophète lui-même pour être imam. Or, comme ce sont les hommes (formatés par le système patriarcal) qui ont toujours défini la norme religieuse et que les femmes n'ont jamais eu leur mot à dire, l'existence de ces textes a purement et simplement été occultée jusqu'à en faire un impensé. Il est devenu interdit dans les pays musulmans, ne serait-ce que de poser la question de la possibilité ou pas pour une femme d'être imam. En plus de tout cela, faute de recherche en matière de religion on en reste souvent à des lectures arbitraires et approximatives.

 Or, il faut savoir que cette question a été débattue de manière tout à fait intéressante à l'époque classique où le dynamisme de la pensée était de mise. Aujourd'hui, vous parlez de ce sujet aux musulmans, ils vont vous répondre «Staghfir Allah» ou alors (c'est une réponse que j'ai entendue), «il ne faut pas jouer avec la religion» avec de gros yeux !! Comme si c'était un blasphème absolu qu'envisager qu'une femme soit imam ! Cela montre à quel point on a pu s'éloigner du message coranique et prophétique par ignorance. La pire des choses c'est d'être ignorant de son ignorance.

A. G. : Pourquoi avez-vous appelé votre mosquée : Fatima ?

K. B. : On a choisi de lui donner ce nom pour mettre en valeur une figure féminine de l'histoire de l'Islam, la fille du Prophète, Fatima et montrer que, dans l'histoire de l'Islam les femmes, ont eu un rôle important à jouer.

A. G. : Il n'y a qu'un seul Dieu, et pourtant il y a plusieurs religions, quels sont vos rapports avec les autres religions du Livre ?

K. B. : Moi j'ai baigné dedans, car je suis carrément le fruit de la rencontre de ces religions, mon père est musulman, ma grand-mère maternelle est juive, mon grand-père maternel est français et catholique et durant toute ma jeunesse j'ai vu des rapports très respectueux et une profonde amitié entre les deux camps de mes grands-parents ? C'est cela qui m'a conduite à m'interroger sur l'importance pour ces trois monothéismes, qui ont la même source, de se parler de manière pacifique.

A. G. : J'ai posé une série de questions dans la rue à propos de ce qui est hallal et de ce qui est haram. La plupart des gens se sont contentés de me répondre «on l'a dit» et personne n'a été en mesure de me citer une sourate. Il s'avère que dans les milieux populaires peu de gens connaissent les textes coraniques, ils n'en connaissent que ce qu'on leur a raconté. Dans ces conditions, comment assurer une formation religieuse qui évite toutes les déviances ?

K. B. : Eh bien pour moi, et je parle pour les pays musulmans et probablement aussi pour les communautés religieuses qui ne sont pas au fait des recherches scientifiques contemporaines, il faudrait absolument arriver à aborder la question religieuse avec les méthodes développées dans le cadre des sciences humaines et sociales en particulier avec la méthode de recherche historico-critique.

 La pensée religieuse musulmane est extrêmement riche. Je trouve que chaque musulman doit en revenir aux textes fondateurs, au Coran lui-même et étudier le contexte historique du corpus de la tradition.

A. G. : Beaucoup d'Européens lient l'Islam au voile, alors qu'ils acceptent sans se poser de questions que les religieuses chrétiennes soient voilées. Ces dernières années, on voit de plus en plus de jeunes femmes qui adoptent une tenue qui affiche leur appartenance religieuse. Que pensez- vous de la façon dont la France aborde cette question ?

K. B. : La question du voile est une question très complexe. C'est vrai qu'en France il y a une hystérisation du débat autour du voile, mais je pense qu'il faut aussi comprendre la peur que suscite le voile. Ma grand-mère portait le haïk et, à cette même époque, c'est-à-dire au 19ème siècle, et au début du 20ème, toutes les femmes des autres traditions portaient, elles aussi, un foulard sur la tête lorsqu'elles sortaient. Le voile a donc existé dans toutes les traditions, juives, chrétiennes et musulmanes, mais il a disparu progressivement en Europe avec l'émancipation des femmes. Selon moi son retour dans les pays musulmans coïncide avec l'émergence d'idéologies qui diffusent l'idée que la femme musulmane est par essence voilée, sinon elle est de mœurs légères. Pourtant le texte coranique, je l'explique longuement dans mon livre, ne parle pas de tenue particulière pour la femme musulmane. Deux ou trois versets seulement abordent un peu cette question mais de façon très vague, sans jamais parler de la nécessité de se couvrir les cheveux ou la tête, le Coran demande seulement aux femmes, mais aussi aux hommes d'avoir une attitude pudique.

 Si je reviens à la France, je comprends quelque part la peur de ce voile qui revient en masse partout dans le monde et qu'on voit, de plus en plus, s'exprimer en France. C'est me semble-t-il la peur d'un retour des idéologies fondamentalistes et en même temps il y a aussi l'idée que ce voile pourrait être un message du genre : «nous les femmes musulmanes nous avons de la vertu en nous couvrant tandis que vous, les autres femmes qui ne vous couvrez pas la tête, vous êtes des femmes de mœurs légères».

 Les femmes françaises ayant, à une large échelle, relégué le voile chrétien au sein des seules institutions religieuses, je peux comprendre certaines réactions devant ce message.

 Cependant je dois aussi dire que je trouve certaines réactions un peu extrêmes et violentes parce qu'il y a manifestement une confusion entre un voile compris comme un symbole de rejet de la société française et le voile que portent beaucoup de femmes musulmanes par habitude, ou par besoin spirituel.

 L'opinion publique française se doit de comprendre que tous les voiles ne se valent pas et que tous les voiles ne sont pas l'expression d'une idéologie intégriste.

A. G. : Que pensez-vous de la lutte des féministes à travers le monde ? Et quel est votre sentiment sur le verset 228 de la sourate n°2 (sourate de la Vache- traduction de Jacques Berque) qui, parlant des femmes, dit : «Elles ont des droits équivalents à leurs obligations et conformes à l'usage. Les hommes ont toutefois sur elles préséance d'un degré.»

K. B. : Les traductions divergent sur le sens de cette dernière partie du verset. Au lieu de le considérer comme un avantage ou comme étant un degré de prééminence accordé à l'homme sur la femme, certains exégètes et traducteurs du Coran le considèrent plutôt comme une obligation supplémentaire envers les femmes. De plus, dans ce verset, il s'agit spécifiquement de la question du divorce, il faut bien se garder de sortir ce petit bout de phrase du reste du verset et d'en faire une règle universelle. Il ne s'agit clairement pas de l'esprit du texte coranique. En ce qui concerne la question du divorce, il faut revenir au contexte historique dans lequel ce verset coranique a été révélé. Il faudrait pour bien comprendre cette phrase la remettre dans le sens global du verset qui mentionne l'importance de la notion de «ma'rûf» c'est-à-dire l'importance de respecter les règles de bienséance, de justice dans la dissolution des liens du mariage et il faut également le mettre en perspective avec les autres versets coraniques qui concernent le même sujet (le divorce) pour faire une analyse globale. La théologienne marocaine Asma Lamrabet le fait dans son livre «Islam et Femmes» et aboutit à la conclusion suivante : «Le Coran met les deux partenaires à parfaite égalité devant la dissolution du mariage». Attention donc à ne pas faire une lecture fragmentaire du texte coranique et à ne pas sortir de petites phrases de leur contexte textuel et historique.

