Paresseux et tronqué, le documentaire co-écrit par Benjamin Stora à l’occasion des soixante ans de la fin de la guerre d’Algérie fait surtout la part belle aux pieds-noirs. À l’opposé de l’excellent documentaire d’Arte en six épisodes produit par Arte (voir notre compte rendu ci dessous)
C’était la guerre d’Algérie, un film de Georges-Marc Benamou, écrit avec Benjamin Stora, 5×52 min, sur France 2, les 14 et 15 mars 2022
Pendant des années, « France Télévisions » a rechigné à faire de la guerre d’Algérie une sujet d’exploration pour ses documentaires. Matière trop inflammable, sujet trop sensible, les caciques de la télévision française préféraient se repaître d’innombrables films sur la Seconde guerre Mondiale. Cette période de l’Histoire de France ne présente en effet que des avantages pour des diffuseurs qui ne veulent pas prendre trop de risques avec leur autorité de tutelle. La dernière Guerre en effet est un terrain de jeu manichéen parfaitement balisé avec méchants (les nazis) d’un côté et des gentils (les résistants) de l’autre, un sujet peu propice aux polémiques.
Quelques dérisoire crispations pétainisto-zemmouristes pimentent le tout et l’audience est généralement au rendez-vous aurpès d’un public vieillissant.
Une mémoire franco française
Ces dernières années, quelques projets de grande qualité comme La guerre des appelés (2019) de Thierry de Lestrade et Sylvie Gilman, avaient pourtant commencé à ouvrir la brèche d’un traitement documentaire de la guerre d’Algérie sur les antennes françaises. Mais s’il mettait en scène d’anciens troufions traumatisés par les crimes de guerre perpétrés de chaque côté, ce film ne présentait, comme son titre l’indique qu’une mémoire franco-française, aussi humaniste fut-elle.
À l’occasion du soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, les antennes publiques ont enfin décidé de franchir le pas et de consacrer deux soirées exceptionnelles à l’évènement avec une longue fresque historique en cinq parties. Un film « sans tabou et à hauteur d’hommes » comme proclame le dossier de presse, censé servir de référence, sinon historique, tout du moins télévisuelle. Un documentaire écrit par deux sommités des salons parisiens : l’écrivain-journaliste et « en même temps » ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Georges-Marc Benamou; l’historien reconnu de l’histoire de la guerre d’Algérie devenu le proche et conseiller de l’ombre de tous les pouvoirs élyséens, Benjamin Stora.
Le rapport Stora sans éclat ni lendemains
Historien réputé devenu le conseiller et l’ami des Présidents successifs, notamment Hollande et Macron, Benjaminn Stora est le gage d’une facture politiquement correcte sur un sujet hyper sensible à un mois de la Présidentielle française. Entre une exposition sans éclat à l’IMA et un voyage avec le Président de la République, le même est l’auteur d’un rapport sans lendemain sur les relations France-Algérie. Il s’agissait d’une commande du président Macron pour tenter d’habiller un rapprochement netre Paris et Alger qui n’a, hélas, jamais eu lieu.
Bref, aux manettes du film, un attelage œcuménique d’habitués de la Cour, taillé pour retranscrire fidèlement ce qu’il faut penser du conflit de ce côté-ci de la Méditerranée. A ceci près que ces auteurs présentent la caractéristique d’être tous les deux pieds-noirs et que dès les premières minutes du film, à contre-courant de l’équilibre des points de vue, vanté par les auteurs dans leur note d’intention. Il affleure inévitablement une certaine nostalgie coloniale qui restera le fil conducteur principal de cette fresque couvrant la période 1830-1962.
Une nostalgie coloniale
L’histoire que le duo Stora-Benamou raconte pendant plus de quatre heures, est donc celle d’un pays de cocagne, saboté par des extrémistes, forcément extrémistes. D’un côté, le lobby des « gros colons » qui bloque systématiquement toutes les tentatives de reformes humanistes avant-guerre comme le plan Blum-Violette, qui laissent la place aux ultras de l’Algérie française; de l’autre les agitateurs indépendantistes qui s’échinent à faire capoter tout compromis plus consensuel.
Le tout sous le regard navré d’un Albert Camus militant de la cause pied-noir et – en même temps – apôtre de la non-violence, érigé en grande conscience du film, alors même que l’écrivain s’était muré dans le silence dès que le début de guerre d’Indépendance, sujet dudit film. Bref…
Ses grands témoins très « people »
Pour le reste, le film oscille entre une chronique politique et militaire, précise, du conflit et celle, plus évanescente, du ressenti de la population. On passe de l’embuscade de Palestro (16 morts français) à la Bataille d’Alger, de l’attentat du car de Biskra au dynamitage du Milk Bar, de la semaine des barricades au putsh d’Alger. Le tout dans un tourbillon sans grandes articulations.
Malheureusement, les entretiens réalisés pour le film n’apportent guère d’éclairage pertinent sur ces enchaînements, tant nombre de témoins sollicités aujourd’hui semblent avoir été plus choisis plus pour leur célébrité (Cédric Villani, Yasmina Reza, Pierre Joxe) que pour leur pertinence. On a affaire plus à des experts qu’à de véritables témoins. Parmi les quelques rares entretiens qui sonnent juste, les récits tout en sensibilité de Nicole Garcia et les sentiments ambivalents de Slimane Zeghidour, écrivain élevé dans un camp de déplacés qui, enfant, avait du mal à comprendre la figure du soldat français. Pourquoi ce dernier, se demandait-il, tuait des Algériens et faisait la classe aux enfants de ceux-ci?
Les autres témoignages sont issus pour la plupart d’archives d’anciennes interviews déjà données à la télévision par des protagonistes des événements dans les années 70 ou 80. En exprimant une vérité datée, ils privent le film de la résonnance actuelle que les promoteurs du film assurent pourtant avoir cherché.
« L’Orient compliqué de l’Algérie » !
Formellement, cet opus paresseux de la guerre d’Algérie rate également largement sa cible. Le commentaire est lu de façon théâtrale par Benoît Magimel et jalonné de poncifs ridicules (« L’Orient compliqué de l’Algérie » !). Les archives plaquées sans grande pertinence, traitées comme de simples illustrations, sans interroger leur pertinence, reprises en longueur et sans contextualisation, vagues recyclages de vieux reportages de « Cinq Colonnes à la Une ».
Ce qui était annoncé comme une somme définitive bénéficiant de soixante ans de recul et d’analyse, permettant de mettre fin aux ambiguïtés du conflit, se révèle être, en réalité, un pensum long comme un cours d’histoire-géo de ZEP dans les années 80, dispensé par un enseignant médiocre à l’aube de la retraite.
En creux, le film montre par contre assez bien, combien dans les antichambres des Palais nationaux, l’histoire de la guerre d’Algérie a toujours du mal à passer. Il faudra peut-être encore quarante années supplémentaires supplémentaires pour digérer ce bain de sang sans aigreur d’estomac.
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