Michaël Zumstein raconte l’improbable mais véridique entreprise de ses trois aïeux pour rapatrier en France la dépouille de leur frère aîné, enterré à Oran depuis près de quatre-vingts ans.
« Il faut ramener Albert » (SQUAWK)
Michaël Zumstein raconte l’improbable mais véridique entreprise de ses trois aïeux pour rapatrier en France la dépouille de leur frère aîné, enterré à Oran depuis près de quatre-vingts ans.
Le 22 mars dernier au Théâtre Libre, à Paris, l’auteur de ce film joyeux et grave montait sur la scène du « Live Magazine » où des journalistes, photographes, dessinateurs et réalisateurs se succèdent pour raconter une histoire en mots, en sons ou en images. Arrivant peu après un récit bouleversant sur la guerre en Ukraine, celui de Michaël Zumstein, scandé d’extraits de son film, a déclenché les rires du public. Beaucoup d’émotion aussi, comme ce fut le cas dans les salles de Biarritz où le film, « Il faut ramener Albert », sélectionné dans la catégorie « Documentaire national » au Fipadoc 2022, a été projeté. Mais qui est donc Albert ? Et pourquoi vouloir infliger à sa dépouille un ultime voyage, en pleine pandémie de surcroît ?
Mort pour la France
Dans la famille Levy, juive originaire d’Algérie, il y a Roger (98 ans), Colette, la mère du réalisateur (91 ans), et Nicole, la benjamine (88 ans). Chaque après-midi, la fratrie se retrouve dans l’appartement parisien de Roger où Michaël Zumstein, son neveu, les filme. Les retraités font des mots croisés, échangent des nouvelles de leurs enfants et se chamaillent gentiment. Ils n’ont pas toujours été trois. Il manque Albert, l’aîné, dont personne n’a jamais osé prononcer le nom depuis soixante-dix-huit ans. En 1943, écœuré d’avoir été exclu de la faculté de médecine d’Alger à cause des lois pétainistes antijuives, Albert, beau jeune homme athlétique et rayonnant tel que le montrent les vieilles photos en noir et blanc à bord dentelé, s’engage dans les Forces françaises libres.
Envoyé sur le front en Italie, il fera preuve de courage avec ses camarades et mourra « pour la France » en 1944. Albert sera inhumé trois fois : la première dans la région de Monte Cassino où les tirs ennemis l’ont fauché, la deuxième à Naples, puis au cimetière militaire d’Oran (Algérie) par les soins de l’armée française. Trois enterrements, c’est déjà beaucoup pour un seul homme. Pourtant, aux yeux de Roger, il manque encore une étape pour que son frère atteigne le repos éternel.
« Maintenant, c’est l’accompagnement éternel, en famille, avec toute son histoire… »
Est-ce parce que Roger sent la fin approcher ? A bientôt 100 ans, le vieux monsieur a encore toute sa tête, même s’il a du mal à concevoir que la liseuse commandée par sa sœur contient un livre entier et plus encore. Roger ne supporte plus l’idée de laisser son aîné tout seul, à Oran, si loin des siens. Ce sera sa dernière mission sur terre : il faut ramener Albert ! Commence alors, en pleine crise sanitaire, l’épopée immobile de la famille Levy. Nicole, la sérieuse, et Colette, la malicieuse, se lancent dans l’aventure. Il va falloir dompter le numérique, ce qui n’est pas une mince affaire. Sous l’œil tendre de Michaël Zumstein, cela vaut de savoureux échanges sur l’enfer administratif. Et quelques séquences d’anthologie : Colette parle à Siri, Colette et les textos qui disparaissent, Colette et l’ « arobade »… Roger, plus réservé, ne parle jamais d’Albert. Comment se fait-il, se demande l’une des sœurs, que personne n’ait jamais fêté l’anniversaire de sa naissance ? Quand le vieux monsieur consent à leur montrer les lettres qu’Albert lui envoyait du front en Italie, elles mesurent à quel point la relation des deux garçons était intense. Un jour d’été, l’affaire se dénoue entre les représentations diplomatiques française et algérienne. Entre deux sanglots, Roger peut enfin parler d’Albert : « C’était un tel phénomène ! Il était isolé, le pauvre… C’était la solitude éternelle. Maintenant, c’est l’accompagnement éternel, en famille, avec toute son histoire… » Avec ce film, Albert ne sera plus jamais seul.
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https://www.nouvelobs.com/ce-soir-a-la-tv/20220421.OBS57418/il-faut-ramener-albert-quatre-enterrements-pour-un-seul-homme.html
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