A. G. : La séparation des hommes et des femmes pendant la prière est-elle justifiée ? Et pourquoi lorsqu'on prie à la maison place-t-on les femmes derrière les hommes ?

K. B. : Encore une fois ce sont là des lectures figées de la tradition et du texte coranique. On trouve des traditions prophétiques qui parlent de la première mosquée, celle du Prophète, or cette salle de prière était une salle mixte, les hommes et les femmes priaient dans la même salle, mais il est vrai que les femmes étaient plutôt au fond de la salle derrière les hommes. Pourquoi ? Une des explications qui nous sont données c'est que les portes de cette salle de prière se trouvaient au fond de la salle et que c'est pour des questions pratiques afin de permettre aux femmes de sortir les premières à la fin de la prière sans être bousculées par les hommes. Dans notre mosquée, les hommes et les femmes sont placés sur un même plan, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre de la salle de prière pour revenir au message du texte coranique qui nous parle sans cesse de cette égalité ontologique entre l'homme et la femme.

A. G. : Vous avez dit que l'Islam vit une crise profonde partout dans le monde, comment les musulmans pourront-ils s'en sortir ?

K. B. : A mon sens la première chose à faire, c'est éduquer, éduquer, éduquer les jeunes générations en adoptant des méthodes scientifiques, afin de sortir des dogmatismes qui sclérosent la pensée. Pour permettre cela il faut que les états soient plus ouverts. S'ils peuvent, bien sûr, aider ou accompagner l'organisation du culte, ils devraient, à mon sens rester neutres face à la question religieuse.

A. G. : Après les récents attentats commis par des islamistes isolés certains Français soupçonnent tous les musulmans de terrorisme et leur reprochent de ne pas sortir davantage dans la rue pour dénoncer cela. Qu'en pensez-vous ?

K. B. : C'est une question très polémique et je ne vois pas pourquoi on demanderait à tous les musulmans de s'excuser pour des attentats commis par des terroristes. Ce n'est pas parce qu'un terroriste a commis un attentat au nom de notre religion que l'on devrait tous se sentir coupables, bien au contraire. Il faut revenir à l'histoire du terrorisme islamiste, dont les premières victimes sont les musulmans eux-mêmes.

 Cela dit, je pense que toute manifestation de la part des musulmans pacifiques pour dire aux non musulmans nous sommes frères, notre religion n'a rien de belliqueux, nous sommes vos concitoyens au même titre que tous les autres Français, peut être un geste positif pour créer des liens fraternels, pour le vivre ensemble.

A. G.: Que vous inspire le débat qui se développe en France à propos de l'islamo gauchiste. ?

K. B. : Je trouve que c'est une aberration totale ! La ministre de l'Enseignement supérieur, lorsqu'elle a abordé cette question, a créé cette polémique et déclenché la suspicion au sein de la recherche scientifique en accusant quasiment les chercheurs d'être les complices du terrorisme. C'est très, très grave, cette confusion n'a pas lieu d'être, il faut que nos politiques veillent à ne pas tomber dans ces confusions-là.

 Je pense au contraire qu'il faut encourager la recherche universitaire non seulement en islamologie mais aussi toutes les études sur l'histoire de la colonisation. A force de faire des amalgames, des confusions, on crée des dommages collatéraux sur des sujets qui sont au cœur de nos sociétés. Moi, bien évidemment, je suis contre l'instrumentalisation de l'histoire de l'Islam et de l'histoire de la colonisation et je pense qu'il faut permettre que la recherche se poursuive notamment pour pacifier la mémoire coloniale qui reste profondément blessée aussi bien en France qu'en Algérie

A. G.: Quels sont vos rapports avec la Mosquée de Paris et avec le Conseil français du culte musulman ?

K. B. : Avec la Mosquée de Paris j'ai des rapports tout à fait cordiaux, les mêmes que ceux que je peux avoir avec toutes les autres mosquées, avec le CFCM je n'ai pas de rapport, de toute façon ils ne reconnaissent pas l'imamat de la femme et ne sont pas d'accord avec ma lecture de certains textes, ceci dit j'ai d'excellents rapports avec certaines des personnalités qui font partie du CFCM.

 

 

 

 

par Interview Réalisée Par Ali Ghanem

Mardi 19 avril 2022

http://www.lequotidien-oran.com/?news=5311520

 

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Rédigé le 19/04/2022 à 17:25 dans Islam, Religion | Lien permanent | Commentaires (0)

Au procès du 13-Novembre, la dernière version d’Abdeslam

 

L’auteur du « Royaume » suit, pour « l’Obs », le procès historique qui se tient au palais de justice de Paris. Cette semaine, le seul survivant du commando terroriste parle. Beaucoup.

 

1. La confession

L’idée, c’est de reculer le plus possible le moment où il a compris qu’il s’agissait d’attentats. Les djihadistes qu’il est allé chercher en Hongrie ou en Allemagne, c’était du rapatriement humanitaire. Lui, ce qu’il voulait, c’est partir en Syrie. Brahim, son frère, lui disait qu’il serait plus utile ici, que la France n’arrêtait pas de combattre les musulmans, de les humilier, de les rabaisser, et que celui qui acceptait d’être chahid, « martyr », c’était le ticket direct au paradis pour lui. Mais c’est seulement le 11 novembre qu’il lui a fait rencontrer, dans sa planque de Charleroi, Abdelhamid Abaaoud qui lui a dit quelque chose de beaucoup plus précis : il avait été choisi pour, dans deux jours, porter une ceinture explosive et se faire sauter dans un attentat.

A-t-il été recruté à la place d’Abrini, comme l’assure celui-ci ? Ni l’un ni l’autre ne nous éclairera là-dessus. « Il ne faut pas croire tout ce que dit Abrini, dit Abdeslam, mais quelquefois, il dit la vérité. » On a surtout l’impression, ces derniers temps, que chacun des deux essaie de voler la vedette à l’autre. En tout cas, c’est un choc pour lui. Mais il se laisse convaincre. C’est seulement dans la nuit du 11 au 12 qu’il comprend qu’il ne pourra pas le faire, qu’il n’a pas le feu sacré, qu’il ne va pas tuer des gens – ce que s’est dit aussi, ou prétend s’être dit, Abrini. Mais il est déjà sur le toboggan. Le convoi de la mort roule vers Paris. C’est lui qui conduit la Clio. Brahim, à l’arrière, écrit des SMS. Abrini se tait.

