02 avril 2019- 02 avril 2022. Trois ans sont passés depuis la démission, sous la pression de millions d’Algériens, de celui qui a battu tous les records de longévité à la tête du pouvoir en Algérie. Il s'agit du président Abdelaziz Bouteflika, décédé le 17 septembre 2021 à Alger, près de deux ans et demi après avoir quitté définitivement la présidence, occupée pendant 20 longues années. Une éternité pour des générations d’Algériens qui n’ont connu que lui comme chef de l’Etat. Même en étant complètement affaibli par la maladie et les graves séquelles de l’accident vasculaire cérébral (AVC) qui l’avait terrassé, en 2013, l’homme n’était pas prêt de céder le pouvoir.
Il ne l’a fait que sous la contrainte. Adulé durant les premières années de son règne, il voit sa notoriété s’effriter à partir de son troisième mandat, avant de devenir persona-non grata en 2019. Qui est cet homme qui a vécu dans le pouvoir et pour le pouvoir ? Comment a-t-il réussi à se maintenir aussi longtemps ?
Né le 2 mars 1937 à Oujda (Maroc), Abdelaziz Bouteflika est l’ainé d’une famille nombreuse composée de sept enfants (cinq garçons et deux filles). Après des études au Maroc, il s’engage, à l’âge de 19 ans, dans la guerre de libération contre le colonialisme français en intégrant l’armée des frontières et ses bases installées sur le territoire du marocain.
---Le rêve de devenir président---
A cette époque déjà, Abdelaziz Bouteflika rêvait d’être président. « Bouteflika avait de l’obsession pour le pouvoir. En fait, il avait deux objectifs : conquérir le pouvoir et le garder aussi longtemps. Déjà pendant la guerre d’Algérie, quand il était contrôleur de l’armée de libération nationale, plus exactement en 1958, il avait confié un soir à des amis à lui son rêve de devenir un jour président, alors qu’il avait tout juste 20 an. C'est une anecdote que j’ai raconté dans mon livre », explique à Anadolu, le journaliste et auteur du livre « Bouteflika l’Histoire secrète » (édité en France en 2020), Farid Alilat.
Selon lui, « on voit donc, qu’avant même l’indépendance de l’Algérie, sans même savoir si le pays allait accéder à l’indépendance et avant même d’être ministre, il avait déjà cette obsession de devenir président ». Il n’a pas lésé sur l’effort pour le réaliser. Il n’a d’ailleurs pas cessé de caresser ce rêve, même que les militaires lui ont barré la route après la mort de son mentor, le président Houari Boumediene.
«Après l’indépendance, en tant que ministre des Affaires étrangères, il avait tout fait pour maintenir cette proximité avec Boumediene, à tel point qu’il a fait croire qu’il était le numéro II du régime, et par ricochet le successeur putatif de Boumediene. A la mort de ce dernier, il s’était présenté et imposé comme son successeur. Il avait tout fait pour lire son horizon funèbre, alors qu’il n’était pas celui qui devait le faire. Dans sa tête, en faisant cela devant des millions d’Algériens et devant des chefs de l’Etat du monde entier, il s’imposait comme le successeur », explique notre interlocuteur.
Mais, rappelle-t-il, son ambition s’est heurtée au refus des militaires, « comme Kasdi Merbah, Larbi Belkheir, Abdellah Belhouchet et Rachid Benyelles ». « Ils ne voulaient pas de lui et ont opté pour Chadli. Ensuite, il a connu sa traversée du désert, sans toutefois désespérer. En 1994, les militaires ont fait appel pour prendre la succession du Haut Conseil de l’Etat et il avait négocié pendant des semaines. Les militaires avaient accepté toutes ses conditions. Mais au dernier jour, il s’est débiné en disant qu’il ne voulait plus faire de la politique », précise-t-il.
Abdelaziz Bouteflika ne parvient à réaliser sa première obsession qu’en 1999 après avoir également, selon Farid Alilat, « négocié avec les militaires ». « Il a assouvi la première obsession et il a commencé à penser à comment le garder. C’est ce qu’il a fait pendant tout ce temps, jusqu’en 2019. Pour lui, il faut prendre le pouvoir et ne jamais le restituer », ajoute-t-il, estimant « qu’il n'était pas un homme d’Etat, mais un homme du pouvoir ».
« Il a acheté beaucoup de monde »
C’est ce que pense aussi le sociologue algérien, Nacer Djabi qui a bien voulu résumer à Anadolu le secret de la longévité de Bouteflika au pouvoir. « Il (Bouteflika, ndlr) connaît très bien le système et son personnel et il savait comment les gérer. Il avait également beaucoup de chance, puisque dès son arrivée au pouvoir, les prix du pétrole ont augmenté et la pluviométrie nécessaire pour l’agriculture était aussi au rendez-vous. De plus, les algériens étaient fatigués des années de terrorisme et des tiraillements idéologiques. Ils se sont intéressés plus au côté économique et social », dit-il.
Selon lui, « Bouteflika a joué sur ces facteurs et a dépensé des milliards de dollars dans la construction de logements par exemple ». «Bouteflika n’avait qu’une obsession qui est de rester au pouvoir. Il n’aimait pas les Algériens et il se croyait être plus intelligent. Pour rester au pouvoir, il a acheté beaucoup de monde : les citoyens en leur offrant des logements et des entrepreneurs avec milliards pour la réalisation des projets. Il a également laissé les militaires faire ce qu’ils voulaient, tout en bénéficiant de beaucoup d’argent », souligne-t-il. Auteur de l’Algérie après Bouteflika (2020), l’historien français, Benjamin Stora définit l’homme « un habitué des batailles politiques ».
«Il joue un rôle clé dans les négociations entre l’armée des frontières et les prisonniers en France comme Aït Ahmed, Ben Bella et autres. Il est aussi mêlé à des jeux politiques extrêmement intenses et compliqués. La vie de Bouteflika est une vie proche du pouvoir, des jeux d’appareil et de la révolution. C’est un homme qui traverse l’histoire algérienne dans la guerre, dans l’après-guerre, dans la guerre civile, soit dans toutes les séquences de l’histoire du pays », avait-il déclaré au quotidien Français, Le Monde, en septembre 2021, suite au décès du président algérien déchu.
AA/Alger/Aksil Ouali 02.04.2022
https://www.aa.com.tr/fr/politique/alg%C3%A9rie-abdelaziz-bouteflika-l-homme-du-pouvoir-au-destin-contradictoire/2553344
.
Les commentaires récents