L'écrivain Boualem Sansal a reçu, ce samedi 23 avril à Perpignan, le prix Méditerranée de littérature 2022 en présence d’écrivains et de représentants du monde de l’édition. Il est récompensé pour son dernier roman, Abraham ou la cinquième alliance, une métaphore de la Genèse, pleine d’enseignements sur la période contemporaine. En 1916, alors que la guerre fait rage en Europe, Abraham est conduit pas son père, un patriarche chaldéen, à conduire son peuple vers la Terre promise sur fond d’effondrement des grands empires.
Lauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française en 2015 pour 2084 : la fin du monde, Boualem Sansal, romancier et essayiste qui écrit en français, met ici à profit sa connaissance profonde des religions monothéistes pour parler de l’homme contemporain. Né à Alger en 1949, il est reconnu pour ses écrits sans concession et son hostilité aux religions en général et à l’islam en particulier. Il est l'auteur de dix romans, de huit recueils de nouvelles, de sept essais et de nombreux autres livres.
Depuis longtemps, son discours sur l’islam tranche avec l’irénisme ambiant en France. Lorsque, le 8 septembre 2015, un journaliste de France Inter lui demande si l’islam est compatible avec la démocratie, cet écrivain courageux ne joue pas avec les mots. « Pour moi, il est tout à fait incompatible, répond-il. Il faut [pour qu’il le devienne, NDLR] une révolution intellectuelle qui mènerait les musulmans à séparer dans leur tête la religion et la cité, il faut passer par là. Tant que l’islam restera ce qui configure l’identité musulmane, c’est impossible. On ne peut pas fonctionner sous l’égide de deux lois contradictoires, précise-t-il, la loi des hommes et la loi de Dieu. Elles seront en confrontation de manière permanente. » Sur tous les sujets sociétaux, « c’est toujours l’islam qui l’emportera », prévient-il.
Inlassablement, Sansal dénonce la « soumission » de l’Europe à l’islam et l’illusion des Européens qui pensent pouvoir « digérer » cette religion. Une religion que ces mêmes Européens connaissent mal et qui n’a rien d’un christianisme d’Orient, explique-t-il. Elle est d’une essence différente, montre Sansal, elle ne cède jamais, ne se dissout pas. Souriant, posé, drôle, la voix douce, cet érudit tente depuis des années de secouer le monde occidental. En vain.
https://www.bvoltaire.fr/le-courageux-ecrivain-algerien-boualem-sansal-laureat-du-prix-mediterranee-de-litterature/
« Abraham ou la cinquième Alliance », par Boualem Sansal
Traversant le Moyen-Orient du XXe siècle, des nomades bibliques suivent le même itinéraire que leurs aînés d’il y a 4 000 ans, menés par un Abraham contemporain qui annonce une nouvelle alliance.
1916 : une tribu fragile quitte la Chaldée. Les accords Sykes-Picot dépècent l’ancien Empire ottoman au profit de la France et de l’Angleterre. En ce XXe siècle, le Moyen-Orient est encore aux prises avec la violence. Les fils de Terah savent qu’ils doivent écrire l’histoire, celle qui sauvera le monde : « Nous nous mouvions à l’intérieur de la Genèse, pas seulement pour la vivre en accomplissant en actes ses récits mais pour la récrire. La révélation est un phénomène itératif, c’est notre tour de l’actualiser. »
L’histoire se répète. Et l’histoire d’Abraham est vieille comme le monde des religions. Il faut pourtant refaire le chemin, garder la trace : « Les temps actuels l’exigent, voilà longtemps, trop longtemps que l’humanité n’a pas eu de prophètes pour la sermonner et la remettre sur le chemin de la vérité et de la paix. » De Babylone à Hébron, en passant par Harran ou Sichem, le hasard et la destinée retracent l’itinéraire du premier Abraham.
La tribu s’identifie à l’histoire inaugurale, se projette comme un nouvel accomplissement de la promesse, répondant à un nouvel appel : « Nous sommes probablement les seuls hommes à ne vivre que pour chercher Dieu et témoigner de Lui. » Ils traversent le temps et les frontières, dans ce « Moyen-Orient qui, jusque-là, est le seul endroit sur terre où le Dieu unique aime à se manifester aux hommes ». À eux revient la nouvelle alliance, après celles scellées par Abraham, Moïse, Jésus et Mohammed.
L’histoire d’une errance vers Canaan
Le récit des tribulations est ponctué des palabres à la nuit tombée, quand la politique dispute l’avenir à l’Écriture : « Nous vivons dans ce texte depuis notre naissance. » Et encore : « Ce qui est écrit doit arriver. » Mais un autre rétorque : « Je n’ai toujours pas compris notre acharnement à vouloir suivre la Genèse à la lettre, je ne crois pas qu’elle nous oblige tant que ça.»
Les hommes du clan s’accrochent à leur mission divine : « La nouveauté n’est pas la rupture avec l’ancien, elle en est la suite, une étape nouvelle sur le chemin de la perfection. (…) Parler de rupture veut dire que Dieu tâtonne dans la réalisation de Son plan et se trompe à chaque fois… » Riches des millénaires passés, ils errent pendant des années vers Canaan, dans le tumulte de cette terre déchirée. « Nous sommes des rêveurs libres, des fous ivres de sagesse, des fantômes revenus à la vie, nous osons rêver d’un monde parfait et d’un dieu qui veut le bonheur des hommes. »
En racontant la Genèse transposée dans ce XXe siècle chaotique, Boualem Sansal retrace l’éternelle quête spirituelle de l’humanité en dialogue avec Dieu silencieux. Profonde méditation sur le devenir de l’Alliance, le roman montre les croyants pétris de doutes et d’audaces, vivant les Écritures pour mieux restaurer une espérance enfouie. Brossant les violences religieuses et les dérives sectaires dans ses précédents livres, ce sont les hommes de paix que l’écrivain restaure ici, dans leur quête maladroite, fervente, peut-être utopique, toujours renouvelée.
Christophe Henning,
https://www.la-croix.com/Culture/Abraham-cinquieme-Alliance-Boualem-Sansal-2020-12-21-1201131338
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