Dans le pavillon de Bobigny, on lui donne sa ceinture explosive mais on ne parle pas de ce qu’on va faire le lendemain. On mange en silence, on sait que dans 24 heures on sera tous morts – sauf Abrini, qui se taille sans prévenir personne, et sans qu’on sache comment les autres l’ont pris. Dans la matinée du 13, Abdeslam part en repérage avec son frère. Il assure qu’il ne savait rien des autres cibles. Lui, ce qu’il devait faire, c’est d’abord déposer trois bombes humaines au Stade de France, puis se faire lui-même exploser dans un café du 18e, un café d’angle dit-il mais il ne s’en rappelle pas plus. Tous les autres agissent trois par trois, pourquoi envoyer seul le combattant le moins expérimenté, on ne le saura pas plus que le nom du café.

Quand on rentre à Bobigny, il est déjà temps de repartir, on est même en retard. Abdeslam monte dans la Clio avec les deux Irakiens qui ne parlent pas un mot de français et Bilal Hadfi, qui sue à grosses gouttes parce qu’il n’est plus certain d’avoir envie de mourir à 20 ans. Malheureusement, il s’est débrouillé pour mal évaluer le temps du trajet lors du repérage, en sorte qu’ils arrivent après le début du match et sans billets – au lieu du grand massacre prévu il n’y aura qu’un seul mort en plus des trois kamikazes dans leurs tee-shirts du Bayern de Munich. Peu importe, il les dépose tous les trois, puis roule jusqu’au café repéré le matin. Il prend un verre au bar. Regarde ces jeunes gens, très jeunes, qui s’amusent et dansent, qui sont comme lui. Il ne peut pas. Il n’est pas fait pour ça.

Il remonte dans la Clio, qui tombe en panne. Il l’abandonne. Achète un téléphone. Appelle son copain Mohammed Amri. Lui explique qu’il a eu un « sale crash » – panne, accident de voiture, bagarre : ce n’est clair pour personne. Amri dit que non, il travaille. Abdeslam insiste, il est dans la merde. « Bon, dit Amri, on va voir », il va appeler Attou. Avec le peu d’argent qu’il a, Abdeslam prend un taxi, traverse Paris jusqu’à la banlieue sud. Les nouvelles, à la radio : « Ça augmente ma détresse », il n’imaginait pas l’ampleur des attentats. Le chauffeur, maghrébin, répète en boucle « tout ça, ça va retomber sur nous, les musulmans ». A Montrouge, il jette dans une poubelle la ceinture qu’il a de son mieux, et peut-être au péril de sa vie, désactivée. Puis à Châtillon il se réfugie dans un immeuble, tombe sur d’autres jeunes gens qui squattent et fument dans une cage d’escalier. Ils parlent des attentats, regardent sur un téléphone des images des terrasses, du Bataclan. A un moment il s’endort, la tête dans sa parka.

Amri et Attou arrivent à 4 heures du matin. Ils le décriront comme hagard, dans un état second, lui les décrira comme dans un état second aussi, parce qu’ils ont enfin compris ce qui se passe en réalité, et ce que c’est, le « sale crash ». On les imagine, roulant sur l’autoroute vers Bruxelles, dans la Golf d’Amri, tous trois dans cet état second, un rêve éveillé, un cauchemar fiévreux, sauf qu’ils ont franchi sans encombre trois barrages de police et qu’au troisième une journaliste de la radio belge les a interviewés sur l’effet que ça leur faisait, tous ces barrages, tous ces contrôles, et qu’on a passé à l’audience ces quelques secondes de micro-trottoir, et qu’ils n’ont pas l’air du tout dans un état second, plutôt légèrement rigolards, trois petits mecs défoncés et tchatcheurs : « On a trouvé que c’était un peu abusé. – Ah ouais, c’est vrai, c’est abusé… – Mais on a compris le pourquoi, vu ce qui se passe, c’est normal… » Circulez.

Les voici à Molenbeek. Ali Oulkadi prend le relais d’Amri et Attou : je raconterai ce tronçon de l’histoire la semaine prochaine. Abdeslam rejoint dans leur planque les autres membres du groupe, les frères El Bakraoui, Laachraoui, plus l’éternel accompagnateur Abrini qui lui ouvre la porte. Un moment difficile : il doit expliquer aux frères que sa ceinture n’a pas marché. Incrédulité, colère, ça dégénère, il se fait engueuler mais s’en tient à cette version dont il répète maintenant que c’était un mensonge – la version nouvelle étant qu’il n’a renoncé ni pour cause de défaillance technique ni par lâcheté mais « par humanité ». A partir de là, il passe de planque en planque jusqu’au 18 mars où il est capturé, quatre jours avant les attentats du métro et de l’aéroport de Bruxelles auxquels on ne sait pas s’il devait participer mais cela relève du procès belge à venir et ne nous regarde pas.

2. La consolation

C’était son dernier interrogatoire. Après nous avoir baladés tous ces derniers jours comme une starlette capricieuse (« des fois je parle, des fois je parle pas », ça dépend si on est gentil avec moi et si les questions me conviennent), il a annoncé qu’il livrerait enfin sa vérité, la version dernière et définitive, la version pour l’histoire comme on parle à propos du V13 de procès pour l’histoire. Elle s’est étalée sur trois jours, elle a plus ou moins convaincu. Le troisième jour, il y a eu une espèce de péroraison, en dialogue avec son avocate, Olivia Ronen – excellente, décidément, sauf que, décidément aussi, je n’aime pas qu’à l’audience elle l’appelle Salah.

Dans cette dernière ligne droite, en tout cas, il est parvenu à émouvoir. Fendre l’armure, comme on dit. Il a parlé de sa mère, ravalé un sanglot convaincant. Il a demandé pardon, aux trois pauvres diables, Amri, Attou, Oulkadi, qu’il a mis dans la merde, et aux victimes – au nombre desquelles il est clair qu’il se compte. Il a dit aussi quelque chose d’étrange, à la fois sincère, je pense, et obscène.

« Je ne sais pas si les victimes ont de la rancœur à mon égard mais je leur dis : ne laissez pas la rancœur vous étouffer. Il y a beaucoup de noir dans cette histoire, mais il y a aussi de la lumière qui jaillit… C’est peut-être maladroit de dire ça devant les victimes, mais c’est ce que j’ai ressenti en écoutant certaines d’entre elles. Elles sont sorties plus fortes de cette épreuve, elles sont devenues meilleures, avec des qualités qu’on ne peut pas trouver au supermarché… »

Je ne vais pas le contredire, j’ai pensé ça aussi. Mais je ne suis pas sûr que ce soit une consolation pour les victimes qu’il les félicite de leur force d’âme. En feuilletant, ce week-end de Pâques, mes carnets du début du procès, je suis tombé sur cette autre fin de témoignage : « A la sortie de l’hôpital, j’ai cru que j’allais profiter de la vie à 200 %. Et en fait je suis la moitié de ce que j’étais avant, maximum. La phrase qu’on vous dit toujours “ce qui ne te tue pas te rend plus fort”, il y a des gens pour qui elle doit être vraie, pour moi non. Je continue à me battre mais, en fait, j’ai pris perpète. »

 

 

 

Une chronique signée Emmanuel Carrère
Publié le 19 avril 2022 à 19h07
 
https://www.nouvelobs.com/chroniques/20220419.OBS57339/au-proces-du-13-novembre-la-derniere-version-d-abdeslam.html
Ecrivain
 
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Rédigé le 19/04/2022 à 15:24 dans Divers | Lien permanent | Commentaires (0)

« La conquête de l’Algérie par la France a été très meurtrière » : entretien avec l’historien Benjamin Stora

 

Le préfet d'Alger, Alphonse Levert (debout à gauche), vers 1860. En 1848, Alger, Oran et Constantine deviennent des départements français. (Coll. M. D. / adoc-photos)
Le préfet d'Alger, Alphonse Levert (debout à gauche), vers 1860. En 1848, Alger, Oran et Constantine deviennent des départements français. (Coll. M. D. / adoc-photos)
 

En 1830, Charles X décidait de prendre Alger aux Turcs. Les débuts de cette conquête marqueront à jamais l’imaginaire collectif algérien. Retour sur l’histoire méconnue de la colonisation du plus grand pays d’Afrique.

 
 

Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a fait partie de l’empire colonial français. Or l’histoire de cette période, restée taboue, a été occultée par les livres et films portant sur la seule guerre d’indépendance. « L’Obs » revient sur les enjeux de cette Algérie française avec l’historien Benjamin Stora, spécialiste du Maghreb contemporain et président du Musée de l’Histoire de l’Immigration, qui a écrit, coécrit et dirigé une cinquantaine d’ouvrages, dont « la Guerre d’Algérie vue par les Algériens ».

Pourquoi ce silence sur l’Algérie coloniale, sur ce long siècle d’occupation française ?

L’Algérie française est longtemps restée taboue. Le silence sur la guerre a été levé, tardivement, il y a une quinzaine d’années. Mais c’est comme si la production sur le conflit, devenue abondante, avait fait écran, comme si elle nous avait empêchés d’aller plus en amont, comme si l’histoire de l’Algérie française se limitait à celle de la guerre. Or on ne comprend rien à ce conflit de huit années si on ne se penche pas sur le XIXe siècle. On ne peut pas raconter l’histoire par la fin. L’insurrection de la « Toussaint rouge » de novembre 1954 n’a pas éclaté mystérieusement après des décennies de convivialité, comme veulent le croire une partie des pieds-noirs et certains politiques français.

Vous avez constaté une production littéraire et artistique plus faible sur cette période ?

Il n’y a pas grand-chose. Regardez le cinéma, sans doute la principale représentation de l’imaginaire. Depuis l’indépendance, il y a eu au moins une soixantaine de films sur la guerre. « Avoir 20 ans dans les Aurès », « Elise ou la vraie vie »… Mais les longs-métrages sur la colonisation sont nettement moins nombreux. L’émir Abd el-Kader, l’un des principaux résistants au XIXe siècle, n’a jamais été montré, le maréchal Thomas Bugeaud, l’homme de la conquête, n’existe pas. Combien de films sur cette période ? « Fort Saganne », « les Chevaux du soleil »… Guère plus. Même chose pour la littérature. Alexis Jenni, Laurent Mauvignier, Erik Orsenna, Jérôme Ferrari, tous ont écrit sur la guerre. Alors que les récits sur la période d’avant sont rarissimes.

Le siège de Constantine en 1836 par les troupes du général Clauzel (gravure de 1875). (PHOTO12/AFP)

 

La conquête a été longue et difficile, dites-vous…

Elle a été terrifiante, meurtrière. Démarrée avec la prise de la régence d’Alger en juillet 1830, elle a duré jusqu’en 1871, avec la répression de la révolte des Mokrani, en Grande Kabylie, et même jusqu’en 1902, dans ses frontières, avec la création des Territoires du Sud. Plus d’un demi-siècle, trois générations. Il faut lire l’ouvrage de François Maspero, « l’Honneur de Saint-Arnaud » (Plon, 1993), la biographie de cet officier qui écrivait des lettres hallucinantes à sa fiancée. « J’ai mal au bras tellement j’ai tué de gens » ; « Je suis entré dans une rue, j’avais du sang jusqu’à la ceinture. » La conquête détruit l’image d’une installation acceptée, d’une cohabitation « pacifique ». C’est aussi pour cela qu’elle est tue. Les historiens considèrent qu’entre les combats, les famines et les épidémies, plusieurs centaines de milliers d’Algériens sont morts. La population musulmane, estimée à 2,3 millions en 1856, est tombée à 2,1 millions en 1872. Les refus, les dissidences ont existé dès le début. On ne mesure pas en France combien les figures de la résistance, l’émir Abd el-Kader ou les frères Mokrani, font partie du panthéon national algérien. Le souvenir de la conquête s’est transmis de génération en génération. Il ne s’est jamais effacé.

Plus de 100 000 soldats envoyés, des millions de francs engagés. Pourquoi la conquête de l’Algérie est-elle un tel enjeu au XIXe siècle ?

Il s’agit de faire échec aux Britanniques en Méditerranée, mais aussi d’étendre l’Empire vers le sud et les Amériques. L’Algérie est un territoire gigantesque, le plus grand d’Afrique en superficie, un lieu « idéal » d’expériences, de développement économique. Des fouriéristes, des saint-simoniens, pétris d’utopie socialiste, vont y créer des communautés. Et puis c’est l’Orient près de chez soi, à moins d’une journée de bateau. Les peintres traversent la Méditerranée : Eugène Fromentin, Eugène Delacroix, Gustave Guillaumet, qui peint la misère à Constantine, Horace Vernet, dont une toile décrit la prise de la smala d’Abd el-Kader. Il y a aussi les écrivains, Théophile Gauthier, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant… L’exotisme oriental fascine.

En quoi le colonialisme participe-t-il à la grandeur de la France ?

La pensée procoloniale fabrique le nationalisme français. Qu’est-ce que la France ? C’est aussi, surtout, son empire colonial. Si on critique le colonialisme, on critique le nationalisme. Il s’exprime dès le début avec la constitution de l’Armée d’Afrique en souvenir de l’héritage napoléonien. Beaucoup de généraux de la conquête ont fait les guerres de Napoléon, notamment celle d’Espagne, en 1806, et pour certains d’entre eux, comme Bugeaud, ils vont même s’inspirer de la Révolution française et des colonnes infernales de la guerre de Vendée en 1793… L’empire napoléonien perdure d’une certaine façon. Napoléon III, en 1860, essaiera, en vain, de modifier cette situation en proposant un « royaume arabe » associant les élites musulmanes. Il y aura aussi, plus tard, l’idéal républicain, l’idéal des Lumières. Il s’agira d’installer des écoles, de civiliser, de faire une autre France.

 

Une école de broderie à Alger, au début du XXe siècle. (ROGER VIOLLET)

 

Comment cette « autre France » s’est-elle construite ?

Question de proximité et de timing historique. Les autres pays du Maghreb, le Maroc et la Tunisie, seront des protectorats de l’Empire. Le maréchal Hubert Lyautey, premier résident général du protectorat marocain en 1912, conservera la monarchie chérifienne et associera les élites locales. Mais, en Algérie, c’est l’armée qui a pris le pouvoir entre 1830 et 1870. La colonisation n’a pas été pensée, organisée, elle s’est faite dans l’improvisation, en fonction des redditions des « tribus arabes », avec des militaires divisés, certains prônant l’occupation totale, d’autres, partielle. Sous la IIe République, en 1848, Alger, Oran et Constantine deviennent des départements français. Aucune autre colonie de l’Empire n’est ainsi organisée. Avec la IIIe République, le système administratif se renforce. Les villes du littoral ont leur mairie, leur église, leur kiosque à musique, leurs allées de platanes. Les immeubles haussmanniens poussent à Alger. Les chefs d’Etat à partir de Napoléon III vont en visite en Algérie, comme on se rend dans ses provinces. « L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne », dira François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, en novembre 1954. Ce qui a été fait en Algérie, et ne se fera jamais plus dans l’Empire, c’est cette volonté folle de vouloir annexer un territoire comme un prolongement naturel de la métropole.

 

Une fête foraine à Alger, en 1931. Trois enfants algériens observent une fillette francaise sur un manège. (DELIUS/LEEMAGE)

 

 

Une fête foraine à Alger, en 1931. Trois enfants algériens observent une fillette francaise sur un manège. (DELIUS/LEEMAGE)

L’Algérie a été aussi la seule colonie de « peuplement » avec la Nouvelle-Calédonie. A l’indépendance, on comptait près de 1 million de pieds-noirs pour 9 millions d’Algériens. Pourquoi a-t-on favorisé l’exil de Français vers l’autre rive ?

Le « peuple » des pieds-noirs est en fait très disparate. Au début de la conquête, il y a les soldats-laboureurs, à qui l’armée confie des terres expropriées. Puis arrivent les exilés politiques (les républicains après le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte en 1851, les communards en 1870, les Alsaciens et les Lorrains après l’annexion de 1871), mais aussi les immigrés pauvres dont l’installation est favorisée : les ouvriers français qui cherchent du travail, les viticulteurs ruinés par l’épidémie de phylloxera, des Italiens, des Maltais, des Espagnols, énormément d’étrangers, tous naturalisés par un décret de 1889. Sans oublier les juifs, qui étaient là avant la conquête, et deviendront français avec le décret Crémieux de 1870. En 1881, on comptait ainsi 181 000 étrangers, 35 000 juifs et 195 000 « Français de France », un peu moins de la moitié.

 

Un couple de juifs de Constantine en 1856. (PVDE/RUE DES ARCHIVES)

 

Pour vous, l’Algérie française est dès le départ un leurre…

On a essayé de recréer la France, mais cela a fonctionné de manière chaotique. Le pays est trop vaste pour être quadrillé de façon homogène. Surtout, les musulmans ne sont pas associés au pouvoir administratif. Ils devront attendre 1944 et 1958 pour obtenir davantage de droits, notamment celui de voter. Le « code de l’indigénat » perdure jusqu’en 1944. Les Algériens, eux-mêmes, continuent de refuser la présence française bien après la « pacification ». Pratiquement jusqu’en 1914-18, peu de familles envoient leurs enfants à l’école, par crainte de perdre la tradition, la langue, la religion. Les « indigènes » du village de Margueritte expropriés de leurs terres se révoltent en 1901, les notables de Tlemcen s’exilent en 1911 pour échapper à la conscription, les Aurès refusent également d’être enrôlés en 1916. Maurice Viollette, nommé gouverneur de l’Algérie en 1925, est l’un des premiers à mesurer les conséquences de cette non-assimilation. Il publie « L’Algérie vivra-t-elle ? » en 1931. Ministre du Front populaire, il essaie de donner davantage de droits à l’élite musulmane en 1936. Mais le projet Blum-Viollette n’est même pas débattu à l’Assemblée nationale.

En 1930, la France célèbre le centenaire de la colonisation avec des fêtes grandioses. Pourquoi tant de faste ?

C’est l’apogée. On a le sentiment que l’Algérie est dans l’Empire pour l’éternité. On met en scène le nationalisme français. Les anticolonialistes, parmi lesquels les surréalistes et les communistes, sont une minorité. Il y a bien eu le fameux texte de Tocqueville en 1847 : « Nous avons dépassé en barbarie les barbares que nous venions civiliser. » Mais il s’agit en fait de corriger les méfaits du colonialisme, pas d’y mettre fin. Seule une petite fraction de la gauche est indépendantiste : la gauche radicale-socialiste, les anarcho-syndicalistes, les trotskistes… Les fêtes du centenaire durent plus de six mois et sont suivies par l’Exposition coloniale de 1931, dont le pavillon algérien est le plus important. Mais derrière le décor, l’agitation politique en Algérie gronde. L’Etoile nord-africaine, le premier mouvement indépendantiste, naît en 1926.

Que veulent les premiers nationalistes ?

Au début, c’est « l’Egalité », le titre du journal de Ferhat Abbas, l’un des trois pères du nationalisme algérien avec Messali Hadj et Abdelhamid Ben Badis. L’égalité politique, le droit de vote, l’assimilation, mais pas l’indépendance. L’élite est d’abord assimilationniste et veut jouer dans les interstices de la société coloniale, comme en témoigne la trajectoire emblématique de Ferhat Abbas, qui était pour l’égalité et l’autonomie avec le maintien dans l’Empire français dans l’entre-deux-guerres, puis est devenu président du Gouvernement provisoire de la République algérienne en 1958. Il y a eu trop de malentendus, de répressions, de non-reconnaissance des musulmans. Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mai 1945, vont servir de détonateur au mouvement indépendantiste.

La période de la conquête et de l’occupation n’est pas non plus enseignée à l’école ?

On a commencé à enseigner la guerre. Mais ce qui s’est passé avant… Cela reste un point sombre de l’histoire. En revanche, chez les Algériens, la transmission mémorielle de cent trente-deux ans de présence étrangère, de relégation à une sous-citoyenneté, à une sous-humanité est très forte. Ils se sont répété de génération en génération : « Pourquoi cette absence de considération des Français, pour nous, Algériens, pendant près d’un siècle et demi de colonisation ? »

 

 

 

Par Nathalie Funès
·Publié le 15 août 2019 à 7h00·Mis à jour le 15 août 2019 à 9h35
https://www.nouvelobs.com/afrique/20190815.OBS17193/l-algerie-francaise-est-longtemps-restee-taboue-entretien-avec-l-historien-benjamin-stora.html
 
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Rédigé le 19/04/2022 à 11:17 dans colonisation, France | Lien permanent | Commentaires (0)

Le massacre des El Ouffia, premier carnage de la conquête française en Algérie

 

Gravure représentant le colonel Schauenburg du 1er régiment de Chasseurs d’Afrique qui participa au massacre de la tribu des El Ouffia en avril 1832. (WIKIMEDIA COMMONS)

ravure représentant le colonel Schauenburg du 1er régiment de Chasseurs d’Afrique qui participa au massacre de la tribu des El Ouffia en avril 1832. (WIKIMEDIA COMMONS)

 

 

En 1832, deux ans après le débarquement des troupes françaises, une tribu d’El Arrach, près d’Alger, surprise dans son sommeil, est décimée par l’armée. Récit en partenariat avec RetroNews, le site de presse la BNF.

 

Il a suffi d’un simple soupçon pour que le général Savary ordonne le massacre de la tribu des El Ouffia. Nous sommes en avril 1832, à El Harrach (Maison-Carrée, à l’époque coloniale), dans les faubourgs d’Alger. Les fantassins et les marins du roi Charles X ont débarqué à Sidi-Ferruch, sur la côte algérienne, deux ans auparavant, le 14 juin 1830. Les officiers ont quasiment droit de vie et de mort sur chaque bout de territoire qu’ils arrivent à conquérir. La résistance des Algériens, qui s’organise quelques jours seulement après le débarquement, est à chaque fois sauvagement réprimée. Le massacre de la tribu des El Ouffia, premier carnage d’une conquête qui sera longue et sanglante, s’inscrit dans ce contexte.

Le point de départ est un larcin. Des El Ouffia sont soupçonnés d’avoir dépouillé quelques hommes d’un cheikh qui a fait sédition et qui est désormais allié à l’armée française, un certain Ferhat ben Said. La délégation venait de rencontrer le général Savary et repartait les bras chargés de présents quand elle s’est faite agresser. La tribu des El Ouffia est déjà dans le collimateur de l’armée coloniale qui la soupçonne d’enrôler des légionnaires. On décide en quelques heures de la punition : une expédition sera menée par le 1er régiment de Chasseurs d’Afrique et le 3e bataillon de la Légion étrangère dans la nuit du 6 au 7 avril. La tribu est surprise à la pointe du jour, encore ensommeillée, sous les tentes. L’opération commando fait une centaine de victimes, toutes passées au sabre ou tuées par balles.

La presse en Algérie est alors réduite à sa portion congrue. Un premier journal, « l’Estafette d’Alger », éditée par l’armée, a vu le jour au moment du débarquement mais n’a jamais dépassé le second numéro. Un deuxième périodique est lancé, « le Moniteur algérien », en janvier 1832. C’est le journal officiel de la colonie et le seul alors autorisé, il est écrit en français et en arabe. Pour relater les événements, il va se contenter, le 10 avril, de publier le communiqué du général Savary, duc de Rovigo :

« La tribu arabe nommée El Ouffia, campée à une lieue et demie à l’est de la Maison-Carrée, s’appliquait depuis longtemps à l’embauchage des troupes qui occupent ces postes. Une dizaine de malheureux soldats étrangers, séduits par des promesses d’argent et de bien-être, ont été emmenés dans les montagnes voisines de cette tribu, où ils ont trouvé, au lieu des propriétés et des femmes qu’on leur avait promises, que des maîtres qui les gardent avec soin, et les emploient sous le bâton aux plus rudes travaux, jusqu’à ce qu’ils aient trouvé l’occasion de les vendre pour l’intérieur de l’Afrique. Cette même tribu a dépouillé avant-hier les chefs arabes qui revenaient d’Alger. Le général en chef ne pouvait tolérer ces brigandages de la part de gens qui jouissaient de la protection de la France, et dont les cheikhs avaient juré à l’Aga des Arabes de vivre soumis et paisibles. »

« Aujourd’hui, poursuit le communiqué, un corps de troupes du 1er régiment des Chasseurs d’Afrique et du 3e bataillon de la Légion étrangère, commandé par le général Faudoas, ayant sous ses ordres le colonel Schauenburg, les chefs d’escadron Marey et Gadrat, et le chef d’escadron Salomon de Musis, a été envoyé pour punir cette tribu coupable. Elle a été détruite ; les femmes, les enfants et ceux qui se sont rendus sur-le-champ à nos troupes ont seuls été épargnés. Les deux chefs faits prisonniers seront traduits au conseil de guerre. Un sergent-major de la Légion étrangère a reconnu parmi les morts un de ses camarades de la compagnie, qui était froid, et avait encore son pantalon garance, ce qui prouve qu’il avait été tué la veille ; un autre, habillé en bédouin, a été tué dans l’action et reconnu également. Le même châtiment est réservé à toutes les tribus de la régence d’Alger qui oseraient imiter celle d’El Ouffia. »

« Le général en chef témoigne aux troupes qui ont pris part à cette expédition sa satisfaction pour l’ardeur et l’intelligence qu’elles ont montrées, conclut le texte. Il compte sur elles au jour où de plus rudes combats deviendraient nécessaires pour les intérêts ou l’honneur de la France. Le butin pris sur la tribu sera vendu, et le prix en sera partagé entre les troupes qui ont fait celte expédition. »

« Ce sévère exemple a produit son effet »

Le général Anne Jean Marie René Savary, 58 ans, n’est pas un tendre. Fidèle d’entre les fidèles de feu Napoléon, marié à une parente de Joséphine de Beauharnais, il a participé, sous l’Empire, à la campagne de Prusse. En remerciements, il a reçu le titre de duc de Rovigo et a été nommé ministre de la Police en remplacement de Joseph Fouché. Il s’est montré à ce poste particulièrement dévoué. On lui doit notamment la mise en place de la politique de fichage et de censure.

Revenu en grâce sous la Monarchie de Juillet, après avoir connu l’exil, il est nommé en décembre 1831 commandant en chef des troupes françaises en Algérie. Il s’appuie sur des tribus locales pour conquérir le littoral et l’intérieur des terres, baptise un village de la Mitidja de son titre de noblesse, Rovigo, transforme la mosquée Ketchaoua, dans la casbah d’Alger, en église catholique, réquisitionne les habitations des Algériens… Très vite, la population locale le prend en horreur.

 

Portrait du général Savary, huile de Robert Lefèvre, 1814. (WIKIMEDIA COMMONS)

 

Dans le rapport qu’il rédige pour le ministère de la Guerre, et qui est publié le 30 avril par « le Moniteur universel » à Paris, le général Savary assume sa décision, se dit prêt à recommencer et minimise le nombre de victimes et les exactions de l’armée :

« La députation du cheikh Farbat, du Grand-Désert, était partie d’Alger, le 6, pour s’en retourner chez elle, et avait pris sa route par la Maison-Carrée. A deux lieues de là, environ, arrivée sur le territoire de la tribu El Ouffia, elle fut attaquée et totalement dépouillée. On ne lui laissa que la vie, et après beaucoup de prières. Elle put revenir à la Maison-Carrée, où elle était encore lorsque je fus averti de cet évènement. La veille, j’avais reçu du commandant Salomon, de la Légion étrangère, qui occupe la Maison-Carrée, un rapport sur les tentatives d’embauchage de cette tribu envers les soldats de sa légion. La chose avait été au point que les soldats auxquels on proposait de déserter, en leur offrant jusqu’à deux ou trois cents francs, étaient venus en rendre compte à leur commandant. Celui-ci organisa un piège, autorisa les soldats à répondre aux avances des Arabes, et à leur donner un rendez-vous. Les Arabes vinrent avec des chevaux pour emmener leurs nouveaux prosélytes, lorsque l’embuscade s’empara de l’un des embaucheurs. Nous apprîmes par-là qu’il y avait dans le voisinage un cheikh de tribu, allemand de nation, qu’un naufrage jeta sur cette côte il y a environ vingt ans, et qui cherche à attirer à lui des hommes de sa nation, pour augmenter son parti. Nous apprîmes de même qu’il y avait dans cette même tribu deux soldats de la Légion étrangère qui manquaient depuis quelques jours. C’est encore sur le territoire de cette tribu qu’a été assassiné le jeune pharmacien de l’armée qui avait l’imprudence de fréquenter les Arabes […]. »

« J’ai jugé que j’avais usé d’assez de longanimité, reprend le général Savary dans son rapport. En conséquence, j’ai pris des mesures pour que l’aventure des députés de Farhat ne fut point connue à Alger et, dès le jour même, j’ai pris mon parti sans rien communiquer à personne d’autre qu’à mon chef d’état-major. A 9 heures du soir, j’ai fait monter à cheval tout ce que j’ai pu réunir de ma cavalerie, au nombre de 285 chevaux […]. En arrivant à la Maison-Carrée, ils ont pris deux compagnies d’infanterie du bataillon qui s’y trouve et se sont dirigés sur la tribu El Ouffia, qu’ils ont eu le bonheur d’entourer complètement. Les chasseurs algériens, montés à leurs frais, ont commencé l’attaque, soutenus par les deux compagnies d’infanterie ; tout ce qui a résisté a été passé au fil de l’épée ; on n’a épargné que ceux qui se sont rendus, et, en une heure, tout a été fini. Il y a eu à peu près 60 Arabes tués ; 6 à 7, à cheval, se sont échappés. A 9 heures du matin, le général Faudoas était rentré à la Maison-Carrée, emmenant avec lui les deux cheikhs prisonniers, 17 hommes, 24 femmes et des enfants ainsi que les troupeaux de la tribu […]. »

« Ce sévère exemple a produit son effet : voilà déjà trois tribus que m’envoient des messagers pour me demander grâce, conclut le général Savary. Encore deux ou trois exemples semblables, et j’espère, Monsieur le maréchal, que j’aurai raison du projet de rassemblement de l’Est. »

 

« Impitoyablement massacrée »

Il faudra attendre encore un an pour que la presse commence à s’indigner. De l’autre côté de la Méditerranée, à Marseille, le port d’où partent tous les navires militaires pour l’Algérie, « le Revenant », une revue littéraire, est le premier journal à condamner la violence du massacre. Le récit qu’il en fait le 30 mars 1833 est nettement moins édulcoré que celui du général Savary. Le périodique met le doigt sur les fautes et les mensonges de l’armée.

« Comment la presse a-t-elle gardé le silence sur l’exécution militaire commise dans la nuit du 6 au 7 avril sur la petite tribu des El Ouffia ? Une tribu amie, qui était venue se placer depuis notre arrivée à Alger, sous la protection de la Maison-Carrée, qui alimentait ce poste de menues denrées, qui en recevait journellement les officiers et les soldats, a été surprise, encore endormie sous ses tentes, et fusillée ou sabrée au point du jour du 7 avril, sans réquisition ni sommation préalable, et pour quelle cause ? Pour un vol commis sur son territoire, la veille, par des vagabonds étrangers, sur cinq ou six aventuriers également étrangers […]. Tout le bétail épars sur le territoire qu’elle occupait et qui était en partie la propriété des tiers habitant la montagne ou la ville d’Alger a été ramassé, amené au poste et vendu à l’amiable au consul du Danemark, bien qu’on eût annoncé par un ordre du jour du 8 avril qu’il serait vendu à l’enchère […]. »

« De nombreuses femmes amenées à la Maison-Carrée ont été renvoyées le second ou troisième jour pour donner une sépulture à leurs maris ou à leurs parents, et le sein à leurs enfants. Le nombre des morts a été estimé de 80 à 100, peut-on lire plus loin dans l’article. Après cette exorbitante satisfaction exigée collectivement de la tribu, parmi les 17 ou 18 prisonniers amenés à Alger, un marabout en même temps cheikh de cette tribu et un autre notable ont été décapités le 17 avril, en vertu d’un jugement d’un conseil de guerre qui, dans la matière était incompétent et dont il a été impossible aux prévenus de décliner la compétence. »

 

En ce mois de mars 1833, le général Savary, atteint d’un cancer, est rapatrié en métropole. Il va mourir dans trois mois. Son action est timidement critiquée. Mais la colonisation de l’Algérie doit continuer à marche forcée. La métropole envoie un nouveau général pour lui succéder. Pas question de perdre sa suprématie par rapport à ses voisins européens. L’Angleterre a mis la main sur Malte et Corfou, deux îles méditerranéennes ; l’Autriche s’est emparée de Venise et d’une partie du littoral de l’Adriatique ; la Russie, de la Valachie et de la Moldavie. L’Algérie doit tomber dans l’escarcelle française. Seuls de très rares anticolonialistes estiment que la conquête va être excessivement coûteuse en hommes et en argent, sans être réellement bénéfique à l’économie française.

Le 29 avril 1834, « le Temps » publie l’intégralité des débats à la Chambre des Députés qui doit voter une nouvelle dépense de 400 000 francs, alors que 30 millions de francs et 30 000 hommes ont déjà été engagés. Le député Xavier de Sade, un membre de la famille du célèbre marquis, élu de l’Aisne depuis 1827 et qui siégera jusqu’à sa mort en 1846, est un opposant farouche à la conquête menée sur l’autre rive de la Méditerranée. Il prend la parole et s’appuie sur le massacre de la tribu des El Ouffia pour justifier son vote négatif à la nouvelle enveloppe financière coloniale :

« De grâce, que l’on veuille bien m’apprendre […] quelles ressources nous en tirerions dans quelque lutte européenne ? En vérité, messieurs, on raisonne toujours comme si un accroissement quelconque de territoire était nécessairement un accroissement de force. Il n’y a pas cependant d’hypothèse plus fausse et plus contredite par l’histoire. […] Une nation ne doit pas avoir les yeux seulement fixés sur son doit et sur son avoir. J’ai déjà parlé de l’espèce de guerre que vous serez condamnés à faire pour expulser les naturels, et du caractère sauvage que nécessairement elle prendra. Malheureusement, nous n’en sommes pas à conjecturer l’avenir ; nous devons regretter le passé. Nous avons dû faire porter et nous avons fait porter nos investigations sur des faits que, bien que ce soit une tâche très pénible, je dois porter à votre connaissance, parce qu’ils n’ont encore reçu presque aucune publicité. (Mouvement d’attention).

La petite tribu des Ouffias s’était rangée la première sous notre protection, et vivait en sécurité dans le voisinage d’Alger. Quelques envoyés qui étaient venus de l’intérieur furent dévalisés sur son territoire, à leur retour. On soupçonna que ce délit avait été commis par quelques-uns de ses membres. Le soupçon ne se vérifia pas : c’étaient principalement des étrangers qui en étaient les auteurs. Sans prendre d’informations, on résolut d’en tirer une vengeance éclatante. Le lendemain même, au point du jour, la tribu fut entourée, assaillie et impitoyablement massacrée. Le butin fut recueilli, vendu, et le produit partagé entre les exécuteurs de cette sanglante tragédie. Le soir même on donna ordre à tous les habitants d’Alger d’illuminer leurs maisons, et de se réjouir ; car, disait le gouverneur, dans une pièce dont je vais citer textuellement les étranges expressions : “Les Arabes, qui avaient assisté à ce jugement, se sont tous écriés que c’était une belle chose que la justice française !” (Sensation.) […]. Ainsi donc, au lieu de porter à ce peuple des leçons de civilisation, craignez d’y aller chercher des leçons de barbarie. »

 

Xavier de Sade ne réussira pas à convaincre grand monde dans l’hémicycle. Et les nouveaux crédits de l’expédition algérienne seront votés à l’écrasante majorité. Fils d’un savant numismate qui avait été député aux états généraux de 1789, cofondateur de la Société française pour l’Abolition de l’Esclavage aux côtés du poète Alphonse de Lamartine en 1834, il a été l’un des précurseurs du combat anticolonialiste en France.

 

 

 

 

 

Par Nathalie Funès

·Publié le 7 août 2021 à 17h00

https://www.nouvelobs.com/histoire/20210807.OBS47309/le-massacre-des-el-ouffia-premier-carnage-de-la-conquete-francaise-en-algerie.html

 

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Rédigé le 19/04/2022 à 09:25 dans colonisation, France | Lien permanent | Commentaires (0)

Algérie : un député ex-légionnaire dans la tourmente

 

 Le député Mohamed Bekhadra est menacé d’être privé de son mandat pour avoir été enrôlé dans la Légion étrangère.

 

 

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Un ancien soldat engagé dans la Légion étrangère élu député en Algérie ? Dans les couloirs du Parlement à Alger, c'est l'émoi après les révélations de médias locaux sur le député Mohamed Bekhadra, élu lors des dernières législatives de juin 2021 dans la circonscription de Marseille.

Selon ces médias, Mohamed Bekhadra, « aurait servi dans la Légion étrangère, combattu dans plusieurs pays d'Afrique du Sahel au nom de la France puis naturalisé en 2006 ».

 

Pour la précision, un député doit avoir la nationalité algérienne, selon la loi, mais pas de manière exclusive, il peut donc être binational.

 

Un soldat médaillé

Toujours d'après les mêmes sources, ce député de la communauté algérienne en France se serait engagé dans la Légion de 2002 à 2007 « à Aubagne dans le département des Bouches-du-Rhône » avant d'être « muté au 4e régiment de la Légion étrangère basé sur la route de Pexiora à Castelnaudary dans le département de l'Aude dans le sud-est de la France ».

« Il sera détaché au sein du régiment français d'interventions au Tchad. Au terme de sa mission, il obtient une médaille de bronze. À son retour en France, il est envoyé 1er régiment étranger de génie, dans Laudun-l'Ardoise dans le sud-est de la France », détaille le quotidien Le Jeune Indépendant. Il finira avec le grade de caporal et serait « bien noté par ses supérieurs grâce à la médaille qui lui a été décernée pendant l'intervention au Tchad ».

Ces « révélations » ont poussé le Parlement, selon le quotidien El Khabar, à interdire, la semaine écoulée, à ce député l'accès à l'hémicycle de l'Assemblée nationale populaire en attendant « son exclusion » de l'assemblée. Le ministre de la Justice a également été saisi par des présidents de groupes parlementaires afin de lever l'immunité parlementaire de Mohamed Bekhadra. Une séance du Parlement statuera dans deux semaines sur son sort.

 

Les précisions du député

« La haute autorité de surveillance des élections chargée de collecter les candidatures ne pouvait rejeter sa candidature compte tenu du fait qu'il était détenteur de la nationalité algérienne et résidait légalement en France et remplissait les conditions exigées pour prendre part aux législatives », explique Le Jeune Indépendant et son propre parti, le Front national algérien – dont il a été exclu pour des raisons internes – s'est justifié en avançant qu'il n'avait pas les moyens pour vérifier le passé de son candidat.

Ce dernier a tenu à répondre à ces accusations dans les colonnes d'El Khabar de ce lundi 18 avril. S'il reconnaît avoir été entendu, le 12 avril dernier, par la commission juridique du Parlement, il explique qu'il avait déjà communiqué des documents sur son engagement dans la Légion aux « autorités compétentes ».

 

« Fils de martyr »

Il affirme également qu'il n'a jamais été enrôlé dans des unités combattantes, mais en tant qu'infirmier, notamment à Djibouti. « C'est une page de mon passé que j'ai fermée depuis longtemps », témoigne Mohamed Bekhadra, ulcéré par le procès de patriotisme dont il est l'objet alors qu'il un « petit-fils de chahid [martyr, combattant algérien tué durant la guerre d'indépendance] ».

Le député précise également qu'il avait « rejoint l'armée française parce que c'était un moyen d'avoir ses papiers de résidence et de financer, à l'époque, ses études ». L'homme cherche ailleurs les raisons de ce qu'il considère comme une cabale montée contre lui et croit savoir qu'il faudrait chercher du côté du Consulat d'Algérie à Bordeaux qu'il avait critiqué lors d'une plénière du Parlement. Selon le député, c'est d'ailleurs l'ambassade d'Algérie à Paris qui a initié les procédures contre lui. Affaire à suivre…

 

 

 

Par notre correspondant à Alger, Adlène Meddi

Publié le 19/04/2022 à 08h00 - Modifié le 19/04/2022 à 11h51

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Rédigé le 19/04/2022 à 08:45 dans Algérie, Guerre d'Algérie, Politique | Lien permanent | Commentaires (0)

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